Le «« PPttiitt DDééjj »». , ce rendez-vous incontournable
d'AAccttuuaalliittéé JJuuiivveeest devenu une tradition : chaque année
au moment des fêtes de Tichri, le grand rabbin de France
dresse le bilan de l'année écoulée, évoque ses projets et
adresse ses vœux à la communauté juive de France.
HHaaïïmm KKoorrssiiaas'est prêté avec plaisir à cet exercice organisé
par notre rédaction. Malgré les souffrances et les inquiétu-
des qui ont marqué cette année, le ggrraanndd rraabbbbiinn ddee FFrraannccee
nous livre une leçon de vie extraordinaire. Le bonheur est
une espérance vers laquelle nous devons tous tendre,
nous en nourrir pour en donner et pour en recevoir encore.
Un moteur qui nous permet d'avancer dans la fraternité.
N° 1358 - JEUDI 10 SEPTEMBRE 2015
www.actuj.com
Ptit Déj’ avec le grand rabbin de France Haïm Korsia
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Haïm Korsia
Le grand rabbin de France
Être “heureux comme
un Juif en France” reste
une espérance
à construire
EREZ LICHTFELD
Exclu
Actu.J
Ptit Déj’ Exclusif avec
En présence de Sandrine Szwarc et Laëtitia Enriquez
Reportage photos d’Erez Lichtfeld, dans le cadre agréable
du Restaurant « Le Charkoal », 164 Rue de Paris, 94220 à Charenton-le-Pont.
Tél.: 01 56 29 18 18.
: La tragédie de l’Hyperca-
cher, qui a eu lieu si peu de temps
après celle de Toulouse, a assommé
la communauté juive. Comment peut-
on se relever de telles attaques ?
Haïm Korsia :
Lorsque l’on récite la
Amida, on dit que D.ieu est ‘Memit Ou
Mehayé’. Il fait mourir et Il ressuscite.
On ne doit jamais s'arrêter au milieu de la
phrase, car D.ieu n’est pas que celui qui
fait mourir. Il est celui qui fait mourir et qui
fait vivre. Oui, il faut évidemment penser
aux victimes de Charlie Hebdo, de Mon-
trouge et de l’Hypercacher. Il faut se souve-
nir du choc, de la sidération et de la souf-
france des 7, 8 et 9 janvier, mais aussi au
dimanche qui a suivi, à cette immense soli-
darité nationale et internationale enfin re-
trouvée après un temps d’indifférence ab-
solue. Le 11 janvier, nous avons tous
éprouvé l’espoir de retrouver cette espé-
rance de fraternité et de cohésion nationale.
L’année a été terrible certes, car elle a été
comme l’écho de 2012, mais le sursaut ci-
toyen et la réactivité des pouvoirs publics
ont été exemplaires. Les 10.500 militaires
mobilisés dans le cadre de l’opération Sen-
tinelle sont la conséquence directe de l’Hy-
percacher, pas de Charlie Hebdo. « Ba-
roukh Omer Ve Ossé », signifie « bénit sois
celui qui dit et qui fait ». Il existait, encore
récemment, une dichotomie entre la parole,
rassurante et apaisante et l’action, trop sou-
vent timide, voire inexistante. Cette année
enfin, les discours ont été accompagnés
d’actes forts et symboliques. Nous savons
toutefois à quel point tout reste fragile. Il
suffit qu’un individu dangereux parvienne
à passer entre les mailles du filet, pour que
ce retour à la confiance et à la sérénité
s’érode. C’est la difficulté de la vie. Car si
D.ieu renouvelle tous les jours la création
du monde, nous ne pouvons de notre côté,
nous endormir sur nos lauriers, en nous di-
sant que tout va bien, que nous n'avons plus
rien à faire. Ce n’est pas une posture juive ;
ce n’est même pas une posture humaine.
Etre capable de reconstruire tous les jours
cette fraternité et cet engagement, c’est là
l’attitude qui doit être la nôtre.
: A-t-on pu, malgré tout
cette année être « heureux comme
un Juif en France » ?
H.K. :
Vouloir être heureux n’est jamais un
constat, mais relève toujours d’une aspira-
tion ou inclination. Levinas avait rapporté
un propos de son père vivant en Lituanie au
moment de l’affaire Dreyfus : « Un pays
qui se déchire pour l’honneur perdu d’un
petit capitaine juif est un pays où il faut al-
ler vivre sans attendre ». Il expliquait que
ce commentaire paternel l’avait poussé à
venir s’installer en France. Il faut être
conscient d’être en quête de ce sentiment
au quotidien. Ainsi, être « heureux comme
un Juif en France » reste pour moi une es-
pérance à construire en permanence.
: Ceux qui quittent la France
aujourd’hui, le font aussi pour trouver
ce bonheur, qui se profilerait ailleurs
plutôt qu’ici…
H.K. :
Je ne suis pas d’accord avec cette
opposition. Partir de nos jours n’a plus la
même signification qu’elle a pu avoir dans
le passé. 7.000 Français sont partis cette
année s’installer au Portugal pour y profiter
de leur retraite. On peut avoir un pied ici et
un pied là, sans choisir de rejeter ou de re-
nier l’endroit d’où l’on vient. Les départs
couronnés de succès sont ceux qui n’ont
pas pour conséquence de rompre définitive-
ment avec le passé. Bien sûr, mon rêve se-
rait que tout le monde soit heureux et par-
tout. Pour autant, le psaume 68 le dit claire-
ment : « Baroukh Hachem yom yom »,
« La communauté juive n’a pas vocation
à être protégée comme une place forte »
N° 1358 - JEUDI 10 SEPTEMBRE 2015
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Ptit Déj’ avec le grand rabbin de France Haïm Korsia
« Etre capable de reconstruire
tous les jours cette fraternité
et cet engagement, c’est là
l’attitude qui doit être la nôtre »
EREZ LICHTFELD
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une quête se renouvelle jour après jour,
sans relâche. Ceux qui font leur aliyah en
restant attachés au système social français
ou en partageant nos inquiétudes sur le de-
venir de notre pays n’ont en fait pas quitté
la France. Je ne cherche pas à minimiser les
chiffres de départs, mais juste à expliquer
qu'il existe une façon de demeurer fidèle à
la France et à son espérance, quel que soit
notre lieu de résidence. Ces personnes qui
s'installent en Israël restent d’une certaine
façon ici, tout en possédant une résidence
secondaire là-bas… ou l'inverse. C'est une
autre manière de contribuer à la construc-
tion de notre société. Il est donc important
que tous ceux qui font leur alyah, la réali-
sent sans acrimonie envers la France, parce
que, au fond, ils aiment la France. Le senti-
ment de déception que l’on a pu ressentir
ou percevoir chez certains à l’égard de
l’Hexagone, de ses forces vives et de ses ci-
toyens, prouve bien justement l’affection
toute particulière portée à ce pays. À nous
de trouver le moyen de ré-enchanter ce
lien, en développant entre autres la dimen-
sion du lien culturel entre la France et Is-
raël, ou en faisant entendre notre voix pour
qu’Israël soit enfin reconnu au sein de la
francophonie. C’est à la France d’imposer
son entrée dans le cercle des pays franco-
phones, pour tous les citoyens qui, en Is-
raël, demeurent des ambassadeurs de la
langue et de la culture françaises.
: Les militaires ont fait leur
entrée dans le paysage communautaire.
Une présence familière pour l’aumônier
général des Armées que vous avez été.
Existe-t-il selon vous une convergence
de valeurs entre l’Armée et
la communauté ?
H.K. :
La notion d’engagement est portée
aujourd’hui dans la société par les soldats.
Nous vivons dans une société hédoniste,
dans laquelle les militaires sont les rares
personnes susceptibles de prendre des ris-
ques pour les autres. La récente attaque du
Thalys est un parfait exemple du courage et
du dévouement des militaires au service
des autres. Oui, le judaïsme prône ce même
engagement pour les autres. N’oubliez pas
qu’en 2012, des soldats et des enfants juifs
furent ensemble les victimes de la même
haine, car ils incarnent l’engagement et
l’avenir de notre pays.
: Aussi rassurant que cela
puisse-être la présence militaire
dont nous bénéficions désormais,
cette configuration est-elle viable
sur le très long terme ?
H.K. :
Leur présence est formidable, ma-
gnifique, importante, et le gouvernement
poursuivra cette mission. Mais la commu-
nauté juive n’a pas vocation à être protégée
comme une place forte. Il ne faut jamais
s’habituer à une solution exceptionnelle, au
risque d’y devenir insensible. Certes, tant
que la menace existe, il est vital de rassurer
les juifs, s’agissant de leur sécurité immé-
diate, comme de la détermination du gou-
vernement à lutter contre toute forme de ra-
cisme ou d’antisémitisme, mais à long
terme, il faut inventer d'autres façons d'as-
surer notre sérénité. Je veux aussi adresser
mes félicitations à tous les bénévoles du
SPCJ, les jeunes en particulier, qui sont si
dévoués pour assurer notre protection aux
côtés des forces de police et des militaires.
: On l’a vu cette année en-
core, mettre à l’honneur Israël, c’est
provoquer des foudres. Que révèle l’in-
compréhension permanente que suscite
ce pays ?
H.K. :
L’idiotie, la crapulerie, la bêtise, la
haine et l’antisémitisme ! Ceux qui ont
voulu faire interdire la journée « Tel-Aviv
sur Seine » du mois d’août sont ceux qui
avaient encadré les manifestations interdi-
tes, au moment de la guerre de Gaza.
Qu’ont réussi au final à faire ces personnes
issues pour la plupart de l’extrême
gauche ? De la publicité à cette opération
de la mairie de Paris qui, autrement, serait
passée relativement inaperçue, et le dé-
ploiement d’un dispositif policier considé-
rable. Cet exemple permet de démontrer
qu’il ne faut jamais céder à la pression. La
haine des Juifs et d’Israël, à travers le boy-
cott, est une négation de toutes les règles de
commerce, d’échange et de partage dans le
monde et une tentative de mettre Israël au
ban des Nations. Nous devons la combattre
de toutes nos forces.
: Comment lutter contre
de manière efficace ?
H.K. :
De manière juridique. Il faut expli-
quer l’illégalité de telles attitudes. Je réfute
d'ailleurs certains arguments avancés par les
pro «Tel-Aviv sur Seine », tels que « Tel-
Aviv est une ville ouverte ». S’il s’était agi
d’un partenariat avec Netanya ou Jérusalem,
ce boycott aurait-il été plus acceptable ?
Non, il n’y pas de limite acceptable. Accep-
ter le début d’un argument, c’est déjà l’ad-
mettre entièrement. Je maintiens qu’Israël
tout entier est un pays de liberté beaucoup
d’habitants du monde rêveraient de vivre.
: Avez-vous le sentiment que
la lourde actualité de cette année a
plombé l’avancée des dossiers commu-
nautaires tels ceux des divorces ou
des conversions ?
H.K. :
Absolument pas ! Ce sont des ques-
tions essentielles qui se trouvent au cœur
de mon activité. Il faut que le judaïsme
puisse produire du bonheur. S’agissant du
divorce religieux (guet), j’ai fait voter en
conseil rabbinique, à l’unanimité, une mo-
tion visant à encadrer les pratiques existan-
tes. Elles s’appuient sur les principes du
Consistoire et les règles définies par le rab-
binat européen. La nomination des deux
médiateurs, Dolly Touitou et Charles Sul-
man, a permis de créer une véritable struc-
ture favorisant l'écoute au sein d’une orga-
nisation qui, pour beaucoup, semblait da-
vantage n’être qu’une machine administra-
tive. 70 % des cas qui leur ont été rapportés
ont déjà pu être résolus. Cette notion d’ac-
compagnement est au cœur du projet du
rabbinat et donc du judaïsme français.
Concernant le statut des personnes nées
d’un père juif et d’une mère non-juive, il
est évidemment hors de question de propo-
ser une conversion «light ». Je tiens au
principe de notre Consistoire qui est celui
du respect absolu de la Halakha. Il en va de
la crédibilité de notre institution à l’interna-
tional. Je souhaite toutefois que nous par-
lions de « régularisation » pour ces enfants,
plutôt que de conversion. Cela permet de
mettre en perspective leur appartenance au
peuple juif au sein duquel ils évoluent déjà,
et cela est plus respectueux, plus juste.
:
Quels autres temps forts
de cette année gardez-vous aussi
en mémoire ?
H.K. : La Conférence des Rabbins Euro-
péens dont le directeur exécutif est le rab-
bin Moché Lewin et le président, Pinchas
Goldschmidt, grand rabbin de Moscou,
s’est réunie mi-mai à Toulouse soit,
N° 1358 - JEUDI 10 SEPTEMBRE 2015
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Ptit Déj’ avec le grand rabbin de France Haïm Korsia
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« Que tous ceux qui font
leur alyah, la réalisent sans
acrimonie envers la France,
parce que, au fond,
ils aiment la France »
EREZ LICHTFELD
« Bien sûr, mon
rêve serait que
tout le monde
soit heureux
et partout »
pour la première fois, ailleurs que dans une
capitale européenne, en présence de 200
rabbins européens. Les deux grands rabbins
d’Israël nous ont fait l’honneur de leur pré-
sence. Le judaïsme français a besoin de
l’Europe, tout comme l’Europe a besoin de
nous. Une harmonisation des règles des dif-
férents tribunaux rabbiniques est essentielle
pour avancer sur des dossiers tels que
l’abattage rituel ou la circoncision. Les sta-
tuts de l’association des Mohalim de
France ont d’ailleurs été récemment dépo-
sés. Cette extraordinaire avancée doit per-
mettre de mettre en place un cahier des
charges, alliant les aspects rituels, sanitai-
res et déontologiques de la circoncision,
ainsi que la possibilité de contracter une
police d’assurance.
: Vous avez, durant cette an-
née, effectué plus d’une centaine de dé-
placements à travers les communautés
juives de France. Qu’est-ce qui vous
porte dans ce rythme de marathonien
qui est le vôtre ?
H.K. :
Dans un documentaire consacré aux
Klarsfeld que j’ai vu récemment, le journa-
liste demande à Serge comment, avec son
épouse Beate, ils ont pu mener autant de
combats dans leur vie. « Ma femme et moi,
nous étions heureux. Et lorsque l’on est
heureux, on fait de grandes choses », a-t-il
répondu. J’ai peu après remercié Serge
Klarsfeld pour cette réponse. Je crois beau-
coup en cette philosophie. Les gens qui
sont heureux ont le pouvoir de faire de
grandes choses.
: Une centaine de déplace-
ments cette année : vos attentes
sont-elles satisfaites ?
H.K. :
J’ai pris la communauté juive de
France dans mes bras, j’ai rencontré des
responsables communautaires et des rab-
bins mobilisés à tout moment, en tout lieu,
en France, dans les DOM-TOM, chez les
Français à l’étranger… j’ai connu le bon-
heur de travailler avec tous mes prédéces-
seurs, mais la communauté a évolué avec le
temps : elle est aujourd’hui beaucoup
moins homogène. L’élément centralisateur
est, à mon sens, l’étude des Textes de la To-
rah. Voilà pourquoi, je contribue à toute ini-
tiative qui vise à développer l’étude et à la
rendre accessible au plus grand nombre.
: Vous recourez fréquemment
à l’humour dans vos interventions pour
faire passer des messages...
H.K. :
Mon maître, le grand rabbin Chou-
chena en était un fervent partisan. Dans Pes-
sahim, 117a, la Guemara le confirme : « Rav
commençait toujours ses enseignements par
une plaisanterie ». C’est une façon de créer
une proximité, une complicité avec l’audi-
toire. L’humour permet dans l’Histoire juive
d’entretenir notre capacité à surmonter les
épreuves et à trouver le moyen de les dépas-
ser, mais il ne s’agit pas que d’humour. Si
l’on n’est pas capable de rire des défis aux-
quels on est confronté, il peut être difficile
d’y faire face. Le peuple juif a toujours évo-
lué ainsi. Souvenons-nous d’Isaac, dont le
nom veut dire « il rira », traduction à la-
quelle je rajouterais « malgré tout ».
: À chacune de vos interven-
tions, vous semblez davantage
mettre en avant les valeurs républicai-
nes que les valeurs du judaïsme.
Est-ce l’actualité qui vous fait opter
pour cette posture ?
H.K. :
Il ne s’agit pas de choisir entre ju-
daïsme et valeurs républicaines ! Cette pé-
riode où l’on était juif chez soi et français à
l’extérieur est révolue. Nous sommes 100 %
du temps français et juif, peu importe l’ordre
dans lequel on place ces termes, étant en-
tendu que les vocations sont identiques.
Lorsque je m’adresse à la société, je parle de
ce qu’elle peut partager. Quant à ma spécifi-
cité, c’est de partir toujours du texte biblique.
Que suis-je d’autre qu’un être qui se fait
l’écho des textes ? Quels que soient le sujet et
l’auditoire, je m’appuierai toujours sur des
textes bibliques, mais formaliserai mon ensei-
gnement avec des mots audibles par la so-
ciété. "Liberté, égalité et fraternité" sont, je
vous le rappelle, des valeurs profondément
bibliques. Dans d’autres pays, il s’agira d’au-
tres valeurs communes. C’est là justement le
génie du judaïsme : permettre à chacun de se
reconnaître en lui. La Torah est en fait la
manne du monde. Chacun peut trouver sa vé-
rité dans la Torah, il suffit juste de la chercher.
: Comment réussissez-vous à
maintenir cet équilibre entre la rencon-
tre avec la communauté d’une part et
vos interventions auprès des officiels et
du reste de la société d’autre part ?
H.K. :
Il faut être sincère, constant dans son
message, ne jamais tricher, raison pour la-
quelle judaïsme et fierté d’être français sont
indissociables de chacune de mes prises de
parole. On peut faire des demandes très
fermes auprès du gouvernement, mais elles
doivent être légitimes et acceptables. Hurler
pour hurler ne sert à rien car, « de la même
manière que c’est une mitzvah de dire quel-
que chose quand quelqu’un t’écoutera, c’est
une mitzvah de ne pas la dire quand il ne
t’écoutera pas.
»
: Quelle définition donneriez-
vous à votre fonction ? Et qu’est-ce que
ce début de mandat a changé en vous ?
H.K. :
Le niveau d’attente de nos fidèles
rend incontestablement la fonction passion-
nante, mais difficile. Dans l’armée, tout est
normé et chacun choisit ses engagements et
ses responsabilités. Si ma compétence est
aujourd’hui totale s’agissant d’affaires reli-
gieuses, je ne suis parfois qu’un maillon de
la chaîne dans des projets qui dépassent
mes prérogatives. Là réside à la fois la
complexité et l’intérêt tout particulier de
la tâche, car il faut savoir construire des
synergies, des dynamiques et convaincre
du bien-fondé de certaines idées.
: Que pensez-vous du Centre
européen du Judaïsme et de l’Espace
Culturel et Universitaire Juif d'Europe
prochainement créés, respectivement
dans le XVIIe et le XIe arrondissements
de Paris ?
H.K. :
Beaucoup de nos coreligionnaires
résident dans l'ouest et dans l'est de Paris et
l’on peut imaginer une logique complé-
mentaire entre ces deux projets. Le ju-
daïsme n’a jamais été monolithique,
le judaïsme consistorial est d’ailleurs fort
de et par sa diversité. Les deux projets ont
chacun leur légitimité justement car ils sont
complémentaires et non-concurrents : l’un
sera culturel, l’autre le sera aussi et abritera
en outre une synagogue ainsi que les bu-
reaux du Consistoire.
: Votre mission s’inscrit-elle
dans la continuité de vos prédécesseurs ?
H.K. :
Après mon élection, j’ai rendu visite
à chacun d’entre eux. J'ai travaillé pour le
grand rabbin Sitruk à qui je souhaite une
très bonne santé et je le consulte régulière-
ment, tout comme le grand rabbin Bern-
heim ou le grand rabbin Sirat, qui m’a no-
tamment parlé de l’injustice faite à l’hé-
breu. Je suis en mesure de vous annoncer
que des concours d’agrégation et du CA-
PES d’hébreu se tiendront enfin cette an-
née. Cette victoire, que l’on doit à l’enga-
gement du gouvernement et en particulier
de l’Inspection générale des langues, per-
mettra de reconnaître l’apport de l’hébreu.
Au-delà de la langue, l’hébreu est le véhi-
cule d’une civilisation et d'une culture, qui
sont une part du génie français. Il y a main-
tenant manière à réinvestir la place de la
langue hébraïque et de la culture juive dans
les écoles de la République.
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Ptit Déj’ avec le grand rabbin de France Haïm Korsia
« Le judaïsme français a besoin
de l’Europe, tout comme
l’Europe a besoin de nous »
EREZ LICHTFELD
« Il faut que
le judaïsme
puisse produire
du bonheur »
Le grand rabbin de France et nos journalistes
Laetitia Enriquez et Sandrine Szwarc lors de l’interview
au restaurant Le Charkoal.
: Quels sont vos autres projets ?
H.K. :
Il y en a beaucoup, la liste ne peut
être exhaustive ! Les contacts avec les
différents courants du judaïsme en France
et en Europe en font partie. Mes nom-
breux déplacements ont notamment
contribué à tisser et resserrer des liens
avec le Royaume-Uni, l’Espagne ou l’Ita-
lie. Suite à nos échanges, le grand rabbin
de Rome, Ricardo Di Segni a d’ailleurs
fait le choix d’instaurer une prière pour
l’Etat italien à l’image de notre prière
pour la République… Le Shabbat mon-
dial sera reconduit les 23 et 24 octobre
prochains. Il permettra au plus grand
nombre de vivre pleinement les joies de
Shabbat, de découvrir ou redécouvrir un
judaïsme de la joie et du bonheur par-
tagé. Le travail sur l'accompagnement
des familles en deuil, avec l'édition et la
diffusion très large d'un remarquable ou-
vrage du grand rabbin Claude Maman, va
porter ses fruits. Nous lançons, d'ailleurs,
sous la houlette du professeur Paul Lévy,
une maison d'édition afin de publier les
écrits de nos rabbins. D’autre part, l’ini-
tiative mise en place depuis l’année der-
nière, d’accompagner les colonies et
camps de vacances d’une parole rabbini-
que, coordonnée par le rabbin Berros, est
une réussite que nous allons poursuivre.
L’idée est dans un premier temps de per-
mettre aux enfants et aux jeunes d’échan-
ger avec un rabbin au cours de leur séjour
et de les encourager, ensuite, à nous re-
joindre dans les synagogues et les lieux
d’étude. La formation de nos jeunes est
fondamentale, car ce sont nos cadres
communautaires de demain ! C’est égale-
ment la raison pour laquelle je souhaite
développer davantage les projets relatifs
au dialogue interreligieux, dans les éco-
les juives, mais aussi plus largement au
sein de l’école publique.
: Pensez-vous que le climat
actuel pousse davantage les Juifs
à se rapprocher de la synagogue
où à s’en écarter ?
H.K. :
Indéniablement à se rapprocher de
la synagogue, car c’est le lieu où ils se ras-
semblent et peuvent partager leurs émo-
tions et leurs espérances. Ce n’est pas
qu'une question de piété, mais un besoin de
se retrouver, d’échanger. Si l’isolement est
un danger, se rassembler créé un sentiment
d’appartenance extrêmement fort. La syna-
gogue est également un endroit où l’on
peut explorer des pistes de réflexion, tout
en restant ouvert à l’Autre, à celui qui est
différent de soi. Le communautarisme et le
repli sur soi ne peuvent jamais apparaître
comme une solution satisfaisante. C'est la
force du judaïsme français et du modèle
consistorial que d'être une communauté ou-
verte sur la société.
: Est-ce dans votre rôle
d’appeler les gens à prier davantage ?
H.K. :
La foi est très personnelle. Même
si on ne sait pas prier, on peut se retrou-
ver dans une synagogue, dont le terme en
hébreu, Beth HaKnesset signifie étymolo-
giquement “maison de l’assemblée”.
Alors que certains d’entre nous quittent la
France, il faut continuer à faire vivre nos
institutions, nos bâtiments, nos écoles...
en ramenant des personnes qui se sentent
distantes, éloignées et non concernées.
C’est un véritable challenge ! Dans le
même ordre d’idée, le système de la
cacherout doit être repensé pour répondre
aux besoins de la communauté, pas selon
les intérêts particuliers des uns et des au-
tres. C'est l'objectif du Consistoire et sa
vocation : l'intérêt collectif. Il faut réflé-
chir de concert à cette question. J’ai donc
demandé au Président du Consistoire,
Joël Mergui, que nous réunissions l’en-
semble des parties prenantes au marché
de la cacherout pour envisager le futur,
afin de faire mieux avec un peu moins
mais plus intelligemment et de trouver
de nouveaux moyens de mobilisation.
:
Au niveau du leadership,
comment remplacer les dirigeants
qui partent ?
H.K. : « Ami si tu tombes, un ami sort de
l’ombre à ta place », dit le Chant des parti-
sans. Quand quelqu’un n’assume plus ses
fonctions, d’autres émergent et les prennent
en charge, même si cela peut être difficile
dans un premier temps. Quand le pilier his-
torique d’une communauté déménage, fait
son alyah ou disparaît, il est remplacé par
quelqu’un qui agit différemment, tout en
s’insérant dans les pas de ses prédéces-
seurs. Dans le monde militaire, on parlerait
de « permanence du commandement »,
dans la fonction publique de « continuité
du service ». Nos textes nous enseignent
« Choisis quelqu’un qui a le souffle en
lui » ; le souffle n’abandonne jamais notre
communauté.
: On a effectivement la
chance inouïe d’avoir des Textes qui
peuvent servir à répondre à toutes les
interrogations, pour le peuple juif et
l’ensemble des nations. Quelle voix le
judaïsme français doit-il porter au-
jourd’hui sur des sujets qui font l’actua-
lité comme la question des migrants ?
H.K. :
Nos Textes détiennent des pistes de
réponses à nos interrogations. La situation
dramatique des migrants peut ainsi être ap-
préhendée avec l’aide de nos textes. Le
Deutéronome nous enseigne en effet : « Tu
aimeras l’étranger car tu as été étranger en
terre d’Égypte » (Deut. X, 19). Il faut per-
mettre la stabilisation des populations et la
pacification des territoires dont sont origi-
naires ces migrants en amont, mais il est
également de notre devoir de donner aux
migrants la possibilité de construire un ave-
nir où ils se trouvent. La France ne peut
fermer les yeux sur ces femmes et ces
hommes qui échouent aux portes de nos
frontières, avec pour seul espoir, celui de
vivre. Comme l'affirme le Talmud avec bon
sens : « Si tu as cherché et que tu n’as pas
trouvé, c’est que tu as mal cherché ».
: Et concernant la question
du climat sur laquelle les responsables
religieux ont été appelés à s’exprimer ?
H.K. :
Cette question est éminemment im-
portante dans le judaïsme. Les ONG se bat-
tent sans relâche pour obtenir un jour par
an sans voiture, alors que les Juifs ne pren-
nent pas la voiture le shabbat, soit 52 jours
par an, ni les jours de fêtes…on arrive à
60 jours, ou deux mois par an sans voiture !
La religion est donc un rempart à l’addic-
tion au monde moderne qui nous écrase.
Il faut protéger ce monde pour le conserver,
comme le dit la Genèse. Le judaïsme doit
assumer sa part de responsabilité collective
dans le respect de notre environnement.
: Raphaël Draï, Benno Gross,
Samuel Pisar, Robert Wistricht… autant
de grands intellectuels juifs qui sont
partis cette année. En tant que grand
rabbin et diplômé d’Histoire, vous
considérez-vous comme faisant partie
des intellectuels juifs ?
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Ptit Déj’ avec le grand rabbin de France Haïm Korsia
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«Les gens qui sont heureux
ont le pouvoir de faire
de grandes choses»
« Nos Textes
détiennent
des pistes de
réponses à nos
interrogations »
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