Une mer centrale identitaire

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Une mer centrale
identitaire
Par Pascal Roth, agrégé de géographie, chercheur associé à L’UMR, CNRS ESO
Caraïbe, Caraïbes,
Grande Caraïbe… les
hésitations du vocabulaire traduisent la
complexité d’une région fragmentée qui
ne manque pourtant
pas de puissants
facteurs d’unité.
TDC n° 920
La Caraïbe
15/09/2006
Dans la définition de cet espace, le consensus porte aujourd’hui sur une approche
d’abord géographique de la région qui englobe toutes les terres bordières de la
mer des Caraïbes et du golfe du Mexique, auxquelles on adjoint sans hésitation
les Bahamas toutes proches et, seule exception d’ordre historique, les Guyanes.
Le nom de la mer centrale se confond avec celui de l’ensemble régional auquel
elle donne sa cohérence première et dont elle légitime l’existence même.
Dès le XIXe siècle, le géographe allemand Alexandre de Humboldt avait, par analogie, qualifié de « Méditerranée américaine » l’étendue liquide semi-fermée qui
impose sa présence massive au cœur de la région. La mer des Caraïbes proprement dite (2,7 M de km²) et son annexe du golfe du Mexique (1,5 M de km²), vastes
comme une fois et demie la Méditerranée, écrasent et repoussent à la périphérie
le fragile arc insulaire et le mince liseré continental des terres caraïbes.
Les fonds marins reflètent le jeu des forces tectoniques colossales à l’œuvre dans
la région : l’arc insulaire est bordé sur sa face atlantique par de profondes fosses
(Porto Rico) qui soulignent le plongement de la plaque atlantique. Le fond très
tourmenté de la mer des Caraïbes est haché de failles dessinant un jeu complexe
de bassins (bassin de Grenade, 3 000 m ; bassin du Venezuela, 5 500 m) séparés par des rides. Dans le golfe du Mexique, au nord de la fosse des îles Caïmans
(7 300 m) qui limite les plaques nord et sud-américaines, les profondeurs sont
plus modestes (moins de 2 000 m en général), et bien plus faibles encore dans
les vastes zones colmatées par les dépôts alluvionnaires du Mississipi et de l’Orénoque.
L’exploitation des ressources marines est conditionnée par la largeur du plateau
continental ; réduite à quelques kilomètres en bordure des zones côtières montagneuses, elle atteint parfois 300 km dans le prolongement sous-marin des plateaux du Yucatán ou de Floride.
Un liseré continental et des îles.
La partie continentale de la Caraïbe, du promontoire floridien jusqu’aux marges
guyanaises, déroule à l’infini ses côtes sableuses basses, souvent marécageuses
et insalubres, comme celles de la Mosquita nicaraguayenne et hondurienne. Seuls
les rebords de quelques plateaux calcaires, les retombées du bouclier gréseux
guyanais et des chaînes côtières sud-américaines viennent rompre par endroits
cette monotonie. En Amérique centrale et du Sud, les contreforts de puissantes
cordillères marquent avec netteté la limite du « monde caraïbe », alors qu’en
Amérique du Nord la plaine du golfe se prolonge sans discontinuité majeure par
les Grandes Plaines centrales.
L’archipel, marqué par l’émiettement et la diversité, égrène sur 4 700 km ses
7 000 îles et îlots. On y distingue traditionnellement les Grandes et les Petites
Antilles, ces dernières divisées à leur tour en îles « du vent » et « sous le vent ».
Dans les grandes îles du Nord coexistent en proportion variable plaines, plateaux,
collines et chaînes montagneuses. Les altitudes n’y dépassent 1 500 m que dans
les cordillères du sud de Cuba (2 700-3 000 m).
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Le double arc des Petites Antilles, né il y a 25 millions d’années, se situe sur la zone de subduction de
la plaque atlantique sous la plaque caraïbe. Les îles calcaires basses et tabulaires de l’arc externe (le
plus ancien), comme Barbade, Grande-Terre de Guadeloupe ou Anguilla s’opposent violemment aux îles
hautes, montagneuses de l’arc interne (Saint-Vincent, la majeure partie de la Martinique, la Dominique),
qui sont autant d’édifices volcaniques spectaculaires et souvent actifs. Le caractère montagneux très
prononcé de ces îles tient plus à la rareté des zones planes (10 à 15 % de la surface), à l’importance des
dénivelés et à la vigueur des pentes qu’aux altitudes somme toute modérées (1 500 m au maximum).
Un domaine chaud et humide. Le climat tropical régularisé par la masse océanique et le flux de l’alizé de
nord-est, qui souffle plus de trois cents jours par an, donnent à l’ensemble du bassin une certaine unité.
Les températures sont élevées (25-27 °C) et les amplitudes thermiques faibles (quelques degrés). L’humidité constitue aussi une caractéristique majeure de la région : on enregistre 2 000 mm de pluies par
an à Tobago, 3 700 mm à Cayenne, 1 500 mm à Camaguey (Cuba) ; seules quelques portions du littoral
mexicain, vénézuélien et colombien sont touchées par l’aridité.
L’année est rythmée par l’alternance d’une saison sèche, le « carême » (de janvier à avril), et d’une saison
des pluies (de juillet à novembre), séparées par des saisons intermédiaires.
Ces traits généraux se déclinent en une infinité de microclimats en fonction de la latitude, de l’altitude et
de l’exposition à l’alizé (côtes au vent ou sous le vent). En quelques kilomètres, les grands arbres et les
lianes de la forêt tropicale humide peuvent faire place à des formations herbacées sèches et parsemées
de cactées.
Une région à hauts risques.
La conjonction de la situation géographique et de la rencontre de quatre plaques tectoniques (nordatlantique, sud-atlantique, caraïbe, des îles Cocos) fait de la Caraïbe une des régions du monde les plus
exposées aux risques naturels. Il n’est pas d’année sans cyclone, séisme ou éruption. L’histoire régionale
est jalonnée de catastrophes naturelles dont la plus meurtrière reste la « nuée ardente » de la montagne
Pelée, qui détruisit le 8 mai 1902 Saint-Pierre à la Martinique et fit 25 000 victimes ; plus récemment,
l’éruption de la Soufrière de Montserrat a provoqué en 1995 l’évacuation de la majeure partie de la population.
La nature de ces risques, leur fréquence et leur intensité sont cependant très variables. Les Petites
Antilles et l’Amérique centrale, espaces hyperactifs, sont concernées par les trois types de risques, alors
que les Grandes Antilles et le littoral nord-américain ne sont guère touchés que par les cyclones ; les
îles les plus méridionales et le littoral sud-américain sont quant à eux pratiquement épargnés. La terre
a cependant tremblé en Guyane le 8 juin 2006 pour la première fois depuis des siècles, et des coulées
de boue meurtrières emportent parfois quartiers ou villages bâtis imprudemment sur des versants instables ou au pied de cônes volcaniques.
Prévision et prévention sont en bonne partie affaire de moyens techniques et financiers, elles sont donc
liées au niveau de développement. Les catastrophes naturelles font surtout des victimes dans les pays
pauvres et principalement des dégâts matériels dans les pays riches. Cette relation est cependant à
nuancer, le cyclone Katrina en 2005 a fait beaucoup plus de victimes aux États-Unis qu’à Cuba dont
l’organisation planifiée s’est avérée très efficace.
Les trajectoires cycloniques sont suivies à la trace par les satellites météo et le centre de Miami (National Hurricane Center), mais l’efficacité de la prévention est très variable. Les volcans actifs des Antilles
françaises sont placés sous haute surveillance par des observatoires vulcanologiques, qui décèlent toute
modification de leur activité, mais ces équipements sont loin d’être généralisés. Le risque sismique est
le plus délicat à traiter : beaucoup plus rare, il n’en existe ni culture ni mémoire, et il n’est guère aisé d’y
sensibiliser les populations. Dans l’impossibilité actuelle de le prévoir, on ne peut s’en remettre qu’à la
prévention en imposant des normes de construction « parasismiques », en interdisant les constructions
dans les zones les plus exposées (pentes, littoraux), en éduquant les populations, en établissant des
plans de secours, mais beaucoup reste à faire.
Il appartient aux peuples caribéens de donner davantage vie et consistance au monde compliqué et
dangereux dans lequel s’inscrit leur destin commun.
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Une méditerranée américaine
Cartographie : Illustratek
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Le relief de la Caraïbe
Images de synthèse constituées à partir de 5 points d’altitude équidistants de 5 mètres.
Cartographie : Illustratek
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