Communiquer
Revue de communication sociale et publique
11 | 2014
Éthique et relations publiques : pratiques, tensions et
perspectives
Ethics problems and theories in public relations
Introduction
Questions et théories en éthique des relations publiques
James E. Grunig
Electronic version
URL: http://communiquer.revues.org/559
DOI: 10.4000/communiquer.559
ISSN: 2368-9587
Publisher
Département de communication sociale et
publique - UQAM
Printed version
Date of publication: 1 février 2014
Number of pages: 1-14
Electronic reference
James E. Grunig, « Ethics problems and theories in public relations », Communiquer [Online], 11 | 2014,
Online since 21 April 2015, connection on 30 September 2016. URL : http://
communiquer.revues.org/559 ; DOI : 10.4000/communiquer.559
The text is a facsimile of the print edition.
© Communiquer
Certains droits réservés © James E. Grunig (2014)
Sous licence Creative Commons (by-nc-nd).
ISSN 1913-5297
1
www.ricsp.uqam.ca
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Revue internationale
Communication sociale et publique
Introduction
Questions et théories en éthique des relations
publiques
James E. Grunig
Professeur émérite, Département de communication, Université du Maryland, États-Unis
Résumé
Les professionnels des relations publiques doivent faire face à des problèmes de nature
éthique, d’abord en tant qu’individus (lorsqu’ils prennent des décisions reliées à leur vie
professionnelle), mais aussi dans le cadre de leurs fonctions de conseillers en matière
d’éthique pour les organisations (lorsqu’ils aident ces dernières à agir de façon éthique,
responsable et durable). La présente introduction dénit les responsabilités éthiques
et sociales des professionnels des relations publiques et discute des possibilités et des
obstacles qu’ils rencontrent dans le cadre de leurs fonctions de conseillers en matière
d’éthique. Nous aborderons sept thèmes de recherche en relations publiques : les décisions
éthiques personnelles; les relations avec les clients et les autres praticiens; la loyauté envers
les organisations, le public et la société; le choix d’un client ou d’une organisation; les rôles
de défenseur et de conseiller; la condentialité et la transparence; et nalement les médias
numériques. Nous terminerons avec une discussion sur la nécessité des théories en éthique
des relations publiques et nous en décrirons quelques-unes des plus prometteuses.
Mots-clés : relations publiques; théorie éthique; responsabilité sociale; durabilité;
gestion stratégique; dialogue; condentialité; défenseur; conseiller; communication
symétrique ou asymétrique
Public relations professionals encounter ethical problems as individuals who make
decisions about their professional lives. They also serve as ethical counselors to
organizations, a role in which they help organizations behave in ethical, responsible, and
sustainable ways. This introduction denes ethics and social responsibility and discusses
the possibilities and obstacles that public relations professionals face in the role of ethical
counselor. Seven research problems in public relations are discussed: personal ethical
decisions; relationships with clients and other practitioners; loyalty to organizations,
publics, and society; choice of a client or organization, advocate and counselor roles,
secrecy and openness, and digital media. The introduction ends with a discussion of the
need for ethical theories of public relations and describes several promising theories.
Keywords: Public relations, ethical theory, social responsibility, sustainability,
strategic management, dialogue, secrecy, advocate, counselor, symmetrical and
asymmetrical communication..
La plupart des gens croient que les relations publiques sont fondamentalement contraires
à l’éthique et ils n’ont pas tout à fait tort, car une grande partie des pratiques observées en
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relations publiques le sont. Toutefois, aux yeux des théoriciens, les relations publiques sont
intrinsèquement reliées à l’éthique, à la responsabilité sociale et à la durabilité.
Edward L. Bernays, sans doute le tout premier théoricien des relations publiques, a
expliqué aux éducateurs membres de l’AEJMC (Association for Education in Journalism and
Mass Communication) qui s’étaient réunis en 1980 que les « relations publiques constituent
la pratique de la responsabilité sociale; elles sont la clé pour l’avenir des États-Unis1 ». En
plus de Bernays, qui associe relations publiques et responsabilité sociale, John F. Budd (un
professionnel des relations publiques très respecté à la n du XXe siècle) soutient que les
professionnels peuvent remplir les fonctions de conseillers en matière d’éthique auprès des
dirigeants d’entreprise. Ces derniers recevraient ainsi les recommandations spécialisées
qu’Earl Warren (ancien juge de la Cour suprême des États-Unis) estime nécessaires à la
prise de décision éthique. Dans Streetwise Public Relations (1992), Budd explique : « Au
sens où nous travaillons régulièrement avec des éléments intangibles comme la conance et
la réputation (des valeurs abstraites que les dirigeants d’entreprise, axés sur les chiffres, ont
du mal à évaluer), nous exauçons le vœu de Warren » (p. 87).
Ryan et Martinson (1983) ont peut-être été les premiers universitaires à appuyer l’idée
selon laquelle les praticiens des relations publiques doivent jouer le rôle de conscience
éthique pour leurs organisations. Ryan (1986) a poussé plus loin en enquêtant auprès des
praticiens an de vérier s’ils étaient d’accord; presque toutes les personnes interrogées
croyaient effectivement que les praticiens des relations publiques doivent faire ofce de
conscience d’entreprise, qu’ils doivent participer activement à la dénition du rôle social
de l’entreprise, et que ces dernières doivent tenter d’évaluer l’incidence que leurs décisions
majeures auront sur la société avant d’agir. L’Etang (2003) et Bowen (2008) ont sondé
les professionnels des relations publiques plus récemment et elles ont découvert que, non
seulement croient-ils que le rôle de conscience d’entreprise est une partie intégrante de leur
identité professionnelle, mais qu’en plus ils s’acquittent de cette responsabilité. Cependant,
les résultats des enquêtes indiquent également que les praticiens ayant reçu la formation
appropriée ou disposant des outils théoriques nécessaires sont peu nombreux.
La GAPRCM (Global Alliance for Public Relations and Communication Management) a
publié une déclaration concernant la nature de la profession intitulée Accords de Stockholm
en 2010, suivie du Mandat de Melbourne en 2012. Dans sa première déclaration, l’alliance
afrmait que les relations publiques devaient : « fournir, en temps opportun, des analyses
et des recommandations qui permettront une gouvernance efcace des relations avec
les intervenants, en misant sur la transparence, les comportements dignes de foi et une
représentation authentique et contrôlable, de manière à maintenir le “permis d’exploitation”
de l’organisation » (p. 5). Dans leur deuxième déclaration, les membres de la GAPRCM
afrmaient que : « les professionnels des relations publiques et des communications ont
pour mandat de dénir le caractère et les valeurs d’une organisation » et « d’inculquer des
comportements responsables aux personnes et aux organisations » (p. 1).
Les théoriciens de la gestion ont également suggéré que ces « responsables de l’éthique »
étaient nécessaires, mais ils sont peu nombreux à avoir compris que les professionnels
des relations publiques pouvaient remplir ce rôle. Par exemple, dans leur essai intitulé
Corporate Strategy and the Search for Ethics (1988), Freeman et Gilbert soulignent deux
« découvertes » des théoriciens de la gestion : 1) les organisations sont composées d’humains
porteurs de valeurs, et ces valeurs aident à expliquer comment les gestionnaires prennent
leurs décisions stratégiques; 2) les choix stratégiques des organisations sont inuencés
par des tierces parties (les intervenants) comme les clients, les fournisseurs, la collectivité,
1. Toutes les citations sont traduites de l’anglais.
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les gouvernements, les propriétaires et les employés. Freeman et Gilbert poursuivent en
énonçant deux principes relatifs aux stratégies d’entreprise : elles doivent être fondées sur
une bonne compréhension des valeurs auxquelles adhèrent les membres de l’organisation
et les intervenants; et elles doivent être fondées sur une bonne compréhension des aspects
éthiques du choix stratégique.
Pour que les professionnels des relations publiques soient en mesure d’agir à titre de
conseillers en matière d’éthique, il faut que nous examinions les responsabilités éthiques
et sociales reliées à la profession dans son état actuel et que nous incorporions les notions
de responsabilité éthique et sociale à nos théories portant sur la façon dont la profession
devrait être exercée. Par conséquent, en étudiant l’éthique des relations publiques, il est
important d’établir la distinction entre les théories normatives (théories portant sur la
façon dont la profession devrait être pratiquée) et les théories positivistes (théories portant
sur la façon dont la profession est pratiquée). Les théoriciens et les chercheurs en éthique
ont divisé leur domaine en deux branches similaires, appelées « éthique normative » et
« éthique appliquée » (voir entre autres Velasquez, 1991).
La branche appliquée étudie le comportement éthique de groupes de personnes,
comme les praticiens des relations publiques. De nombreuses études sur l’éthique
appliquée se sont d’ailleurs penchées sur le comportement éthique de ces professionnels,
et certains théoriciens ont mis au point des théories normatives concernant l’éthique et la
responsabilité sociale en relations publiques. Les théories normatives sont particulièrement
importantes si les praticiens des relations publiques sont les gestionnaires responsables
d’introduire les valeurs morales et la responsabilité sociale dans le processus de prise
de décision organisationnelle. Les études appliquées nous indiquent quant à elles si les
praticiens remplissent efcacement leur rôle normatif au sein des organisations et si leur
comportement professionnel respecte les lignes directrices en matière d’éthique.
Dénitions:éthiqueetresponsabilitésociale
Avant d’aborder les problèmes reliés à l’éthique et à la responsabilité sociale en relations
publiques, il faut dénir ces deux termes fondamentaux. Éthique est le plus vaste des deux
termes, étant donné que les questions de responsabilité sociale sont des questions éthiques;
par contre, dans le domaine des relations publiques, toutes les questions éthiques ne sont
pas reliées à la responsabilité sociale. Le terme éthique est souvent utilisé de manière
interchangeable avec morale et valeurs, car les questions éthiques cherchent souvent à
déterminer si une action est moralement acceptable ou quelle valeur il faut privilégier.
Bien que les philosophes admettent que ces trois termes sont généralement synonymes,
ils ajoutent que leurs dénitions précises comportent certaines différences (Velasquez,
1991, p. 412). Nous étudions l’éthique an de xer des règles et de dénir des principes
qui pourront servir à la résolution des problèmes mettant en jeu la morale et les valeurs.
De manière générale, la morale fait référence aux « croyances traditionnelles des sociétés
qui ont évolué au l des ans (voire des siècles) et qui concernent la bonne et la mauvaise
conduite » (Buchholz, 1989, p. 52). Enn, les valeurs portent sur les choses et les idées
auxquelles il faut accorder de l’importance ou, comme l’explique Velasquez (1991) : « en
choisissant nos propres valeurs, nous philosophons » (p. 408). Nous étudions donc l’éthique
an de déterminer comment porter des jugements moraux ou de valeur.
Toutes les décisions des praticiens des relations publiques ne sont pas liées à des
questions éthiques. Buchholz (1989) explique que seules : « les questions de justice et de
droits reliées à des considérations sérieuses et pertinentes sur le plan moral » relèvent de
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l’éthique (p. 53). Les décisions que doivent prendre les professionnels des relations publiques
sont plus susceptibles d’être d’ordre éthique lorsque ceux-ci agissent à titre de conscience
morale pour leurs organisations et, de manière générale, ce type de décision est relié aux
questions de responsabilité sociale. Les théoriciens de la gestion ont longuement discuté de
la signication à attribuer au terme « responsabilité sociale », et Bartol et Martin (1991) ont
réussi à en saisir l’essentiel : « la responsabilité sociale d’une organisation désigne le devoir
qu’elle a de privilégier les actions qui protègent et améliorent le bien-être des membres de
la société tout en servant ses propres intérêts » (p. 115).
La plupart des discussions concernant le concept de responsabilité sociale font
référence à la responsabilité sociale d’entreprise (un aspect qui a été étudié à fond) et
posent la question suivante : les entreprises ont-elles des responsabilités à remplir à l’égard
de la société, ou est-ce que leur rôle se limite à la quête de prots pour les propriétaires?
Cependant, comme le suggère la dénition de Bartol et Martin, le concept de responsabilité
sociale touche tous les types d’organisation de la même façon. Les théoriciens établissent
par ailleurs une différence entre les responsabilités que l’organisation a envers la société
(responsabilité sociale) et les responsabilités que l’organisation a envers ses intervenants
(responsabilité publique); ils considèrent également qu’il existe une distinction similaire
entre la responsabilité sociale (l’obligation de contribuer à l’amélioration de l’ensemble de
la société) et la réactivité sociale (la nécessité de répondre aux besoins des intervenants
touchés par les actions de l’organisation).
Ces dernières années, les professionnels des relations publiques ont commencé à
remplacer le terme responsabilité par durabilité pour désigner la relation entre les
organisations et les intervenants de leur environnement (voir notamment les Accords de
Stockholm, 2010 et Muzi Falconi, 2014). La durabilité est la capacité d’une organisation à
préserver son environnement naturel et social; il s’agit d’un terme générique qui recouvre
les concepts de responsabilité sociale d’entreprise, de présence sociale de l’entreprise, de
performance sociale, d’imputabilité sociale (triple bilan), de gouvernance d’entreprise et
des communications sur la durabilité de l’entreprise (Signitzer et Prexl, 2008).
L’ensemble de ces concepts reliés est manifestement du ressort des relations publiques :
la fonction de ses praticiens est de faire en sorte que les décisions de la direction tiennent
compte des préoccupations de tous les intervenants, et pas uniquement des intérêts des
propriétaires. Par conséquent, les notions de responsabilité et de durabilité sont essentielles
à la gestion stratégique que pratiquent les professionnels des relations publiques (J. Grunig,
2006), qui se trouvent donc aux prises avec des problèmes éthiques. Nous discuterons des
problèmes les plus courants dans la prochaine section.
Thèmes de recherche en éthique des relations publiques
Au l des ans, l’éthique et la responsabilité sociale des relations publiques ont alimenté
une grande quantité de discussions dans la littérature. La plupart des textes ont été rédigés
par des professionnels, qui abordaient les questions éthiques sans recourir aux théories ni
aux principes relatifs à l’éthique. Toutefois, an de mettre au point des principes éthiques,
les théoriciens en relations publiques doivent étendre leur analyse au-delà des exemples et
des situations où les dilemmes et les problèmes éthiques se sont présentés. La littérature
comprend plusieurs questions éthiques relatives aux relations publiques qui sont à la fois
centrales et récurrentes; je les ai distribuées en différentes catégories, que je présenterai dans
cette section. Ma série de catégories n’est assurément pas exhaustive, et les questions reliées
ne sont pas toujours mutuellement exclusives. Néanmoins, cette présentation taxonomique
aide à déterminer quels principes et quelles théories en éthique des relations publiques
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