Communiquer Revue de communication sociale et publique 11 | 2014 Éthique et relations publiques : pratiques, tensions et perspectives Ethics problems and theories in public relations Introduction Questions et théories en éthique des relations publiques James E. Grunig Publisher Département de communication sociale et publique - UQAM Electronic version URL: http://communiquer.revues.org/559 DOI: 10.4000/communiquer.559 ISSN: 2368-9587 Printed version Date of publication: 1 février 2014 Number of pages: 1-14 Electronic reference James E. Grunig, « Ethics problems and theories in public relations », Communiquer [Online], 11 | 2014, Online since 21 April 2015, connection on 30 September 2016. URL : http:// communiquer.revues.org/559 ; DOI : 10.4000/communiquer.559 The text is a facsimile of the print edition. © Communiquer Ri C S P Revue internationale Communication sociale et publique www.ricsp.uqam.ca Introduction Questions et théories en éthique des relations publiques James E. Grunig Professeur émérite, Département de communication, Université du Maryland, États-Unis Résumé Les professionnels des relations publiques doivent faire face à des problèmes de nature éthique, d’abord en tant qu’individus (lorsqu’ils prennent des décisions reliées à leur vie professionnelle), mais aussi dans le cadre de leurs fonctions de conseillers en matière d’éthique pour les organisations (lorsqu’ils aident ces dernières à agir de façon éthique, responsable et durable). La présente introduction définit les responsabilités éthiques et sociales des professionnels des relations publiques et discute des possibilités et des obstacles qu’ils rencontrent dans le cadre de leurs fonctions de conseillers en matière d’éthique. Nous aborderons sept thèmes de recherche en relations publiques : les décisions éthiques personnelles; les relations avec les clients et les autres praticiens; la loyauté envers les organisations, le public et la société; le choix d’un client ou d’une organisation; les rôles de défenseur et de conseiller; la confidentialité et la transparence; et finalement les médias numériques. Nous terminerons avec une discussion sur la nécessité des théories en éthique des relations publiques et nous en décrirons quelques-unes des plus prometteuses. Mots-clés : relations publiques; théorie éthique; responsabilité sociale; durabilité; gestion stratégique; dialogue; confidentialité; défenseur; conseiller; communication symétrique ou asymétrique Public relations professionals encounter ethical problems as individuals who make decisions about their professional lives. They also serve as ethical counselors to organizations, a role in which they help organizations behave in ethical, responsible, and sustainable ways. This introduction defines ethics and social responsibility and discusses the possibilities and obstacles that public relations professionals face in the role of ethical counselor. Seven research problems in public relations are discussed: personal ethical decisions; relationships with clients and other practitioners; loyalty to organizations, publics, and society; choice of a client or organization, advocate and counselor roles, secrecy and openness, and digital media. The introduction ends with a discussion of the need for ethical theories of public relations and describes several promising theories. Keywords: Public relations, ethical theory, social responsibility, sustainability, strategic management, dialogue, secrecy, advocate, counselor, symmetrical and asymmetrical communication.. La plupart des gens croient que les relations publiques sont fondamentalement contraires à l’éthique et ils n’ont pas tout à fait tort, car une grande partie des pratiques observées en Certains droits réservés © James E. Grunig (2014) Sous licence Creative Commons (by-nc-nd). ISSN 1913-5297 1 2 | J. E. Grunig RICSP, 2014, n. 11, p. 1-14 relations publiques le sont. Toutefois, aux yeux des théoriciens, les relations publiques sont intrinsèquement reliées à l’éthique, à la responsabilité sociale et à la durabilité. Edward L. Bernays, sans doute le tout premier théoricien des relations publiques, a expliqué aux éducateurs membres de l’AEJMC (Association for Education in Journalism and Mass Communication) qui s’étaient réunis en 1980 que les « relations publiques constituent la pratique de la responsabilité sociale; elles sont la clé pour l’avenir des États-Unis1 ». En plus de Bernays, qui associe relations publiques et responsabilité sociale, John F. Budd (un professionnel des relations publiques très respecté à la fin du XXe siècle) soutient que les professionnels peuvent remplir les fonctions de conseillers en matière d’éthique auprès des dirigeants d’entreprise. Ces derniers recevraient ainsi les recommandations spécialisées qu’Earl Warren (ancien juge de la Cour suprême des États-Unis) estime nécessaires à la prise de décision éthique. Dans Streetwise Public Relations (1992), Budd explique : « Au sens où nous travaillons régulièrement avec des éléments intangibles comme la confiance et la réputation (des valeurs abstraites que les dirigeants d’entreprise, axés sur les chiffres, ont du mal à évaluer), nous exauçons le vœu de Warren » (p. 87). Ryan et Martinson (1983) ont peut-être été les premiers universitaires à appuyer l’idée selon laquelle les praticiens des relations publiques doivent jouer le rôle de conscience éthique pour leurs organisations. Ryan (1986) a poussé plus loin en enquêtant auprès des praticiens afin de vérifier s’ils étaient d’accord; presque toutes les personnes interrogées croyaient effectivement que les praticiens des relations publiques doivent faire office de conscience d’entreprise, qu’ils doivent participer activement à la définition du rôle social de l’entreprise, et que ces dernières doivent tenter d’évaluer l’incidence que leurs décisions majeures auront sur la société avant d’agir. L’Etang (2003) et Bowen (2008) ont sondé les professionnels des relations publiques plus récemment et elles ont découvert que, non seulement croient-ils que le rôle de conscience d’entreprise est une partie intégrante de leur identité professionnelle, mais qu’en plus ils s’acquittent de cette responsabilité. Cependant, les résultats des enquêtes indiquent également que les praticiens ayant reçu la formation appropriée ou disposant des outils théoriques nécessaires sont peu nombreux. La GAPRCM (Global Alliance for Public Relations and Communication Management) a publié une déclaration concernant la nature de la profession intitulée Accords de Stockholm en 2010, suivie du Mandat de Melbourne en 2012. Dans sa première déclaration, l’alliance affirmait que les relations publiques devaient : « fournir, en temps opportun, des analyses et des recommandations qui permettront une gouvernance efficace des relations avec les intervenants, en misant sur la transparence, les comportements dignes de foi et une représentation authentique et contrôlable, de manière à maintenir le “permis d’exploitation” de l’organisation » (p. 5). Dans leur deuxième déclaration, les membres de la GAPRCM affirmaient que : « les professionnels des relations publiques et des communications ont pour mandat de définir le caractère et les valeurs d’une organisation » et « d’inculquer des comportements responsables aux personnes et aux organisations » (p. 1). Les théoriciens de la gestion ont également suggéré que ces « responsables de l’éthique » étaient nécessaires, mais ils sont peu nombreux à avoir compris que les professionnels des relations publiques pouvaient remplir ce rôle. Par exemple, dans leur essai intitulé Corporate Strategy and the Search for Ethics (1988), Freeman et Gilbert soulignent deux « découvertes » des théoriciens de la gestion : 1) les organisations sont composées d’humains porteurs de valeurs, et ces valeurs aident à expliquer comment les gestionnaires prennent leurs décisions stratégiques; 2) les choix stratégiques des organisations sont influencés par des tierces parties (les intervenants) comme les clients, les fournisseurs, la collectivité, 1. Toutes les citations sont traduites de l’anglais. Introduction : Questions et théories en éthique des relations publiques | 3 les gouvernements, les propriétaires et les employés. Freeman et Gilbert poursuivent en énonçant deux principes relatifs aux stratégies d’entreprise : elles doivent être fondées sur une bonne compréhension des valeurs auxquelles adhèrent les membres de l’organisation et les intervenants; et elles doivent être fondées sur une bonne compréhension des aspects éthiques du choix stratégique. Pour que les professionnels des relations publiques soient en mesure d’agir à titre de conseillers en matière d’éthique, il faut que nous examinions les responsabilités éthiques et sociales reliées à la profession dans son état actuel et que nous incorporions les notions de responsabilité éthique et sociale à nos théories portant sur la façon dont la profession devrait être exercée. Par conséquent, en étudiant l’éthique des relations publiques, il est important d’établir la distinction entre les théories normatives (théories portant sur la façon dont la profession devrait être pratiquée) et les théories positivistes (théories portant sur la façon dont la profession est pratiquée). Les théoriciens et les chercheurs en éthique ont divisé leur domaine en deux branches similaires, appelées « éthique normative » et « éthique appliquée » (voir entre autres Velasquez, 1991). La branche appliquée étudie le comportement éthique de groupes de personnes, comme les praticiens des relations publiques. De nombreuses études sur l’éthique appliquée se sont d’ailleurs penchées sur le comportement éthique de ces professionnels, et certains théoriciens ont mis au point des théories normatives concernant l’éthique et la responsabilité sociale en relations publiques. Les théories normatives sont particulièrement importantes si les praticiens des relations publiques sont les gestionnaires responsables d’introduire les valeurs morales et la responsabilité sociale dans le processus de prise de décision organisationnelle. Les études appliquées nous indiquent quant à elles si les praticiens remplissent efficacement leur rôle normatif au sein des organisations et si leur comportement professionnel respecte les lignes directrices en matière d’éthique. Définitions : éthique et responsabilité sociale Avant d’aborder les problèmes reliés à l’éthique et à la responsabilité sociale en relations publiques, il faut définir ces deux termes fondamentaux. Éthique est le plus vaste des deux termes, étant donné que les questions de responsabilité sociale sont des questions éthiques; par contre, dans le domaine des relations publiques, toutes les questions éthiques ne sont pas reliées à la responsabilité sociale. Le terme éthique est souvent utilisé de manière interchangeable avec morale et valeurs, car les questions éthiques cherchent souvent à déterminer si une action est moralement acceptable ou quelle valeur il faut privilégier. Bien que les philosophes admettent que ces trois termes sont généralement synonymes, ils ajoutent que leurs définitions précises comportent certaines différences (Velasquez, 1991, p. 412). Nous étudions l’éthique afin de fixer des règles et de définir des principes qui pourront servir à la résolution des problèmes mettant en jeu la morale et les valeurs. De manière générale, la morale fait référence aux « croyances traditionnelles des sociétés qui ont évolué au fil des ans (voire des siècles) et qui concernent la bonne et la mauvaise conduite » (Buchholz, 1989, p. 52). Enfin, les valeurs portent sur les choses et les idées auxquelles il faut accorder de l’importance ou, comme l’explique Velasquez (1991) : « en choisissant nos propres valeurs, nous philosophons » (p. 408). Nous étudions donc l’éthique afin de déterminer comment porter des jugements moraux ou de valeur. Toutes les décisions des praticiens des relations publiques ne sont pas liées à des questions éthiques. Buchholz (1989) explique que seules : « les questions de justice et de droits reliées à des considérations sérieuses et pertinentes sur le plan moral » relèvent de 4 | J. E. Grunig RICSP, 2014, n. 11, p. 1-14 l’éthique (p. 53). Les décisions que doivent prendre les professionnels des relations publiques sont plus susceptibles d’être d’ordre éthique lorsque ceux-ci agissent à titre de conscience morale pour leurs organisations et, de manière générale, ce type de décision est relié aux questions de responsabilité sociale. Les théoriciens de la gestion ont longuement discuté de la signification à attribuer au terme « responsabilité sociale », et Bartol et Martin (1991) ont réussi à en saisir l’essentiel : « la responsabilité sociale d’une organisation désigne le devoir qu’elle a de privilégier les actions qui protègent et améliorent le bien-être des membres de la société tout en servant ses propres intérêts » (p. 115). La plupart des discussions concernant le concept de responsabilité sociale font référence à la responsabilité sociale d’entreprise (un aspect qui a été étudié à fond) et posent la question suivante : les entreprises ont-elles des responsabilités à remplir à l’égard de la société, ou est-ce que leur rôle se limite à la quête de profits pour les propriétaires? Cependant, comme le suggère la définition de Bartol et Martin, le concept de responsabilité sociale touche tous les types d’organisation de la même façon. Les théoriciens établissent par ailleurs une différence entre les responsabilités que l’organisation a envers la société (responsabilité sociale) et les responsabilités que l’organisation a envers ses intervenants (responsabilité publique); ils considèrent également qu’il existe une distinction similaire entre la responsabilité sociale (l’obligation de contribuer à l’amélioration de l’ensemble de la société) et la réactivité sociale (la nécessité de répondre aux besoins des intervenants touchés par les actions de l’organisation). Ces dernières années, les professionnels des relations publiques ont commencé à remplacer le terme responsabilité par durabilité pour désigner la relation entre les organisations et les intervenants de leur environnement (voir notamment les Accords de Stockholm, 2010 et Muzi Falconi, 2014). La durabilité est la capacité d’une organisation à préserver son environnement naturel et social; il s’agit d’un terme générique qui recouvre les concepts de responsabilité sociale d’entreprise, de présence sociale de l’entreprise, de performance sociale, d’imputabilité sociale (triple bilan), de gouvernance d’entreprise et des communications sur la durabilité de l’entreprise (Signitzer et Prexl, 2008). L’ensemble de ces concepts reliés est manifestement du ressort des relations publiques : la fonction de ses praticiens est de faire en sorte que les décisions de la direction tiennent compte des préoccupations de tous les intervenants, et pas uniquement des intérêts des propriétaires. Par conséquent, les notions de responsabilité et de durabilité sont essentielles à la gestion stratégique que pratiquent les professionnels des relations publiques (J. Grunig, 2006), qui se trouvent donc aux prises avec des problèmes éthiques. Nous discuterons des problèmes les plus courants dans la prochaine section. Thèmes de recherche en éthique des relations publiques Au fil des ans, l’éthique et la responsabilité sociale des relations publiques ont alimenté une grande quantité de discussions dans la littérature. La plupart des textes ont été rédigés par des professionnels, qui abordaient les questions éthiques sans recourir aux théories ni aux principes relatifs à l’éthique. Toutefois, afin de mettre au point des principes éthiques, les théoriciens en relations publiques doivent étendre leur analyse au-delà des exemples et des situations où les dilemmes et les problèmes éthiques se sont présentés. La littérature comprend plusieurs questions éthiques relatives aux relations publiques qui sont à la fois centrales et récurrentes; je les ai distribuées en différentes catégories, que je présenterai dans cette section. Ma série de catégories n’est assurément pas exhaustive, et les questions reliées ne sont pas toujours mutuellement exclusives. Néanmoins, cette présentation taxonomique aide à déterminer quels principes et quelles théories en éthique des relations publiques Introduction : Questions et théories en éthique des relations publiques | 5 pourront être utilisés pour résoudre chaque question. Les deux premiers problèmes abordés sont des problèmes éthiques d’ordre personnel, mais les suivants sont des problèmes propres à la profession et sont orientés sur le rôle éthique que les professionnels jouent au sein des organisations (plutôt que sur les décisions prises par un individu). Décisions éthiques personnelles Les praticiens des relations publiques doivent prendre de nombreuses décisions éthiques d’ordre personnel dans le cadre de leur travail. Par exemple, ils pourraient être tentés par une occasion d’effectuer une transaction d’initié, d’offrir aux journalistes des billets de spectacles ou des laissez-passer pour des événements sportifs, d’accepter des cadeaux ou encore d’offrir ou de recevoir des pots-de-vin. Ils pourraient aussi révéler des renseignements confidentiels à un concurrent, falsifier un compte de frais ou un relevé de temps, dissimuler des erreurs, mentir ou ne rendre compte que d’une partie des résultats d’une recherche. Les règles éthiques peuvent aider les praticiens à régler ces problèmes; par ailleurs, les personnes les plus éthiques fournissent généralement de meilleurs conseils éthiques à leurs organisations. Malgré toute l’attention qu’accorde la littérature à l’éthique personnelle, et même s’il s’agit d’un sujet important, ce n’est pas une question éthique de premier plan pour les relations publiques. Relations avec les clients et les autres praticiens Les praticiens œuvrant dans les firmes de relations publiques se heurtent à des problèmes éthiques lorsqu’ils essaient d’attirer de nouveaux clients et qu’ils doivent faire concurrence aux autres praticiens (ce type de problème peut tout de même survenir au sein des organisations). Ces problèmes relationnels sont abordés par tous les codes de déontologie de la profession et dominent la plupart des discussions sur l’éthique. Dans leurs relations avec les clients et les patrons, les praticiens ont tendance à exagérer l’effet de leur travail. L’imputabilité est essentielle aux bonnes relations entre les praticiens et leurs clients ou leurs employeurs. Les professionnels se doivent en effet d’honorer les engagements qu’ils prennent avec les personnes qui versent leurs honoraires. L’imputabilité peut être établie au moyen d’une étude d’évaluation, que les professionnels peuvent apprendre à réaliser grâce à une formation spécialisée. Les honoraires relèvent également de l’imputabilité. Ce problème touche particulièrement les consultants en relations publiques, car leurs clients savent rarement à quoi correspondent les honoraires raisonnables et les praticiens malhonnêtes pourraient exploiter les clients naïfs. En plus de falsifier leurs relevés de temps et de facturer les clients pour le temps qu’ils consacrent à la recherche de nouvelles occasions d’affaires, les professionnels sans scrupules qui œuvrent au sein d’une firme pourraient faire de la « vente par dérive » : le directeur (ou toute autre personne haut placée), présente l’offre de service en laissant entendre (explicitement ou implicitement) qu’il s’occupera lui-même du dossier du client, alors qu’en vérité le dossier sera assigné à des employés ayant beaucoup moins d’expérience, aussitôt le contrat signé. Des problèmes éthiques surgissent aussi dans les relations que les praticiens des relations publiques entretiennent avec les autres praticiens. Par exemple, les praticiens doivent faire concurrence à leurs confrères lorsqu’ils cherchent à recruter des clients, mais les codes de déontologie interdisent toute atteinte intentionnelle à la réputation des autres praticiens. Les codes de déontologie soulignent également qu’en agissant de manière contraire à l’éthique, les professionnels des relations publiques nuisent non seulement à leur propre réputation, mais aussi à celle de leurs confrères. Certains codes exigent d’ailleurs que les praticiens signalent à un comité d’examen les manquements à l’éthique de leurs confrères. 6 | J. E. Grunig RICSP, 2014, n. 11, p. 1-14 Pour de nombreux praticiens, les interactions au sein des organisations (que ce soit avec leurs supérieurs ou avec leurs collègues) posent des dilemmes éthiques. Finalement, les problèmes liés à la discrimination des femmes et des minorités ethniques font également partie de cette catégorie. L’éthique personnelle et les relations professionnelles dominent la plupart des discussions sur l’éthique des relations publiques. Même si elles influencent l’exercice de la profession, elles n’abordent pas les questions fondamentales concernant la façon dont les professionnels des relations publiques peuvent jouer le rôle de conscience éthique pour les organisations et ce qu’ils peuvent faire pour surmonter les préjugés que la plupart des gens entretiennent au sujet de la profession. Les prochaines catégories de problèmes éthiques portent sur ces questions essentielles. Loyauté envers qui? Tout au long de mes 50 années d’expérience comme théoricien en relations publiques, le choix entre l’approche asymétrique (orientée uniquement vers les intérêts des organisations clientes) et l’approche symétrique (orientée vers les intérêts des clients, du public, des intervenants et de la société) est sans doute la question la plus importante que j’ai étudiée (voir notamment L. Grunig, J. Grunig, et Dozier, 2002, chapitre 8). Cette question repose en grande partie sur le concept de loyauté : les professionnels ont-ils un devoir de loyauté uniquement envers les clients et les organisations qui les emploient, ou est-ce que leur loyauté doit s’étendre à des tierces parties? De nombreux praticiens et universitaires des relations publiques réprouvent carrément l’idée selon laquelle l’obligation de loyauté revient uniquement au client ou à l’employeur. Les praticiens, et même les théoriciens (voir van der Meiden, 1993), confondent souvent un souci pragmatique pour les intérêts du client ou de l’employeur avec une obéissance absolue à ses moindres demandes. Cette obéissance absolue leur fournit d’ailleurs un échappatoire : les problèmes éthiques ne sont pas les leurs, mais bien ceux de leur patron. La plupart des codes de déontologie en relations publiques précisent toutefois que les professionnels ont un devoir de loyauté non seulement à l’égard de leurs clients, mais également à l’égard du public, des médias, de l’ensemble du corps professionnel et d’eux-mêmes. Parsons (1993) avance également que les praticiens ont des obligations envers eux-mêmes, envers la profession et envers la société en plus de l’organisation qui les emploie. Le thème de la loyauté partagée est donc au cœur des questions éthiques relatives à la pratique des relations publiques. Deux concepts, soit les rôles sociaux et les valeurs des relations publiques, peuvent aider à résoudre ces problèmes. Face à des conflits de loyauté, les praticiens des relations publiques reviennent souvent à leurs croyances élémentaires au sujet du monde qui les entoure (leur vision du monde) afin de departager le bien du mal. Selon la prémisse du théoricien britannique Jon White (présentée dans J. Grunig et White, 1992, par exemple), la plupart des praticiens conçoivent leur rôle dans la société selon l’une de ces quatre perspectives : pragmatique, conservatrice, radicale ou idéaliste. Les praticiens ayant une perspective pragmatique ont tendance à n’accorder que peu d’importance aux responsabilités sociales ou aux questions éthiques que rencontrent leurs organisations clientes; ils croient en effet que tous les clients méritent d’être représentés au sein du « libre marché des idées ». Autrement dit, selon leur raisonnement, il faut représenter le point de vue et les intérêts du client afin de l’aider à atteindre ses objectifs. Les praticiens qui envisagent leur rôle social d’un point de vue pragmatique adoptent donc une approche asymétrique : ils veillent aux intérêts de leurs clients, et pas à ceux du public. Introduction : Questions et théories en éthique des relations publiques | 7 Les praticiens ayant une perspective conservatrice de leur rôle social adoptent également une approche asymétrique et défendent les intérêts et les privilèges des mieux lotis (économiquement ou politiquement). Les praticiens de cette catégorie croient qu’ils ont le devoir de protéger le système capitaliste contre les attaques des militants, des syndicats, des gouvernements et des socialistes. Les praticiens ayant une perspective radicale, quant à eux, ont tendance à représenter les intérêts d’une organisation souhaitant le changement social. Les praticiens des relations publiques peuvent contribuer aux changements sociaux en communiquant de manière asymétrique l’information qui sera utilisée dans les débats publics, en créant des liens entre les différents groupes sociaux et en rassemblant les ressources qui pourront servir à résoudre les problèmes sociaux. Dans les luttes pour l’opinion publique, il arrive souvent que les praticiens ayant une perspective conservatrice affrontent ceux qui ont une perspective radicale. Contrairement aux praticiens des autres catégories, ceux qui se placent dans la perspective idéaliste adoptent une approche symétrique dans leur pratique des relations publiques. Selon les praticiens de ce groupe, les relations publiques doivent servir à la fois les intérêts du public et ceux des organisations, contribuer à la tenue de débats informés sur les enjeux sociaux et faciliter le dialogue entre les organisations et leurs publics. Alors que les praticiens de la catégorie radicale utilisent les relations publiques de manière à orienter les changements sociaux dans la direction qu’ils privilégient, les praticiens de la catégorie idéaliste croient que la société se forme grâce au dialogue et à la résolution des conflits entre groupes opposés. Pour les praticiens des catégories conservatrice et radicale, une pratique éthique exige qu’ils s’assurent que l’état actuel des choses (perspective conservatrice) ou le changement (perspective radicale) soit moralement juste. Les praticiens de l’approche pragmatique laissent leurs clients résoudre les problèmes éthiques. Les idéalistes aident à la fois les organisations et le public, et le bien et le mal sont définis au moyen du dialogue et de la négociation. Pearson (1989) a étudié la question des valeurs en relations publiques dans sa thèse de doctorat. Dans cette thèse, il mentionne Albert J. Sullivan, un chercheur en relations publiques de l’Université de Boston, qui a « énoncé des affirmations véritablement philosophiques concernant... ce que signifie la pratique éthique des relations publiques » en 1965. En effet, selon Pearson, le travail de Sullivan « contient quelques-unes des théories les plus importantes en relations publiques; pourtant, les principaux manuels sur les relations publiques ne le citent que rarement » (p. 97). Sullivan remarque notamment la distinction entre les valeurs techniques et les valeurs partisanes. Les praticiens guidés par les valeurs techniques « recherchent des méthodes pour formuler et diffuser les messages, pour choisir l’auditoire approprié et pour évaluer l’efficacité du processus ». Ces valeurs ne sont cependant pas reliées aux problèmes éthiques, car elles sont « par définition, impersonnelles et amorales » selon Sullivan (p. 412); les problèmes éthiques surgissent lorsque les valeurs partisanes entrent en conflit avec les valeurs mutuelles. Les valeurs partisanes sont issues de la conviction qu’un individu, qu’une partie ou qu’une idée est intrinsèquement juste, et les personnes porteuses de ces valeurs sont prêtes à prendre parti pour l’objet de leur conviction, à en faire avancer la cause et à se porter à sa défense. Sullivan a relevé quatre valeurs partisanes : l’engagement, la confiance, la loyauté et l’obéissance. Il a ajouté que « les relations publiques ont particulièrement souffert d’un excès de valeurs partisanes; leur réputation a été entachée... par un “engagement” et une 8 | J. E. Grunig RICSP, 2014, n. 11, p. 1-14 “obéissance” exagérés. On redoute souvent leurs techniques et on se méfie de ses praticiens, simplement à cause d’une “confiance” et d’une “loyauté” qui n’étaient pas méritées » (p. 419). Selon Sullivan, il existe un niveau supérieur de valeurs, les valeurs mutuelles (ou droits de la personne), qui appartiennent à tous les êtres humains et qui ne peuvent être niées par quiconque. Comme l’explique Sullivan : « Si une personne a un droit, l’autre a le devoir de le respecter et de le réaliser, car autrement ce droit serait effectivement violé » (p. 427). Sullivan a cerné deux droits fondamentaux qui sont particulièrement pertinents pour les relations publiques : « (1) Chaque personne a le droit d’obtenir toute l’information à propos des sujets qui la touchent. (2) Chaque personne a le droit d’intervenir dans les décisions qui la touchent » (p. 428). Dans sa conclusion, Sullivan ajoute que les valeurs techniques et les valeurs partisanes ne suffisent pas en relations publiques : « Les valeurs mutuelles propres aux relations publiques guident la profession » (p. 437). Les différences entre la perspective idéaliste et les perspectives pragmatiques, conservatrice et radicale, de même que celles qui opposent les valeurs partisanes aux valeurs mutuelles, semblent lever l’ambiguïté à propos des problèmes éthiques issus d’une loyauté exagérée du praticien à l’égard de son client ou de son employeur. Les relations publiques doivent être à la fois idéalistes et pragmatiques et se conformer aux valeurs mutuelles comme aux valeurs partisanes. Ce sont donc des concepts primordiaux pour les théoriciens qui définissent les principes reliés à une pratique éthique des relations publiques. Le choix d’un client ou d’une organisation Tout au long de l’histoire, on s’est servi des concepts en relations publiques au bénéfice d’organisations et de régimes oppressifs ou pour défendre des entreprises socialement irresponsables. Ces mêmes concepts ont aussi été employés au cours de réformes sociales majeures qui ont contribué à l’abolition de l’esclavage, à la régression de la discrimination contre les femmes et les minorités ethniques et à l’amélioration de la santé et de la sécurité de millions de personnes. Si les praticiens choisissent les clients qu’ils devraient représenter en adoptant une approche asymétrique, le choix reposera généralement sur la façon dont ils perçoivent leur rôle social en premier lieu, et ensuite sur leurs valeurs. Les praticiens pragmatiques travailleront pour n’importe quelle organisation, car selon eux leur fonction n’est pas limitée par un système de valeurs. Ils pourraient donc représenter un point de vue puis le point de vue opposé, ou même les deux en même temps. Les praticiens qui adoptent une approche asymétrique et qui envisagent leur rôle social d’une perspective conservatrice ou radicale choisissent généralement des organisations dont les valeurs partisanes rejoignent les leurs. Ils peuvent donc défendre ou promouvoir les intérêts et les valeurs de leurs clients avec ferveur. Toutefois, comme le souligne Sullivan, un excès d’engagement et d’obéissance pousse souvent les praticiens qui privilégient des valeurs partisanes à prendre des décisions contraires à l’éthique. Les praticiens idéalistes qui visent à respecter aussi bien les valeurs mutuelles que les valeurs partisanes pourraient théoriquement travailler pour n’importe quelle organisation. Ils tentent de faciliter les échanges avec tous les publics de leurs organisations clientes et défendent les valeurs mutuelles lors de la prise de décisions organisationnelles. De tels efforts pourraient faire en sorte que l’organisation devienne plus éthique et socialement responsable. Les praticiens idéalistes ayant adopté une approche symétrique courent tout de même le risque d’être manipulés par une organisation sans scrupules cherchant à créer une illusion d’éthique et de responsabilité sociale, alors qu’elle n’a aucunement l’intention de modifier son comportement; un praticien dans cette situation pratiquerait les relations publiques de façon pseudo-symétrique. Les professionnels des relations publiques ayant une Introduction : Questions et théories en éthique des relations publiques | 9 approche symétrique pourraient nuire à leur réputation en s’associant à des organisations qui agissent de manière contraire à l’éthique, et doivent donc choisir leurs clients avec soin afin de préserver à la fois leur propre réputation et celle de l’ensemble de la profession. Défendre ou conseiller : existe-t-il un « tribunal de l’opinion publique »? Comme les deux précédents, ce problème éthique est fortement relié aux choix de l’approche symétrique ou asymétrique, à la perception que le praticien a de son rôle social ainsi qu’à ses valeurs. Un praticien à l’approche asymétrique croit qu’il est le défenseur des valeurs partisanes de ses clients, alors qu’un praticien ayant une approche symétrique agit plutôt à titre de conseiller qui aide ses clients à adopter des valeurs mutuelles au moment de la prise de décision. Le rôle du défenseur consiste selon lui à interpréter les « vérités » ou les « faits » de manière à présenter ses clients sous un jour favorable ou à obtenir l’appui du public pour les positions de ses clients. Il ne dévoilera pas tous les renseignements nécessaires ni toute l’information que le public pourrait souhaiter connaître, en prenant exemple sur les avocats qui ne sont pas tenus de révéler à la cour toutes les informations au sujet de leurs clients. Au cours d’un procès, l’avocat de la partie adverse tente d’établir la culpabilité ou l’innocence de l’accusé, et la vérité devrait apparaître grâce aux échanges entre les deux avocats de manière à permettre aux membres du jury de porter un jugement éclairé. Tout au long de l’histoire des relations publiques, de nombreux praticiens ont avancé que les défenseurs doivent soutenir leurs clients dans un « tribunal de l’opinion publique » semblable à une cour de justice. Ce point de vue fait toutefois l’objet de trois critiques principales. La première rappelle que les organisations, les intérêts et les publics ne sont pas tous représentés équitablement, les plus riches et les plus puissants ayant un poids plus important. La deuxième critique souligne que les publics et les médias n’ont pas souvent accès à l’ensemble des informations qui sont requises pour mettre les arguments des défenseurs en perspective. La troisième condamne la comparaison entre les professionnels des relations publiques et les avocats, du moins lorsqu’il s’agit d’avocats plaidants. Kruckeberg (1992) avance plutôt que les professionnels des relations publiques devraient jouer un rôle de « travailleurs sociaux en réadaptation », qui ne défendent pas, mais corrigent les mauvaises organisations. De la même manière, Bivins (1989) souligne que tous les avocats ne sont pas des défenseurs, en citant l’exemple des avocats de sociétés qui conseillent leurs clients afin que ces derniers évitent les complications, au lieu de défendre les clients qui sont déjà en difficulté. Ainsi, l’argument du tribunal de l’opinion publique ne suffit pas pour rendre éthique l’approche asymétrique, et le statut éthique d’un conseiller est plus facile à justifier que celui d’un défenseur. Confidentialité et transparence Les débats entre journalistes et praticiens des relations publiques portent souvent sur l’obligation de ces derniers à faire preuve d’une transparence et d’une sincérité absolues lorsqu’ils transmettent des renseignements sur leurs organisations aux médias et au public. Les journalistes souhaitent avoir des échanges honnêtes et ouverts, alors que les professionnels des relations publiques soutiennent qu’ils ne sont pas tenus de révéler toute la vérité à propos de leurs clients. La question touchant la confidentialité et la transparence englobe les préoccupations telles que la désinformation, l’exagération, les groupes de façade (voir, entre autres, Fitzpatrick et Palenchar, 2006), la manipulation des médias, l’impossibilité d’identifier la source des communiqués de presse imprimés ou vidéo et le recours aux blogues bidon ou aux fausses identités dans les médias sociaux et numériques. 10 | J. E. Grunig RICSP, 2014, n. 11, p. 1-14 Dans son essai intitulé Secrets, Bok (1983) attire l’attention sur le fait qu’un certain secret (« intentional concealment ») est nécessaire au fonctionnement des entreprises (p. 14 et 17). Si les pensées de chacun étaient connues de tous, nous vivrions dans le chaos, avance-t-elle, en ajoutant que l’autodéfense et la réussite ne seraient possibles qu’avec l’usage de la force (p. 18). Bok explique que le secret est souvent nécessaire pour préserver notre identité, pour réaliser nos plans et nos actions et pour protéger nos biens. Les professionnels des relations publiques se servent souvent de cette logique pour justifier leur approche asymétrique et remettent en doute la possibilité que les organisations connaissent la réussite si les relations publiques sont exercées de façon symétrique. Néanmoins, Bok prévient que le secret doit être employé avec prudence, car il peut avoir plusieurs effets néfastes, surtout pour les organisations. Premièrement, il empêche l’expression de critiques et de commentaires qui pourraient améliorer les jugements; deuxièmement, le secret réduit la probabilité que les meilleures options sur le plan moral soient privilégiées; finalement, il élimine l’imputabilité et, par conséquent, il « renforce l’attrait d’agir sans coopérer avec autrui » (p. 107). Le secret nuit donc aux publics qui ne reçoivent pas l’information ainsi qu’aux organisations qui gardent le secret. Bok recommande de recourir aux débats publics (ce qu’elle appelle « publicité ») pour résoudre les problèmes associés au secret : « débattre, raisonner et expliquer ses motifs sur la place publique : voici des moyens d’émettre des opinions, de les mettre à l’épreuve, d’en discuter, de les expliquer et de les exposer à l’examen et à la critique. Une telle transparence s’oppose aux préjugés, aux erreurs et à l’ignorance, et permet l’évolution des points de vue ouverts aux valeurs morales » (p. 113). L’ouvrage de Bok suggère que, si les professionnels des relations publiques n’ont pas toujours la possibilité de discuter des choix moraux sur la place publique (approche symétrique), ils ont tout de même la possibilité d’expliquer ouvertement les raisons qui les poussent à garder le secret. Dans la même optique, Bivins (1987) suggère que les relations publiques asymétriques (les secrets sélectifs) peuvent être éthiques si les praticiens en révèlent les motifs. Pour résoudre le problème des intérêts dissimulés, Bivins interdit l’utilisation de groupes de façade et la corruption des canaux de communication. Selon lui, c’est l’intention derrière le message plutôt que le message lui-même qui serait immoral : « ici, la question déterminante est l’opposition entre motif dissimulé et motif manifeste » (p. 199); autrement dit, la communication de messages asymétriques (c’est-à-dire, les messages qui sont véridiques sans divulguer toutes les informations pertinentes) est éthique tant que le défenseur indique pourquoi il a recours au secret sélectif. Il formule donc une règle essentiellement identique à celle de Bok : le secret peut être moralement acceptable si celui qui le garde en explique le bien-fondé. Par exemple, il pourrait être éthique de créer une organisation de façade si les parties l’ayant financée et les intentions à caractère persuasif de ces dernières sont connues. Il serait également éthique de produire un communiqué de presse vidéo pour un nouveau produit si ce communiqué indique clairement qu’il vise à promouvoir la vente du produit en question. Un individu pourrait aussi faire campagne contre une clause nuisant à la commercialisation ou limitant le prix de vente d’un produit pharmaceutique, tant qu’il stipule clairement son intention de maintenir les ventes du produit et qu’il ne prétend pas veiller uniquement aux intérêts des consommateurs. Les recommandations de Bivins rejoignent celles des spécialistes en rhétorique et en communication persuasive. Les praticiens des relations publiques qui adoptent une approche asymétrique peuvent être éthiques s’ils agissent de manière intègre et bien intentionnée et s’ils ne lèsent pas de plein gré les intérêts du public; s’ils révèlent les motifs, les raisonnements et les points de vue sous-jacents aux messages qu’ils transmettent; s’ils n’emploient pas des méthodes de communication trompeuses; et s’ils offrent la possibilité de se laisser persuader (ou de persuader leurs organisations) alors qu’ils tentent eux-mêmes Introduction : Questions et théories en éthique des relations publiques | 11 de faire la même chose. En revenant au concept de publicité décrit par Bok (que j’appellerais plutôt « communication d’information »), nous pouvons constater qu’il s’agit d’une règle éthique d’une grande efficacité en relations publiques, qui s’applique autant à l’approche symétrique qu’à l’approche asymétrique. Les organisations qui divulguent leur identité, leurs intérêts et leurs intentions à caractère persuasif se trouvent en bonne position sur le plan éthique, même si elles ne révèlent qu’une partie des informations avec l’intention de persuader leur public. Médias numériques Au cours du XXIe siècle, les médias sociaux et les autres médias numériques sont devenus les principaux outils de communication utilisés par les praticiens des relations publiques dans le cadre de leur travail. En effet, l’attention qu’accordent les auteurs à ce sujet particulier révèle l’importance de ce thème de recherche. De façon générale, les praticiens soutiennent que les médias numériques ont bouleversé l’ensemble de leurs activités. Toutefois, j’ai déjà souligné que sur le plan théorique, les médias numériques n’affectent pas la pertinence des théories existantes (comme la communication symétrique et la gestion stratégique du rôle des relations publiques); au contraire, ils facilitent l’application de ces théories (J. Grunig, 2009). La nature interactive des médias numériques les rend particulièrement utiles pour la communication symétrique ou dialogique. Le pouvoir que ces médias accordent au grand public en fait également une source de données de recherche particulièrement utile, et ces données pourront servir à renseigner les membres de la direction des organisations sur les conséquences de leurs décisions et sur les intérêts de leurs publics. Si la théorie relative aux relations publiques n’a pas été influencée par l’apparition des médias numériques, il en va de même pour les problèmes que j’ai abordés plus tôt. Les questions de confidentialité et de transparence prennent une importance particulière, comme le démontre l’usage des blogues bidon (« flogs ») pendant la campagne WalMarting Across America que la firme de relations publiques Edelman a menée pour WalMart (Burns, 2008; Bowen, 2013). Bowen (2013) cerne notamment 15 principes éthiques qui devraient guider l’utilisation des médias sociaux, principes qu’elle a mis à l’épreuve en utilisant sept cas d’échec et sept cas de réussite. Les principes de Bowen comprennent les suivants : bannir le secret, identifier clairement et divulguer – tous trois reliés à la question de confidentialité et de transparence. Les médias numériques constituent donc un terreau fertile pour l’étude des problèmes éthiques en relations publiques et pour la mise au point de théories concernant le rôle de conseiller en matière d’éthique des praticiens. Théories en éthiques des relations publiques Les professionnels des relations publiques se heurtent à des problèmes éthiques lorsqu’ils ont à faire des choix au sujet de leur comportement personnel ou professionnel et lorsqu’ils agissent à titre de conseillers en matière d’éthique auprès des organisations prenant des décisions stratégiques. Comme nous l’avons vu plus tôt, la plupart de ces professionnels considèrent que le rôle de conseiller en matière d’éthique constitue une partie intégrante de leur fonction professionnelle. Toutefois, de nombreuses études (voir notamment ’Etang, 2003; Bowen, 2008; Place, 2010) ont révélé que la plupart des praticiens n’ont pas reçu la formation nécessaire et qu’ils n’ont pas les connaissances théoriques requises pour remplir cette fonction. Par conséquent, il est indispensable que les théoriciens et les chercheurs en relations publiques mettent au point de nouvelles théories relatives à l’éthique au cours des prochaines années; ces théories devront fournir aux professionnels des principes dont ils 12 | J. E. Grunig RICSP, 2014, n. 11, p. 1-14 pourront se servir lorsqu’ils agiront à titre de conseillers en matière d’éthique au sein des organisations. Les éducateurs en relations publiques devront quant à eux incorporer ces théories aux programmes de formation. Un autre défi majeur, cette fois pour les associations professionnelles, réside dans la diffusion de ces principes aux praticiens qui n’ont pas reçu l’information appropriée au cours de leur formation. Les associations pourraient avoir recours à des programmes de formation continue ou à des séminaires, par exemple. J’ai mentionné plus tôt l’émergence des théories en matière d’éthique. Les concepts comme la loyauté, les rôles sociaux, les valeurs, la confidentialité et la transparence sont tous reliés aux théories relatives à l’éthique. Dans le troisième essai de la série Excellence Study (financée par l’Association of Business Communications), L. Grunig, J. Grunig, et Dozier (2002) proposent une théorie relative à l’éthique inspirée des travaux de Pearson (1989) et qui incorpore des principes téléologiques (l’éthique des conséquences) et déontologiques (l’éthique des règles de conduite). Nous proposons deux principes : • Téléologie : Les professionnels des relations publiques qui agissent de manière éthique cherchent à connaître les conséquences que les décisions organisationnelles pourraient avoir sur les publics. • Déontologie : Les professionnels des relations publiques qui agissent de manière éthique ont ensuite l’obligation morale de révéler ces conséquences aux publics touchés, puis d’ouvrir un dialogue à propos des décisions potentielles avec ces mêmes publics (p. 556). À partir de notre discussion sur l’éthique, Bowen (2004a) a énoncé un dixième principe général pour l’excellence en relations publiques, dont les fondements résident dans les théories sur l’éthique déontologique d’Emmanuel Kant. Elle a d’ailleurs testé ce principe sur une organisation modèle (2004b), puis sur des organisations employant les médias sociaux (2013). Place (2010) a aussi mené une étude descriptive sur l’éthique afin de déterminer si les praticiens des relations publiques jugeaient que les principes déontologiques étaient utiles dans le cadre de leur travail. Van Es et Meijlink (2000) ainsi que Marsh (2001) ont élaboré des théories relatives à l’éthique fondées sur le principe du dialogue, et Langett (2013) a mis au point une théorie dialogique portant sur la relation entre les professionnels des relations publiques et les blogueurs. Fitzpatrick et Gauthier (2001) ont eux formulé une théorie sur la responsabilité professionnelle et l’éthique des relations publiques « fondée sur la double obligation du professionnel des relations publiques : servir à la fois les intérêts de ses organisations clientes et ceux du public » (p. 193). Tilley (2005) a conçu une « pyramide éthique ». La majorité de ces théories reposent en grande partie sur le principe du dialogue ou de la communication symétrique, sur les obligations morales envers autrui, envers soi et envers l’organisation, ainsi que sur le caractère responsable et durable (relativement aux publics touchés et à la société) des décisions organisationnelles. Ces théories bien développées sont toujours en évolution – une autre preuve que l’attention que nous y accordons est nécessaire. Ce numéro spécial de la Revue internationale de communication sociale et publique axé sur l’éthique et les relations publiques démontre qu’il est important d’élaborer des théories et de poursuivre la recherche sur l’éthique des relations publiques. Je suis fier d’avoir été sollicité pour la rédaction de cette introduction. Introduction : Questions et théories en éthique des relations publiques | 13 Références Bartol, K. M. and D. C. Martin (1991). Management, New York, McGraw-Hill. Bivins, T. H. (1987). 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