Analyse de la portée économique du projet pour le Québec, ou que

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Mémoire déposé auprès de la commission d’enquête du BAPE sur le
projet d’oléoduc Énergie Est de TransCanada, section Québec
Analyse de la portée économique du projet pour le
Québec, ou que peut-on en gagner ?
Par Marc Ferland, économiste
19 avril 2016
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Introduction
À titre d’économiste ayant œuvré dans la haute fonction publique québécoise pendant 35
ans, principalement au ministère du développement économique, de l’exportation et de
l’Innovation, je suis interpelé par certains arguments ou affirmations de nature
économique qui accompagnent le débat sur le projet d’oléoduc Énergie Est. Comme une
des tâches des équipes que je dirigeais à certaines époques consistait à évaluer l’impact
économique et structurant de grands projets d’investissement industriel, fussent-ils
d’origine québécoise ou étrangère, nous disposions d’outils d’évaluation et de protocoles de
questionnement des projets nous permettant d’en arriver à des recommandations
appropriées en terme d’intérêt des projets et au niveau de la portée maximale de l’aide
gouvernementale à y souscrire si l’impact escompté était raisonnablement accessible. Ces
outils et questionnements sont encore utilisés pour évaluer l’impact économique des
grands projets soumis au gouvernement.
L’exercice auquel nous nous livrons collectivement au Québec, comme l’a fait la Commission
de l’énergie de l’Ontario en août 2015, est d’établir une comparaison entre les bénéfices
escomptés par ce projet et les coûts et inconvénients anticipés par sa réalisation. En clair,
les avantages à en tirer sur le plan économique surpassent-ils suffisamment les coûts et
inconvénients anticipés résultant de sa réalisation et de son opération pendant sa vie utile,
qu’ils soient de nature sociale, environnementale ou autre, pour que ce projet soit
considéré comme acceptable. Autrement dit, l’enjeu en vaut-il la chandelle?
Pour répondre à cette question, il ne manque pas d’analyses et de positions qui traitent (et
traiteront lors de ces audiences) des impacts environnementaux majeurs, des risques
d’accidents et de défaillances, des impacts sur les milieux habités, naturels ou sensibles, de
l’impossibilité d’atteindre les cibles canadiennes de réduction de GES en augmentant la
production de pétrole bitumineux, etc. Aussi, je m’inscrirai de l’autre côté du
questionnement, à savoir les impacts économiques prévisibles escomptés. En cette matière,
nous sommes encore à la remorque des prétentions du promoteur sur les mérites du projet
au Québec.
J’entends reprendre ici ces prétentions et les soumettre à une analyse ou questionnement
de nature économique.
1- Impact macro-économique sur l’économie québécoise de la croissance de l’industrie
pétrolière canadienne
Pour identifier les impacts économiques positifs de l’éventuelle implantation de
l’oléoduc Énergie Est, il est souvent mentionné par le promoteur qu’un certain
nombre d’emplois seront créés, de façon directe par la construction elle-même de
l’oléoduc, puis que d’autres pourraient provenir des fournisseurs, des emplois
indirects, donc. Peu importe les chiffres mentionnés, il faut indiquer qu’il s’agira de
personnes-année, c’est-à-dire que ces emplois ne dureront que pendant la période
de construction. encore, il faudra établir combien de ces emplois seront occupés
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par des Québécois plutôt que par des employés d’équipes itinérantes provenant de
l’extérieur et se déplaçant avec le chantier, ainsi que par des employés de
fournisseurs de matériaux et services du Québec. Une fois l’implantation terminée,
aucun de ces emplois ne subsistera. Pour connaitre la mesure de cet impact, il
faudrait donc connaitre le nombre de travailleurs issus du Québec et les salaires
versés. À plus long terme, TransCanada évalue à environ 50 personnes-année le
personnel nécessaire à l’entretien et l’opération de l’oléoduc. Le compte en sera donc
finalement modeste et très limité dans le temps, sauf si un déversement important
venait à survenir dans la vallée du Saint-Laurent et nécessiter des opérations de
nettoyage et de réhabilitation pouvant durer des années. Ce ne sont certes pas ces
emplois qui constitueraient une retombée positive pour l’économie du Québec. On
ne peut certes pas compter dans ce cas sur un effet de grappe ou de filière où
l’avènement de l’oléoduc déclencherait l’avènement d’une filière industrielle locale
survivant à la construction.
Cependant, l’impact structurel à long terme de la croissance de la production de
pétrole au Canada est souvent évacué du débat. L’expérience des dix dernières
années nous indique une étroite corrélation positive entre le prix mondial du baril
de pétrole et la valeur relative du dollar canadien. C’est-à-dire que lorsque les prix
du pétrole (Brent léger, West Texas Intermediate léger, et Western Canadian
Standard plus lourd et moins cher) remontent, la valeur relative du $CAN monte
aussi. En fait, les deux courbes graphiques sont presque jumelles. (voir graphiques
joints)
Ainsi, lorsque les prix et les expéditions de pétrole augmentent dans le monde, cette
augmentation entraine une appréciation de la monnaie canadienne et rend de ce fait
moins concurrentiels sur les marchés étrangers les secteurs exportateurs, comme le
manufacturier, l’agriculture et le tourisme. Or, ce sont justement ces secteurs qui
composent une part importante de notre activité (et de celle de l’Ontario), ce qui
induit un recul des emplois qui y sont liés. Pendant les 10 dernières années, ce
phénomène s’est observé au Québec. Ce n’est que depuis l’année dernière, à la faveur
de la baisse du $CAN résultant de l’effondrement du prix du pétrole, que les
exportations québécoises ont repris après des années de déclin. Ce phénomène
économique est connu depuis longtemps, on l’appelle le « syndrome hollandais »
parce qu’il a été identifié la 1ère fois aux Pays-Bas quand la découverte du pétrole
dans la mer du Nord avait provoqué une prospérité dans ce secteur, mais malmené
le secteur manufacturier. Déjà en juin 2012, l’OCDE prévenait le Canada que
l’explosion des produits de base (commodités dont le prix est fixé sur les marchés
mondiaux) avait renforcé le $CAN, ce qui avait nui à des secteurs vulnérables au
taux de change, comme le manufacturier et le tourisme. En novembre 2013, l’Institut
Pembina en venait à une conclusion similaire. En résumé, le développement des
capacités de production et de transport de l’industrie du pétrole bitumineux, à la
faveur d’une montée des prix du pétrole, auront plus vraisemblablement pour effet
d’affaiblir à long terme la structure économique et l’emploi au Québec, malgré les
quelques emplois éphémères issus de la construction de l’oléoduc.
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2- La substitution des importations de pétrole
Cet argument voulant que l’oléoduc Énergie Est aura comme effet positif de réduire
nos importations de trole de l’étranger est souvent évoqué par les promoteurs et
les supporteurs du projet. Il importe ici de désacraliser cette quête d’améliorer notre
balance des paiements. Quoique louable, cette volonté de diminuer nos importations
de pétrole en les remplaçant par des importations de l’ouest du pays ne peut
constituer un objectif en soi. Cela ne changerait rien à la balance globale des
paiements du Québec que le pétrole vienne de l’Alberta, plutôt que de la Mer du
Nord, de l’Arabie saoudite ou du Dakota du Nord. Rappelons que le pétrole brut est
un produit de base (commodité) dont le prix est fixé à l’échelle internationale. Les 2
raffineries situées au Québec, qui ont une capaci totale de raffinage de 402 000
barils/jour, assurent déjà leurs approvisionnements à partir de différentes sources
selon les disponibilités, les prix du baril et les coûts de transport. Leur modèle
d’affaires leur impose de bénéficier de toutes les sources possibles
d’approvisionnement et d’en obtenir le meilleur prix (livré), quelle qu’en soit la
source.
L’avènement d’Énergie Est n’aura comme seul avantage que de réduire un peu le
coût du transport du pétrole venant de l’ouest du pays et des États-Unis, mais n’a
pas du tout pour effet d’exclure les approvisionnements provenant d’autres sources.
D’ailleurs, le président d’Irving Oil, M. Whitcomb, indiquait au Financial Post au
début du mois d’avril que sa raffinerie de Saint-Jean au N-B (capacité de 300 000
b/j) continuera d’importer du pétrole d’outre-mer, malgré l’arrivée de 1,1 M de b/j
près de sa raffinerie avec Énergie Est. Sa firme ne s’est d’ailleurs engagée auprès de
TransCanada qu’à acheter 50 000 b/j. Il concluait ainsi l’entrevue : « Nous allons
ajouter du pétrole brut de l’Ouest canadien à notre portfolio, selon les règles du
marché, mais probablement pas au détriment des barils d’Arabie saoudite. »
Rappelons finalement que le pétrole bitumineux de l’ouest canadien est un pétrole
plus lourd que le pétrole conventionnel et qu’il commande des exigences
supplémentaires pour procéder à son raffinage en produit fini. C’est ce qui explique
qu’il se transige à des prix nettement inférieurs sur les marchés (d’environ +ou-
20$/baril) que le Brent léger ou le WTI léger, car il est plus coûteux à raffiner. Ainsi,
il pourrait bien s’avérer d’ici quelques années, selon les mouvements en dents de
scie de ce marché complexe, que l’oléoduc serve plutôt à exporter vers l’Europe et
l’Asie du pétrole en provenance des États-Unis en passant par le Québec. On serait
alors bien loin de la substitution des importations.
3- Une démarche qui pose les bonnes questions
Comme je l’indiquais en introduction, le gouvernement du Québec recourt
systématiquement depuis des années à une démarche en quatre temps pour évaluer
l’intérêt, l’opportunité et sa contribution éventuelle vis-à-vis des grands projets
d’investissement. Celle-ci fournit aux décideurs administratifs et politiques les
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réponses nécessaires à l’articulation de la position du gouvernement. Voici les quatre
questions posées :
Quelles seront les retombées directes et indirectes en terme d’emplois, de
revenus et de rentrées fiscales pour les phases de réalisation du projet
(i.e.:construction de l’oléoduc), et celle d’exploitation pendant sa vie utile?
Le projet soumis entrainera-t-il des effets structurants qui stimuleront ou
faciliteront des projets ou activités secondaires à long terme en aval, comme
une filière ou une grappe industrielle?
La réalisation de ce projet peut-elle entrainer des effets perturbateurs
affectant négativement ou positivement d’autres secteurs, marchés ou
entreprises de notre économie? Si oui, des mesures d’atténuation ou
d’adaptation sont-elles possibles?
Les ressources à mobiliser pour ce projet seraient-elles mieux utilisées dans
un projet alternatif (i.e. : transition énergétique)? Autrement dit, quel en est
le coût d’option?
À l’aide des connaissances dont je dispose sur les équilibres économiques du Québec,
entre autres mesurés par le modèle québécois intersectoriel administré par l’Institut de la
Statistique du Québec, et des propos tenus plus haut, il m’apparait que les réponses aux
quatre questions militent en faveur du rejet de ce projet. Les retombées économiques en
seront faméliques, cette infrastructure n’annonce aucun effet structurant au Québec au-delà
de sa propre existence, sa réalisation contribuera à terme à la montée du $CAN et à
l’affaiblissement de notre position concurrentielle dans les secteurs exportateurs du
Québec, et nous serions mieux avisés d’investir les ressources disponibles dans des
domaines à forte valeur ajoutée liés aux marchés et domaines qui connaitront de la
croissance, comme la recherche, le développement et la production de biens et services
associés à la transition énergétique.
Conclusion
Le projet Énergie Est, dans sa version actuelle, sera plus porteur d’impacts économiques
nets négatifs pour le Québec. Il s’agit essentiellement d’un projet d’infrastructure de transit
par le Québec d’un produit de gamme inférieure dont les perspectives de croissance du
marché sont plus que douteuses compte tenu des engagements que les pays ont pris à Paris
en décembre dernier, et qu’ils devront encore rehausser dans un avenir rapproché.
Sur la base de cette analyse, ce projet ne devrait pas obtenir l’aval du gouvernement du
Québec puisqu’il ne passe pas le test de l’intérêt économique, ceci, même avant d’avoir
mesuré les effets indésirables et risques environnementaux qu’il comporte.
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