L’Encéphale, 2006 ;
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988-94, cahier 1 D’une approche nosographique catégorielle à une approche dimensionnelle des troubles mentaux
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fille effrayée. De façon similaire, B.I. Fagot (12) a étudié
comment 100 étudiants (jeunes adultes sans enfants) se
représentaient de manière différenciée selon le sexe, les
jeux des enfants de 2 ans. Les résultats de cette étude,
tout comme ceux de P. Tap (29), mettent en évidence que,
selon eux, les garçons préfèrent jouer avec des voitures,
des pistolets, et se comporter de façon « agressive »,
alors que les filles préfèrent jouer à la poupée, au poupon
et à la dînette. Ces représentations différenciées sont
retrouvées non seulement au niveau des jouets, mais
aussi pour d’autres caractéristiques de l’environnement
physique des enfants, comme l’aménagement de leur
chambre ou encore leurs vêtements (25, 26, 27).
De telles représentations différenciées vont induire
chez les parents des comportements différenciés, notam-
ment au niveau de la communication ainsi que des inte-
ractions sociales, en fonction du sexe de leur enfant. Ainsi,
M. Lewis (18) observe que les adultes regardent et parlent
d’avantage aux filles à la naissance. Puis, après l’âge de
3 mois, les filles bénéficient plus de contacts cutanés que
les garçons (21). L’ensemble des études sur ce sujet, mal-
gré quelques résultats contradictoires, montre que les
parents sollicitent et stimulent plus les interactions socia-
les (incluant le sourire social) et les vocalisations puis par
la suite le langage verbal, chez les filles que chez les gar-
çons dès les trois premières années de vie (14, 16, 22,
24). Il apparaît aussi que les parents répondent d’avan-
tage à 13-14 mois aux tentatives d’interaction des filles
(11). Ces études mettent bien en évidence chez les
parents une représentation très différenciée des rôles
sexués, et également des attentes et attitudes différen-
ciées. Les conduites différenciées en fonction du sexe de
l’enfant seraient plus marquées chez les pères ainsi que
vers l’âge de 18 mois, selon les études de C. Zaouche-
Gaudron (35), et les revues de la question de M. Siegal
(28) ou de H. Lytton et D.M. Romney (19). Cependant, on
peut se demander s’il n’existerait pas aussi des compor-
tements différents des garçons et des filles dès le plus
jeune âge, et qui conduiraient les parents à adopter des
attitudes différentes à l’égard de l’un ou l’autre sexe.
Maintenant, comment fait-on le lien entre ces attitudes
différenciées et la prévalence par exemple du syndrome
autistique chez les garçons ?
On peut faire l’hypothèse qu’il existerait de la part de
l’entourage socio-familial des attitudes et des sollicitations
différenciées en fonction du sexe de l’enfant, plus parti-
culièrement au cours de la 2
e
année de vie (surtout vers
18 mois), et qui conduiraient les filles et les garçons à
développer des compétences plus spécifiques. La période
de vie se situant vers 18 mois est une période particuliè-
rement intéressante par rapport au syndrome autistique
puisque c’est à partir de 18 mois que l’on peut observer,
selon les travaux de S. Baron-Cohen
et al.
(3), les signes
les plus précoces prédictifs du risque d’autisme, à savoir
l’absence d’attention conjointe, de jeux de faire-semblant
(ces jeux reflètent les capacités d’abstraction, de symbo-
lisation et de représentation mentale), et de pointage
proto-déclaratif (il apparaît normalement entre 9 et
14 mois et l’enfant l’utilise pour attirer l’attention d’un tiers
sur des situations, personnes ou objets à distance en les
montrant du doigt). On peut penser que les filles étant plus
sollicitées que les garçons dans les domaines des inter-
actions sociales et de la communication incluant l’expres-
sion émotionnelle, et ceci à une période sensible si ce n’est
critique du développement de ces domaines, on observe-
rait alors chez elles moins de troubles autistiques au
niveau des interactions sociales réciproques et de la com-
munication verbale ou non verbale. Rappelons que les
interactions sociales et la communication constituent deux
des trois principaux domaines des troubles autistiques.
Nous avons vu précédemment que les adultes intera-
gissent plus au niveau du regard avec les filles qu’avec
les garçons à la naissance. Or, la rencontre des regards
semble jouer un rôle primordial dans le développement
des interactions précoces mère-enfant. La réciprocité
dans le premier regard inaugure la réciprocité dans le
développement de la relation. Et s’il nous faut souligner
l’importance du regard maternel pour le bébé, le regard
du bébé pour la mère n’en est pas moins essentiel.
Importance du regard maternel pour le bébé
E. Bick (5)
a repris, concernant le regard, la notion de
holding winicottien (34)
dans ses observations cliniques
des interactions mère-bébé. Le regard apparaît comme
un organisateur, un unificateur de la cohésion corporelle,
cohésion interne du Moi-sensation. Le regard de la mère
ferait « tenir » l’enfant et permettrait de lutter contre les
angoisses de chute qui existent chez les nourrissons nor-
maux. Quand des stimuli environnementaux inquiètent le
bébé, il cherche alors des yeux sa mère, et le regard mater-
nel va le rassurer en donnant un sens à ces perceptions
anxiogènes. On peut penser qu’un regard particulier de
la mère (regard stupéfait, vide, déprimé) se portant sur
l’enfant à une certaine période critique développementale
pourrait entraîner un « gel » du développement sensoriel
et affectif du bébé. Ce regard particulier est loin d’être suf-
fisant pour entraîner des troubles autistiques. Les bébés
de mère déprimée ne deviennent bien évidemment pas
tous autistes. Mais ce regard maternel pourrait constituer
un des facteurs de risque retrouvé très précocement dans
les troubles autistiques. Le mythe de Méduse apporte un
éclairage intéressant à cette hypothèse. À la lumière de
ce mythe, E. About, dans son livre
Rencontres avec
Méduse
, propose d’analyser l’effet de saisissement que
peut produire sur le nouveau-né la rencontre avec le
visage d’une mère non préparée psychologiquement à
l’accueillir. Selon elle, il existerait un réel danger dans le
croisement des premiers regards, la rencontre des
regards pouvant être une rencontre menaçante avec ris-
que d’être pétrifié, vidé, anéanti. Une telle rencontre pour-
rait induire des troubles du développement de l’enfant (1).
Importance du regard du bébé pour la mère
Inversement, le regard absent ou fuyant du bébé peut
laisser certaines mères face à un vide narcissique difficile
à combler, qui les déprime et entrave l’investissement