ABF – 8e Beethovéniade : 17 et 18 mars 2012
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Delacroix nous rapporte les paroles de Chopin, en
date du 7 Avril 1849 : « L'art n'est plus alors ce que le
croit le vulgaire, c'est-à-dire une sorte d'inspiration qui vient
de je ne sais où ; qui marche au hasard et ne présente que
l'extérieur pittoresque des choses. C'est la raison elle-même
ornée par le génie, mais suivant une marche nécessaire et
contenue par des lois supérieures. Ceci me ramène à la
différence de Mozart et de Beethoven. Là où ce dernier est
obscur et paraît manquer d'unité, ce n'est pas une
prétendue originalité un peu sauvage dont on lui fait
honneur qui en est la cause, c'est qu'il tourne le dos à des
principes éternels. Mozart, jamais ».1
Si Liszt, Brahms, Schumann, Berlioz, et tant d'autres,
ont construit leur chemin de compositeur semblant
guidés, éclairés par Beethoven, Chopin vénérait Bach et
Mozart. Quelques phrases, pensées, dont Chopin était
avare, ont laissé dans l'histoire l'image d'un Chopin
auquel la musique de Beethoven répugnait un peu, d'un
Chopin auquel la musique de Beethoven faisait peur.
Certes, la pensée de Chopin restituée par Delacroix
nous éclaire sans doute possible sur l'idée du
compositeur concernant non seulement Beethoven,
mais encore ses "prophètes" : oui, la musique de
Beethoven lui semblait parfois mal construite, parfois
même vulgaire - comme il le disait du Final de la Sonate
opus 31 n°3, "La Chasse", et il ne comprend pas que ce
qu'il considère comme des défauts de composition soit
à tort magnifié par ses contemporains qui se voulaient
les héritiers de Beethoven.
Un élève de Chopin lui joua un jour un Andante de sa
composition, Chopin lui fit cette remarque : « Tu
débutes bien, mais tu interromps le chant sans raison.
Beethoven, il est vrai, le fait parfois, mais je n'approuve
pas cela, le chant doit s'épancher d'une seule coulée,
comme une rivière, et exprimer tout ce qui s'est
engagé »2. Au-delà d'une simple remarque esthétique,
il y a dans cette phrase une pensée plus vaste
concernant l'art de la composition selon Chopin, une
pensée qui peut même être considérée comme
philosophique. L'Art musical sublime-t-il le discours
des émotions humaines, ou le reproduit-il ? Doit-on
tendre vers une idéalisation du discours comme
Mozart, ou une humanisation de la pensée musicale
comme Beethoven ? Raphaël ou Michel-Ange, Platon
1 - Journal de Delacroix.
2 - Souvenirs de Krzyzanowsky.
ou Aristote ? Dualité qui se retrouve dans cette
anecdote rapportée par Lenz, concernant la Sonate
opus 26 jouée par Chopin : « Il n'empoignait pas, ne
jouait pas en relief, pas comme un roman dont l’intérêt
croît de variation en variation. Il murmurait mezza voce
mais incomparablement dans la cantilène, avec une
perfection infinie dans la continuité et l'enchaînement des
phrases : un jeu d'une beauté idéale mais féminin. Or
Beethoven est un homme et ne cesse jamais de l'être »3.
Voici la réaction de Chopin après que Lenz lui eut
joué la même sonate : « Je raconterai cela à Liszt, cela
ne m'est encore jamais arrivé. C'est beau certes, mais
faut-il donc toujours parler si "déclamatoirement" ?
J'indique, à l'auditeur le soin de parachever le tableau ».
Tout semblerait si simple à première vue... Beethoven,
tonitruant, musique masculine affirmée, le poing dressé,
un Art déclamatoire qui ne laisse pas de choix à
l'auditeur, face à Chopin, la grâce presque féminine,
l'Art de la suggestion, l'entre-deux du crépuscule face
au solaire beethovénien... Et pourtant...
Pourtant l’œuvre de Beethoven a été évidemment
étudiée par Chopin élève, aux côtés de Mozart, Bach et
Hummel. Comme Beethoven, l'improvisation fut
extrêmement importante pour Chopin, pour Liszt, et
cet Art de l'improvisation nourrit autant les œuvres de
Beethoven que celles de Chopin. Concernant les formes
classiques, la Sonate opus 4 et le Trio opus 8 de Chopin,
œuvres de jeunesse, sont clairement inspirée du
traitement de la forme sonate par Beethoven. Chopin,
âgé de 19 ans, rencontre à Vienne les amis de
Beethoven, décédé deux ans plus tôt, relate avec fierté à
ses parents sa rencontre avec Moritz von Lichnowsky,
"Le plus grand ami de Beethoven", il joue avec Czerny et
en est flatté, même si l'approche du clavier éloigne les
deux hommes plus qu'il ne les réunit. Chopin écrit :
« C'est un brave homme, rien de plus »4.
Automne 1829, il est à Varsovie, et lit les œuvres
complètes de Beethoven publiées en Juin. Lors de
soirées musicales organisées par Kessler, professeur au
conservatoire, il déchiffre aussi sa musique de chambre,
et découvre entre autre le Trio Archiduc opus 97, dont il
écrit, impressionné par la puissance inventive et l'audace
de l'écriture : « Il y longtemps que je n'ai rien entendu
3 - Les Grands Virtuoses du Piano – Lenz.
4 - Correspondance de Chopin.