A la découverte de l’Histoire
Cours d’Histoire 2013/2014. G. Durand
royaume sous la dynastie d'Akkad, le souverain prend peu à peu une nouvelle dimension. Cela est
surtout perceptible sous le règne de Naram-Sin, qui développe une véritable pensée « impériale ». Il se
dit « Roi des quatre rives (de la terre) » (c'est-à-dire de tout le monde connu), ce qui traduit une
ambition de domination universelle, inédite dans le monde mésopotamien. De plus, nouveauté là aussi,
dans ses inscriptions officielles il fait précéder son nom du déterminatif de la divinité, se fait à
plusieurs reprise qualifier de « dieu d'Akkad », et dans les représentations il porte la tiare à cornes,
attribut des dieux : le roi est donc d'essence divine. Même s'il n'est pas forcément considéré comme
une divinité à part entière, il est au-dessus des autres hommes. On a donc les traits d'un « empereur »
qui veut se démarquer des autres rois par son essence, son charisme et ses ambitions.
L'apparition d'une idéologie de nature impériale à l'époque d'Akkad n'est cependant pas une véritable
révolution. On a longtemps voulu voir en Sargon un pionnier, mais il se situe en fait dans la continuité
de plusieurs souverains de Basse Mésopotamie dont la puissance avait déjà excédé celle des rois de
cités-États ordinaires. Une grande place doit être accordée à Lugal-zagesi, roi originaire d'Umma mais
établi à Uruk, et prédécesseur direct de Sargon, dont il a vraisemblablement inspiré l'œuvre politique.
De plus, Sargon débute ses conquêtes à partir du royaume de Kish, qui est depuis plusieurs siècles l'un
des plus puissants de la Basse Mésopotamie et a une grande influence politique voire culturelle36. Du
reste, la tradition idéologique n'est réellement bousculée que sous les successeurs de Sargon,
particulièrement Naram-Sin. Progressivement un nouvel art royal apparaît, suivant l'évolution de la
conception de la royauté, et on met en place une administration centralisée sur les cadres territoriaux
anciens. On effectue une standardisation des textes administratifs, qui sont écrits dans tous les centres
provinciaux de l'empire avec une même graphie et dans un même type d'akkadien, pour être plus
facilement compris et contrôlés par un personnel homogène sur tout le territoire, alors que pour les
textes non officiels subsistent les habitudes locales.
Les continuités semblent importantes, le souverain continuant à diriger l'État de manière traditionnelle.
Comme les rois précédents, il se présente comme étant l'élu des dieux, cherchant à accomplir leur
volonté. La grande divinité patronnant la dynastie d'Akkad est Ishtar (Inanna pour les Sumériens), qui
dispose d'un grand temple dans la capitale du royaume. Mais le pourvoyeur de la royauté reste le grand
dieu sumérien Enlil, comme le veut la tradition de Basse Mésopotamie. Dans la pratique, le souverain
gouverne entouré de ses fidèles, auxquels il octroie de nombreux présents (notamment des terres) et il
contrôle les temples qui sont les institutions majeures dans la société. Les personnages les plus hauts
placés et les gouverneurs des régions-clés sont souvent issus de la famille royale ou liés de près à elle.
Les princes sont parfois nommés gouverneurs, comme les fils de Naram-Sin placés à Marad (en),
Tuttul et Kazallu (en). Les princesses étaient souvent consacrées prêtresses des grands temples du sud
mésopotamien : Enheduanna fille de Sargon (connue par les poèmes qui lui sont attribués) dans le
temple de Nanna à Ur, Enmenana fille de Naram-Sin dans le même temple, et sa sœur Tuta-napshum,
grande prêtresse d'Enlil à Nippur. L'élite de la puissante armée akkadienne est encadrée par les proches
du roi (en premier lieu les généraux) et constitue une sorte de garde royale.
La question de savoir dans quelle mesure on peut qualifier l'État d'Akkad de « premier empire » reste
donc débattue : il est moins novateur qu'on ne l'a longtemps pensé, et est une construction peu durable
dont les structures ont été garantes d'une stabilité limitée. Si par bien des traits il a de fait les attributs
traditionnellement attribués à un empire par les historiens, archéologues et anthropologues, il en
manque cependant certains : en particulier, l'influence de la culture matérielle du centre sur les
territoires conquis et voisins semble limitée alors que les empires ont généralement un rayonnement
fort, tandis que son autorité n'a jamais été fermement établie et durablement assurée, même dans les
régions centrales. La véritable révolution est plutôt à chercher dans l'apparition d'un « impérialisme ».