A la découverte de l’Histoire
Cours d’Histoire 2013/2014. G. Durand
HISTOIRE DE LA MESOPOTAMIE
COURS 2 : L’EMPIRE D’AKKAD
L'empire d'Akkad (ou empire akkadien) est un État fondé par Sargon d'Akkad qui domina la
Mésopotamie de la fin du XXIVe siècle av. J.-C. au début du XXIIe siècle av. J.-C. selon la
chronologie la plus couramment retenue, même s'il est possible qu'il se soit épanoui environ un siècle
plus tard, les datations étant incertaines pour une période aussi reculée dans le temps. Cet État a
profondément marqué l'histoire de la Mésopotamie. Le souvenir de ses rois les plus prestigieux,
Sargon et son petit-fils Naram-Sin, a duré de nombreux siècles et donné lieu à différentes légendes,
plus qu'aucune autre dynastie mésopotamienne.
Bien qu'il soit difficile de démêler la réalité de la légende dans ces récits, d'autant plus que la
documentation écrite datant de cette époque est essentiellement de nature administrative (tablettes de
gestion et de comptabilité), la période de l'empire akkadien semble avoir marqué un profond
changement dans le domaine politique, perceptible tant dans l'organisation du pouvoir et son idéologie
que dans l'art officiel. Les évolutions sociales et économiques en Basse Mésopotamie sont en revanche
moins marquées, tout comme dans la plupart des aspects de la culture matérielle, ce qui explique
pourquoi il est encore impossible d'identifier des niveaux archéologiques de la période d'Akkad dans
cette région.
La constitution et l’essor du royaume d’Akkad
L'empire d'Akkad est avant tout l'œuvre d'un homme, passé à la postérité comme un des plus grands
rois de l'histoire de la Mésopotamie : Sargon d'Akkad. De nombreuses choses ont été écrites à son
propos par différents textes de la tradition mésopotamienne postérieure, à tel point qu'il est souvent
difficile de distinguer la réalité historique de la légende. Un fait reste certain car présent dans plusieurs
traditions : Sargon est un usurpateur. Son nom de règne (le seul qui lui soit connu), Šarrum-kîn,
signifie en akkadien « le roi est stable », comme s'il avait cherché à faire oublier qu'il n'est pas roi par
droit de naissance. La légende racontant sa naissance et son enfance ne le cache pas : Sargon serait le
fils d'une prêtresse, qui l'aurait abandonné, avant qu'il ne soit récupéré puis élevé par un puisatier. C'est
grâce à l'aide de la déesse Ishtar que Sargon, devenu ministre du roi Ur-Zababa de Kish, serait devenu
roi.
C'est donc un usurpateur qui prend le pouvoir dans la vénérable cité de Kish après un coup d'État vers
2334 (ou plus tard vers 2285). Mais à cette période, le roi le plus puissant est Lugal-zagesi, qui règne
depuis Uruk. D'après les copies de ses inscriptions postérieures à son règne, Sargon le bat, plaçant
toute la Basse Mésopotamie jusqu'au golfe Persique sous sa coupe. Le vaincu est capturé, forcé à
porter un carcan et exhibé lors du triomphe de Sargon. Celui-ci met en place des gouverneurs fidèles à
sa cause dans plusieurs des vieilles cités-États de Sumer et d'Akkad, constituant un vaste royaume qui
a pour centre une ville qu'il élève au rang de capitale, Akkad.
Après avoir soumis le Sud de la Mésopotamie, Sargon dirige des expéditions en direction des régions
adjacentes du nord-ouest et de l'est. Vers la Haute Mésopotamie, il a probablement soumis le royaume
de Mari, et peut-être celui d'Ebla en Syrie. Mais la chronologie des conquêtes des rois d'Akkad vers
l'ouest reste confuse, et on ne sait pas si les destructions attestées sur les sites de la région sont dues
aux conquêtes de Sargon, de Naram-Sin, ou bien à des conflits entre royaumes locaux. Une inscription
de Sargon dit qu'il s'est rendu jusqu'à Tuttul sur le moyen Euphrate, où il rend hommage au grand dieu
Dagan, qui lui aurait alors conféré la domination des terres allant jusqu'à la mer Méditerranée. Un
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texte hittite plus tardif raconte que Sargon aurait soumis le royaume de Purushanda en Anatolie
centrale, mais il est impossible de déterminer si ce récit fait référence à un événement réel ou
légendaire. Quoi qu'il en soit, il transparaît de ces sources que Sargon a effectué bien plus de
conquêtes que les rois l'ayant précédé, ce qui a fortement marqué les esprits.
Étendue approximative du royaume d'Akkad à son apogée sous le règne de Naram-Sin, et direction des
campagnes militaires extérieures.
Sargon meurt vers 2279 (ou 2229) et lui succèdent deux de ses fils, Rimush et Manishtusu. Il est
habituellement considéré que le premier a régné avant le second, mais il se pourrait que ce soit
l'inverse car c'est de cette façon que la plus ancienne version connue de la Liste royale sumérienne
présente l'ordre successoral des rois d'Akkad. Rimush Son cadeau »), qui aurait régné neuf ans, fait
face à une rébellion dès son intronisation. Il tient bon, soumet les rebelles dirigés par Kaku d'Ur qui a
rallié à lui plusieurs cités (Adab, Lagash, Zabalam, Kazallu). Il a également mené des campagnes
contre des royaumes du plateau Iranien (Élam, Awan, Marhashi). Durant ses quinze années de règne,
Manishtusu (littéralement « Qui est avec lui ? », c'est-à-dire « Qui est son égal ? ») mène également à
son tour des campagnes en direction du plateau Iranien (contre Anshan, Sherihum), et aussi du golfe
Persique puisqu'il prétend avoir soumis le pays de Magan (Oman). Quoi qu'il en soit de l'ordre de
succession de ces deux souverains, il apparaît qu'ils sont en mesure de préserver l'héritage laissé par
leur père et même de l'agrandir. Pour la première fois, les conquêtes d'un grand roi ne sont pas perdues
à sa mort.
Naram-Sin (« Aimé de Sîn ») monte sur le trône vers 2254 (ou 2202). C'est lui aussi une grande figure
de l'histoire mésopotamienne, mais qui a laissé une image plus négative que son grand-père. Dès son
intronisation, il a dû faire face à une grande rébellion en Basse Mésopotamie, menée par deux
personnages : Iphur-Kish à Kish qui rallie des cités voisines (Sippar, Eresh, Kazallu) et Amar-girid
d'Uruk accompagné par d'autres cités du Sud (Ur, Lagash, Adab, Shuruppak, etc.). D'après les
traditions se rapportant à cette grande révolte, la répression fut terrible. Naram-Sin fut un grand
conquérant, même si la chronologie de ses conquêtes est difficile à reconstituer. Son règne est marqué
par des expéditions en Haute Mésopotamie et en Syrie du Nord, vraisemblablement dans la continuité
de son grand-père, même s'il est possible qu'il soit le premier roi d'Akkad à soumettre fermement cette
région. Comme pour Sargon, des traditions postérieures lui attribuent des victoires sur des rois
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anatoliens (notamment ceux de Kanesh et du Hatti) dont la réalité reste sujette à caution. Naram-Sin a
aussi remporté des victoires sur l'Élam et Marhashi et aurait à son tour soumis Magan. C'est sous ce
règne qu'ont lieu différentes réformes et des constructions qui renforcent le caractère impérial du
royaume d'Akkad. Selon la tradition, Naram-Sin n'aurait pas rendu convenablement le culte à Enlil, le
plus grand dieu de la Basse Mésopotamie. Les générations postérieures ont condamcet évènement,
qui aurait jeté une malédiction sur le roi d'Akkad et ses successeurs, parce qu'il a suscité l'ire des
dieux. Dans les faits, il se trouve que ce roi a fait reconstruire le grand temple du dieu. Mais les
dernières années de son règne marquent effectivement le début de la fin de l'empire d'Akkad.
Pour réaliser leurs conquêtes, les rois d'Akkad se sont appuyés sur une armée très efficace leur
permettant de triompher sur des champs de bataille loin de leur base, ce qui n'était pas possible pour
les cités-États qu'ils ont supplanté. Les représentations iconographiques de soldats de cette période,
notamment la stèle de victoire de Naram-Sin, semblent indiquer une évolution de l'armement des
soldats et des techniques de combat par rapport à ce qui apparaît dans les scènes militaires de la
période des dynasties archaïques (étendard d'Ur et stèle des vautours de Girsu). Les chars de combats
semblent perdre de l'importance au profit de l'infanterie. Cette dernière est dotée d'un équipement plus
léger que précédemment, ce qui facilite sans doute sa mobilité au détriment de sa protection.
L'armement de base est constitué de masses d'armes, poignards et de lances comme précédemment,
mais aussi de l'arc qui était auparavant absent des scènes militaires. L'analyse des représentations
semble indiquer l'usage d'un arc composite, disposant d'une longue portée de tir, permettant la mise en
place de nouvelles tactiques de combat à distance. Les soldats d'élite (ceux que les textes désignent
comme LÚ.TUKUL, « ceux de l'arme », et les nisk/qu dont le rôle n'est pas clair) constituent une
armée permanente qui est entretenue grâce à la concession de champs appartenant aux domaines des
institutions, comme les autres serviteurs de l'État ; ils sont renforcés par des contingents de conscrits
fournis par les différents domaines institutionnels et enregistrés sur des listes, servant sans doute de
façon périodique. Les troupes semblent organisées dans des unités de base de vingt hommes dirigées
par des « lieutenants » (UGULA), regroupées en bataillons de soixante puis en régiments de quelques
centaines de soldats (peut-être 600). Le haut commandement est constitué par des « généraux »
(sumérien ŠAGIN /akkadien šakkanakkum) formant l'entourage proche du roi, puis des « capitaines »
(NU.BANDA/lapputāu).
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stèle de victoire de Naram-Sin, calcaire, 200 cm x 105 cm, vers 2254-2213, Louvre
Le règne de Naram-Sin voit l'arrivée d'une nouvelle menace : les Gutis. Ce peuple, considéré comme
barbare par les Mésopotamiens et originaire des régions occidentales du Zagros, lance plusieurs raids
meurtriers en Mésopotamie durant les dernières décennies de l'empire d'Akkad, et la tradition
mésopotamienne que rapporte la Liste royale sumérienne lui a imputé la responsabilité de la chute de
cet État, marquée par de nombreux actes de violence et d'impiété. Le règne de Shar-kali-sharri Roi
de tous les rois »), fils de Naram-Sin qui prend le pouvoir vers 2217 (ou 2165), est peu documenté. Ce
roi a été oublié dans les récits postérieurs sur la chute d'Akkad qui ne font référence qu'à son père. Les
inscriptions de son temps mentionnent certaines de ses campagnes vers l'Anatolie du sud-est, ainsi que
des victoires en Haute Mésopotamie contre les Amorrites, peuple sémite qui apparaît alors. Aux
abords immédiats du pays d'Akkad, à l'est, il doit repousser une attaque élamite, ainsi qu'une autre des
Gutis. Cela pourrait indiquer un affaiblissement du royaume. Shar-kali-sharri semble avoir des
ambitions plus modestes que son père, se proclamant simplement « roi d'Akkad ».
Pourtant, l'État d'Akkad semble bien survivre quelques décennies après sa mort qui survient vers 2193
(ou 2140), même s'il est considérablement réduit en taille et se limite probablement au nord de la
Babylonie autour d'Akkad et Kish, puisque la Liste royale sumérienne lui attribue plusieurs
successeurs. De l'un d'entre eux, Dudu, sont connues quelques inscriptions d'offrandes et des mentions
de campagnes militaires sans doute destinées à préserver les restes de son royaume, tandis que son
successeur Shu-turul est connu seulement par une poignée d'inscriptions votives. La chute d'Akkad fut
donc progressive.
Idée, image et exercice du pouvoir
Avec Akkad, pour la première fois dans l'histoire du Moyen-Orient apparaît une grande construction
étatique englobant pour plusieurs décennies un ensemble d'anciens micro-États. Cela entraîne
progressivement un changement dans la conception de la fonction du souverain. Auparavant lié au
cadre de la cité-État, celui-ci avait un rôle limité dans l'espace. Avec la constitution d'un vaste
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royaume sous la dynastie d'Akkad, le souverain prend peu à peu une nouvelle dimension. Cela est
surtout perceptible sous le règne de Naram-Sin, qui développe une véritable pensée « impériale ». Il se
dit « Roi des quatre rives (de la terre) » (c'est-à-dire de tout le monde connu), ce qui traduit une
ambition de domination universelle, inédite dans le monde mésopotamien. De plus, nouveauté là aussi,
dans ses inscriptions officielles il fait précéder son nom du déterminatif de la divinité, se fait à
plusieurs reprise qualifier de « dieu d'Akkad », et dans les représentations il porte la tiare à cornes,
attribut des dieux : le roi est donc d'essence divine. Même s'il n'est pas forcément considéré comme
une divinité à part entière, il est au-dessus des autres hommes. On a donc les traits d'un « empereur »
qui veut se démarquer des autres rois par son essence, son charisme et ses ambitions.
L'apparition d'une idéologie de nature impériale à l'époque d'Akkad n'est cependant pas une véritable
révolution. On a longtemps voulu voir en Sargon un pionnier, mais il se situe en fait dans la continuité
de plusieurs souverains de Basse Mésopotamie dont la puissance avait déjà excédé celle des rois de
cités-États ordinaires. Une grande place doit être accordée à Lugal-zagesi, roi originaire d'Umma mais
établi à Uruk, et prédécesseur direct de Sargon, dont il a vraisemblablement inspiré luvre politique.
De plus, Sargon débute ses conquêtes à partir du royaume de Kish, qui est depuis plusieurs siècles l'un
des plus puissants de la Basse Mésopotamie et a une grande influence politique voire culturelle36. Du
reste, la tradition idéologique n'est réellement bousculée que sous les successeurs de Sargon,
particulièrement Naram-Sin. Progressivement un nouvel art royal apparaît, suivant l'évolution de la
conception de la royauté, et on met en place une administration centralisée sur les cadres territoriaux
anciens. On effectue une standardisation des textes administratifs, qui sont écrits dans tous les centres
provinciaux de l'empire avec une même graphie et dans un même type d'akkadien, pour être plus
facilement compris et contrôlés par un personnel homogène sur tout le territoire, alors que pour les
textes non officiels subsistent les habitudes locales.
Les continuités semblent importantes, le souverain continuant à diriger l'État de manière traditionnelle.
Comme les rois précédents, il se présente comme étant l'élu des dieux, cherchant à accomplir leur
volonté. La grande divinité patronnant la dynastie d'Akkad est Ishtar (Inanna pour les Sumériens), qui
dispose d'un grand temple dans la capitale du royaume. Mais le pourvoyeur de la royauté reste le grand
dieu sumérien Enlil, comme le veut la tradition de Basse Mésopotamie. Dans la pratique, le souverain
gouverne entouré de ses fidèles, auxquels il octroie de nombreux présents (notamment des terres) et il
contrôle les temples qui sont les institutions majeures dans la société. Les personnages les plus hauts
placés et les gouverneurs des régions-clés sont souvent issus de la famille royale ou liés de près à elle.
Les princes sont parfois nommés gouverneurs, comme les fils de Naram-Sin placés à Marad (en),
Tuttul et Kazallu (en). Les princesses étaient souvent consacrées prêtresses des grands temples du sud
mésopotamien : Enheduanna fille de Sargon (connue par les poèmes qui lui sont attribués) dans le
temple de Nanna à Ur, Enmenana fille de Naram-Sin dans le même temple, et sa sœur Tuta-napshum,
grande prêtresse d'Enlil à Nippur. L'élite de la puissante armée akkadienne est encadrée par les proches
du roi (en premier lieu les généraux) et constitue une sorte de garde royale.
La question de savoir dans quelle mesure on peut qualifier l'État d'Akkad de « premier empire » reste
donc débattue : il est moins novateur qu'on ne l'a longtemps pensé, et est une construction peu durable
dont les structures ont été garantes d'une stabilité limitée. Si par bien des traits il a de fait les attributs
traditionnellement attribués à un empire par les historiens, archéologues et anthropologues, il en
manque cependant certains : en particulier, l'influence de la culture matérielle du centre sur les
territoires conquis et voisins semble limitée alors que les empires ont généralement un rayonnement
fort, tandis que son autorité n'a jamais été fermement établie et durablement assurée, même dans les
régions centrales. La véritable révolution est plutôt à chercher dans l'apparition d'un « impérialisme ».
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