12 N° 1358 - JEUDI 10 SEPTEMBRE 2015 www.actuj.com P’tit Déj’ avec le grand rabbin de France Haïm Korsia P’tit Déj’ Exclusif avec Le grand rabbin de France EREZ LICHTFELD “ Exclu Actu.J Haïm Korsia Être “heureux comme un Juif en France” reste une espérance à construire “ ■ Le « P’tit Déj’ ». , ce rendez-vous incontournable Actualité Juive est devenu une tradition : chaque année d'A au moment des fêtes de Tichri, le grand rabbin de France dresse le bilan de l'année écoulée, évoque ses projets et adresse ses vœux à la communauté juive de France. Haïm Korsia s'est prêté avec plaisir à cet exercice organisé par notre rédaction. Malgré les souffrances et les inquiétudes qui ont marqué cette année, le grand rabbin de France nous livre une leçon de vie extraordinaire. Le bonheur est une espérance vers laquelle nous devons tous tendre, nous en nourrir pour en donner et pour en recevoir encore. Un moteur qui nous permet d'avancer dans la fraternité. ■ En présence de Sandrine Szwarc et Laëtitia Enriquez ■ Reportage photos d’Erez Lichtfeld, dans le cadre agréable du Restaurant « Le Charkoal », 164 Rue de Paris, 94220 à Charenton-le-Pont. Tél.: 01 56 29 18 18. www.actuj.com N° 1358 - JEUDI 10 SEPTEMBRE 2015 13 P’tit Déj’ avec le grand rabbin de France Haïm Korsia : La tragédie de l’Hypercacher, qui a eu lieu si peu de temps après celle de Toulouse, a assommé la communauté juive. Comment peuton se relever de telles attaques ? : A-t-on pu, malgré tout cette année être « heureux comme un Juif en France » ? H.K. : Vouloir être heureux n’est jamais un constat, mais relève toujours d’une aspiration ou inclination. Levinas avait rapporté un propos de son père vivant en Lituanie au moment de l’affaire Dreyfus : « Un pays qui se déchire pour l’honneur perdu d’un petit capitaine juif est un pays où il faut aller vivre sans attendre ». Il expliquait que ce commentaire paternel l’avait poussé à venir s’installer en France. Il faut être conscient d’être en quête de ce sentiment au quotidien. Ainsi, être « heureux comme un Juif en France » reste pour moi une espérance à construire en permanence. : Ceux qui quittent la France aujourd’hui, le font aussi pour trouver ce bonheur, qui se profilerait ailleurs plutôt qu’ici… EREZ LICHTFELD Haïm Korsia : Lorsque l’on récite la Amida, on dit que D.ieu est ‘Memit Ou Mehayé’. Il fait mourir et Il ressuscite. On ne doit jamais s'arrêter au milieu de la phrase, car D.ieu n’est pas que celui qui fait mourir. Il est celui qui fait mourir et qui fait vivre. Oui, il faut évidemment penser aux victimes de Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’Hypercacher. Il faut se souvenir du choc, de la sidération et de la souffrance des 7, 8 et 9 janvier, mais aussi au dimanche qui a suivi, à cette immense solidarité nationale et internationale enfin retrouvée après un temps d’indifférence absolue. Le 11 janvier, nous avons tous éprouvé l’espoir de retrouver cette espérance de fraternité et de cohésion nationale. L’année a été terrible certes, car elle a été comme l’écho de 2012, mais le sursaut citoyen et la réactivité des pouvoirs publics ont été exemplaires. Les 10.500 militaires mobilisés dans le cadre de l’opération Sentinelle sont la conséquence directe de l’Hypercacher, pas de Charlie Hebdo. « Baroukh Omer Ve Ossé », signifie « bénit sois celui qui dit et qui fait ». Il existait, encore récemment, une dichotomie entre la parole, rassurante et apaisante et l’action, trop souvent timide, voire inexistante. Cette année enfin, les discours ont été accompagnés d’actes forts et symboliques. Nous savons toutefois à quel point tout reste fragile. Il suffit qu’un individu dangereux parvienne à passer entre les mailles du filet, pour que ce retour à la confiance et à la sérénité s’érode. C’est la difficulté de la vie. Car si D.ieu renouvelle tous les jours la création du monde, nous ne pouvons de notre côté, nous endormir sur nos lauriers, en nous disant que tout va bien, que nous n'avons plus rien à faire. Ce n’est pas une posture juive ; ce n’est même pas une posture humaine. Etre capable de reconstruire tous les jours cette fraternité et cet engagement, c’est là l’attitude qui doit être la nôtre. « Etre capable de reconstruire tous les jours cette fraternité et cet engagement, c’est là l’attitude qui doit être la nôtre » « La communauté juive n’a pas vocation à être protégée comme une place forte » Exclusivité Actuj.com Visionnez les Vœux de Roch Hachana 5776 du grand rabbin de France sur www.actuj.com TS OUVERT TOUT L’ÉTÉ Spirit asian food 46, rue de Cléry - 75002 Paris Sous la surveillance du Rav Rottenberg Tél. : 01 42 33 11 52 Spécialités Thaïlandaises Livraisons à domicile : 1er-2è-3è-4è-8è-9è-10è-17è arrt et autres zones nous consulter www.thai-one.fr Du lundi au jeudi : 11h à 16h (en continu) - Vendredi : 11h à 16h (Hiver 15h) H.K. : Je ne suis pas d’accord avec cette opposition. Partir de nos jours n’a plus la même signification qu’elle a pu avoir dans le passé. 7.000 Français sont partis cette année s’installer au Portugal pour y profiter de leur retraite. On peut avoir un pied ici et un pied là, sans choisir de rejeter ou de renier l’endroit d’où l’on vient. Les départs couronnés de succès sont ceux qui n’ont pas pour conséquence de rompre définitivement avec le passé. Bien sûr, mon rêve serait que tout le monde soit heureux et partout. Pour autant, le psaume 68 le dit clairement : « Baroukh Hachem yom yom », 14 N° 1358 - JEUDI 10 SEPTEMBRE 2015 www.actuj.com P’tit Déj’ avec le grand rabbin de France Haïm Korsia « Bien sûr, mon rêve serait que tout le monde soit heureux et partout » EREZ LICHTFELD H.K. : De manière juridique. Il faut expliquer l’illégalité de telles attitudes. Je réfute d'ailleurs certains arguments avancés par les pro «Tel-Aviv sur Seine », tels que « TelAviv est une ville ouverte ». S’il s’était agi d’un partenariat avec Netanya ou Jérusalem, ce boycott aurait-il été plus acceptable ? Non, il n’y pas de limite acceptable. Accepter le début d’un argument, c’est déjà l’admettre entièrement. Je maintiens qu’Israël tout entier est un pays de liberté beaucoup d’habitants du monde rêveraient de vivre. « Que tous ceux qui font leur alyah, la réalisent sans acrimonie envers la France, parce que, au fond, ils aiment la France » une quête se renouvelle jour après jour, sans relâche. Ceux qui font leur aliyah en restant attachés au système social français ou en partageant nos inquiétudes sur le devenir de notre pays n’ont en fait pas quitté la France. Je ne cherche pas à minimiser les chiffres de départs, mais juste à expliquer qu'il existe une façon de demeurer fidèle à la France et à son espérance, quel que soit notre lieu de résidence. Ces personnes qui s'installent en Israël restent d’une certaine façon ici, tout en possédant une résidence secondaire là-bas… ou l'inverse. C'est une autre manière de contribuer à la construction de notre société. Il est donc important que tous ceux qui font leur alyah, la réalisent sans acrimonie envers la France, parce que, au fond, ils aiment la France. Le sentiment de déception que l’on a pu ressentir ou percevoir chez certains à l’égard de l’Hexagone, de ses forces vives et de ses citoyens, prouve bien justement l’affection toute particulière portée à ce pays. À nous de trouver le moyen de ré-enchanter ce lien, en développant entre autres la dimension du lien culturel entre la France et Israël, ou en faisant entendre notre voix pour qu’Israël soit enfin reconnu au sein de la francophonie. C’est à la France d’imposer son entrée dans le cercle des pays francophones, pour tous les citoyens qui, en Israël, demeurent des ambassadeurs de la langue et de la culture françaises. : Les militaires ont fait leur entrée dans le paysage communautaire. Une présence familière pour l’aumônier général des Armées que vous avez été. Existe-t-il selon vous une convergence de valeurs entre l’Armée et la communauté ? H.K. : La notion d’engagement est portée aujourd’hui dans la société par les soldats. Nous vivons dans une société hédoniste, dans laquelle les militaires sont les rares personnes susceptibles de prendre des risques pour les autres. La récente attaque du Thalys est un parfait exemple du courage et du dévouement des militaires au service des autres. Oui, le judaïsme prône ce même engagement pour les autres. N’oubliez pas qu’en 2012, des soldats et des enfants juifs furent ensemble les victimes de la même haine, car ils incarnent l’engagement et l’avenir de notre pays. : Aussi rassurant que cela puisse-être la présence militaire dont nous bénéficions désormais, cette configuration est-elle viable sur le très long terme ? H.K. : Leur présence est formidable, magnifique, importante, et le gouvernement poursuivra cette mission. Mais la communauté juive n’a pas vocation à être protégée comme une place forte. Il ne faut jamais s’habituer à une solution exceptionnelle, au risque d’y devenir insensible. Certes, tant que la menace existe, il est vital de rassurer les juifs, s’agissant de leur sécurité immédiate, comme de la détermination du gouvernement à lutter contre toute forme de racisme ou d’antisémitisme, mais à long terme, il faut inventer d'autres façons d'assurer notre sérénité. Je veux aussi adresser mes félicitations à tous les bénévoles du SPCJ, les jeunes en particulier, qui sont si dévoués pour assurer notre protection aux côtés des forces de police et des militaires. : On l’a vu cette année encore, mettre à l’honneur Israël, c’est provoquer des foudres. Que révèle l’incompréhension permanente que suscite ce pays ? H.K. : L’idiotie, la crapulerie, la bêtise, la haine et l’antisémitisme ! Ceux qui ont voulu faire interdire la journée « Tel-Aviv sur Seine » du mois d’août sont ceux qui avaient encadré les manifestations interdites, au moment de la guerre de Gaza. Qu’ont réussi au final à faire ces personnes issues pour la plupart de l’extrême gauche ? De la publicité à cette opération de la mairie de Paris qui, autrement, serait passée relativement inaperçue, et le déploiement d’un dispositif policier considérable. Cet exemple permet de démontrer qu’il ne faut jamais céder à la pression. La haine des Juifs et d’Israël, à travers le boycott, est une négation de toutes les règles de commerce, d’échange et de partage dans le monde et une tentative de mettre Israël au ban des Nations. Nous devons la combattre de toutes nos forces. : Comment lutter contre de manière efficace ? : Avez-vous le sentiment que la lourde actualité de cette année a plombé l’avancée des dossiers communautaires tels ceux des divorces ou des conversions ? H.K. : Absolument pas ! Ce sont des questions essentielles qui se trouvent au cœur de mon activité. Il faut que le judaïsme puisse produire du bonheur. S’agissant du divorce religieux (guet), j’ai fait voter en conseil rabbinique, à l’unanimité, une motion visant à encadrer les pratiques existantes. Elles s’appuient sur les principes du Consistoire et les règles définies par le rabbinat européen. La nomination des deux médiateurs, Dolly Touitou et Charles Sulman, a permis de créer une véritable structure favorisant l'écoute au sein d’une organisation qui, pour beaucoup, semblait davantage n’être qu’une machine administrative. 70 % des cas qui leur ont été rapportés ont déjà pu être résolus. Cette notion d’accompagnement est au cœur du projet du rabbinat et donc du judaïsme français. Concernant le statut des personnes nées d’un père juif et d’une mère non-juive, il est évidemment hors de question de proposer une conversion «light ». Je tiens au principe de notre Consistoire qui est celui du respect absolu de la Halakha. Il en va de la crédibilité de notre institution à l’international. Je souhaite toutefois que nous parlions de « régularisation » pour ces enfants, plutôt que de conversion. Cela permet de mettre en perspective leur appartenance au peuple juif au sein duquel ils évoluent déjà, et cela est plus respectueux, plus juste. : Quels autres temps forts de cette année gardez-vous aussi en mémoire ? H.K. : La Conférence des Rabbins Européens dont le directeur exécutif est le rabbin Moché Lewin et le président, Pinchas Goldschmidt, grand rabbin de Moscou, s’est réunie mi-mai à Toulouse soit, www.actuj.com N° 1358 - JEUDI 10 SEPTEMBRE 2015 15 P’tit Déj’ avec le grand rabbin de France Haïm Korsia pour la première fois, ailleurs que dans une capitale européenne, en présence de 200 rabbins européens. Les deux grands rabbins d’Israël nous ont fait l’honneur de leur présence. Le judaïsme français a besoin de l’Europe, tout comme l’Europe a besoin de nous. Une harmonisation des règles des différents tribunaux rabbiniques est essentielle pour avancer sur des dossiers tels que l’abattage rituel ou la circoncision. Les statuts de l’association des Mohalim de France ont d’ailleurs été récemment déposés. Cette extraordinaire avancée doit permettre de mettre en place un cahier des charges, alliant les aspects rituels, sanitaires et déontologiques de la circoncision, ainsi que la possibilité de contracter une police d’assurance. H.K. : Dans un documentaire consacré aux Klarsfeld que j’ai vu récemment, le journaliste demande à Serge comment, avec son épouse Beate, ils ont pu mener autant de combats dans leur vie. « Ma femme et moi, nous étions heureux. Et lorsque l’on est heureux, on fait de grandes choses », a-t-il répondu. J’ai peu après remercié Serge Klarsfeld pour cette réponse. Je crois beaucoup en cette philosophie. Les gens qui sont heureux ont le pouvoir de faire de grandes choses. : Une centaine de déplacements cette année : vos attentes sont-elles satisfaites ? H.K. : J’ai pris la communauté juive de France dans mes bras, j’ai rencontré des responsables communautaires et des rabbins mobilisés à tout moment, en tout lieu, en France, dans les DOM-TOM, chez les Français à l’étranger… j’ai connu le bonheur de travailler avec tous mes prédécesseurs, mais la communauté a évolué avec le temps : elle est aujourd’hui beaucoup moins homogène. L’élément centralisateur est, à mon sens, l’étude des Textes de la Torah. Voilà pourquoi, je contribue à toute initiative qui vise à développer l’étude et à la rendre accessible au plus grand nombre. : Vous recourez fréquemment à l’humour dans vos interventions pour faire passer des messages... H.K. : Mon maître, le grand rabbin Chouchena en était un fervent partisan. Dans Pessahim, 117a, la Guemara le confirme : « Rav commençait toujours ses enseignements par une plaisanterie ». C’est une façon de créer une proximité, une complicité avec l’auditoire. L’humour permet dans l’Histoire juive d’entretenir notre capacité à surmonter les épreuves et à trouver le moyen de les dépasser, mais il ne s’agit pas que d’humour. Si l’on n’est pas capable de rire des défis auxquels on est confronté, il peut être difficile d’y faire face. Le peuple juif a toujours évolué ainsi. Souvenons-nous d’Isaac, dont le nom veut dire « il rira », traduction à laquelle je rajouterais « malgré tout ». : À chacune de vos interventions, vous semblez davantage mettre en avant les valeurs républicaines que les valeurs du judaïsme. Est-ce l’actualité qui vous fait opter pour cette posture ? H.K. : Il ne s’agit pas de choisir entre judaïsme et valeurs républicaines ! Cette période où l’on était juif chez soi et français à l’extérieur est révolue. Nous sommes 100 % du temps français et juif, peu importe l’ordre dans lequel on place ces termes, étant entendu que les vocations sont identiques. le judaïsme consistorial est d’ailleurs fort de et par sa diversité. Les deux projets ont chacun leur légitimité justement car ils sont complémentaires et non-concurrents : l’un sera culturel, l’autre le sera aussi et abritera en outre une synagogue ainsi que les bureaux du Consistoire. : Votre mission s’inscrit-elle dans la continuité de vos prédécesseurs ? EREZ LICHTFELD : Vous avez, durant cette année, effectué plus d’une centaine de déplacements à travers les communautés juives de France. Qu’est-ce qui vous porte dans ce rythme de marathonien qui est le vôtre ? « Le judaïsme français a besoin de l’Europe, tout comme l’Europe a besoin de nous » Le grand rabbin de France et nos journalistes Laetitia Enriquez et Sandrine Szwarc lors de l’interview au restaurant Le Charkoal. Lorsque je m’adresse à la société, je parle de ce qu’elle peut partager. Quant à ma spécificité, c’est de partir toujours du texte biblique. Que suis-je d’autre qu’un être qui se fait l’écho des textes ? Quels que soient le sujet et l’auditoire, je m’appuierai toujours sur des textes bibliques, mais formaliserai mon enseignement avec des mots audibles par la société. "Liberté, égalité et fraternité" sont, je vous le rappelle, des valeurs profondément bibliques. Dans d’autres pays, il s’agira d’autres valeurs communes. C’est là justement le génie du judaïsme : permettre à chacun de se reconnaître en lui. La Torah est en fait la manne du monde. Chacun peut trouver sa vérité dans la Torah, il suffit juste de la chercher. : Comment réussissez-vous à maintenir cet équilibre entre la rencontre avec la communauté d’une part et vos interventions auprès des officiels et du reste de la société d’autre part ? H.K. : Il faut être sincère, constant dans son message, ne jamais tricher, raison pour laquelle judaïsme et fierté d’être français sont « Il faut que le judaïsme puisse produire du bonheur » indissociables de chacune de mes prises de parole. On peut faire des demandes très fermes auprès du gouvernement, mais elles doivent être légitimes et acceptables. Hurler pour hurler ne sert à rien car, « de la même manière que c’est une mitzvah de dire quelque chose quand quelqu’un t’écoutera, c’est une mitzvah de ne pas la dire quand il ne t’écoutera pas. » : Quelle définition donneriezvous à votre fonction ? Et qu’est-ce que ce début de mandat a changé en vous ? H.K. : Le niveau d’attente de nos fidèles rend incontestablement la fonction passionnante, mais difficile. Dans l’armée, tout est normé et chacun choisit ses engagements et ses responsabilités. Si ma compétence est aujourd’hui totale s’agissant d’affaires religieuses, je ne suis parfois qu’un maillon de la chaîne dans des projets qui dépassent mes prérogatives. Là réside à la fois la complexité et l’intérêt tout particulier de la tâche, car il faut savoir construire des synergies, des dynamiques et convaincre du bien-fondé de certaines idées. : Que pensez-vous du Centre européen du Judaïsme et de l’Espace Culturel et Universitaire Juif d'Europe prochainement créés, respectivement dans le XVIIe et le XIe arrondissements de Paris ? H.K. : Beaucoup de nos coreligionnaires résident dans l'ouest et dans l'est de Paris et l’on peut imaginer une logique complémentaire entre ces deux projets. Le judaïsme n’a jamais été monolithique, H.K. : Après mon élection, j’ai rendu visite à chacun d’entre eux. J'ai travaillé pour le grand rabbin Sitruk à qui je souhaite une très bonne santé et je le consulte régulièrement, tout comme le grand rabbin Bernheim ou le grand rabbin Sirat, qui m’a notamment parlé de l’injustice faite à l’hébreu. Je suis en mesure de vous annoncer que des concours d’agrégation et du CAPES d’hébreu se tiendront enfin cette année. Cette victoire, que l’on doit à l’engagement du gouvernement et en particulier de l’Inspection générale des langues, permettra de reconnaître l’apport de l’hébreu. Au-delà de la langue, l’hébreu est le véhicule d’une civilisation et d'une culture, qui sont une part du génie français. Il y a maintenant manière à réinvestir la place de la langue hébraïque et de la culture juive dans les écoles de la République. 16 N° 1358 - JEUDI 10 SEPTEMBRE 2015 www.actuj.com P’tit Déj’ avec le grand rabbin de France Haïm Korsia « Nos Textes détiennent des pistes de réponses à nos interrogations » «Les gens qui sont heureux ont le pouvoir de faire de grandes choses» : Quels sont vos autres projets ? H.K. : Il y en a beaucoup, la liste ne peut être exhaustive ! Les contacts avec les différents courants du judaïsme en France et en Europe en font partie. Mes nombreux déplacements ont notamment contribué à tisser et resserrer des liens avec le Royaume-Uni, l’Espagne ou l’Italie. Suite à nos échanges, le grand rabbin de Rome, Ricardo Di Segni a d’ailleurs fait le choix d’instaurer une prière pour l’Etat italien à l’image de notre prière pour la République… Le Shabbat mondial sera reconduit les 23 et 24 octobre prochains. Il permettra au plus grand nombre de vivre pleinement les joies de Shabbat, de découvrir ou redécouvrir un judaïsme de la joie et du bonheur partagé. Le travail sur l'accompagnement des familles en deuil, avec l'édition et la diffusion très large d'un remarquable ouvrage du grand rabbin Claude Maman, va porter ses fruits. Nous lançons, d'ailleurs, sous la houlette du professeur Paul Lévy, une maison d'édition afin de publier les écrits de nos rabbins. D’autre part, l’initiative mise en place depuis l’année dernière, d’accompagner les colonies et camps de vacances d’une parole rabbinique, coordonnée par le rabbin Berros, est une réussite que nous allons poursuivre. L’idée est dans un premier temps de permettre aux enfants et aux jeunes d’échanger avec un rabbin au cours de leur séjour et de les encourager, ensuite, à nous rejoindre dans les synagogues et les lieux d’étude. La formation de nos jeunes est fondamentale, car ce sont nos cadres communautaires de demain ! C’est également la raison pour laquelle je souhaite développer davantage les projets relatifs au dialogue interreligieux, dans les écoles juives, mais aussi plus largement au sein de l’école publique. : Pensez-vous que le climat actuel pousse davantage les Juifs à se rapprocher de la synagogue où à s’en écarter ? H.K. : Indéniablement à se rapprocher de la synagogue, car c’est le lieu où ils se rassemblent et peuvent partager leurs émotions et leurs espérances. Ce n’est pas qu'une question de piété, mais un besoin de se retrouver, d’échanger. Si l’isolement est un danger, se rassembler créé un sentiment d’appartenance extrêmement fort. La synagogue est également un endroit où l’on peut explorer des pistes de réflexion, tout en restant ouvert à l’Autre, à celui qui est différent de soi. Le communautarisme et le repli sur soi ne peuvent jamais apparaître comme une solution satisfaisante. C'est la force du judaïsme français et du modèle consistorial que d'être une communauté ouverte sur la société. : Est-ce dans votre rôle d’appeler les gens à prier davantage ? H.K. : La foi est très personnelle. Même si on ne sait pas prier, on peut se retrouver dans une synagogue, dont le terme en hébreu, Beth HaKnesset signifie étymologiquement “maison de l’assemblée”. Alors que certains d’entre nous quittent la France, il faut continuer à faire vivre nos institutions, nos bâtiments, nos écoles... en ramenant des personnes qui se sentent distantes, éloignées et non concernées. C’est un véritable challenge ! Dans le même ordre d’idée, le système de la : Et concernant la question du climat sur laquelle les responsables religieux ont été appelés à s’exprimer ? H.K. : Cette question est éminemment importante dans le judaïsme. Les ONG se battent sans relâche pour obtenir un jour par an sans voiture, alors que les Juifs ne prennent pas la voiture le shabbat, soit 52 jours par an, ni les jours de fêtes…on arrive à 60 jours, ou deux mois par an sans voiture ! La religion est donc un rempart à l’addiction au monde moderne qui nous écrase. Il faut protéger ce monde pour le conserver, comme le dit la Genèse. Le judaïsme doit assumer sa part de responsabilité collective dans le respect de notre environnement. cacherout doit être repensé pour répondre aux besoins de la communauté, pas selon les intérêts particuliers des uns et des autres. C'est l'objectif du Consistoire et sa vocation : l'intérêt collectif. Il faut réfléchir de concert à cette question. J’ai donc demandé au Président du Consistoire, Joël Mergui, que nous réunissions l’ensemble des parties prenantes au marché de la cacherout pour envisager le futur, afin de faire mieux avec un peu moins mais plus intelligemment et de trouver de nouveaux moyens de mobilisation. : Au niveau du leadership, comment remplacer les dirigeants qui partent ? H.K. : « Ami si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place », dit le Chant des partisans. Quand quelqu’un n’assume plus ses fonctions, d’autres émergent et les prennent en charge, même si cela peut être difficile dans un premier temps. Quand le pilier historique d’une communauté déménage, fait son alyah ou disparaît, il est remplacé par quelqu’un qui agit différemment, tout en s’insérant dans les pas de ses prédécesseurs. Dans le monde militaire, on parlerait de « permanence du commandement », dans la fonction publique de « continuité du service ». Nos textes nous enseignent « Choisis quelqu’un qui a le souffle en lui » ; le souffle n’abandonne jamais notre communauté. : On a effectivement la chance inouïe d’avoir des Textes qui peuvent servir à répondre à toutes les interrogations, pour le peuple juif et l’ensemble des nations. Quelle voix le judaïsme français doit-il porter aujourd’hui sur des sujets qui font l’actualité comme la question des migrants ? H.K. : Nos Textes détiennent des pistes de réponses à nos interrogations. La situation dramatique des migrants peut ainsi être appréhendée avec l’aide de nos textes. Le Deutéronome nous enseigne en effet : « Tu aimeras l’étranger car tu as été étranger en terre d’Égypte » (Deut. X, 19). Il faut permettre la stabilisation des populations et la pacification des territoires dont sont originaires ces migrants en amont, mais il est également de notre devoir de donner aux migrants la possibilité de construire un avenir où ils se trouvent. La France ne peut fermer les yeux sur ces femmes et ces hommes qui échouent aux portes de nos frontières, avec pour seul espoir, celui de vivre. Comme l'affirme le Talmud avec bon sens : « Si tu as cherché et que tu n’as pas trouvé, c’est que tu as mal cherché ». : Raphaël Draï, Benno Gross, Samuel Pisar, Robert Wistricht… autant de grands intellectuels juifs qui sont partis cette année. En tant que grand rabbin et diplômé d’Histoire, vous considérez-vous comme faisant partie des intellectuels juifs ? N° 1358 - JEUDI 10 SEPTEMBRE 2015 www.actuj.com 17 P’tit Déj’ avec le grand rabbin de France Haïm Korsia mais on ne se protège pas en étant moins juif. C’est notre Torah, notre engagement dans le judaïsme structuré, qui nous protégera le plus ! Et la volonté de l'Eternel. : En octobre sera célébré le cinquantième anniversaire de Nostra Ætate, Vatican II. Le dialogue avec les chrétiens et les musulmans n’est-il pas une de vos priorités ? EREZ LICHTFELD H.K. : On a beaucoup de combats communs à mener en construisant une relation où chacun aide l’autre à bâtir ce qu’il est. Il est fondamental de parler de la déclaration Nostra Ætate qui a édifié un rapport nouveau entre Chrétiens et Juifs. J’ai d’ailleurs longuement évoqué le sujet avec le Pape François, lors de notre rencontre en avril dernier. Grâce à l’initiative du président du Consistoire de la région Centre, le professeur Paul Lévy, un colloque interreligieux, consacré au cinquantième anniversaire de Nostra Ætate, se tiendra d’ailleurs à Tours le 24 novembre prochain. H.K. : Qu’est-ce qu’un intellectuel ? Quelqu’un qui cherche à comprendre le monde. C’est à mon sens la plus belle définition du judaïsme, celle de ne pas être victime des interprétations que les autres nous imposent. Nous sommes tous "un royaume de prêtres et un peuple saint", comme l'affirme l'Exode (XIX, 6),…et nous sommes donc tous des intellectuels. Le Talmud dit qu’un rêve non-interprété est comme une lettre non ouverte. Nous avons toujours ouvert les lettres, les livres, cherché à inter- préter encore et encore les Textes, pour ne pas être victimes de l’interprétation que les autres nous en font. L’écueil pour le judaïsme serait de croire que l’on serait moins en danger en s’en éloignant. On oublie que deux tiers des actes racistes aux Etats-Unis sont antisémites, que plus de 1.200 actes antisémites ont été recensés au Royaume-Uni l’année dernière, alors même que la communauté juive y est trois fois moins importante qu'en France… Je ne veux pas minorer le danger en France, : Une partie de l’Église discute aujourd’hui avec le Front national. Comment réagir et que doit faire la communauté juive ? H.K. : Il s’agit d’une partie ultra-minoritaire, un diocèse… Ce qui doit être bon pour le judaïsme, doit l’être pour toute la République. Il ne faut jamais déroger à ces valeurs. Il nous faut les défendre, et rejeter en bloc celles qui montent les uns contre les autres, qui prônent l’isolement et l’exclusion. L’histoire nous apprend que la haine et le rejet, d’où qu’ils viennent, feront un jour de nous des victimes. Peut-on discuter avec le FN ? Cela reste, à mon sens dangereux. Je n’ai jamais entendu Marine Le Pen dire qu’elle regrettait d’avoir dansé avec un antisémite violent en Autriche, je ne l’ai toujours pas entendue désavouer publiquement les propos de son père et je n’ai pas le sentiment qu’elle ait rejeté tous les antisémites notoires qui sont les soutiens de son parti. : Pour terminer, quels vœux souhaitez-vous par notre intermédiaire présenter à la communauté juive de France ? H.K. : Je souhaite une bonne et heureuse année aux lecteurs d’Actualité Juive, à toute la communauté juive, à toute la communauté nationale et plus largement au monde entier. Ce n’est pas juste une formule, car chacun à une responsabilité dans la réactualisation permanente de ce que sont les valeurs du judaïsme. La Torah a parlé la langue des hommes à chaque époque. Elle a des valeurs à apprendre au monde et je souhaite que nous sachions trouver les pistes de réponses dans nos Textes, dans la richesse de notre enseignement pour pouvoir la diffuser au plus grand nombre. Que cette année soit porteuse de santé, de bonheur, de paix et de prospérité pour la communauté juive, pour la France, pour Israël et pour le monde qui en a tant besoin. Chana Tova Oumetouka, puissiez-vous tous être inscrits dans le Livre de la Vie ! ●