Clémence Vidal de la Blache Fiche de lecture La
abri
ue d’une Nation
Cette ouverture vers de nouvelles disciplines permis une multiplication des sources historiques de
premier degré. L’étude d’aspects de l’Antiquité souvent occultés comme l’économie helléniste ou
l’évolution démographique sous l’Antiquité en fut révolutionné. Par ses recherches, Claude Nicolet
peint l’émergence d’une démarche scientifique qui va ébranler les méthodes, mais aussi les
fondements de la recherche historique et va permettre une véritable émulation intellectuelle.
Mais là encore, l’auteur insiste sur la dimension diplomatique de cette émulation. Entre
l’Allemagne et la France, la « bataille de l’érudition » va devenir un enjeu géopolitique. Le
traumatisme de la défaite de 1870 va aboutir en France à un effort accru en matière d’éducation et
de recherche. Fustel de Coulanges permettra ainsi, entre 1878 et 1890, la réforme et le
développement d’un véritable réseau universitaire français. L’affrontement va se propager en Italie,
dont la richesse documentaire est source de convoitise, mais surtout en Afrique du Nord. Les
guerres coloniales sont l’occasion de procéder à la redécouverte des sites romains du Maghreb,
mines de documents dont les puissances européennes s’abrogent le droit de diffuser. En tissant des
liens entre évènements politiques, considérations diplomatiques, enjeux nationaux et avancées
historiques, Claude Nicolet apporte de nouveaux éléments à la réflexion historiographique. Sa
relecture de Boulainvilliers et de Fustel de Coulanges, son travail minutieux de retour vers les
sources documentaires originales, l’ampleur de sa réflexion bibliographique sont en quelque sorte
la consécration de ces nouvelles méthodes de travail dont il montre l’émergence. Son essai
constitue véritablement une « histoire de l’histoire ».
Ainsi, mettant en lumière l’évolution du débat sur les origines de la Nation, Claude Nicolet y prend
part et construit, en puisant dans les différents auteurs qu’il étudie, sa propre argumentation. La
nation à la française, réalité composite, ne se réalisa qu’à travers une construction volontariste
conduite par le pouvoir royal sur un territoire défini : « les rois (bientôt l’Etat) ont été les
inventeurs et…les bénéficiaires » du concept de nation. Cette conception « délibérément unitaire »
s’est construite au fil des siècles en opposition aux deux défis que Claude Nicolet a mis en avant
dans son essai. Les revendications identitaires de la noblesse, tout d’abord, qui, à travers le mythe
germaniste, se revendiquait d’une autre race et la rivalité avec l’Allemagne, ensuite, qui, par le
pangermanisme, affirmait sa supériorité « native, héréditaire et donc biologique » et la
prééminence de la nation de race.
Revenant à son sujet de prédilection, Claude Nicolet montre que c’est la République qui a permis
de dépasser les caractères sociaux, politiques et diplomatiques du débat historique sur les origines.
En effet, en intégrant à l’identité nationale les fondements idéologiques républicains,
démocratiques, laïques des Lumières et de 1789, elle a achevé cette construction volontariste et a
assis la nation française autour du consentement explicite des individus à vivre en commun. Par là
même, la République a affirmé ce qui constitue l’originalité, la spécificité de la nation
française aujourd’hui: elle a vocation à l’universel. C’est ce qui constitue sa légitimité.
L’intérêt de cet essai consiste donc dans sa double étude historique : concilier une réflexion sur le
concept de nation « dans son devenir historique et sa conscience de soi » avec une étude de son
évolution pendant les deux derniers siècles. Il n’est pas toujours très aisé de maîtriser les doubles
références historiques, la présentation des différents auteurs, leur succession, le contexte national
en même temps que les considérations parfois très précises sur une époque difficilement accessible,
la France gallo-romaine puis germanique. Néanmoins, la qualité de l’érudition de l’auteur lui
permet de conduire sa démonstration, exigeante, avec clarté et précision. Il apporte à la fois une
vision intéressante de « l’éthnogenèse » française et permet au lecteur de mesurer les enjeux, en
particulier diplomatiques, de ce débat pouvant passer au premier abord comme suranné. La
décision récente du gouvernement allemand de mettre fin au droit du sang constitue un
prolongement de ces débats sur la nation et la nationalité qui, on le voit, gardent une importance
considérable dans le monde contemporain. On peut ainsi regretter que l’auteur se soit restreint à la
première moitié du XXème siècle et n’ait pas poussé son étude jusqu’aujourd’hui.