actualité, info avancée thérapeutique Dix ans de thérapie génique, et maintenant ? Remarquable synthèse concernant la thérapie génique dans le dernier numéro (daté de février 2010) du mensuel francophone Médecine/ Sciences. Signé de trois spécialistes répu­tés officiant à l’Hôpital Necker-Enfants Malades de Paris, ce texte expose l’essentiel d’une décennie de travaux acharnés et pose quel­ ques jalons pour le futur.1 «Deux essais thérapeutiques concernant des maladies héréditaires du système immunitaire ont apporté la preuve du principe que la thérapie génique peut constituer une approche thérapeutique à la fois puissante en termes d’efficacité et stable au cours du temps, rappelle tout d’abord le Pr Marina Cavazzana-Calvo. Dix ans se sont écoulés depuis que le premier patient atteint de déficit immunitaire combiné sévère (DICS), lié au chromosome X (DICS-X1), a reconstitué de façon stable le compartiment lymphocytaire T qui lui faisait défaut. Les essais cliniques de thérapie géni­ que se sont progressivement élargis à d’autres maladies héréditaires du système hématopoïétique, de la peau, de l’œil et du système nerveux central, avec des résultats globalement très encourageants, franchement béné­ 594 58_61.indd 1 fiques pour certaines de ces maladies.» On sait que les deux défauts héréditaires du système immunitaire, à ce jour corrigés par thérapie génique avec des résultats incontestables, sont classés parmi les DICS, maladies immunitaires les plus graves que l’on connaisse. La physiopathologie de ces deux DICS diffère : le DICS-X1 est la conséquence de mutations de la chaîne g commune du récepteur membranaire des cytokines héma­ topoïétiques ; le déficit en adénosine désaminase entraîne une accumulation des métabolites toxiques de l’adénine qui affecte l’ensemble des précurseurs lympho-hématopoïétiques et des épithéliums de l’organisme avec atteinte du système immunitaire adaptatif. Au total, 38 malades atteints de ces deux formes de DICS traités par thérapie génique ont aujourd’hui un suivi clinique compris entre dix et un an(s). L’évaluation permet ainsi un «bilan d’étape». Le constat clinique est largement positif : guérison des infections virales de pronostic grave au moment du traitement, restauration de l’immunité adaptative, reprise de la croissance staturo-pondérale et retour à une vie familiale et scolaire normale. «La survie avec restauration d’un phénotype immunologique normal est de 83% à dix ans pour les patients traités pour DICS-X1, et de 70% pour les patients atteints d’ADA (traités à Milan, Londres, Washington et Los Angeles), précisent les auteurs de cette synthèse. Ce bilan tient compte bien entendu des cinq cas de leucémie aiguë lymphoblastique survenus au cours des essais DICS-X1 de Paris et de Londres qui ont conduit à l’interruption de ces derniers.» Pourquoi, dès lors ne pas se poser la question de la place de la thérapie génique par rapport à la greffe allogénique de cellules sou­ ches hématopoïétiques (CSH), du moins pour ce groupe de ma­ladies héréditaires du système im­munitaire de pronostic extrêmement sévère ? Parce que, expli­quent en substance le Pr Ca­vazzana-Calvo et ses collègues, nom­bre de questions biologiques sou­le­vées par ces essais cliniques ne sont pas résolues et doivent être évoquées. Les progrès cons­tants issus notamment du séquençage à haut débit, ont permis de mieux comprendre l’intimité moléculaire et la biologie de l’intégration des rétrovirus de type gamma utilisés dans ces essais cliniques. Pour autant, ces con­naissances ne suffisent pas, selon les auteurs, à expliquer «pourquoi quatre leucémies se sont développées dans l’essai français et une dans l’essai anglais réalisé pour la même indication (DICS-X1), et aucune parmi dix-huit patients atteints de déficit en adénosine désaminase traités par thérapie géni­que». Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 17 mars 2010 12.03.10 09:57 D.R. Est-ce, par exemple, un effet de la maladie sous-jacente ? La nature des enveloppes rétrovirales capables de cibler des cellules plus im­matures est-elle en cause ? «Il sera néanmoins difficile d’apporter un support expérimental à ces hypothèses» soulignent-ils, ajoutant que se posent également «des inter­ rogations d’héma­topoïèse fondamentale». On connaît d’autre part depuis peu les résultats cliniques obtenus chez trois patients de l’essai adrénoleucodystrophie (ALD) liée à l’X.2 «Trois ans après le traitement par thérapie génique du premier garçon atteint, environ 15% des cellules hématopoïétiques cir­ culantes expriment la protéine ALDP, et ceci de façon très reproductible chez les trois malades traités, indépendamment du taux initial de transduction des cellules CD34+, qui varie entre 30% et 50%, rappellent les auteurs. Ce résultat suggère qu’entre 10% et 15% des cellules souches ont été corrigées grâce à l’utilisation d’un vecteur lentiviral et d’une chimiothérapie myéloablative.(…) Ce pourcentage est-il suffisant pour prévenir à long terme l’évolution de la maladie, sachant que le degré de chimérisme requis pour arrêter l’évolution de la maladie après allogreffe de CSH doit être supérieur ? Seule l’étu­ de clinique à long terme de cette cohorte de patients pourra permettre de répondre.» Mais encore ? En 2010, quatre essais de thérapie génique devraient se poursuivre : deux, destinés à traiter les déficits immuni- taires DISC-X1 et Wiskott-Aldrich, démarreront avec cette approche à l’aide de rétrovirus ou de lentivirus à LTR inactivé, tandis que les essais pour la b-thalassémie et l’ALD continueront. Compte tenu des résultats cliniques obtenus et des progrès technologi­ ques attendus, la thérapie génique devrait prendre une place croissante comme traitement de bon nombre de maladies héréditaires du système lympho-hématopoïétique. Des progrès sont également attendus au moins pour les maladies dystrophiques de la peau (épidermolyse bulleuse), les différentes formes de rétinite pigmentaire et certaines maladies lysosomales avec atteinte du système nerveux central. «Il faut espérer que les sociétés de biotechnologie qui avaient abandonné ce domaine thérapeutique recommencent à s’y intéresser, concluent les auteurs. Cela contribuerait à ce qu’un des goulots d’étranglement du développement clinique de la thérapie génique, la production à large échelle de lots de vecteurs cliniques, puisse être levé bien qu’il persiste aussi des obstacles techniques au développement de lignées stables de production de vecteurs.» Jean-Yves Nau [email protected] 1 Cavazzana-Calvo M, Hacein-Bey-Abina S, Fischer A. Dix ans de thérapie génique : réflexions. Médecine/Sciences 2010;26. N°2. 2 Cartier N, Hacein-Bey-Abina S, Bartholomae CC, et al. Hematopoietic stem cell gene therapy with a lentiviral vector in X-linked adrenoleukodystrophy. Science 2009; 326:818-23. Dr Jean-Paul Corboz Route de la Fleur-de-Lys 50 1008 Prilly [email protected] Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 17 mars 2010 58_61.indd 2 595 12.03.10 09:57