THÉMATIQUE À TAPER52es JOURNÉES DE BIOLOGIE CLINIQUE NECKER – INSTITUT PASTEUR
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Du bon usage des marqueurs tumoraux sériques
Jérôme Alexandre
a,*
1. Introduction
En 1848, HB Jones rapportait la détection de chaînes
légères d’immunoglobuline dans les urines de 75 % des
patients atteints de myélome 1]. Depuis, de nombreux
marqueurs tumoraux produits par les cellules malignes ou
par les tissus environnants et tectables dans le sérum ou
les urines ont été identiés. Ils sont actuellement largement
utilisés en clinique à visée diagnostique ou pronostique.
Si ils peuvent rendre des services certains, leur utilisation
abusive est souvent dénoncée [2].
2. Principaux marqueurs utilisés
en cliniques
Les marqueurs tumoraux sont généralement des protéines
qui peuvent être des hormones (calcitonine), des enzymes
(neuro-specic énolase - NSE), des glycoprotéines de sur-
face (mucines) ou des antigènes oncofoetaux (antigène
carcino-embryonnaire) [2].
On peut en rapprocher les cellules tumorales ou l’ADN
nu circulants qui sortent cependant du cadre de cette
revue.
Le tableau I énumère les principaux marqueurs utilisés en
clinique. Il faut noter que très peu sont spéciques d’un
type tumoral et que la plupart peuvent également être
augmentés dans des situations physiologiques ou des
pathologies non tumorales.
Le dosage d’un marqueur tumoral sérique peut avoir plu-
sieurs objectifs :
- le dépistage d’un cancer dans une population asymp-
tomatique,
- le diagnostic dans un contexte clinique spécique,
- l’évaluation du pronostic,
- le suivi de l’efcacité d’un traitement,
- la détection précoce des rechutes.
Aucun marqueur actuellement disponible ne peut pondre
à tous ces objectifs.
3. Le dépistage du cancer
Un test de dépistage doit avoir une sensibilité très élevée
(> 75 %) pour ne pas laisser passer des tumeurs infra -
cliniques et une spécicité exceptionnelle (> 99 %) pour
éviter de trop nombreux faux positifs dans une population
avec une faible prévalence du cancer. Le dépistage de
tumeur infra-clinique doit surtout permettre d’améliorer
le taux de guérison.
La majorité des marqueurs tumoraux riques actuellement
disponibles (ACE, CA 15-3, CA 19-9, thyroglobuline, …)
ont une sensibilité faible en cas de tumeur localisée et ne
s’élèvent signicativement qu’en cas de maladie métasta-
tique. Ils n’ont donc pas leur place dans le dépistage.
Dans le cancer de l’ovaire, où le diagnostic est le plus
souvent fait au stade de maladie avancée, l’intérêt du
dosage du CA 125 pour le dépistage des formes infra-
cliniques a été évalué par un essai randomisé [8]. Un
dosage annuel du CA 125, complété par une échographie
pelvienne transvaginale en cas de taux élevé, possède
une sensibilité de 89 % et une spécicité de 99,8 % pour
le diagnostic de cancer tubaire ou ovarien. La moitié des
cancers diagnostiqués dans le cadre du dépistage étaient
à un stade localisé, contre 25 % en cas de diagnostic sur
signes cliniques. Il est cependant encore trop tôt pour
juger d’un bénéce en survie.
Chez les patients cirrhotiques, l’AFP a longtemps été utilisé
pour le dépistage du carcinome hépatocellulaire, malgré
une faible sensibilité, de l’ordre de 60 %. Il est actuelle-
ment établi que l’échographie est un moyen dépistage
plus sensible et plus spécique [6].
Un seul marqueur est actuellement couramment utilisé
pour le dépistage : il s’agit du PSA pour le cancer de la
prostate. Son dosage est recommandé de façon annuelle
entre 50 et 75 ans par l’Association française d’urologie.
Il doit être associé au toucher rectal pour améliorer la
sensibilité car 5 à 10 % des cancers palpables ne s’ac-
compagnent pas d’une élévation du marqueur. L’impact
du dépistage par le PSA sur la mortalité reste cependant
controversé. Récemment, une étude randomisée a mon-
tré qu’un dosage du PSA tous les 4 ans permettait de
diminuer la mortalité de 20 % à 10 ans au prix d’un sur-
diagnostic important (9]. Dans cette étude, il était estimé
que 48 cancers supplémentaires devaient être dépistés et
traités pour éviter un seul décès. Une autre étude publiée
simultanément ne retrouvait aucun bénéce du dépistage
sur la survie [10].
À ce jour, aucun marqueur tumoral sérique n’a donc d’in-
térêt indiscutable dans le dépistage du cancer.
© 2010 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.
a Service d’oncologie médicale
Hôtel-Dieu (AP-HP) – Université Paris Descartes
1, place du Parvis Notre-Dame
75181 Paris cedex 04
*Correspondance
jerome.alexandre @htd.aphp.fr
Dossier scientifique
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4. Diagnostic des cancers
La faible sensibilité et spécicité des marqueurs consti-
tuent également une limite à leur utilisation dans la stra-
tégie diagnostique. Ils peuvent être utiles dans certaines
situations de maladie métastatique mais leur normalité
ne permet jamais d’exclure le diagnostic de malignité
devant une tumeur localisée.
Devant un carcinome métastatique sans primitif identié
sur les examens radiologiques, les marqueurs tumoraux
peuvent aider à en préciser l’origine, parmi d’autres cri-
tères que sont les caractéristiques morphologiques des
cellules tumorales, la présentation clinique et le terrain.
En fonction du contexte, pourront être dosés le CA 19-9,
CA 125, CA 15-3, PSA, thyroglobuline ou la calcitonine.
Il faut cependant garder à l’esprit que seuls le PSA, la
thyroglobuline et la calcitonine sont relativement spéci-
ques d’une localisation primitive. Certaines situations
rendent le dosage du marqueur non interprétable : ictère
obstructif et CA 19-9, intervention abdominale récente
ou ponction d’ascite et CA 125 [2, 7].
Dans de rares cas, le dosage du marqueur peut per-
mettre un diagnostic de certitude sans avoir recours à
une biopsie :
Chez un patient présentant une tumeur hépatique de
plus de 2 cm dans le contexte d’une cirrhose connue,
la constatation par imagerie de son caractère hypervas-
culaire associé à un taux d’AFP supérieur à 200 ng/ml
suft au diagnostic de carcinome hépatocellulaire [11].
Chez un sujet jeune, une tumeur métastatique au niveau
pulmonaire et/ou ganglionnaire et d’évolution très rapide
peut évoquer une tumeur germinale de primitif gonadique
(testiculaire ou ovarien), rétropéritonéal, médiastinal ou
cérébral. Dans ces situations, un taux élevé de d’AFP et/
ou de B-HCG constitue un argument diagnostic majeur. Il
est admis que dans une situation d’urgence, le traitement
peut être débuté sans attendre une preuve histologique
sur le seul résultat du marqueur. Les cas exceptionnels
de choriocarcinome placentaire révélés par des métasta-
ses peuvent également être diagnostiqués par le dosage
des B-HCG.
5. Évaluation du pronostic
Le taux de marqueur peut être le reet indirect du volume
de la masse tumorale. Ainsi, un taux très élevé au moment
du diagnostic est généralement signicatif d’une maladie
avancée. Un taux bas peut cependant aussi traduire une
dédifférenciation de la tumeur, facteur de mauvais pro-
nostic. Enn, l’absence de standardisation des différentes
techniques de dosage rend également difcile l’établisse-
ment de seuils applicables à tous les patients. Ainsi, dans
la plupart des localisations tumorales, le taux de marqueur
avant tout traitement n’apparaît pas comme une variable
pronostique indépendante [2].
Tableau I – Principaux marqueurs tumoraux sériques utilisés en clinique [2-7].
Fonction physiologique Types tumoraux
(% sensibilité) Faux positifs
CA 125 Mucine
Adhérence cellulaire
Ovaire (90 % au stade avancé)
Endomètre, sein, poumon
1er trimestre de la grossesse
Épanchement des séreuses
Pathologies gynécologiques bénignes,
endométriose
Chirurgie abdominale récente
CA 19-9 Mucine
Adhérence des cellules épithéliales à
l’endothélium
Pancréas (80 %)
Autres cancers digestifs (30-50 %),
ovaire, poumon
Ictère obstructif ++ (jusqu’à 10N)
Pancréatite, cirrhose, cholangite (< 3N)
CA 15-3 Mucine
Adhérence cellulaire
Sein (75 % au stade IV)
Ovaire, poumon, digestifs
Pathologies digestives inammatoires
(< 2N)
ACE Produit par l’épithélium digestif chez
l’embryon et plus faiblement chez l’adulte
Différenciation cellulaire au cours de l’em-
bryogenèse
Colon (60 % des stades avancés)
Cancers digestifs, sein, ovaire,
poumon, médullaire de la thyroïde
Tabagisme (< 2N)
Insufsance rénale
PSA Constituant du liquide spermatique Prostate Toucher rectal récent
Hypertrophie bénigne de la prostate,
prostatite
B-HCG Chaîne bêta de l’hormone chorionique
gonadotrope
Choriocarcinome pur (très rare)
ou associé à d’autres contingents
de tumeur germinale
Estomac, vessie
Grossesse
AFP Produit par la vésicule ombilicale puis le
foie chez le fœtus
Carcinome hépatocellulaire (60 %)
Tumeur du sac vittelin
Estomac, cholangiocarc.
Grossesse
Hépatopathie
Thyroglobuline Précurseur des hormones thyroïdiennes Carcinome thyroïdien différencié
(90 %)
Pathologies thyroïdiennes bénignes
Calcitonine Hormone
Régule le métabolisme phosphocalcique
Carcinome médullaire de la thyroïde
(70 %)
Sensibilisation possible par un test à
la pentagastrine
Tumeur neuro-endocrine
Prise d’alcool, grossesse
Thyroïdite, hyperparathyroïdie
Insufsance rénale
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Une exception importante concerne les tumeurs germina-
les non séminomateuses. Le taux d’AFP et /ou de B-HCG
est un facteur pronostique indépendant qui rentre dans la
dénition des formes de mauvais pronostic [12].
Dans les carcinomes pancréatiques, un taux supérieur à
1 000 U/ml de CA 19-9 en l’absence d’ictère est très sou-
vent associé à une tumeur avancée non résécable même
si une telle extension n’est pas retrouvée sur l’imagerie.
Dans ce cas là, une cœlioscopie est recommandée à la
recherche d’une carcinose péritonéale [13].
6. Évaluation de l’efficacité
des traitements
C’est dans cette situation que l’utilité des marqueurs tumo-
raux est la mieux établie. Une diminution signicative du
marqueur sous traitement (un seuil de 50 % est générale-
ment retenu) comparativement au dosage pré-thérapeuti-
que est corrélée à une réduction tumorale radiologique et
à une augmentation de la survie globale dans le cancer du
pancréas (CA 19-9), de l’ovaire (CA 125), du côlon (ACE),
du sein (CA 15-3), de la prostate (PSA) ou des testicules
(AFP, B-HCG) [2-5, 7]. Le dosage régulier des marqueurs
offre ainsi une alternative moins onéreuse et totalement
sans risque à la répétition des examens radiologiques
pour évaluer l’efcacité de la chimiothérapie en situation
de maladie métastatique. L’intérêt du marqueur paraît par-
ticulièrement important lorsque la maladie est difcilement
évaluable par les examens radiologiques, comme c’est le
cas par exemple en cas de métastases osseuses de can-
cer de prostate ou de carcinose péritonéale. Ainsi, dans
le cancer de l’ovaire, la décroissance du CA 125 semble
avoir une meilleure valeur pronostique que la réduction
radiologique des masses tumorales [14].
Dans les tumeurs germinales, la demi-vie de décroissance
du marqueur évaluée après le deuxième cycle de chimio-
thérapie est corrélée à la survie et pourrait permettre de
modier rapidement le traitement en cas de décroissance
insufsamment rapide [15].
En l’absence de standardisation dans les techniques de
dosage de la plupart des marqueurs, il est cependant
fondamental que ceux-ci soient toujours réalisés dans le
même laboratoire.
Il faut enn noter que l’intérêt des marqueurs comme cri-
tère d’efcacité des thérapies ciblées (anti-angiogénique,
anti-EGFR, inhibiteurs de tyrosine kinase) reste à démon-
trer dans la mesure où il théoriquement possible que ces
thérapeutiques puissent moduler l’expression du marqueur
indépendamment d’un quelconque effet anti-tumoral.
7. Surveillance post-trapeutique
La normalisation du marqueur après un traitement à visée
curative est un critère fondamental pour apprécier son
efcacité. La persistance d’un taux supérieur à la limite
supérieur de la normale à distance du traitement est géné-
ralement l’indication de la persistance d’un reliquat tumoral
et d’un risque élevé de reprise évolutive à court terme.
Plusieurs études ont montré que le taux de marqueur
tumoral augmentait précocement en cas de rechute métas-
tatique. Son élévation précède généralement de quelques
mois l’apparition des signes cliniques et des anomalies
radiologiques [2]. Sa surveillance régulière présente donc
l’avantage théorique de permettre le diagnostic de rechute
asymptomatique dont le traitement serait moins lourd et
plus efcace. Cependant, ce bénéce n’est réellement
démontré que dans les situations le traitement de la
rechute peut être curatif : cancer du testicule ou de la
thyroïde, par exemple. Il est également possible que le
diagnostic précoce d’une tastase hépatique unique d’un
cancer du côlon favorise son opérabilité. Dans les autres
situations, le dosage régulier du marqueur peut être sour-
ces d’angoisses importantes pour le patient sans impact
signicatif sur la qualité de vie et l’espérance de vie. Ainsi,
dans le cancer de l’ovaire, un essai randomisé récent n’a
montré aucun avantage en survie d’une surveillance du
CA 125 assortie d’une reprise de la chimiothérapie en cas
de réascension conrmée, par rapport à une initiation du
traitement uniquement en cas de signes cliniques [16].
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