Le Soir - 12 mars 2013 Forum, p. 15 L’entretien « Le bonheur n’est pas à notre portée » Vingt ans après « La gestion de soi », Jacaues Van Rillaer s’adresse à ceux qui sont « disposés à faire un effort im portant ». Professeur de psychologie à l’UCL, Jacqaues Van Rillaer publie La nouvelle gestion de soi. Ce qu’il faut faire pour vivre mieux, dans lequel il remet au goût du jour un ouvrage d’il y a 20 ans. Dans sa préface, Christophe André dit que ce n’est pas un livre facile. D’accord avec lui ? Mon livre s’adresse à des personnes qui sont disposées à faire un effort soutenu. Il se veut didactique, il s’adresse notament aux étudiants qui veulent s’informer sur la psychologie scientifique. Il ne demande pas de connaissances préalables, il ne se lit pas comme un roman. Mais c’est ce que vous vouliez… Oui car la problématique que j’aborde dans ce livre présente des difficultés. On ne change pas de comportement comme de chemise, on n’abandonne pas des habitudes bien ancrées en les jetant par la fenêtre. Comme le disait Mark Twain, quand on veut se débarrasser d’une habitude, il faut le faire en descendant marche par marche. Certains problèmes se résolvent facilement par soi-même, les petites phobies par exemple. Des habitudes gênantes aussi. Mais d’autres changements sont plus difficiles. Le livre a l’ambition d’aider les gens à changer des comportements qui ne sont pas faciles à modifier. Il y a d’ailleurs un chapitre sur ce qu’on peut et ce qu’on ne peut pas changer. Freud affirmait que tout est fixé à 6 ans et William James, le père de la psychologie américaine, disait qu’à 30 ans le caractère est figé comme du plâtre. On sait aujourd’hui que nous gardons tout notre vie des possibilités de changenet. Le comportement dépend de diverses variables et nous pouvons souvent agir sur certaines d’entre elles. Un livre peut-il y contribuer ? Les livres d’autothérapie qui sont apparus à la fin du XIXe siècle, surtout aux Etats-Unis, ont utilité limitée. Tout dépend de la personne et du type de problème. Il est clair qu’un grave problème d’alcoolisme ou d’anorexie ne peut se traiter de façon autonome. Par contre,on peut remédier à des habitudes néfastes pas trop ancrées. C’est plus facile si l’on dispose de bonnes informations sur certains processus psychologiques. Prenons l’exemple des obsessions et des compulsions. Chaque jour plusieurs milliers d’idées nous passent par la tête. Des personnes sont angoissées ou culpabilisées par certaines d’entre elles, que la majorité des gens laissent passer sans plus. Ces personnes essaient de contrôler et de repousser les idées qui leur font peur. Elles vont alors transformer des idées en obsessions et développer des rituels dans l’espoir d’en venir à bout. Elles font de gros efforts, qui fonctionnent à contresens, faute de la connaissance de lois psychologiques. Mieux se gérer soi-même, ce n’est pas donné à tout le monde… D’une certaine façon, tout le monde se gère dans une certaine mesure. Depuis l’enfance, nous apprenons à adopter des comportements qui devraient, à moyen ou à long terme, nous préserver de souffrances ou nous apporter davantage de bonheur qu’un plaisir immédiat. C’est ce que fait l’étudiant qui renonce à des sorties pour étudier en vue d’obtenir un diplôme. Parmi les choses à faire pour améliorer notre vie quotidien, c’est apprendre à trouver davantage de plaisirs dans une série d’activités routinières. D’où l’importance de ce courant qu’on appelle la pleine conscience ou « mindfulness ». Un exemple ? D’apprendre à petit déjeuner avec un réel plaisir. Quand on pense à tout ce que des gens ont dû faire pour le beurre qui est dans notre assiette, par exemple, c’est fantastique. Nous avons intérêt à devenir davantage conscients de tout ce que nous offre notre civilisation. Pour les enfants, le rôle des parents est capital à ce niveau… L’être humain se distingue des animaux par ses capacités d’apprendre et d’anticiper à long terme. Il peut user de ces capacités pour mieux visualiser des conséquences dommageables ou agréables de ses propres comporments, et ainsi se motiver à changer méthodiquement. Cela s’apprend dans l’enfance, notamment par imitation des réactions des adultes. En 1992 vous avez écrit « La gestion de soi », aujourd’hui place à « La nouvelle gestion de soi ». Qu’est-ce qui a changé en vingt ans ? Le livre a été entièrement réécrit et simplifié pour atteindre un public plus large. En vingt ans, la psychologie scientifique a fait pas mal de progrès. J’ai évoqué l’exemple des processus qui conduisent aux obsessions et compulsions. Un autre exemple : des recherches ont montré que la célèbre méthode Coué pouvait faire plus de tort que de bien pour certaines personnes. De bonnes auto-instructions ont des règles précises. L’ouvrage est résolument d’orientation scientifique. Je sais que science peut être très dangereuse, mais elle nous donne des outils efficaces, en psychologie comme en médecine. Pour la psychologie, beaucoup d’idées fécondes se trouvent déjà chez des penseurs de l’antiquité : Bouddha, Epictète, Sénèque et tant d’autres. Ce que fait la psychologie scientifique, c’est trier et prolonger ce qui marche le mieux. Karl Popper, un des plus grands épistémologue et philosophe du XXe siècle, disait que le probl ème de la science c’est « que laisser de côté et que garder ? » C’est ce que la psychanalyse ne fait pas. Les disciples de Freud répètent, commentent et ajoutent. Ils n’utilisent pas de poubelle. L’impact des nouvelles technologies ? On peut prévoir que les cyberdépendances vont devenir un problème redoutable pour les enfants et les étudiants. J’ai eu l’occasion de voir plusieurs étudiants rater leurs études à cause d’une cyberdépendance : chats, images pornographiques ou tout simplement la curiosité. Nous sommes tous fort tentés, une fois que nous sommes sur Google d’aller voir à gauche à droite. Moi, je mets une minuterie pour me gérer. Le bonheur ? Il y a 36 définitions du bonheur. Certains l’imaginent comme un état stable et merveilleux… à connaître dans l’au-delà. Beaucoup de personnes cherchent « le » bonheu, mais elles se fourvoient. La seule chose qui est à notre portée, c’est d’avoir une vie globalement satisfaisante. Et, surtout, de diminuer inconvénients, insatisfactions et souffrances. C’est précisément l’objet de l’ouvrage. Pour être heureux, il faut être capable d’une certaine gestion de soi. Je dis bien « gestion », car vouloir tout « contrôler » mène à des dysfonctionnements comme les obsessions. Pour conclure, quelques conseils ? D’abord, bien réfléchir à nos valeurs et à nos objectifs existentiels : que voulons-nous vraiment dans la vie. Cela doit être très clair et concret. Ensuite, il importe de pouvoir observer certains de nos propres comportements et les situations dans lesquelles nous les adoptons. Nous sommes beaucoup plus dépendants que nous le croyons, de l’environnement dans lequel nous sommes. Mais attention, trop d’analyse paralyse. Nous avons ce pouvoir merveilleux de pouvoir penser sur notre pensée, de pouvoir modifer notre faon de percevoir et interpréter. C’est une des principales clés de la gestion de soi… Propos recueillis par PHILIPPE DE BOECK JACQUES VAN RILLAER « La nouvelle gestion de soi – Ce qu’il faut faire pour vivre mieux » Mardaga, 23 euros Jacques Van Rillaer Jacques Van Rillaer est professeur émérite de psychologie à l’UCL. Il est l’auteur de nombreux articles et ouvrages de psychologie et, en particulier aux éditions Mardaga, de L’agressivité humaine (1975), Les illusions de la psychanalyse (1981) et La gestion de soi (1992). Il est également co-auteur du Livre noir de la psychanalyse.