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Dès l'Introduction, le Cours de Linguistique de Ferdinand de Saussure permet de comprendre la portée de sa démarche.
L'objet est de constituer la Linguistique comme science en définissant son objet.
1) 1ère condition : Eliminer le problème philosophique du langage en distinguant la langue et la parole
La démarche de Ferdinand de Saussure commence par la distinction entre la Langue et la Parole : Distinguer la langue (toutes les langues humaines
naturelles) qui est une réalité objective, sans aucun doute un produit social et la parole qui est un acte individuel par lequel un sujet parlant utilise un code
(la langue) pour exprimer sa pensée grâce à un mécanisme psychophysique qui lui permet d'extérioriser les combinaisons de ce code.
Mais, pourquoi cette distinction ? - Il va de soi que ce qu'on appelle habituellement langage, c'est l'acte par lequel le sujet -l'individu-, trouvant à sa
disposition une langue, c'est-à-dire un système de signes, utilise ces signes en les combinant pour exprimer sa pensée, et cela grâce à un mécanisme
psychophysique.
De cette définition commune, que résulte-t-il, si l'on ne fait pas la distinction de la langue et de la parole ?
1) D'une part on suppose -et c'est le sens commun- "que le lien qui unit un mot à une chose est une opération toute simple, ce qui, précise immédiatement
Ferdinand de Saussure, est loin d'être vrai".
2) D'autre part, et c'est la position du philosophe : il pose immédiatement un problème qui lui est propre : celui de l'origine ou du fondement : - D'où vient
que l'homme puisse avec des mots exprimer sa pensée et représenter les choses ?
Par cette distinction -condition de la constitution de la linguistique comme science-, l'objectif de Ferdinand de SAUSSURE est de mettre entre parenthèses
le problème philosophique du langage.
Quand j'emploie un mot comme le mot “ table ”, pour désigner telle ou telle table (guéridon, table de salle à manger, table de nuit) il me semble qu'il y a un
lien direct entre le mot, c'est-à-dire le signifiant, et la chose que je désigne par ce mot. Or, quand je réfléchis, je constate qu'il n'y a aucun lien direct entre
le mot “ table ” et l'objet concret qu'il désigne ; à preuve :
Le mot “ table ” ne renvoie pas directement à la chose, comme s'il était fait à sa ressemblance mais il est lié à une idée générale et abstraite, ce qu'on
appelle un concept.
Ferdinand de Saussure tranche ici le problème posé par Platon dans le dialogue de Cratyle.
Dans ce dialogue, Platon poursuit l'interrogation qui est au coeur de la réflexion philosophique :
Constatant que l'on ne peut expliquer les idées que nous avons dans la tête (-les concepts-) à partir des images que nous donnent les sens, il pose la
question de savoir d'où viennent ces idées, d'où vient que les choses se présentent à nous non pas comme un chaos de sensations, mais bien comme un “
monde ” ordonné, structuré ou “ cosmos ” (en grec Cosmos désigne à la fois l'ordre et l'univers).
Le langage est au centre de cette interrogation : n'est-ce pas par l'intermédiaire des mots que les choses ont un “ sens ” (logos) ?
Mais, comment comprendre le rapport des MOTS et des CHOSES ? - Comment expliquer que tel mot désigne une chose, tel autre mot une autre chose ?
C'est la thèse de Cratyle, dont le dialogue porte le nom, qui est discutée : selon ce philosophe -déjà un philologue-, les mots désignent les choses parce
qu'ils ont été créé à leur ressemblance.
Mais, lui objecte Socrate après une longue étude des noms, tout montre qu'il n'en est rien : les noms propres comme les noms communs par lesquels on
désigne les choses semblent bien arbitraires.
Faut-il donc adopter la thèse d'Hermogène, second interlocuteur du dialogue ? - Les mots sont pure convention et ne correspondent à aucune réalité.
Mais alors, lui oppose Socrate, celui qui parle -l'orateur qui, sur l'agora, invoque “ la justice ” pour demander un châtiment ou proposer une loi- ne dit que
des mots et tout dialogue -la communication humaine- est privé de sens : La réalité à laquelle nous avons affaire se réduit à notre expérience sensible,
semblable à un chaos de sensations, au flux héraclitéen.
Le dialogue s'achève par une question de Socrate : Pour que, par l'intermédiaire des mots, les choses aient un sens, ne faut-il pas imaginer qu'ils ont été
créés non pas à la ressemblance des choses, comme le voudrait Cratyle, mais plutôt en conformité, en liaison avec les idées que nous avons des choses ?
Il va de soi que le sujet, c'est-à-dire l'individu, trouvant à sa disposition une langue c'est-à-dire un système de signes, utilise ces signes en les combinant
pour exprimer sa pensée et cela grâce à un mécanisme psycho-physique. Face à cette évidence naturelle, la philosophie pose une question qui lui est
propre qui est celle de l'origine ou du fondement : - D'où vient que l'homme (l'homme en général et non plus l'individu) ait la faculté, la possibilité