Urgenturie, une adaptation sémantique logique pour

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◆ MISE AU POINT
Progrès en Urologie (2007), 17, 917-919
Urgenturie, une adaptation sémantique logique pour une meilleure
expression d'un symptôme clé mictionnel irritatif
Philippe GRISE, Romain CAREMEL, Mohamed CHERIF, Louis SIBERT
Service d'Urologie, CHU Rouen, Hôpital Charles Nicolle, Rouen, France
RESUME
De multiples termes sont utilisés dans la sémiologie française pour désigner une urgence ou une impériosité mictionnelle. Il s'agit d'un symptôme clé et central de l'hyperactivité vésicale, différent du besoin physiologique de
la vessie pleine. L'analyse par l'interrogatoire et les questionnaires vise à mieux caractériser ce trouble subjectif. Il y a aussi nécessité de lui donner une appellation spécifique en cohérence avec la logique des autres termes
sémiologiques des troubles mictionnels. Ceci amène à proposer le terme “urgenturie” en remplacement de
“urgence ou impériosité mictionnelle”.
Mots clés : urgence mictionnelle, incontinence urinaire, symptômes urinaires
Niveau de preuve : NA
Le socle de notre démarche clinique débute par l'interrogatoire et
l'analyse des troubles mictionnels. C'est un temps essentiel, très
riche, d'emblée déterminant pour la conduite de bien des explorations et des orientations thérapeutiques. Pourtant, peu de travaux
concernent cette analyse et moins encore la justification sémantique
précise des termes employés. Nous sommes volontiers attirés par
l'innovation technique, un nouveau procédé chirurgical, une imagerie en constante amélioration. Mais regardons aussi en amont,
considérons aussi le processus de démarche clinique dont les
connaissances ne sont pas figées, y compris la terminologie sémiologique et sa concordance avec les processus physiopathologiques.
Les travaux sur une meilleure caractérisation des situations pathologiques nous donnent de nouveaux outils, en particuliers de nombreux questionnaires et échelles de symptômes, mais peuvent aussi
concerner l'analyse isolée d'un symptôme.
Aucun terme spécifiquement médical pour ce trouble mictionnel n'est
recommandé, contrairement à la dysurie et à la pollakiurie qui regroupent en un terme médical les phrases et périphrases utilisées par le praticien pour interroger en langage courant la plainte du malade.
L'International Continence Society (ICS) [4-5] a donné une définition des différents troubles mictionnels. Ainsi l'urgence mictionnelle est appelée “urgency” avec pour caractère “a sudden, difficult to
defer, compelling desire to void” que l'on peut traduire par un désir
soudain, impérieux et fréquement irrépressible d'uriner. La définition de l'ICS différencie “urgency” de “urge” qui est le terme du
désir normal d'uriner et qui peut être différé avec certaines stratégies.
Il est donc important de demander au malade si le besoin qu'il ressent est identique à la progression normale d'un besoin ou si c'est
une sensation anormale en intensité et en modalité. Cette sensation
anormale d'urgence mictionnelle peut s'accompagner d'une quantité urinée faible et d'une pollakiurie. Elle est différente des cystalgies, et d'ailleurs les malades ayant une cystite interstitielle se plaignent de douleurs temporairement calmées par la miction et de
besoin à type de pesanteur, mais ils peuvent se retenir. A l'inverse,
dans l'urgence mictionnelle il y a la peur de perdre ses urines.
L'urgence mictionnelle est un symptôme clé qui offre le paradoxe
d'une expression orale hétérogène par les malades et d'une appellation médicale peu expressive pour un trouble urinaire pourtant bien
particulier.
EXPRESSIONS MEDICALES DE L'ANOMALIE DU BESOIN
MICTIONNEL
Il faut remarquer que la langue française a de multiples synonymes,
et que la langue anglaise utilise deux termes sémiologiques très proches avec une différenciation qui n'est pas suggestive d'emblée
d'une pathologie urinaire.
L'urgence mictionnelle est un symptôme à la fois fréquent, qui
affecte près de 15% de la population, et grave car elle retentit fortement sur la qualité de la vie [1-3]. Plusieurs termes sont utilisés
en pratique clinique, sans précision sur leur valeur relative et leur
degré de compréhension.
L'URGENCE MICTIONNELLE EST UN MAITRE
SYMPTOME
Les termes sémiologiques français employés presque indifférement
sont impériosité mictionnelle, besoin impérieux, besoin urgent,
urgence mictionnelle, besoin pressant d'uriner, besoin irrépressible
d'uriner. Tel médecin utilisera volontiers un terme, tel autre un
terme différent, avec un choix basé essentiellement sur des préférences personnelles. Si le malade ne comprend pas, un autre terme
sera utilisé en fonction également de préférences personnelles,
enfin la traduction dans le dossier médical n'utilise pas forcément le
terme utilisé lors de l'interrogatoire.
Au centre des symptômes mictionnels irritatifs [6], l'urgence réduit
l'intervalle entre deux mictions et induit une pollakiurie dont l'exManuscrit reçu : octobre 2006, accepté : mars 2007
Adresse pour correspondance : Pr P. Grise, Service d'Urologie, CHU Rouen,
Hôpital Charles Nicolle 1, Rue de Germont, 76000 Rouen.
e-mail : [email protected]
Ref : GRISE P., CAREMEL R., CHERIF M., SIBERT L. Prog. Urol., 2007, 17, 917-919
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P. Grise et coll., Progrès en Urologie (2007), 17, 917-919
Perception Scale,UPS), décrite par FREEMAN [16], repose sur la
possibilité ou non de retenir ses urines avant de gagner les toilettes,
et de finir une activité en cours. Elle a été validée par CARDOZO [17]
dans une population de patients ayant une hyperactivité vésicale.
L'échelle UPS a l'intérêt de prendre en compte la peur de perdre ses
urines, mais ce n'est pas un outil diagnostique pour discriminer le
type d'incontinence par effort versus par urgence. Une évaluation
en 4 stades d'intensité croissante (Indevus Urgency Severity Scale,
UISS) reposant sur le degré d'inconfort et l'arrêt des activités en
cours est proposée par BOWDEN [18], avec également une validation
dans l'hyperactivité vésicale.
pression nocturne est une nycturie. Lorsque le besoin dépasse les
mécanismes de retenue et d'inhibition, il entraîne une incontinence
par impériosité ou urgence.
La corrélation des urgences mictionnelles avec les autres symptômes [7], en particulier la pollakiurie et la réduction du volume mictionnel uriné, est aussi retrouvée dans les études avant traitement
anticholinergique et les études avec traitement. Plusieurs signes ou
symptômes peuvent être regroupés pour définir un syndrome qui va
caractériser une entité sémiologique clinique particulière.
Ainsi est né le concept de syndrome clinique d'hyperactivité vésicale, ou syndrome urgence-pollakiurie. Il regroupe des urgences
mictionnelles aboutissant ou non à une incontinence urinaire et une
pollakiurie. Ce terme d'hyperactivité vésicale est utilisé en l'absence d'infection urinaire ou de pathologie locale organique évidente
comme une lithiase ou une tumeur. Il n'est pas spécifique d'une
pathologie neurogène ou non-neurogène, ni strictement corrélé
avec une hyperactivité urodynamique du détrusor, il définit une
entité clinique, un groupe particulier de malades. Environ un tiers
des patients présentant une hyperactivité vésicale [8] ont une
incontinence par urgence.
Un score composite [20] regroupant les trois composants cliniques
de l'hyperactivité vésicale est une autre approche utilisée en évaluation thérapeutique.
ANALYSE DE LA COMPREHENSION DES TERMES
PAR LE PATIENT
Dans le cadre du développement et de la validité psychométriques
d'un nouveau questionnaire de symptômes en langue française, Profil des Symptômes Urinaires (PSU), le terme urgence mictionnelle
a été spécifiquement analysé [21] au travers d'une étude de compréhension. Ainsi, 21 patients et 4 sujets témoins, hommes ou femmes de plus de 18 ans, ont été interrogés selon la méthode d'un
entretien semi-directif portant sur 11 questions explorant les
champs de l'incontinence urinaire, des impériosités, de la pollakiurie, de la dysurie. L'interrogation a ensuite porté sur la compréhension et la clarté des 3/11 questions se rapportant à l'impériosité mictionnelle. La compréhension du terme “besoin urgent” a été étudiée
ainsi que la proposition de remplacement du terme “besoin pressant
et soudain”. Le terme “besoin urgent” a été majoritairement préféré et considéré comme plus clair que “besoin pressant et soudain”.
Pour les patients dont la symptomatologie a été considérée par l'urologue comme étant des impériosités ou une pollakiurie, le besoin
urgent a été également majoritairement préféré. Les patients ont
exprimé clairement une meilleure compréhension du terme “besoin
urgent”, quel que soient les troubles mictionnels exprimés. L'expression sur la différence entre les deux termes fait apparaître que
besoin urgent renvoie à un besoin plus immédiat (valeur chronologique) et plus fort (valeur quantitative). Ceci est bien en concordance avec les arguments en faveur d'un processus physiopathologique spécifique et différent du besoin normal.
UN PROCESSUS PHYSIOPATHOLOGIQUE PARTICULIER
Une urgence mictionnelle est un processus pathologique, elle est
différente de la progression du besoin, même si le sujet ressent à
vessie pleine un besoin fort qui l'incite à aller aux toilettes.
Les données récentes issues de la compréhension des mécanismes
d'action des anticholinergiques et de la toxine botulique [9] ont
montré que l'hyperactivité vésicale, dont l'urgence est le symptôme
central, peut résulter d'anomalies de la voie sensitive et/ou motrice.
Une dysrégulation de l'activité autonome locale peut provoquer une
contraction mesurable du détrusor, mais des microcontractions
locales [10] non enregistrées au bilan urodynamique pourraient
aussi engendrer des urgences mictionnelles. Les médiateurs chimiques de la couche sous-épithéliale jouent probablement un rôle
important par les connections neurologiques et musculaires qu'ils
enclenchent directement ou indirectement. Les afférences sensitives induisent une modification de la perception du besoin, modifications locales mais aussi spinales, et probablement aussi vers les
centres supraspinaux [11] contrôlant la miction.
L'analyse de l'urgence mictionnelle justifie donc des outils d'analyse différents du besoin physiologique normal. Il ne suffit pas de
mesurer le caractère chronologique de la progression du besoin
mais aussi sa brutalité et son intensité.
URGENTURIE : UNE LOGIQUE SEMIOLOGIQUE
Le terme “besoin urgent d'uriner” doit ainsi être préféré pour exprimer un trouble du besoin anormal par son caractère immédiat et
fort. En continuité de cette démarche, il est logique d'aller plus loin
dans la caractérisation médicale et la clarification du terme. Une
cohérence avec les termes médicaux de la sémiologie des troubles
mictionnels est à donner.
Différents paramètres ont été proposés, mais il existe un manque de
standardisation et de validation des outils de mesure. La sévérité
des urgences peut être appréciée sur une échelle visuelle analogique, le nombre des urgences sur un catalogue mictionnel [12]. Le
temps de retenue (warning time), temps depuis la sensation de l'urgence jusqu'à la miction, est le plus ancien des paramètres étudiés
de l'urgence [13] mais il repose uniquement sur la chronologie et
fait appel soit à une estimation subjective grossière par le patient
soit à un chronométrage difficile en pratique. Une grande variabilité individuelle [14] limite son utilisation. Toutefois, un monitorage
électronique du temps de retenue [15] a permis de montrer une
amélioration sous traitement par anticholinergique.
Cela aboutit à la proposition de traduire ce symptôme urinaire par
le terme sémiologique urgenturie en cohérence avec le préfixe établi par cette étude et la racine urie des autres termes concernant les
troubles urinaires.
Certains seront choqués ou étonnés par la proposition d'utiliser ce
nouveau terme clinique, mais la sémiologie n'est pas un domaine
réservé de notre savoir académique, figé depuis notre enseignement
facultaire. De même que la langue scientifique évolue, et prend en
compte de nouveaux concepts et de nouveaux mots pour les carac-
Une autre approche est la gradation de l'urgence selon la combinaison de son intensité et de l'aptitude à différer la miction. Ainsi, une
gradation de l'urgence en 3 stades d'intensité décroissante (Urgency
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P. Grise et coll., Progrès en Urologie (2007), 17, 917-919
tériser, de même acceptons de parler d'urgenturie pour désigner un
trouble pathologique mictionnel à type de besoin d'uriner difficile à
inhiber et anormal par sa soudaineté, son intensité. Pour aller plus
loin, il serait souhaitable d'uniformiser le vocabulaire scientifique
et d'utiliser en langue anglaise, avec les mêmes arguments, le terme
urgenturia en remplacement de urgency.
10. DRAKE M.J., HARVEY I.J., GILLESPIE J. I., VAN DUYL W.A. : Localized contractions in the normal human bladder and in urinary urgency. BJU
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11. BERTIL F., BLOCK M. : Central pathways controlling micturition and urinary continence. Urology, 2002 ; 59 : 13-17.
12. BROWN J.S., MC NAUGHTON K.S., WYMAN J.F. ET AL. : Measurement charecteristics of a voiding diary for use by men and women with overactive bladder. Urology, 2003 ; 61 : 802-809.
CONCLUSION
13. CHALIFOUX P. : Geriatric Nursing., 1980 ; 254-255.
14. CHALIHA C., JEFFERY S., LAMBA A., KAHN M., KHULLAR V. : Voiding intervals and warning times. Are they a reproductible marker ? Neurourol. Urodyn., 2005 ; 24 : 536-537.
Les termes cliniques sémiologiques ne sont pas immuables mais
doivent s'adapter pour mieux caractériser les processus physiopathologiques. Le terme urgenturie vise à mieux définir le langage
médical et à mieux traduire la compréhension par le malade du
symptôme d'urgence mictionnelle. Un interrogatoire précis de ce
symptôme clé des troubles mictionnels irritatifs permet d'orienter la
démarche clinique et thérapeutique.
15. CARDOZO L., DIXON A. : Increased warning time with Darifenacin : a
new concept in the management of urinary tract. J. Urol., 2005 ; 173 : 12141218.
16. FREEMAN R., HILL S., MILLARD R., SLACK M., SUTHERST J. AND
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current concepts and future prospects. BJU Int., 2005 ; 95 : 335-340.
SUMMARY
Urgenturia, a logical improvement in order to better caracterize a keyword irritative symptom
7. VAN BRUMMEN H. J., HEINTZ A.P., VAN DER VAART C. : The association between overactive bladder symptoms and objective parameters
from bladder diary and filling cystometry. Neurourol. Urodyn., 2004 ; 23 :
38-42.
Multiple medical terms are used in the french medical literature to
caracterize an urgency. However, it is a corner stone symptom of bladder overactivity, different from a normal physiological sensation. Specific tools have been designed to measure urgency but there is an essential need to give a specific and clear medical word according to other
medical terms for urinary signs or symptoms. This leads to propose
urgenturia as the specific medical term for urgency.
8. STEWART W.F., VAN ROOYEN J.B., CUNDIFF G. W., ABRAMS P.,
HERZOG A.R., COREY R., HUNT T.L., WEIN A.J. : Prevalence and burden of overactive bladder in the united states. World J. Urol., 2003 ; 20 :
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9. GRISE P., DAOUDI Y., TANNEAU Y., SIBERT L. : Principe d'action et
indication de la toxine botulique dans le traitement de l'hyperactivité vésicale. Ann. Urol., 2005 ; 39 : 105-115.
Keywords : urgency, urge incontinence, urinary symptoms.
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