Pourra-t-on un jour réparer le cerveau - Connaissance et Vie

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Le 29 octobre 2009
“Pourra-t-on un jour réparer le cerveau ?”
Docteur Pierre-Marie LLEDO, chef d’unité à l’Institut Pasteur,
directeur du laboratoire Perception et mémoireau CNRS à Paris
1. Introduction
Les neurosciences désignent les sciences qui traitent du fonctionnement du cerveau
(cellules, chimie, mais également de l’immatériel). Le cerveau est l’objet le plus complexe
de la nature ; il est constitué de 1300 cm³ de matière, de 20 milliards de cellules.
On ne connait que 5 à 10% du fonctionnement cérébral.
On estime que 30% du budget santé est consacré au traitement maladies
neurodégénératives, un ensemble de pathologies cérébrales liées à la perte de neurones.
Cela constitue donc un enjeu à la fois économique et de société.
Les neurosciences sont apparues en 1970 avec la création d’une société pluridisciplinaire
ayant pour objectif d’étudier le cerveau sous l’ensemble de ses différents aspects :
psychiatrique, chimique, physique. Le but ultime est de comprendre le moteur de la raison
et de la psyché.
2. Aperçu historique
Dès la préhistoire, le cerveau est considéré comme un organe vital pour penser,
sentir, se mouvoir ; il peut être lié à des dysfonctionnements du comportement.
Dans son traité « La maladie sacrée », Hippocrate écrit que le cerveau peut être
responsable de la folie.
Sous l’empire romain, Claudius Galien se base sur des observations anatomiques
chez des personnes agonisantes et constate que les fonctions du corps dépendent de
l’équilibre des liquides vitaux du cerveau.
A la Renaissance, le corps est considéré comme une machine hydraulique ; les
ventricules cérébraux sont fonctionnels (Leonardo da Vinci). Le cerveau provoque une
fonction réflexe (Descartes).
Cette focalisation sur les ventricules persiste jusqu’en 1865. C’est alors que l’on
découvre grâce au microscope l’unité de base du système nerveux, le neurone.
Toutes les médications actuelles visent les neurones, pas les ventricules.
3. Genèse et évolution du cerveau
Le cerveau n’est pas un organe homogène ; il est constitué du cortex (enveloppe), du
cervelet (activité motrice) et du tronc (communication avec la moelle épinière). Les
maladies neurdégénératives concernent uniquement le cortex.
L’évolution du cerveau humain (cerveau tripartite) s'est faite en trois phases :
Le cerveau reptilien (également présent chez les reptiles), partie centrale relativement
protégée, sert à gérer les fonctions réflexes : respiration, cycles éveil/sommeil et
rythme cardiaque ;
Le cerveau limbique gère les émotions (comme chez les autres mammifères) ;
Le cortex cérébral est l’unique partie du cerveau qui nous définit comme être humain.
Il gère la pensée, le langage, l’expérience concertée. Cette partie superficielle occupe
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la plus grande partie et consomme le plus d’énergie (20% de l’énergie du corps, alors
qu’il ne représente que 2% du poids du corps).
Le problème essentiel est de pouvoir juxtaposer le niveau du cerveau de l’individu dans le
cadre de son comportement et le niveau des neurones.
Les neurones sont des unités fondamentales du cerveau. Ils assurent la communication.
Ils permettent l’acquisition, la coordination et la diffusion des informations pour contrôler
les fonctions cognitives supérieures (raisonnement, comportement, apprentissage,
émotions).
Toutes les maladies neurodégénératives trouvent leur origine au niveau des contacts
entre les neurones. De ces troubles de la communication naissent les troubles
comportementaux (ex. Les enfants autistes ont un nombre exacerbé de contacts.)
La différence entre le cerveau du singe et de l’espèce humaine ne se situe pas au niveau
du nombre de gènes, mais au niveau de la qualité des gènes. Ainsi, le cerveau du singe
se construit uniquement in utero, donc sans influence extérieure. Le répertoire est donc
figé.
Par contre, dans l’espèce humaine, 3 à 4% des gènes sont responsables d’un
ralentissement du développement du cerveau. Le développement du cerveau humain se
fait essentiellement pendant la vie extra-utérine, avec une influence extérieure. Le
cerveau est donc non pas figé, mais flexible. Il va s’adapter en fonction du milieu
dans lequel l’individu évolue, indépendamment de l’âge. En l’absence de sollicitations
extérieures (appauvrissement sensoriel, vie sédentaire, ennui), les pathologies peuvent se
développer.
Trois mécanismes peuvent intervenir dans les fonctions cérébrales :
Des variations au niveau du nombre de contacts entre les neurones ;
Des variations au niveau de l’efficacité des contacts entre les neurones ;
Des réarrangements structuraux (ex. compensation sensorielle en cas d’absence
d’informations visuelles chez les aveugles).
Le cerveau est flexible : Au bord des ventricules (= cavités du cerveau qui contiennent du
liquide) se trouvent des cellules souches. Quelque soit l’âge des individus, ces cellules
peuvent proliférer et donner naissance à de nouvelles cellules :
des nouveaux neurones,
des cellules gliales (= cellules qui vont engainer les neurones),
des cellules sentinelles (= veillent à protéger le cerveau des agents pathogènes).
Cependant, cette théorie a rencontré plusieurs objections :
Historique : Le père fondateur des neurosciences a décrit précisément le cerveau
comme un tissu où les neurones sont enchevêtrés. Le cerveau adulte ne pouvait dès
lors pas incorporer de nouveaux neurones.
Technique : Dans les années 50, des scientifiques observent que des cellules se
divisent ; il s’agirait de cellules sentinelles mais pas de neurones.
Conceptuelle : Dans les années 70, on observe des fenêtres d’opportunité dans le
développement en fonction de l’âge : développement de l’activité motrice, du langage
etc. Ces fenêtres sont limitées dans le temps : une partie du cerveau s’ouvre à
l’information extérieure pendant cette période, et puis elle se referme. Cette théorie
s’oppose donc au fait que le cerveau puisse produire de nouveaux neurones.
Cependant, des techniques d’imagerie médicale (fibres optiques) ont permis d’observer
qu’il y a production de nouveaux neurones : le cerveau adulte produit 30000 cellules/jour.
De plus, ces cellules sont capables de se mouvoir vers des régions qui les attirent.
Ces découvertes ont eu des implications sur la perception et la mémoire, ainsi que dans le
domaine de la thérapie cellulaire.
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4. Les nouvelles thérapies
Tous nos organes sont capables de se renouveler (ex. foie).
Cette régénérescence peut se produire de différentes façons.
Une des solutions est de remplacer les substances déficientes pour freiner la maladie.
Cependant, l’objectif de l’équipe de P.M. Lledo était de revenir à un état d’avant la
maladie, en stimulant la production de nouveaux neurones dans certaines zones du
cerveau. Ils ont découvert que le cerveau secrète des substances (la tenascine) pour
attirer les nouveaux neurones et dérouter la navigation des cellules. Ces nouveaux
neurones s’orientent essentiellement vers le cerveau olfactif. C’est pourquoi, toute sa vie
l’individu garde la mémoire des odeurs.
L’équipe de P.M. Lledo a pu greffer des tissus qui vont secréter la tenascine dans la zone
du cerveau où une maladie se développe, entrainant la migration des cellules vers cette
zone malade.
Le grand enjeu est d’augmenter nos connaissances sur ces possibilités biotechnologiques
au service de la santé publique et de la qualité de la vie. Cependant, l’utilisation de
cellules souches (embryonnaires ou propres) soulève des problèmes éthiques : il faut
limiter l’auto-transformation de l’homme afin de préserver la nature humaine.
Certains mécanismes délétères peuvent bloquer nos capacités endogènes de produire de
nouveaux neurones : vie sédentaire, ennui, stress. Il faut donc multiplier la sphère
sensorielle, repenser le vieillissement.
Quelques réponses aux questions
La consommation du cerveau se mesure en sécrétion de cellules.
Chez l’homme, le nombre de neurones, le nombre de contacts, le rapport entre le
nombre de neurones et de cellules gliales est plus important que le volume du
cerveau.
Les cellules souches du cordon ombilical peuvent être transformées en neurones,
mais leur utilisation présente des inconvénients : violation de la notion de temps,
apparition de tumeurs (taux de division accélérée chez l’embryon).
La substance capable de modifier la navigation des cellules souches est la tenascine.
Elle sera probablement sur le marché dans 5 à 10 ans.
La radiothérapie peut être délétère pour les cellules souches. Une diminution de
l’apport de cellules souches peut provoquer dépression et stress.
La capacité d’oublier est indispensable pour vivre. Il n’existe pas de mémoire de la
douleur.
Le cortex limbique, centre des émotions est limité par le cortex. Si le cortex est
endommagé, ce frein disparait et les émotions s’expriment de façon excessive.
Comment ne pas vieillir : limiter l’ennui, l’habitude, vivre dans un univers enrichi où
tout n’est pas prévu.
Pendant les 2 à 3 heures qui suivent un AVC, mieux vaut ne pas lutter contre
l’inflammation, car elle permet la sécrétion de tenascine. Une fenêtre d’opportunité
existe pendant cette période.
La dépression nait du fait que l’être humain a conscience de son état. Actuellement,
on contrôle les mécanismes chimiques de la dépression. Si l’anxiété s’installe de façon
chronique, la dépression guette.
Les drogues reposent sur des mécanismes naturels. Il existe d’autres drogues que les
drogues chimiques : la prise de risque des traders, les jeux, les paris. L’accoutumance
des drogues est liée à la dopamine.
La maladie d’Alzheimer est caractérisée par une perte de neurones qui secrètent
l’acétylcholine. Elle serait liée à la génétique et à l’environnement. Les personnes qui
ont une activité mentale riche auraient moins de chances de développer la maladie.
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