Résumés des conférences au 5/05/2010

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CENTRE MICHEL DE L'HOSPITAL (E.A. 4232)
RÉSUMÉS DES INTERVENTIONS
COLLOQUE
La coutume dans tous ses états
(à l'occasion du 500ème anniversaire
de la rédaction de la coutume d'Auvergne)
Clermont-Ferrand, Riom, 15-17 juin 2010
Université d’Auvergne
Faculté de droit et de science politique
Cour d’appel de Riom
Comité d’organisation :
Professeur Jacqueline Vendrand-Voyer,
Professeur Florent Garnier
Comité scientifique :
Professeur Bertrand Ancel (Université Panthéon-Assas-Paris 2)
Professeur Mario Ascheri (Université Roma Tre),
Professeur Florent Garnier (Université d’Auvergne)
Professeur Jean-Louis Halpérin (Ecole normale supérieure)
Professeur Tomàs de Montagut Estragues (Université Pompeu Fabra, Barcelone)
Professeur Jacqueline Vendrand-Voyer (Université d’Auvergne)
2
Albert RIGAUDIÈRE
Membre de l’Institut
Professeur émérite de l’Université Panthéon-Assas Paris 2
Coutume du populus, coutume du juge et coutume du roi
dans la France du Moyen Âge
Les nombreux et solides travaux consacrés tout au long de ces dernières décennies aux
aspects les plus divers du phénomène coutumier dans la France médiévale ont contribué à
mettre en lumière sa très grande plasticité selon les temps, les lieux et les systèmes de
pouvoir. Si la fonction de la coutume comme élément pivot de l’ordre juridique médiéval sort
confortée de ces analyses multiples et croisées, la définition traditionnelle qu’en donnaient
encore les historiens au milieu du XXe siècle apparaît comme de moins en moins opératoire.
Et ceci quel que soit le critère d’observation retenu. Multiforme dans ses processus de genèse,
la coutume est tout aussi fuyante dans ses modalités d’application que les moyens mis en
œuvre pour la valider sont divers. Autant de pistes à suivre pour lesquelles l’examen attentif
de l’ «opinio juris seu necessitatis » du populus, le « quod facit judex, populus videtur
facere » du juge et la « permissio principis patiendo » du prince devraient ouvrir des
perspectives porteuses pour une vision plurale de la coutume au Moyen Âge.
3
Christian LAURANSON-ROSAZ
Professeur à l’Université Jean Moulin – Lyon 3
Philippe DELAIGUE
Maître de conférences à l’Université Jean Moulin – Lyon 3
Coutumes et franchises en Velay et ses marges
4
Christophe VELLET
Archiviste-paléographe diplômé de l'Ecole nationale des Chartes
Conservateur à la Bibliothèque Mazarine (Paris)
Portraits individuels, portrait de groupe :
Antoine Duprat et quelques acteurs de la rédaction de la coutume d’Auvergne.
A l’instar d’autres hauts officiers de la justice royale sollicités à la même époque pour
agir dans leur province d’origine, Antoine Duprat, alors premier président du Parlement de
Paris et déjà bien en cour - à la suite d’un impressionnant cursus honorum d’une quinzaine
d’années, apparaissait comme le choix qui s’imposait en 1510 pour co-présider aux opérations
de rédaction des coutumes de son Auvergne natale. Installés à Clermont, les commissaires
royaux convoquèrent les experts et représentants des principales juridictions des deux parties
qui formaient l’Auvergne administrative, le haut et le bas pays, afin de constituer les équipes
qui devaient procéder aux enquêtes locales et aux synthèses écrites. Parmi ceux du bas pays,
région d’origine et des débuts professionnels de Duprat, se distinguent plusieurs personnages,
des hommes de robe, juristes et officiers royaux ou seigneuriaux, de Montferrand, Riom ou
Issoire, en réalité plus que de simples collaborateurs : il s’agit en effet d’amis, protégés,
parents ou alliés, présents ou en passe de le devenir, dont la carrière ou la postérité devait ou
aller devoir beaucoup, en Auvergne, à Paris, voire auprès du roi, à ce lien, à cette rencontre
avec « Monsieur le premier président ». Les Regin, Brandon, Charrier, Chauderon et autre
Pierre Antoine illustrent la constitution en cours d’un réseau à triple dimension, sociale,
régionale et familiale, certes non exclusif ni exceptionnel, mais dont la position de celui qui
en était la tête en fit un des plus efficients pour celui-ci, pour ses membres et pour le
gouvernement royal durant une grande partie du XVIe siècle.
5
Anne ZINK
Professeur émérite
Jacques POUMAREDE
Professeur à l’Université des Sciences Sociales – Toulouse 1
Du ressort du parlement de Paris à celui de Bordeaux, la rédaction des coutumes au début
du XVIe siècle : les cas de l’Auvergne (1509) et des Lannes (1514)
Du ressort du parlement de Paris à celui de Bordeaux, la rédaction des coutumes au
début du XVIe s. : les cas de l'Auvergne (1510) et des Lannes (1514).
Les coutumes de la sénéchaussée de Dax (pays des Lannes) ont toujours été imprimées
sans leur procès-verbal ; celui-ci avait pourtant existé : nous en avons retrouvé deux copies
que nous nous proposons non seulement de publier mais de comparer à l'ensemble des
documents qui accompagnent les coutumes rédigées à la fin du XVe et au début du XVIe
siècle.
Dans la plupart des cas, on a à faire soit à la coutume rédigée sous la direction du
lieutenant de bailliage et précédée d'un long sous-titre ou d'un compte-rendu soit à la coutume
relue par les états du bailliage sous la présidence des commissaires royaux et accompagnée
d'un procès-verbal.
Pour le colloque de Clermont-Ferrand « La coutume es tous ses états », en avantpremière de cette publication, nous avons choisi de présenter deux procès-verbaux, l'un parce
qu'il constitue le cœur de notre travail, l'autre en l'honneur de la province invitante et aussi
parce qu’ils ont en commun de ne pas se conformer aux modèles dominants : dans les deux
cas, rédaction et relecture par les états prennent place au cours d'une même campagne.
Les coutumes d'Auvergne dont la rédaction avait pris du retard ont été rédigées,
collectées puis soumises à l'assemblée des états dans le cadre d'une seule mission menée
tambour battant par des commissaires dont ce fut la seule incursion dans ce domaine. Les
coutumes de Dax, les premières à être rédigées dans le ressort du parlement de Bordeaux, ont,
elles aussi, été confiées à des commissaires novices qui ont pourtant d'une façon ou de l'autre
profité de l'expérience de leurs confrères parisiens. La coexistence de plusieurs coutumes dans
le cadre de la sénéchaussée principale des Lannes a obligés les commissaires bordelais à se
déplacer et, tout en jonglant avec l'espace et le calendrier, à prendre le temps d'être à l'écoute
de leurs administrés.
Nous verrons ce que le déroulement des opérations lors de ces deux missions nous
apprend sur les principes généraux du processus officiel de rédaction et sur la possibilité que
celui-ci garde de s'adapter aux circonstances locales.
6
Jean-Louis THIREAU
Professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne Paris 1
Les trois rédactions de la coutume de Touraine
La coutume de Touraine présente la particularité d'avoir fait l'objet non pas de deux,
mais de trois rédactions successives. Elle fut en effet l'une des toutes premières, et l'une des
rares, à avoir été rédigée officiellement peu après la promulgation de l'ordonnance de
Montils-lès-Tours, dès 1461, avant de subir une deuxième rédaction (ou plutôt déjà une
première réformation) en 1508, puis une troisième, sous la direction de Christofle de Thou,
en 1559. La succession de trois textes officiels sur un siècle environ permet d'étudier mieux
que pour les autres les transformations que la coutume a subies au cours de cette période
cruciale, et en particulier de mieux comprendre la nature du travail accompli par les
rédacteurs. Les rédactions officielles ont-elles été faites à droit constant, ou ont-elles permis la
transformation et la modernisation du droit coutumier?
7
Pascale DEUMIER
Professeur à l’Université Jean Monnet (Saint-Etienne)
Coutume ou coutumes :
existe-t-il une notion uniforme de la « coutume » en droit français ?
Un rapide aperçu des ouvrages d’introduction au droit pourrait donner l’impression
que la notion de coutume, si elle n’est pas à l’abri de débats ponctuels, est globalement
admise : fondée sur la théorie des deux éléments, son statut de source du droit, sa distinction
d’avec les usages, sa place aux côtés de la loi semblent faire l’objet de certains consensus.
Pourtant, un examen plus attentif du droit français révèle l’impressionnante diversité des
manifestations habituellement rangées sous le terme de « coutume ». Face à cette diversité,
deux questions sont incontournables : toutes ces manifestations peuvent-elles être intégrées à
la notion de « coutume » ? Surtout, au-delà, existe-t-il une cohérence notionnelle entre les
différentes manifestations relevant incontestablement de la « coutume » ? La coutume
d’Ancien Régime, la coutume kanak, la coutume internationale ou la coutume commerciale
désignent-elles des manifestations comparables ?
8
Pavel BUREŠ
Université Palacky à Olomouc, République Tchèque
La coutume internationale : dépassée ou toujours vivante ?
La coutume, source formelle du droit international, a longtemps occupé une place
primordiale dans l’ordre juridique international et régissait de manière générale toutes les
domaines des relations inter-étatiques. Au fur et à mesure, avec l’émergence du droit
international contemporain, la coutume voit sa place concurrencer par les traités
internationaux universels ou régionaux. Aujourd’hui, plus facile à appréhender, les normes
conventionnelles sont de plus en plus utilisées par la société internationale. Cela signifie-t-il
que la coutume verra bientôt son existence dépasser ? Quel est le rapport actuel entre les
normes internationales coutumières et conventionnelles ? La coutume sert-t-elle toujours de
base pour les traités universels ? Comment les traités interviennent-ils dans la formation de la
coutume ?
La coutume internationale, source traditionnelle du droit international, garde toujours
une place importante dans l’ordre juridique international. Le mode, les éléments de sa
formation sont restés toujours les mêmes : la pratique suivie de l’opinio juris. C’est
proprement par ces deux éléments que la coutume se rallie aux traités internationaux, qu’elle
influence les normes conventionnelles futures ou se voit faire naître ou influencer par elles.
Réagissant plus facilement aux changements politiques, elle reste un élément vivifiant du
droit international de nos jours. Naissant d’une certaine pratique, des actes des Etats et/ou
autres acteurs internationaux ou volonté d’agir ainsi, la « future » coutume peut engendrer
aussi la création des normes conventionnelles régionales ou universelles. Ces normes, res
inter alios acta, sont après souvent porteuses d’une conviction de droit des tiers Etats ne pas
participants à ces traités. En analysant le rapport entre la coutume internationale et les traités,
on peut conclure que celui-ci représente un image d’une pendule qui est mouvementée par ces
deux sources de droit international et qui à chaque balancement agrandit.
9
Francis SIMONIS
Maître de conférences (HDR), Université d’Aix-Marseille
L’administration coloniale et l’invention de la coutume au Soudan Français 1895-1958
Il s'agirait pour moi de montrer comment, après avoir établi que les chefs de villages et
de cantons établis en AOF devaient être désignés selon la coutume "traditionnelle",
l'administration coloniale se trouva face à des situations inextricables où se superposaient
diverses strates coutumières toutes plus ou moins contestables, et en vint finalement à se
demander s'il ne fallait pas considérer que la présence française avait elle aussi donné
naissance à une coutume qui tout compte fait, en valait bien une autre, et pouvait donc être
appliquée en matière de dévolution des chefferies au Soudan Français 1895-1958 »
10
Emile NDJAPOU
Professeur, Conseiller d'Etat, République Centrafrique
La sorcellerie et le droit moderne en République Centrafricaine
« Au nom de la sorcellerie, je te tue »[1]
Il n’est point exagéré de dire qu’aujourd’hui dans notre pays, la République
Centrafricaine, la sorcellerie est un véritable fléau, car il ne se passe pas un seul jour sans que
l’on n’assiste à une affaire touchant à la sorcellerie. Les journaux et les ondes de la radio
nationale signalent régulièrement des cas qui connaissent souvent une issue dramatique.
C’est que la population centrafricaine règle les affaires de sorcellerie par la justice privée. En
effet, lorsque quelqu’un est accusé de sorcellerie il est livré à la vindicte populaire : la
population se rue sur lui pour le rosser jusqu’à ce que mort s’en suive, sans se poser la
question de savoir si cette accusation est fondée.
Mais qu’est-ce donc la sorcellerie ? Est-elle un mythe ou une réalité ? En d’autres
termes, comment le Centrafricain perçoit-il l’être ou la chose qu’il désigne par le vocable
« sorcier » ?
Mais comment le sorcier est-il identifié ?
Mais comment la sorcellerie se transmet-elle ?
Le Droit moderne en matière de sorcellerie en République Centrafricaine
La République Centrafricaine est confrontée en matière de sorcellerie à une situation
contradictoire : d’un côté, il y a une justice populaire de bases traditionnelles et donc
tributaire des croyances et de l’autre, une justice moderne qui n’est pas moins influencée par
la tradition.
Dans la société traditionnelle, le rôle du voyant est prédominant dans la recherche de
la preuve ; celui-ci a un pouvoir venant de Dieu ou des ancêtres ou des sirènes
(« mamiwata ») qui lui permet de lire les choses cachées au moyen de techniques dont il
assure avoir seul la maîtrise
Aujourd’hui, certaines nouvelles Eglises organisent des séances de prières, de
révélations pour rechercher et dénoncer les sorciers.
En cas de trouble à l’ordre public suite à la découverte d’un prévenu sorcier, la
gendarmerie et la police informées interviennent rapidement pour arrêter le mis en cause (en
réalité pour le soustraire aux violences de la vindicte populaire) et son maintien à l’unité
judiciaire pour assurer et garantir sa sécurité. Lorsqu’une plainte est déposée pour pratique de
sorcellerie, une procédure pénale est ouverte. Au cours de l’enquête préliminaire, le « mis en
cause » qui proclame son innocence, subi parfois des pressions pour l’amener à avouer.
C’est qu’il est difficile d’établir la preuve en matière de sorcellerie. Le seul moyen d’y
parvenir est d’obtenir absolument l’aveu du prévenu, cet aveu est généralement extorqué. Que
valent donc les « aveux » et les preuves pour les juges ?
Il découle de ce qui précède que le droit moderne centrafricain éprouve une grosse difficulté
due au fait que la loi centrafricaine reconnaît la sorcellerie et la réprime.
En effet, l’article 162 du Code pénal centrafricain stipule : « Sera puni d’un
emprisonnement de 5 à 10 ans et d’une amende de 100.000 à 1.000.000 F CFA quiconque se
sera livré à des pratiques de charlatanisme ou de sorcellerie susceptibles de troubler l’ordre
public ou de porter atteinte aux personnes ou à la propriété ou aura participé à l’achat, à la
11
vente ou au don des restes et ossements humains ».
L’application des dispositions susmentionnées en matière de sorcellerie soulève de
graves problèmes pour les raisons suivantes :
D’abord celui de l’imprécision de « l’infraction de pratique de charlatanisme et de
sorcellerie. La loi ne donne pas une définition de ce qu’elle nomme « pratiques de
charlatanisme ou de sorcellerie ». Les dispositions de l’article 162 du Code pénal laissent
donc une grande latitude au Procureur pour qualifier les faits et poursuivre les « pratiques de
sorcellerie et de charlatanisme » et au juge pour apprécier et déclarer les faits constitués ou
non.
Dans ce contexte, on se retrouve devant deux catégories de juges : il y en a qui croient
fortement à la sorcellerie, et par conséquent ils tiendront compte de l’aveu de l’accusé qui est
d’ailleurs extorqué, des révélations et des prophétisassions dans les groupes de prière etc…
pour prononcer des condamnations qui sont loin d’être justes et équitables parce que la
légalité criminelle n’est pas respectée, la présomption d’innocence n’est pas pris en compte, la
détermination des liens de causalité avec les dommages allégués n’est pas assurée etc…
Il y a aussi des juges qui considèrent, au contraire, la sorcellerie comme une
« superstition », et s’attachant au droit moderne, réfuteront toutes les allégations, et jugeront
tous les « oracles » et tous les témoignages comme étant inutilisables en Droit.
Nous voilà donc bel et bien dans deux systèmes de pensée totalement opposés : d’un
côté, un système enraciné dans les croyances magiques et ancestrales où la notion de preuve
relève de l’imaginaire, de l’impalpable et, de l’autre, un système cartésien fondé sur le droit,
sur la loi. L’opacité du système judiciaire et la reconnaissance formelle de la sorcellerie par la
loi sont source de malentendus préjudiciables à l’individu, à la société et à son
fonctionnement. La Cour de Cassation qui eût pu orienter l’interprétation de ces deux
positions n’a jamais tracé la moindre piste à cet égard, la question de cette infraction étant
noyée dans les tabous.
12
Jean-Marc THOUVENIN
Professeur à l’Université Paris X – Nanterre
La coutume et le droit international économique
13
Joël COLONNA
Maître de conférences, Université d’Aix-Marseille
Les usages en droit du travail
La notion de coutume n’apparaît pas en tant que telle en droit du travail. Le terme
d’« usage » lui est préféré, alors qu’en droit civil l’usage constitue simplement l’élément
matériel de la coutume.
En droit du travail, l’usage revêt plusieurs visages. On en distingue deux sortes.
Les uns sont externes à l’entreprise. Usages professionnels ou régionaux, ils sont nés
dans la profession et sont liés à la notion de métier. Ils présentent les deux caractères qui font
de la coutume une source de droit, l’ancienneté et la permanence de la pratique (même si elle
ne remonte pas à des temps immémoriaux) d’une part, la croyance en son caractère
obligatoire d’autre part.
Toutefois, si ces usages prévalent en principe sur la loi dès lors qu’ils sont plus
favorables aux salariés (par exemple en matière de préavis de licenciement), ils n’ont qu’un
caractère supplétif par rapport aux conventions et accords collectifs.
Ces usages sont aujourd’hui, en voie de disparition en raison essentiellement du
développement des conventions collectives, qui ont très souvent intégré en leur sein les
usages des professions qu’elles régissent. Le Code du travail y renvoie parfois encore,
notamment en matière de préavis de licenciement (art. L. 1234-1) ou de démission (art. L.
1237-1, mais à titre purement subsidiaire dans ce cas).
Les autres sont internes à l’entreprise. Ces usages d’entreprise sont très développés et
constituent, aujourd’hui, une source importante du droit du travail. Ils sont une figure de la
coutume en ce sens qu’ils correspondent à une pratique établie de façon constante dans une
entreprise donnée et devenue norme obligatoire.
En réalité, ces usages procèdent de la volonté unilatérale de l’employeur, et la
jurisprudence les soumet au même régime que les engagements unilatéraux de celui-ci.
Leur place dans la hiérarchie des sources est relativement modeste en dépit du fait que,
en vertu du principe de faveur, ils l’emportent en principe sur une norme supérieure moins
favorable. En effet, il peut y être mis fin de plein droit par une norme conventionnelle
postérieure ayant le même objet, même moins favorable. Surtout, l’employeur peut dénoncer
unilatéralement un usage d’entreprise sous réserve de respecter certaines conditions définies
par la jurisprudence.
14
Jean GICQUEL
Professeur émérite de l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
La coutume en droit constitutionnel
Coutume : assurément, le mot évoque la disputation ; renouvelée, au surplus, naguère par la
réception de la notion anglaise de convention de la Constitution !
A cet égard, le droit constitutionnel ne s’identifie par au droit de la constitution, dès lors que
celle-ci ne vaut, pour l’essentiel, que par son application ; sa pratique, pour tout dire.
Pratique : que recouvre, à la réflexion, ce terme générique ? Sinon, une gamme d’usages ou
de règles non-écrites observées par les acteurs institutionnels : règles de bienséance ou la
courtoisie ; règles politiques ou les conventions ou arrangements et règles juridiques ou les
coutumes. Telle la jurisprudence, ces dernières ont, en effet, survécu au légicentrisme, au prix
même d’une relation dialectique.
Par suite, il conviendra d’identifier la coutume à l’aide du double critère classique des
répétitions et de l’adhésion d’abord, à la faveur d’une mise en perspective avec une
constitution souple ou rigide, tant au titre de l’histoire constitutionnelle française que de la V e
République (Lois fondamentales du royaume ; naissance du régime parlementaire ; tradition
républicaine) ensuite.
De telle sorte que la matière peut se répartir ainsi : la coutume, une source particulière du
droit constitutionnel (I) ; une application subsidiaire en droit constitutionnel (II).
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
Sans préjudice des manuels de droit constitutionnel :
-
Pierre AVRIL, Les conventions de la Constitution, P.U.F, 1997 ;
Jean GICQUEL, Essai sur la pratique de la Ve République, L.G.D.J, 2ème éd., 1977 ;
Claire LOVISI, Introduction historique au droit, Dalloz, 3ème éd., 2007 ;
Jean ROSSETTO, Recherche sur la notion de constitution et l’évolution des régimes
constitutionnels, thèse Poitiers, 1982 ;
René CAPITANT, « La coutume constitutionnelle » (réédition), Revue du droit public,
1979, p. 959 ;
Bertrand CHANTEBOUT, « Sur la coutume » in Mélanges Jean GICQUEL,
Montchrestien, 2008, p. 107 ;
Jacques CHEVALLIER, « La coutume et le droit constitutionnel français », Revue du
droit public, 1970, p. 1375 ;
15
Georges VEDEL, « Le droit par la coutume », Le Monde, 22 décembre 1969.
16
Grégory KALFÈCHE
Professeur à l’Université de La Réunion
La coutume à Mayotte
17
Jiayou SHI
Professeur à l'Université du Peuple de Chine à Pékin
La rédaction de la coutume dans l'entreprise de codification chinoise contemporaine
1. En ce qui concerne la définition de la coutume, il est communément admis que «la
coutume est un usage répété dans le temps, qui s’applique à un territoire déterminé et qui tire
sa force obligatoire de l’assentiment de ceux qui l’appliquent. Trois caractères sont ainsi
essentiels : la publicité, la répétition et l’ancienneté (longa inveterata consuetudo)»1.
2. « Les gens heureux vivent comme si le droit n’existait pas», cette formule du doyen
CARBONNIER peut aisément s’appliquer à la société rurale chinoise qui ne représente pas
moins de 70% de la population totale chinoise. Dans une « société de terroir (xiangtu
shehui)» au sens du plus célèbre sociologue chinois contemporain, FEI Xiaotong 2, des études
en sociologie juridique et en anthropologie juridique ont montré que les relations entre les
individus sont largement régies par des usages extra-juridiques où se retrouvent de façon
omniprésentes des notions comme le sens de l'honneur, la «face», la solidarité, etc.3 D’après
ces études, dans certaines régions rurales chinoises, malgré l’existence de la loi, d’un décret
ou d’un règlement local, les parties sont souvent habituées à chercher la solution ailleurs, par
l’application, certes, de principes généraux du droit, mais aussi, tout simplement, dans des
règles de bon sens issues de la pratique locale. Il convient donc d’analyser le rôle de la
coutume en droit civil chinois.
Dans l’histoire du droit privé français, de nombreuses entreprises de rédaction de la
coutume entre le XIIIe et le XVIe siècle, ayant pour but de faciliter la connaissance et de
simplifier l’application des règles, de limiter les procès et de fixer le droit autant que possible,
ont présenté une valeur de codification. En effet, elles en ont présenté plusieurs caractères
essentiels : une volonté politique, une rupture sociale et une technique d’ordonnancement4.
Ces efforts ne sont évidemment pas sans lien avec l’achèvement du Code civil de 1804.
Comme le relève un auteur, «en voyant les choses de haut, on peut dire que ces rédactions
ont constitué le premier travail préparatoire de la rédaction du Code civil de 1804»5. Il est
bien connu que la coutume a été une source d’inspiration majeure pour les rédacteurs du Code
civil français. Dans son célèbre Discours préliminaire, PORTALIS a bien montré que ces
rédacteurs ont «fait une transaction entre le droit écrit et les coutumes » 6 et qu’«il est utile de
conserver tout ce qu’il n’est pas nécessaire de détruire : les lois doivent ménager les
habitudes, quand ces habitudes ne sont pas de vices»7. Il poursuivait : «il faut changer quand
la plus funeste de toutes les innovations serait, pour ainsi dire, de ne pas innover»8. Ainsi, le
Code civil conserve une place particulière à la coutume : selon PORTALIS, «une foule de
choses sont donc nécessairement abandonnées à l’empire de l’usage, à la discussion des
1
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4
5
6
7
8
Jean-Louis GAZZANIGA, «Rédaction des coutumes et codification », in Droits, n°26, 1998, p.71.
Voir FEI Xiaotong, La Chine de Terroir (xiangtu zhongguo), Edition de Sanlian, Pékin, 1985, p.53.
Voir par exemple ZHU Suli, Etat de droit et ses ressources locales (fazhi jiqi bentu ziyuan), Edition de l’Université des Sciences
politiques et juridiques de Chine, 1996.
Jean-Louis GAZZANIGA, «Rédaction des coutumes et codification », op.cit., p.77 et s.
R. FILHOL, «La rédaction des coutumes en France aux XVe et le XVIe siècle», dans J. GILISSEN (sous la dir.), La rédaction des
coutumes dans le passé et le présent, Bruxelles, 1962, p.78.
PORTALIS, Discours préliminaire sur le Projet de Code civil, Centre de Philosophie politique et juridique, 1989, p.20.
François EWALD (sous la dir.), Naissance du Code civil. An VIII – An XII, Flammarion, 1989, p.52.
François EWALD, ibid., p.52.
18
hommes instruits, à l’arbitrage des juges»9. L’article 4 du projet du Livre préliminaire du
Code civil dispose également que : «le droit intérieur ou particulier de chaque peuple se
compose en partie du droit universel, en partie des lois qui lui sont propres, et en partie de
ses coutumes ou usages, qui sont le supplément des lois»10. Même à ce jour, comme le relève
le doyen CARBONNIER, la coutume reste toujours une source du droit français, fût-ce une
« source subsidiaire » par rapport à la loi11.
3. Lors de la rédaction du Code civil chinois de 1929, Jean ESCARRA avait raison de
s’interroger sur «difficultés du problème de la codification (chinoise),[qui] d’abord présente
une question de principe : dans quelle mesure doit-on faire place, dans la législation
nouvelle, au droit écrit antérieur et aux innombrables coutumes pratiquées dans le
pays»12 ? En effet, dans l’histoire chinoise de la codification civile, des codificateurs avaient
accordé une importance particulière à la coutume. Lors de la rédaction du Projet de Code civil
sous la dynastie de Qing, l’Office de la Réforme du Droit, menée sous la direction de SHEN
Jiaben, et les Bureaux d’Enquête (diaocha ju) dans les provinces ont procédé à une enquête à
l’échelle nationale sur la coutume et les usages en matière civile et commerciale sur 4 années
(1907-1911). Cette étude a permis d’apporter des éléments précieux aux rédacteurs du Projet
de Code civil de Qing de 191113. Le Ministère de la Justice a également repris ces analyses
sous le régime de la République de Chine entre 1918 et 1921 débouchant sur la rédaction du
«Compte-rendu des enquêtes relatives à la coutume en matière civile et commerciale
(Minshangshi xiguan diaocha baogao lu)» de 1927. Cet ouvrage remarquable a enregistré la
coutume et les usages dans toutes les branches du droit civil (droit réel, obligations, famille,
successions, etc.) et du droit commercial, constituant ainsi une référence essentielle pour les
rédacteurs du Code civil chinois de 193014. A l’instar de l’histoire française de la rédaction
des coutumes, «on aurait tendance à considérer que la rédaction des coutumes s’apparente à
une compilation, dans la mesure où le texte reprend des règles anciennes et des usages
connus. En réalité, … la rédaction des coutumes a été l’occasion de réformer le droit ; les
commissaires royaux n’y ont pas manqué ; ils ont fait, dans une certaine mesure, oeuvre de
création de droit. Il est certain que leurs œuvres furent quelquefois législatives et non pas
seulement historiques»15 . De même, il est indiscutable qu’en Chine, la transcription écrite des
coutumes ait également revêtu une dimension proprement créatrice16.
4. Or, paradoxalement, le codificateur chinois contemporain semble peu enclin à
admettre que la coutume constitue une source importante et institutionnelle du droit chinois.
Le contexte actuel est plutôt favorable au légicentrisme qui règne dans le droit positif comme
dans la doctrine juridique. C’est pourquoi, on assiste à la naissance d’un certain mépris à
l’égard de la coutume qui semble être aujourd’hui largement partagé tant par les législateurs
que par les universitaires chinois17.
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PORTALIS, Discours préliminaire sur le Projet de Code civil, op.cit., p.8.
François EWALD, Naissance du Code civil, op.cit., p.93.
Jean CABONNIER, Droit civil, Introduction, PUF., n°106.
Jean ESCARRA, Droit chinois et droit comparé, Sweet & Maxwell LTD., 1928, p.289.
LI Guilian, Liste complète du parcours de SHEN Jiaben (SHEN Jiaben nianpu changbian), Edition de Chengwen, Taipei, 1992, p.301
et s.
HU Xusheng, «Les enquêtes en matière civile et commerciales en Chine au début du 20 e siècle et leur impact (20 shiji qianqi zhongguo
zhi minshangshi xiguan diaocha jiqi yiyi)», in Revue de l’Université de Xiangtan, 1999, vol.2, pp.6-8.
Jean-Louis GAZZANIGA, «Rédaction des coutumes et codification », op.cit., p.78.
HU Xusheng, «Les enquêtes en matière civile et commerciales en Chine au début du 20e siècle et leur impact », p.7.
Un auteur chinois a pu même conclure qu’il existe une «connivence», voire une «complicité», entre le législateur chinois et la doctrine
juridique chinoise en ce qui concerne la marginalisation de la coutume en droit chinois. Voir ZHU Suli, «La coutume en droit chinois
contemporain (dangdai zhongguo falü zhong de xiguan)», in Commentaires juridiques (faxue pinglun), revue rédigée par l’Université de
Wuhan, 2001, vol.3, p.29.
19
A.
L’APPLICABILITÉ DE LA COUTUME DANS CERTAINES HYPOTHÈSES
PARTICULIÈRES
5. Selon l’article 116 de la Constitution chinoise de 1982, les assemblées populaires dans
les régions autonomes peuplées de minorités ethniques peuvent édicter des règlements
« autonomes ou spéciaux» en vertu des « caractères politiques, économiques et culturels des
peuples locaux ». C’est la raison pour laquelle l’article 50 de la Loi relative au mariage de
1980, l’article 32 de la Loi relative à l’adoption de 1991, l’article 35 de la Loi relative aux
succession de 1985 ont permis aux assemblées populaires locales des régions de minorités
ethniques d’édicter des « dispositions d’adaptation (biantong) ou complémentaires (buchong)
en vertu de la situation locale concrète». Dès lors, la coutume peut s’appliquer dans des
régions peuplées de minorités ethniques en matière de mariage, d’adoption ou de successions.
Par exemple, en vertu de l’article 4 du Règlement d’adaptation relative à la mise en œuvre de
la Loi des successions du 8 mars 1989 édicté par l’Assemblée populaire du Département
autonome d’Aba de la province de Sichuan peuplée majoritairement par deux minorités
ethniques (Tibétain et Qiang), en l’absence du testament successoral ou de legs, c’est la
coutume de la minorité ethnique concernée qui trouve à s’appliquer.
6. En revanche, dans d’autres domaines du droit civil, la coutume semble rarement être
invoquée. A cet égard, on peut citer plusieurs législations récentes.
Dans la Loi des contrats de 1999, une matière considérée comme une «terre d’élection »
de la coutume, on ne trouve qu’une place assez marginale de cette source du droit. Les
dispositions qui font référence à la coutume sont peu nombreuses ; par exemple, des articles
concernant la forme d’acceptation, l’entrée en vigueur de l’acceptation, l’exécution du
contrat, les clauses complémentaires du contrat, les devoirs en cas d’extinction du contrat,
l’interprétation du contrat, le devoir de livrer les titres des choses du vendeur, etc.
Dans la Loi relative aux droits réels de 2007, la constat est plus frappant : en fait, il n’y a
que deux articles qui font référence à la coutume :
--L’article 85 prévoit que la coutume peut s’appliquer aux rapports de voisinage en
l’absence de la loi et du règlement.
--L’article 116 prévoit que le conflit relatif au droit de percevoir les fruits naturels et
civils peut être réglé à la lumière de « coutume de transaction » en l’absence de l’accord
préalable des parties.
Par contre, on constate l’article 5 sur le principe fondamental de «numérus clausus »,
selon lequel les types et les effets du droit réel sont réglé par la Loi. Ainsi, il est interdit de
créer de nouveaux types de droits réel par voie de convention, par la coutume, voire par voie
de jurisprudence ! C’est donc un légicentrisme très rigide.
Quant à la Loi relative à la responsabilité civile adoptée à la fin de 2009, il n’y a aucune
place laissée à la coutume. Cette matière est considérée par la doctrine chinoise comme un
droit «contraignant», non pas un droit « négocié», ce qui explique l’exclusion de l’application
des sources du droit autre que le droit écrit (la législation et le règlement), y compris la
jurisprudence.
Sur l’ensemble, tant en droit positif que dans l’entreprise de codification en cours, la
référence à la coutume reste très insuffisante18. D’après un auteur chinois, «on peut
18
QU Tao, «La place dûment accordée au droit coutumier dans l’élaboration du Code civil chinois (Zhongguo minfadian lifa zhong
minguan fa yingyoude weiwhi)», in Etudes sur le droit civil et commercial en Chine et au Japon, Edition du Droit, Pékin, 2002, n
20
assurément conclure que le législateur chinois méprise la coutume dans son ensemble, à
l’exception de la reconnaissance des règlements locaux édictés par les assemblées locales
des régions autonomes des minorités ethniques»19.
B. L’ABSENCE D’UN STATUT LÉGAL DES SOURCES DU DROIT
7. Le mépris de la coutume affiché par le législateur et les juristes chinois est d’ailleurs
confirmé par un autre phénomène. Tandis que plusieurs codes civils étrangers, desquels le
codificateur chinois s’inspire largement, prévoient de manière générale que «la coutume
s’applique en l’absence de disposition de la loi» (par exemple, l’article 1er du Code civil
suisse, l’article 2 du Code civil japonais, l’article 1er du Code civil taiwanais, l’article 2 du
Code civil de Macao etc.), il ne se trouve nulle trace d’une telle disposition générale au sein
du Projet de Code civil chinois de 2002. Cette absence signifie que la coutume ne constitue
pas une source générale du droit et ne présente donc pas de caractère de normativité générale.
Elle ne peut donc être invoquée que pour des cas très particuliers et prévus par la loi.
8. Ainsi, la coutume ne peut être invoquée que dans certaines hypothèses énumérées par
la loi et elle occupe donc une place inférieure et marginalisée par rapport à la place centrale
de la loi, ce qui traduit bien la prédominance du «légicentrisme » dans le Projet de Code civil
chinois de 2002. Cette tendance se manifeste par une opposition binaire classique entre loi et
coutume, ou entre droit officiel et droit non officiel. Selon MM. DEUMIER et REVET, ce
légicentrisme implique que l’Etat et la loi « entretiennent des rapports de connivence tels
qu’ils se soutiennent et se servent l’un l’autre : l’Etat trouve dans la loi le fondement et le
moyen de son autorité ; la loi trouve dans l’Etat le fondement et le moyen de son autorité»20.
Ainsi, comme Jean-Marie CARBASSE le relève, si la coutume se présente comme «un droit
non étatique ou pré-étatique, un droit qui trouve son origine dans le corps social et non dans
la volonté de la puissance publique ; un droit qui échappe ainsi, du moins en son principe, à
l’emprise de l’Etat. Et c’est bien pourquoi l’Etat moderne n’aime pas la coutume. Pour les
Modernes, tout le droit doit tenir dans la Loi positive : la coutume, pas plus que le droit
naturel ou l’équité, ne saurait en partager l’empire»21. En-dehors de cette problématique
générale, la tension particulière entre la loi et les coutumes en droit chinois semble comporter
encore d’autres vecteurs spéciaux.
En premier lieu, la modernisation du droit chinois est un rêve porté par des juristes
chinois depuis plus d’un siècle qui ne peut être valablement dissocié de la volonté de
codification du droit22. Même en Occident, François TERRÉ juge que la codification est avant
tout un instrument d’unité et de modernisation du droit traditionnel23 . Selon Bruno OPPETIT,
«elle (la codification) devient dans les sociétés occidentales un symbole de la modernité… »
24
. Dans cette perspective, la codification chinoise contemporaine est un moyen d’autant plus
privilégié par le législateur chinois qu’elle permet la réception du droit étranger de manière
globale et selon une grande envergure, moyen commode de modernisation du droit pour les
pays en transition. La modernisation du droit civil chinois se réalisera donc à travers la
19
20
21
22
23
24
°1, p.53.
ZHU Suli, «La coutume en droit chinois contemporain», op.cit., p.25.
Pascale DEUMIER et Thierry REVET, «Sources du droit», in Denis ALLAND et Stéphane RIALS (sous la dir.), Dictionnaire de la
culture juridique, PUF, 2004, p.1432.
Jean-Marie CARBASSE, «Coutumes françaises», in Denis ALLAND et Stéphane RIALS (sous la dir.), Dictionnaire de la culture
juridique, op.cit., p.326.
Voir François TERRÉ, Introduction générale au droit, 2e éd., Dalloz, 1994, p.376.
François TERRÉ, «Les problèmes de la codification à la lumière des expériences et des situations actuelles », in Etudes de droit
contemporain, Cujas, 1962, p.175.
Bruno OPPETIT, Essai sur la codification, op.cit., p.8.
21
codification sous deux aspects : la rationalisation du droit civil chinois d’une part et la
transformation du droit civil chinois par la codification d’autre part. Or, comme un auteur
chinois l’a relevé : «la place de la coutume en droit chinois contemporain devient un peu
embarrassante»25.
Plus précisément, dans une atmosphère politique où règne l’idéologie visant à «se
débarrasser des vieilles mœurs et coutumes (yifeng yisu)» et à «détruire l’ancienneté afin de
construire la nouveauté (pojiu lixin)», la modernisation implique infailliblement «la
transformation de la coutume découlant de l’évolution de l’histoire», souvent considérée
comme la marque des «survivances féodales (fengjian canyu)» et donc «nuisible à la
modernisation juridique»26. C’est précisément en ce sens qu’un auteur chinois a écrit : «la
Chine a connu une société féodale de plusieurs milliers d’années, ce qui détermine en
conséquence le caractère clos, conservateur et non civilisé de la coutume découlant de
l’évolution historique»27. En conséquence, la coutume liée a priori à une image d’archaïsme,
revêt une dimension politiquement péjorative. Il est donc tout naturel qu’elle soit toujours
marginalisée, voire exclue, des sources du droit dans toutes les tentatives de codification
civile initiées que ce soit en 1954, en 1962 ou en 1980. Plus curieux encore, l’article 6 des
Principes généraux du Droit civil de 1986 intègre « les politiques d’Etat » en tant que source
du droit, tout en excluant la coutume28. Or, aux yeux des rédacteurs, il semble très difficile de
définir et de repérer la coutume et a fortiori de distinguer «la bonne coutume» de «la
mauvaise coutume»29.
En deuxième lieu, l’effet de rupture de la codification amène le codificateur chinois à
vouloir marquer l’originalité de son entreprise tout en mettant fin à l’ancien ordre juridique.
Selon le Professeur Rémy CABRILLAC, l’effet de rupture se manifeste par le fait de couper
le « cordon ombilical » qui relie le texte du code à ses racines, « ses initiateurs, son millésime
ou son contexte »30. Dans ce contexte, l’abrogation de l’ancien ordre juridique joue un rôle à
la fois juridique et politique, souligne la rupture avec le passé et affirme l’autorité du nouveau
pouvoir31, ce qui explique l’hésitation du codificateur chinois à l’égard de la reconnaissance
totale de la coutume au Titre des sources du droit.
En troisième lieu, un Code civil est souvent considéré comme un symbole d’unité du
droit, et l’entreprise de codification a infailliblement pour vocation d’unifier l’application du
droit. Or, les civilistes chinois semblent trop soucieux de cette fonction d’unification au point
que certains d’entre eux soient hostiles à toute coutume, comme marquée par sa spécificité
indigène. Selon un auteur chinois, «le Code civil est un instrument de l’unification du droit, il
est l’incarnation d’un seul Etat et d’une seule loi». Dès lors, «la reconnaissance de la
coutume dans le Code civil est un écueil à éviter pour le législateur»32.
9. Pourtant, il faut remarquer que certains auteurs chinois se sont élevés pour s’opposer à
cette vision légicentriste. Leurs études en sociologie juridique33 ont consisté à montrer que
«même après les réformes menées durant ces cinquante dernières années, sans précédent tant
25
26
27
28
29
30
31
32
33
ZHU Suli, «La coutume en droit chinois contemporain », op.cit, p.26.
ZHU Suli, ibid., p.27.
ZHANG Boshu, La modernité et la modernisation des institutions (xianda xing yu zhidu xiandai hua), Edition de Xuelin, 1998, p.130.
Des études consistent à montrer que les politiques émises par le gouvernement jouent un rôle beaucoup plus important que la coutume
en droit chinois. Voir ZHU Suli, «La coutume en droit chinois contemporain», op.cit, pp.25-26.
LIANG Huixing, «La progression et les controverses relatives à l’élaboration du Code civil chinois (zhongguo minfadian de jincheng
he zhenglun dian)», paru sur le site internet www.lawthinker.com, le 02 mars 2004.
Rémy CABRILLAC, Les codifications, PUF, 2004, p.141.
Rémy CABRILLAC, « le symbolisme des codes », in L’Avenir du droit, Mélanges en hommage à François TERRÉ, op.cit., p.214.
XU Guodong, «Réfléchissons sérieusement les rapports entre la coutume et le Code civil (renzhen de fansi xiguan yu minfadian zhijian
de guanxi)», in Prendre au sérieux le Code civil, Edition de l’Université du Peuple de Chine, 2004, p.36 et 43.
Des enquêtes sociologiques montrent que la coutume est notamment influente dans des régions de minorités ethniques. Voir par
exemple GAO Fayuan (sous la dir.), L’enquête sur la vie des minorités ethniques à Yunnan (Yunnan minzu cunzai diaocha), Edition de
l’Université de Yunnan, 2001.
22
par son ampleur que par sa profondeur, le droit écrit n’a pas réussi à transformer
fondamentalement la coutume qui s’enracine profondément dans la mentalité du peuple»34.
Ainsi, «la coutume se forme et se développe sans cesse, à un point tel que l’on ne la
reconnaisse pas. Elle constitue un facteur essentiel pour l’effectivité des règles du droit écrit,
ce qui ne doit pas être négligé par le législateur et les juristes chinois lorsqu’ils élaborent la
loi»35.
Partant de cette réalité juridique chinoise, ces auteurs proposent au codificateur chinois
d’accorder une attention particulière à la coutume et de reconnaître son rôle important en tant
que source du droit. Selon eux, la coutume « peut non seulement combler les lacunes du droit
écrit et empêcher sa sclérose face à l’évolution incessante de la société, elle peut aussi
insuffler une ‘vitalité’ au droit écrit, et maintenir la ‘localité’ et les liens indigènes aux yeux
des peuples locaux»36, ce qui permettrait au doit chinois d’être un « droit vivant ».
10. Si le Code civil français «est lui-même la plus grande, la plus utile, la plus
solennelle transaction (entre droit écrit et les coutumes) dont aucune nation n’ait jamais
donné le spectacle à la Terre»37, le futur Code civil chinois serait certes très différent, dans la
mesure où la coutume n’y occuperait qu’une place très marginalisée, invocable dans certains
cas particuliers faute d’un statut général qui la reconnaîtrait officiellement comme source de
droit. Trop soucieux de moderniser, d’unifier et de réformer le droit actuel, les codificateurs
chinois contemporains semblent vouloir éviter autant que possible la référence à la coutume
locale chinoise. Comme l’avait relevé PORTALIS il y a deux siècles : «Nous avons trop
aimé, dans nos temps modernes, les changements et les réformes»38.
A cet égard, il convient de rappeler l’argumentation tout à fait pertinente de Lucas DE
PENNA au XIVe siècle : le gouvernement d’un peuple, dont tout ou une partie des rapports
sociaux échappent à l’emprise de la loi, requiert la reconnaissance de ses coutumes, en tant
qu’usages ou en tant que volonté commune, parce que cette reconnaissance crée un lien de
droit entre le peuple et le «régulateur», en même temps qu’elle « légitime, aux yeux du
peuple, le visage d’une autorité menaçante par ses lois »39.
En ce sens, il est évident que la problématique n’est pas propre à la Chine. L’enjeu est si
important qu’il nécessite plus de réflexions, notamment issues d’autres disciplines, par
exemple l’anthropologie juridique et culturelle. Comme nous le rappelle un auteur français,
« la question posée à la législation, aux institutions publiques et au pouvoir politique est au
fond, la question, fondatrice de l’anthropologie, de la place faite à la diversité des cultures et
à la culture comme source de normes face à l’abstraction rationnelle du légalisme
universaliste»40. Or, à cette fin, la science juridique chinoise semble être trop «classique» .
Pour l’heure, la doctrine juridique chinoise, imprégnée d’un légicentrisme «classique», doit
plutôt se hâter d’achever l’entreprise de codification dans un avenir proche.
34
35
36
37
38
39
40
ZHU Suli, «La traverse entre le droit écrit et la coutume (chuanxing yu zhidingfa yu xiguan zhijian)», in «Apporter le droit à la
campagne (songfa xiaxiang)», Edition de l’Université des Sciences politiques et juridiques de Chine, 2000, p.252.
ZHU Suli, ibid., p.263.
ZHU Suli, «La coutume en droit chinois contemporain », op.cit, p.32.
P. Antoine FENET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t.XV, p.120, in Naissance du Code civil, op.cit., p.290.
Cf. Naissance du Code civil, p.53.
Louis ASSIER-ANDRIEU, «Coutume et usage», in Denis ALLAND et Stéphane RIALS (sous la dir.), Dictionnaire de la culture
juridique, p.320.
Louis ASSIER-ANDRIEU, ibid., 324.
23
Oualid GADHOUM
Directeur de l’Institut supérieur des études juridiques de Gabès, Tunisie
La coutume en droit privé tunisien
L’observation de l’arsenal juridique tunisien oblige à constater que la coutume est
omniprésente, non seulement dans le code des obligations et des contrats, texte de base du
droit civil tunisien, mais aussi, dans plusieurs codes tels que le code du statut personnel, le
code des droits réels, le code de commerce, le code de commerce maritime…
Pourtant, aucune définition n’a été donnée par le législateur pour une source qui était à
un moment donné considérée incontournable dans l’organisation des relations sociales et
économiques. Après un règne sans égal dans les sociétés primitives, est-ce le déclin de la
coutume aussi bien en Tunisie qu’ailleurs ? La genèse des dispositions écrites et le
déclassement de la coutume en source secondaire après les dispositions juridiques ne peuvent
que le confirmer.
Le législateur tunisien fait assez souvent allusion à la coutume dans la majeure partie
des contrats. Dans le contrat de vente par exemple, la délivrance a lieu pour les choses
immobilières, par la tradition réelle, ou par la remise des clefs du bâtiment ou du coffre qui
les contient, ou par tout autre moyen, reconnu par l’usage. Dans d’autres contrats comme le
contrat de société, le contrat de bail, de l’Enzel (Emphytéose), du prêt, du cautionnement la
coutume n’est point absente. C’est dire que le contrat, « pilier de droit », comme le dit le
doyen Ripert, peut être exécuté voire interprété grâce à la coutume.
Toutefois, la particularité du droit tunisien, notamment le droit civil, réside dans le fait
que le législateur emploie deux expressions différentes pour désigner la coutume. Dans
plusieurs textes, il cite la coutume et l’usage en même temps. Tout laisse à penser que la
coutume et l’usage sont pour le législateur tunisien synonymes surtout que ce dernier leur
octroie les mêmes conditions d’existence et les mêmes règles de preuve.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la dualité de la notion n’a pas exclu
l’existence d’un régime juridique commun.
Pourtant, l’usage n’est que l’élément matériel de la coutume et la doctrine, notamment
française, distingue les deux concepts. Pour Gény, par exemple, l’usage n’est guère
obligatoire. D’ailleurs, le régime juridique de la coutume se distingue de celui de l’usage au
niveau de la preuve.
En Tunisie, les textes font parfois un renvoi direct à la coutume (ou l’usage) ou un
renvoi indirect à ce dernier. Dans les deux cas, le législateur semble inciter le juge à revenir à
la coutume, encore faut-il que cette dernière ne soit pas contraire à la loi.
Concernant le premier type de renvoi, les articles abondent. On peut citer à titre
d’exemple, l’article 243 du code des obligations et des contrats qui dispose que « tout
engagement doit être exécuté de bonne foi, et oblige, non seulement à ce qui y est exprimé,
mais aussi à toutes les suites que la loi, l’usage ou l’équité donnent à l’obligation d’après sa
nature ». D’autres articles prévus dans le même code vont dans le même sens. Il suffit de lire
24
les dispositions de l’article 768 ou de l’article 1114 dudit code, les articles 23 et 48 du code
du statut personnel ou 72 et 141 du code des droits réels pour affirmer que le législateur
tunisien fait un renvoi explicite et direct à la coutume (ou à l’usage).
Quant au deuxième type de renvoi dit implicite ou indirect à la coutume (ou à l’usage),
il est recommandé par le législateur dans certaines situations ou circonstances particulières.
C’est ainsi par exemple qu’il est préférable au juge de revenir à la coutume pour fixer à la
victime une indemnité équitable, pour situer un comportement fautif par rapport aux bonnes
mœurs ou pour fixer un délai raisonnable.
C’est dire que la coutume, même si elle a perdu du terrain en devenant une source
secondaire du droit, continu à exister et à cohabiter avec le texte sans pour autant le contredire
ou se présenter comme une coutume contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs.
Citée dans la quasi-totalité des codes tunisiens et surtout dans le code des obligations
et des contrats (84 articles), la coutume en droit tunisien a cette particularité « notionnelle »
puisque le législateur tunisien parle de la coutume et de l’usage comme si les deux notions
sont synonymes alors que la doctrine, notamment française, fait la différence entre les deux
notions et part de l’idée que l’usage n’est que l’élément matériel de la coutume. Tel est le
constat de l’état de la coutume en Tunisie.
25
Georges KADIGE
Professeur à l’Université Saint-Joseph, Liban
De la place et du rôle de la coutume dans les droits antiques
En paraphrasant le prologue de l’évangile de St. Jean on pourrait dire : Au
commencement était la coutume et la coutume était dans le droit et la coutume était le droit.
En effet, aussi vrai que là où il y a une société, là il y a un droit (Ubi societas, ibi jus), là où il
y a un droit, là il y a à son origine la coutume.
On peut se demander même si ou ne peut pas inverser l’adage séculaire et dire Ubi
jus, ibi societas et par voie de conséquence là où il y a une coutume, et peut-être même des
coutumes, là il y a une société. C’est en quelque sorte l’éternel problème existentiel de la
poule et de l’œuf. La société engendre-t-elle la coutume et le droit ou serait-ce plutôt la
coutume et le droit qui permettraient à la société de se constituer. Passionnante question,
délicat problème, qu’il n’est cependant pas de circonstance de traiter dans le cadre du présent
colloque, dont le thème est « La coutume dans tous ses états » et non aux rapports de la
coutume et de la société, sujet sur lequel pourrait être organisé un un autre colloque et qui ne
manquerait pas d’être fort instructif et enrichissant.
Dans ces conditions il est nécessaire que nous nous limitions à la question « De la
place et du rôle de la coutume dans les droits antiques » étant précisé que par « place et rôle »
il faut entendre également les relations entre la coutume et les autres sources du droit, et que
par « droits antiques » il faut entendre les droits cunéiformes (génériquement Mésopotamiens
et analytiquement : Sumériens, Accadiens Assyriens/Chaldéens….), le droit égyptien, le droit
hébraïque, le droit phénicien, le droit grec et le droit romain.
L’origine coutumière de tous ces droits ne fait aucun doute. L’origine religieuse de la
coutume ne fait pas de doute non plus. Elle est évidente chez les hébreux et chez les romains
avec le passage du Fas au Jus et de la « Voix » de Yahwé aux commandements et règles
« précises » et à respecter, mais elle n’en est pas moins certaine chez les autres peuples.
Les motivations du passage de la coutume au droit écrit et donc aux codifications,
motivations qui seraient plutôt des « impératifs » sont par contre très différentes pour chacun
de ces différents peuples : Politiques et unificatrices chez les Mésopotamiens, dont
Hammourabi avait perçu la diversité des composantes, sociales chez les Egyptiens, où les
riches abusaient leur pouvoir pour obtenir des attestations de coutume en leur faveur et au
détriment des pauvres en position de faiblesse, Religieuses chez les Hébreux où les lois, les
codes et les règles leur étaient dictées par Yahwé, Populaires chez les grecs, où les
Aristocrates, comme les riches égyptiens abusaient de leur position et s’opposaient à la
rédaction des coutumes et chez les romains, où la loi des XII tables fut la victoire des
plébéiens sur les patriciens.
Ainsi, coutumes et codes ont constamment été en concurrence, mettant face à face la
valeur du comportement spontané et donc naturel acquérant force obligatoire, tout comme on
le dit, évidemment « mutatis mutandis » : « error communis facit jus », les coutumes ayant
l’avantage du « réalisme » et les codes celui de la clarté, d’où apparaissent clairement le rôle
et la place comparés de la coutume et des codes dans l’arsenal juridique historique,
traditionnel, contemporain et éternel.
26
Bertrand ANCEL
Professeur à l’Université Panthéon-Assas Paris II
Conflits de coutumes et théorie des statuts
Conflits de coutumes et théorie des statuts, les deux dénominations pourraient être
tenues pour synonymes et la seconde aurait empêché la première de prospérer. Apparue très
tardivement dans le vocabulaire juridique, avec Rodenburg, semble-t-il, qui publie en 1653
son De jure conjugum, comportant un Tractatus de jure quod oritur ex statutorum vel
consuetudinum discrepantium conflictu, l’expression sera très vite supplantée par celle que
Huber introduit : de conflictu legum. Le problème a devancé les mots qui le désignent. Qu’il
s’agisse de conflit de coutumes ou de théorie des statuts, la question est toujours celle que
pose aux particuliers le phénomène de la pluralité et de la diversité des coutumes ou statuts :
lorsqu’un rapport d’intérêt privé se développe simultanément au sein de deux ou plusieurs
formations sociales dont les systèmes juridiques divergent sur les réponses aux questions qu’il
peut poser, comment déterminer le droit qui doit être appliqué ?
Cependant, les termes du problème ne sont pas exactement les mêmes selon qu’il
s’agit de droit coutumier ou de droit issu de statuts. « La coutume est un usage juridique oral,
consacré par le temps et accepté par la population d’un territoire déterminé » (Timbal). Elle
est l’œuvre des gouvernés qui, s’ils n’en ont pas toujours eu l’initiative, du moins la
maintiennent en vigueur par un consentement continu. Son effectivité se confond avec son
autorité. Elle n’est pas imposée d’en haut par le pouvoir des gouvernants (et même elle
prétend bien souvent tenir en échec ce pouvoir). En revanche, le statut, et notamment en Italie
du Nord, là où va naître la théorie des statuts, est le produit d’un acte législatif de l’autorité
municipale ou locale ; sa teneur comme son autorité procèdent de la volonté des gouvernants,
des pouvoirs constitués. Il est le produit de la potestas statuendi. C’est cette différence qui
semble être à l’origine des deux modes de concevoir et de résoudre la question de la pluralité
et de la diversité.
En Italie, très tôt, fut adoptée une optique publiciste. Savoir si un testament a pu être
valablement fait à Venise en présence de trois témoins, contrairement à l’exigence de sept
témoins dérivée du droit romain, c’est d’abord, pour Bartole, une question de compétence des
autorités vénitiennes. Ont-elles reçu de l’Empereur le pouvoir de légiférer et de déroger ainsi
au jus commune ? Question de droit constitutionnel. Et en cas de réponse positive, à quelles
personnes cette compétence concédée est-elle opposable ? La solution est déterminée par la
glose de la loi De Sancta Trinitate, C, 1, 1, 1 Cunctos populos, de laquelle par un jeu
d’interprétation il se déduit que Statutum non ligat nisi subditos ; dès lors, la théorie des
statuts s’appliquera à définir les critères permettant d’établir la sujétion d’un individu à tel ou
tel statut. C’est ainsi que va s’élaborer un système de distribution des compétences au sein de
l’empire opérant en surplomb des jura propria. Le conflit de statuts obéit à un mode de
gestion vertical caractérisé par la prépondérance de l’un des deux éléments composant toute
règle de droit, l’élément impératif (adressant le commandement inclus dans la norme ) sur
l’autre qui est l’élément rationnel (celui reliant à une certaine situation de fait une
conséquence ou sanction juridique proportionnée).
Cette conception ne convenait pas à la situation de la France coutumière, de la France
des XIIIe-XIVe siècles ressortissant au Parlement de Paris. Avec le droit des coutumes ne peut se
27
poser la double question du principe et des limites de la compétence législative des organes
locaux. Le droit est l’ouvrage de la collectivité locale et non celui des gouvernants, lesquels
sont tenus de le respecter. Aussi bien l’hypothèse de la pluralité et de la diversité est-elle
construite à partir de l’élément rationnel. Lorsque par son comportement l’individu se met au
contact de deux coutumes locales aux contenus différents, il s’expose à l’embarras d’avoir à
obéir à des normes contradictoires. Ce conflit d’obéissances ne peut se résoudre par une règle
de compétence, opérant d’en haut ; il se résoudra par une règle de choix ou règle de conflit.
C’est bien ce que recommande J. de Révigny qui distingue différents types de rapports de
droit privé et, pour chacun de ceux-ci, recherche le locus de sa création : lieu de conclusion du
contrat, lieu de commission du délit, lieu de situation de l’immeuble, etc. En 1341, le
Parlement consacre la règle locus regit actum. La pratique est plus « conflictualiste » que
« statutiste ».
28
David DEROUSSIN
Professeur à l’Université Lyon 3
La coutume dans la doctrine civiliste au tournant des XIXe et XXe siècles
La communication proposée cherche à mettre en évidence la place faite à la coutume
parmi les sources du droit par la doctrine civiliste à la Belle Epoque, c’est-à-dire à un moment
où la tendance légicentriste, à laquelle les premières générations de commentateurs ont
souvent cédé, doit faire face à d’autres présentations dogmatiques des diverses manières de
créer du droit. Or, malgré le rôle important que la République et le suffrage universel
confèrent inévitablement à la loi, malgré encore la déférence de plus en plus grande à l’égard
de la jurisprudence, et à côté d’une doctrine qui entend bien jouer un rôle majeur (notamment
en redéfinissant les contours d’un droit naturel à contenu variable qu’elle seule peut
formaliser), la coutume parvient à trouver une place non négligeable, sans doute parce qu’elle
fait écho à une thématique en vogue : la socialisation du droit.
29
Sylvio NORMAND
Professeur à l’Université de Laval, Québec
La Coutume de Paris comme source du Code civil du Bas-Canada
Au milieu du XIXe siècle, le législateur décide de codifier les lois civiles qui
s'appliquent dans le Bas-Canada. Cette tâche est confiée à des commissaires qui doivent
rassembler le droit existant et soumettre un projet de code en prenant modèle sur le Code
Napoléon. Les commissaires doivent, en outre, rédiger un rapport explicatif du projet qu'ils
soumettent. Le mandat confié aux commissaires les amène à identifier les sources du droit
civil, notamment les dispositions de la Coutume de Paris encore applicables. L'exercice révèle
qu'une part non négligeable des dispositions de la Coutume a été abrogée ou modifiée par la
législation ou la jurisprudence. Par ailleurs, lorsque les commissaires en viennent à la
conclusion qu'une disposition trouve encore application, ils proposent parfois de l'abroger. Il
arrive également que malgré l'attrait exercé par le droit nouveau, les commissaires estiment
que la fidélité à la Coutume doit être maintenue. La recherche tente de comprendre la
perception que les commissaires avaient de la Coutume de Paris afin de mieux saisir les
orientations qu'ils ont privilégiées pour leur projet de code
30
Massimo IOVANNE
Professeur à l’Université de Naples Federico II, Italie
Le régime international des valeurs fondamentales :
les rapports entre droit coutumier, principes généraux de droit et droit jurisprudentiel.
Ma présentation porte sur les rapports entre le droit coutumier, les principes généraux
de droit et le droit jurisprudentiel dans le droit international contemporain. Nous avons choisi
le régime normatif des valeurs fondamentales comme point d’observation de ce phénomène.
En fait, il ne peut y avoir aucun doute que la plupart des normes du droit international
contemporain règlement désormais des valeurs fondamentales concernant des intérêts
essentiels de l’individu ou de l’humanité en tant que telle. Ce domaine du droit international
concerne des sujets comme la protection des droits de l’homme, la protection de
l’environnement, le maintien de la paix et de la sécurité internationale.
A cet égard, il faut rappeler tout d’abord que de centaines de traités sont désormais en
vigueur qui règlement les valeurs fondamentales. Le droit écrit ayant précédé la pratique
spontanée, il reste décidément peu d’espace pour le développement de coutume générales,
obligeant tous les Etats à tenir des comportements qui ne soient déjà réglés par des traités
bilatéraux ou multilatéraux en vigueur. En même temps, le phénomène dit de la multiplication
des juridictions internationales et l’application croissante du droit international par les
tribunaux nationaux ont considérablement accru le rôle de la jurisprudence dans la formation
du droit international. Mais l’absence de pratique préalable, unie à la possibilité qui s’offre
aux juges de venir de plus en plus en contact avec le droit international, sont justement les
conditions idéales pour que trouve plutôt application l’autre source de normes internationales,
à savoir les principes généraux de droit. En fait, dans tous les ordres juridiques l’affirmation
d’un principe général a toujours relevé de l’œuvre créatrice des juges. Ceux-ci font recours
aux principes généraux pour contribuer aux perfectionnements et à l’évolution du droit. C’est
une activité que les juges ont exercée dans toutes les époques en s’acquittant de leur fonction
institutionnelle d’interprétation des normes juridiques.
Je procéderai ensuite à une description de la méthode utilisée par les juges internes et
internationaux dans la reconstruction des principes généraux du droit international et à la
définition des rapports de ce droit jurisprudentiel avec le droit coutumier.
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Donald FYSON
Professeur à l’Université de Laval, Québec
Du common law à la Coutume de Paris :
les nouveaux habitants britanniques du Québec et le droit civil français, 1759-1791
La Conquête de la Nouvelle-France en 1759/1760, qui mène cette ancienne colonie
française à intégrer l'Empire britannique, marque un tournant dans l'histoire du droit au
Québec. D'un droit basé uniquement sur le droit français et notamment, pour le droit civil, sur
la Coutume de Paris, la colonie passe à un droit mixte, amalgame complexe de common law et
de droit coutumier. Cette mixité est évidente aussi bien pendant la période 1764-1775, quand
la common law supplante en théorie la Coutume, qu'après la restauration formelle du droit
français en 1775. Les problèmes engendrés par ce changement de culture juridique ont le plus
souvent été posés sous l'angle de l'adaptation de la population canadienne (francophone) au
nouveau droit britannique et du rejet en bloc de la Coutume par la nouvelle population
britannique de la colonie (marchands, administrateurs, militaires, etc.) en raison de sa
supposée vétusté par rapport aux nouveaux impératifs commerciaux. Toutefois, un examen
attentif des sources révèle que les Britanniques s'adaptaient plutôt bien au droit coutumier et
cela, même avant la restauration formelle du droit français en 1775. Leur attitude était loin
d'être un simple rejet de cette Coutume « étrangère »; plutôt, ils adoptaient volontiers le droit
français si cela pouvait servir leurs intérêts. Cela suggère entre autres que même pour les
contemporains, la common law n'était pas toujours le sine qua non de l'efficacité sociale et
commerciale, face à une Coutume désuète.
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Myriam HUNTER-HENIN
University College London, Angleterre
La coutume dans tous ses états :
perspectives d’Outre-Manche
Les relations entre Common Law et coutume ont suscité l’intérêt de nombreux
auteurs. La Common Law ne fait-elle pas plus de place à la coutume que les systèmes
civilistes ? L’histoire semble a priori le suggérer. Tandis que le Code civil prononçait ainsi
l’abrogation de toutes les coutumes de l’Ancien Régime, le droit de common Law se
construisait pas à pas sur le fondement d’une coutume immémoriale.
Des études plus approfondies ont cependant démontré que l’opposition relève
largement du mythe. L’abrogation des coutumes en France n’a pas coïncidé avec leur
suppression et le maintien des coutumes en Grande-Bretagne a surtout été le sceau de
légitimité d’un droit en réalité prétorien.
Le droit anglais apparaîtrait donc avant tout jurisprudentiel, très marginalement
coutumier. Mais cette nature jurisprudentielle ne le rendrait-elle pas de nos jours plus réceptif
aux logiques économiques et, partant, ne lui conférerait-elle pas une efficacité économique
plus grande que son homologue français ?
D’un débat sur les sources du droit, se dégageraient ainsi des conclusions implicites
sur les fonctions, voire parfois la « valeur » des systèmes juridiques. Sinon coutumier, au
moins jurisprudentiel, en tous cas, essentiellement non écrit, le droit anglais serait le véhicule
de prédilection d’une approche économique du droit et, par conséquent, serait le garant d’une
efficacité économique du système juridique anglais tout entier.
Notre propos ici n’est pas de revenir sur les controverses passées ou actuelles sur la
nature et les vertus du droit anglais. Notre objectif sera ici d’apprécier, dans le cadre de ces
débats relatifs aux sources du droit et aux courants « Law and Economics », l’évolution du
droit anglais quant aux relations de couple.
Quoi de plus incongru a priori que le choix de ce domaine, essentiellement législatif et
donc a-typique dans un système de Common Law ? L’idée sera ici précisément de démontrer
que l’analyse économique du droit est clairement perceptible dans ce domaine alors que la
place de la coutume – ou d’un droit spontané venu « d’en bas » - y demeure timide et
controversée.
Quoi qu’il en soit du degré effectif d’influence de ces logiques économiques ou
coutumières, notre réflexion visera donc à prouver que le caractère législatif du droit ne leur
est pas antinomique. La théorie générale du droit, la façon de concevoir le droit serait un
facteur autrement plus décisif.
33
Cleveland FERGUSSON III
Professor of law, Florida Coastal School of Law in Jacksonville, Etats-Unis
Reimagining Common Law as a form of Custom: a Comparative Approach
In an age where American judges and politicians openly question the veracity of international law and its application to municipal affairs, it is important to survey the foundations
of common law from a more critical perspective and expose law students and lawyers to comparative approaches to law. With fewer than 30% of jurisdictions following the common law
approach in the world, the presentation recasts common law as a form of custom and provides
examples of the influence of custom in U.S. commerce-most notably through the Uniform
Commercial Code, to build a bridge to the civil law tradition.
While custom is primarily developed within a municipal system, there are transcendental elements that can inform the manner in which it is recorded and received by others who
may transact business within that system. Since there are a few democracies older than the
United States, other states’ traditions bear review.
Custom can be a unifying force that demonstrates that the common law and civil law
traditions are more analogous than detractors of international law norms admit. This presentation offers a practical critique of how comparative analysis is in the economic and intellectual interests of common law jurisdictions in general and the United States in particular, to
better appreciate both the historical and legal effects of custom on commerce—and to recognized when custom is being altered. This approach should be useful for civil law-trained
practitioners and scholars as well.
As lawyers and scholars practice and study in the 21st Century, the presentation concludes with offering a few 500 year-old suggestions of how custom helps individuals facilitate
working relationships—a useful concept in an increasingly interdependent world.
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Louis-Marie PHILIPPOT
A.T.E.R. à l’Université d’Auvergne
Origine légale et performances économiques :
les différences de systèmes juridiques permettent-elles d’expliquer les écarts de
développement
Expliquer les écarts de développement entre pays est au cœur de l’économie du
développement. Depuis les années 1990, un nombre très important de travaux met l’accent sur
les institutions. C’est dans ce prolongement que s’inscrit la Théorie de l’Origine Légale
organisée autour des travaux de La Porta, Lopez-de-Silanes, Shleifer et Vishny (LLSV). Pour
ces auteurs, la tradition légale anglo-saxonne (la common law) permet d’obtenir de meilleures
performances économiques que les pays de tradition légale de type civile.
Pour LLSV, la « common law » semble un facteur favorable au développement du
système financier qui est un moteur de croissance. La qualité institutionnelle est le deuxième
canal identifié. Si les « bonnes » institutions sont celles qui encouragent les échanges et celles
qui incitent l’Etat à respecter la propriété privée (Shirley, 2003), alors, le système légal anglosaxon qui soutient le libre jeu des marchés et garantit la liberté contractuelle la plus absolue
devrait permettre aux pays qui en disposent de disposer de « meilleures institutions »
favorables à la croissance.
Pourtant, les études mettant en avant la supériorité du droit anglo-saxon soulèvent
certaines critiques tant théoriques qu’économétriques. Tout d’abord, la « common law » pure
n’existe pas, tous les pays codifient et les pays de droit civil laissent une place à la
jurisprudence. Les écarts de développement peuvent s’expliquer par d’autres
facteurs notamment par les guerres. Par ailleurs, au début du XXème siècle, les pays de droit
civil n’ont pas forcément un système financier moins développé. De plus la « common law »
est un système coûteux et long à unifier.
Les arguments techniques concernent la fragilité des indicateurs de qualité
institutionnelle et la possibilité de remettre en cause l’éxogénéité de l’origine légale dans les
régressions. Au final, cet article tend à montrer que l’efficacité des systèmes juridiques
dépend de l’environnement. Le droit anglo-saxon semble particulièrement adapté aux
innovations économiques alors que le droit civil permet un système légal stable, simple et
prévisible généralement souhaitable dans les PED.
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