pour la première fois, ailleurs que dans une
capitale européenne, en présence de 200
rabbins européens. Les deux grands rabbins
d’Israël nous ont fait l’honneur de leur pré-
sence. Le judaïsme français a besoin de
l’Europe, tout comme l’Europe a besoin de
nous. Une harmonisation des règles des dif-
férents tribunaux rabbiniques est essentielle
pour avancer sur des dossiers tels que
l’abattage rituel ou la circoncision. Les sta-
tuts de l’association des Mohalim de
France ont d’ailleurs été récemment dépo-
sés. Cette extraordinaire avancée doit per-
mettre de mettre en place un cahier des
charges, alliant les aspects rituels, sanitai-
res et déontologiques de la circoncision,
ainsi que la possibilité de contracter une
police d’assurance.
: Vous avez, durant cette an-
née, effectué plus d’une centaine de dé-
placements à travers les communautés
juives de France. Qu’est-ce qui vous
porte dans ce rythme de marathonien
qui est le vôtre ?
H.K. :
Dans un documentaire consacré aux
Klarsfeld que j’ai vu récemment, le journa-
liste demande à Serge comment, avec son
épouse Beate, ils ont pu mener autant de
combats dans leur vie. « Ma femme et moi,
nous étions heureux. Et lorsque l’on est
heureux, on fait de grandes choses », a-t-il
répondu. J’ai peu après remercié Serge
Klarsfeld pour cette réponse. Je crois beau-
coup en cette philosophie. Les gens qui
sont heureux ont le pouvoir de faire de
grandes choses.
: Une centaine de déplace-
ments cette année : vos attentes
sont-elles satisfaites ?
H.K. :
J’ai pris la communauté juive de
France dans mes bras, j’ai rencontré des
responsables communautaires et des rab-
bins mobilisés à tout moment, en tout lieu,
en France, dans les DOM-TOM, chez les
Français à l’étranger… j’ai connu le bon-
heur de travailler avec tous mes prédéces-
seurs, mais la communauté a évolué avec le
temps : elle est aujourd’hui beaucoup
moins homogène. L’élément centralisateur
est, à mon sens, l’étude des Textes de la To-
rah. Voilà pourquoi, je contribue à toute ini-
tiative qui vise à développer l’étude et à la
rendre accessible au plus grand nombre.
: Vous recourez fréquemment
à l’humour dans vos interventions pour
faire passer des messages...
H.K. :
Mon maître, le grand rabbin Chou-
chena en était un fervent partisan. Dans Pes-
sahim, 117a, la Guemara le confirme : « Rav
commençait toujours ses enseignements par
une plaisanterie ». C’est une façon de créer
une proximité, une complicité avec l’audi-
toire. L’humour permet dans l’Histoire juive
d’entretenir notre capacité à surmonter les
épreuves et à trouver le moyen de les dépas-
ser, mais il ne s’agit pas que d’humour. Si
l’on n’est pas capable de rire des défis aux-
quels on est confronté, il peut être difficile
d’y faire face. Le peuple juif a toujours évo-
lué ainsi. Souvenons-nous d’Isaac, dont le
nom veut dire « il rira », traduction à la-
quelle je rajouterais « malgré tout ».
: À chacune de vos interven-
tions, vous semblez davantage
mettre en avant les valeurs républicai-
nes que les valeurs du judaïsme.
Est-ce l’actualité qui vous fait opter
pour cette posture ?
H.K. :
Il ne s’agit pas de choisir entre ju-
daïsme et valeurs républicaines ! Cette pé-
riode où l’on était juif chez soi et français à
l’extérieur est révolue. Nous sommes 100 %
du temps français et juif, peu importe l’ordre
dans lequel on place ces termes, étant en-
tendu que les vocations sont identiques.
Lorsque je m’adresse à la société, je parle de
ce qu’elle peut partager. Quant à ma spécifi-
cité, c’est de partir toujours du texte biblique.
Que suis-je d’autre qu’un être qui se fait
l’écho des textes ? Quels que soient le sujet et
l’auditoire, je m’appuierai toujours sur des
textes bibliques, mais formaliserai mon ensei-
gnement avec des mots audibles par la so-
ciété. "Liberté, égalité et fraternité" sont, je
vous le rappelle, des valeurs profondément
bibliques. Dans d’autres pays, il s’agira d’au-
tres valeurs communes. C’est là justement le
génie du judaïsme : permettre à chacun de se
reconnaître en lui. La Torah est en fait la
manne du monde. Chacun peut trouver sa vé-
rité dans la Torah, il suffit juste de la chercher.
: Comment réussissez-vous à
maintenir cet équilibre entre la rencon-
tre avec la communauté d’une part et
vos interventions auprès des officiels et
du reste de la société d’autre part ?
H.K. :
Il faut être sincère, constant dans son
message, ne jamais tricher, raison pour la-
quelle judaïsme et fierté d’être français sont
indissociables de chacune de mes prises de
parole. On peut faire des demandes très
fermes auprès du gouvernement, mais elles
doivent être légitimes et acceptables. Hurler
pour hurler ne sert à rien car, « de la même
manière que c’est une mitzvah de dire quel-
que chose quand quelqu’un t’écoutera, c’est
une mitzvah de ne pas la dire quand il ne
t’écoutera pas.
»
: Quelle définition donneriez-
vous à votre fonction ? Et qu’est-ce que
ce début de mandat a changé en vous ?
H.K. :
Le niveau d’attente de nos fidèles
rend incontestablement la fonction passion-
nante, mais difficile. Dans l’armée, tout est
normé et chacun choisit ses engagements et
ses responsabilités. Si ma compétence est
aujourd’hui totale s’agissant d’affaires reli-
gieuses, je ne suis parfois qu’un maillon de
la chaîne dans des projets qui dépassent
mes prérogatives. Là réside à la fois la
complexité et l’intérêt tout particulier de
la tâche, car il faut savoir construire des
synergies, des dynamiques et convaincre
du bien-fondé de certaines idées.
: Que pensez-vous du Centre
européen du Judaïsme et de l’Espace
Culturel et Universitaire Juif d'Europe
prochainement créés, respectivement
dans le XVIIe et le XIe arrondissements
de Paris ?
H.K. :
Beaucoup de nos coreligionnaires
résident dans l'ouest et dans l'est de Paris et
l’on peut imaginer une logique complé-
mentaire entre ces deux projets. Le ju-
daïsme n’a jamais été monolithique,
le judaïsme consistorial est d’ailleurs fort
de et par sa diversité. Les deux projets ont
chacun leur légitimité justement car ils sont
complémentaires et non-concurrents : l’un
sera culturel, l’autre le sera aussi et abritera
en outre une synagogue ainsi que les bu-
reaux du Consistoire.
: Votre mission s’inscrit-elle
dans la continuité de vos prédécesseurs ?
H.K. :
Après mon élection, j’ai rendu visite
à chacun d’entre eux. J'ai travaillé pour le
grand rabbin Sitruk à qui je souhaite une
très bonne santé et je le consulte régulière-
ment, tout comme le grand rabbin Bern-
heim ou le grand rabbin Sirat, qui m’a no-
tamment parlé de l’injustice faite à l’hé-
breu. Je suis en mesure de vous annoncer
que des concours d’agrégation et du CA-
PES d’hébreu se tiendront enfin cette an-
née. Cette victoire, que l’on doit à l’enga-
gement du gouvernement et en particulier
de l’Inspection générale des langues, per-
mettra de reconnaître l’apport de l’hébreu.
Au-delà de la langue, l’hébreu est le véhi-
cule d’une civilisation et d'une culture, qui
sont une part du génie français. Il y a main-
tenant manière à réinvestir la place de la
langue hébraïque et de la culture juive dans
les écoles de la République.
N° 1358 - JEUDI 10 SEPTEMBRE 2015
www.actuj.com
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P’tit Déj’ avec le grand rabbin de France Haïm Korsia
« Le judaïsme français a besoin
de l’Europe, tout comme
l’Europe a besoin de nous »
EREZ LICHTFELD
« Il faut que
le judaïsme
puisse produire
du bonheur »
Le grand rabbin de France et nos journalistes
Laetitia Enriquez et Sandrine Szwarc lors de l’interview
au restaurant Le Charkoal.