Clémence Vidal de la Blache Fiche de lecture La
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ue d’une Nation
La fabrique d’une nation
La France entre Rome et les Germains
LA FABRIQUE D’UNE NATION – La France entre Rome et les Germains
Claude Nicolet, Paris, Perrin « Pour l’Histoire », Février 2003, 372 p.
Cet essai est à l’image de l’œuvre de Claude Nicolet, empreint à la fois de ses compétences
d’historien et de ses engagements politiques républicains. L’auteur est avant tout un grand
professeur spécialisé dans la Rome antique. Professeur émérite à la Sorbonne, il fut directeur de
l’Ecole française de Rome de 1992 à 1995 et est aujourd’hui membre de l’Institut.
Cette érudition fut mise tout au long de sa carrière au service d’engagements politiques. Il fit ainsi
partie du cabinet de Mendès France en 1956, ralliement qu’il revendique dans sa préface comme
reflet de son « éducation toute républicaine ». Il prolongea cet engagement par son œuvre
d’historien, et son « essai d’histoire critique », L’idée républicaine en France (1789-1924), est un
des piliers de la réflexion contemporaine sur ce sujet. Ces deux axes – la Rome antique et la
République contemporaine – sont au cœur de cet ouvrage. Dès l’introduction, il en pose les
enjeux : ses recherches l’ont amené à constater que « la République ne devait pas être séparée du
contexte de l’histoire nationale ». La nation française n’est pas historiquement homogène : le
« royaume des Francs », guerriers germains, a été bâti sur la Gaule romanisée depuis César. A
travers son histoire, la France n’a cessé de balancer entre ces différents « mythes originels » pour
construire son identité nationale. Il s’agit donc pour l’auteur de cerner les modalités du processus
« d’éthnogenèse » qui a abouti à l’émergence d’une représentation spécifique de la France.
Néanmoins, l’auteur se restreint à étudier cette évolution au sein des cercles intellectuels érudits
français à partir du XVIIIème, restriction qu’il justifie par l’ampleur du sujet mais aussi par la
volonté de rationaliser le débat, de le dégager des « fantasmagories populaires » inhérentes à
l’identité nationale. L’auteur insiste ainsi sur les « déviances » de ce débat et s’efforce de montrer
son instrumentalisation par des causes sociales, politiques et même diplomatiques. On étudiera
donc ces trois aspects tout en tachant de garder, au sein de chaque partie, un plan chronologique,
qui semble particulièrement pertinent pour l’ouvrage. Les historiens s’opposent et se répondent à
travers les siècles, et ce sont ces confrontations qui sont au centre de l’étude. Cette étude permet
ainsi non seulement de peindre l’identité nationale en devenir, mais aussi de décrire l’évolution de
la conception de l’histoire et l’émergence d’une véritable science historique au cours des siècles
étudiés. C’est véritablement un travail historiographique, qui retrace « l’histoire de l’histoire »,
qu’on essayera de mettre en valeur.
Il nous faut tout d’abord comprendre les fondements du débat qui agite les milieux intellectuels au
moment où Claude Nicolet ouvre son étude, c’est à dire à l’époque des Lumières. La représentation
de la nation française est un sujet crucial pour les cercles érudits. En effet, par ces études
historiques qui visent à remonter aux sources de l’identité et de l’unité de la nation, c’est la
gestation et la fondation de la monarchie absolue qu’on tente de comprendre. Ainsi, la monarchie
chercha pendant un certain temps à asseoir sa légitimité sur une filiation prestigieuse, codifiée par
les historiens officiels dans les Grandes Chroniques de Saint Denis : c’est la légende des origines
troyennes, qui lui permis de se poser comme seule héritière légitime de la culture et du prestige
hellène. Néanmoins, cette thèse fantaisiste fut écarté dès le XVIIIème et le débat se polarisa autour
de deux conceptions antagonistes, théorisées par le comte de Boulainvilliers dans l’Etat de la
France (1727) et l’abbé Dubos dans son Histoire de la monarchie française en Gaule (1734).
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Ces thèses « germanistes » et « romanistes » seront le point de départ du débat sur les origines de la
nation française. Pour Boulainvilliers, « germaniste », ce sont les conquêtes militaires francs du
Vème siècle qui constituent l’acte fondateur du royaume français. Cet auteur a longtemps été
considéré comme le premier théoricien de la « guerre des races » ; en effet, pour Boulainvilliers, la
victoire des Francs se traduisit par l’asservissement du peuple gaulois : c’est cette légitimité
historique de conquérants qui est à l’origine des privilèges de la noblesse. Claude Nicolet apporte
une relecture de son ouvrage et tente de montrer les subtilités de son raisonnement afin d’en
réhabiliter l’auteur. Contrairement aux idées véhiculées par les caricatures, de Foucault à Devyver,
dont il fit l’objet, Boulainvilliers ne pose jamais la « supériorité » naturelle des Francs sur le peuple
gaulois. Leur droit de conquête n’a aucune valeur morale ou juridique, mais est simplement le
reflet de la réalité du succès militaire des Francs. Au contraire, Nicolet montre que Boulainvilliers
insiste sur la fusion entre les deux peuples sous les Carolingiens. Ainsi, à travers sa relecture de
l’œuvre de Boulainvilliers, l’auteur rétablit une « vérité » historique importante.
Face à ce long détour « germaniste » se pose l’Abbé Dubos, dont la pensée, qui place Rome au
centre du débat, est à l’opposée de la légitimation aristocratique de Boulainvilliers. Pour lui, il n’y
pas, après les conquêtes, de différence de statut entre Romains et Francs et cela grâce à la puissance
assimilatrice des institutions romaines adoptées en Gaule. Les Francs sont avant tout des soldats,
souvent alliés avec Rome. Il n’y a donc aucune « distinction d’ordre », et, par là même, aucune
légitimation des privilèges nobiliaires, usurpation des nobles pendant le Moyen Age féodal.
Finalement, Claude Nicolet montre par la confrontation entre les deux penseurs qu’au centre de ce
débat repose une conception presque ethnique des trois ordres : on tente, par l’Histoire, de
légitimer la présence des « trois races ». Les répercussions sociales de ce débat, qui divise la
France jusqu’à la Révolution sont considérables – Sieyès voit ainsi dans la Révolution la revanche
des Gallo-romains opprimés et propose en 1789 de « renvoyer les nobles dans les forêts de
Francophonie » dont ils se réclament.
Le débat sur les conséquences sociales des conquêtes barbares va néanmoins dépasser la
Révolution. Le grand théoricien de la Monarchie de Juillet, François Guizot, ainsi que son héritier
Augustin Thierry, reprennent cette idée de « guerre des classes ». Dans ses deux essais sur
l’Histoire de France (1823, 1830), Guizot montre que la Révolution fut l’aboutissement de cette
guerre primitive entre les deux peuples. Pour lui, elle a pris fin avec l’avènement de la monarchie
constitutionnelle de Louis Philippe. La monarchie de Juillet est en effet la forme la plus aboutie de
« civilisation », concept clé de Guizot. Négation de la féodalité et de la monarchie absolue, elle est,
par sa double légitimité dynastique et populaire, le résultat de l’histoire nationale. Elle a permis
l’union du droit romain, de la morale chrétienne et de « l’idée fondamentale de la liberté
(individuelle qui), dans l’Europe moderne, lui vient de ses conquérants », faisant ainsi la synthèse
des trois protagonistes de l’Histoire de France. On voit bien que la réflexion historique de Guizot
est au centre d’une réflexion idéologique plus générale sur le système politique de Louis Philippe.
Néanmoins, on peut constater que dès l’Ancien Régime, le retour des cercles érudits vers les
origines de la nation française est doublé d’une dimension politique.
La conception « germaniste » se veut en effet non seulement une position résolument
« aristocratique » mais aussi « anti-absolutiste ». En plaçant les Francs à l’origine de la légitimité
royale, Boulainvilliers la fait provenir d’un peuple « barbare », certes, mais qui était néanmoins
régi par des instances délibératives au sein desquelles les guerriers participaient à l’élection du
Chef. Dubos, par contre, en s’appuyant sur une relecture des textes latins, tente de montrer qu’il
n’y a pas d’élection des rois francs : la monarchie française est héréditaire depuis ses
fondements. Prise de position d’importance au moment où les Parlements et la noblesse française,
au nom des libertés originelles des assemblées francs, tentent d’affermir leur pouvoir politique par
les Etats Généraux.
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Claude Nicolet montre ainsi l’instrumentalisation de l’histoire à des causes politiques – les débats
sur les origines du royaume sont intimement liés à l’opposition de la noblesse et des Parlements au
monopole législatif du monarque. A travers ces débats, c’est le caractère électif ou héréditaire de la
monarchie et le rapport du monarque avec les « Assemblées Générales » qui sont mis en jeu. Mais
en insistant sur la fusion entre Francs et Romains, Dubos pose surtout la monarchie française
comme seule héritière directe de Rome. Les concessions formelles octroyées en 508 à Clovis, roi
des Francs, par l’Empereur romain Anastase ont fait du Royaume des Francs l’unique dépositaire
en Europe de la puissance romaine. Dubos, dépassant le débat sur les origines de la société civile
française, le transporte dans l’arène diplomatique : la monarchie française possède, par son
héritage, une supériorité morale sur les autres cours européennes, et en particulier sur le voisin
allemand.
Cette confrontation avec l’autre grande nation germaniste se revendiquant aussi de l’Empire
Romain, va monopoliser, surtout après la défaite de 1870, les considérations historiques sur la
nation française. L’enjeu de la réflexion sur les origines des deux pays y est fondamentalement
différent. Claude Nicolet, reprenant le réflexion d’Ernest Lavisse dans ses carnets de 1887, montre
que si, dès le IXème siècle, « l’Allemagne de Louis le Germanique » est déjà une nation, unie par
une communauté d’origine et une langue commune, la France de Charles le Chauve est, au
contraire, un chaos de « gens de races différentes et qui n’ont pas l’idée qu’ils … forment un même
peuple ». Alors que les Français cherchent dans leurs origines les prémisses de leur particularité
nationale, les Allemands y puisent des justifications pour leur nouvelle unité politique. La
recherche historique va être imprégnée par ces considérations – opposées – sur le principe politique
clé de ce siècle, les nationalités. Les origines de la nation deviennent un enjeu diplomatique.
Théodore Mommsen, professeur à l’université de Berlin, journaliste et politicien engagé pour la
cause de l’unité allemande, joue un grand rôle dans ce débat historiographique. Son Histoire des
Romains (1849-1856), qui s’achève avec le règne de César, est empreinte de ses engagements
nationaux. Il fut ainsi député à la Chambre prussienne, puis au Reichstag, et milite en faveur d’un
Reich uni défendant les libertés parlementaires. Cette unité de la nation allemande, déjà consistante
en soi mais éclatée dans différents Etats, devait passer pour Mommsen par une révolution civique
et militaire , œuvre des citoyens. Son œuvre est donc traversée par le double thème de le
« Révolution et de l’Unité », unité italienne réalisée par Rome sous la République pendant la
conquête méditerranéenne. Mais ce récit traduit une volonté de décrire les Romains dans leur
particularité – par leur droit, leur religion – face aux autres communautés ; Grecs, Celtes mais aussi
Etrusques.
«L’histoire romaine devient, avec lui, l’histoire d’un peuple » ; elle est politisée. En mettant
l’accent sur l’homogénéité de la nation romaine et leur unification par la violence militaire,
Mommsen tisse en filigrane une justification de la nationalité allemande. Ce faisant, il réfute
néanmoins, et de manière catégorique, toute appropriation du passé pour justifier les dérives
absolutistes contemporaine . Son « césarisme » légitime le détournement de la démocratie vers
l’absolutisme par César, détournement inévitable pour permettre l’unité romaine et mettre fin à la
corruption et à l’oligopole républicaine . Cependant, l’Histoire ne saurait justifier les dérives
absolutistes contemporaines. Claude Nicolet montre que, pourtant, la réflexion modérée de
Mommsen est une des sources d’un courant radical, le pangermanisme, qui glorifie la nation
allemande et trouve sa légitimation dans cette vision nationalisée de histoire romaine. La nation
allemande devrait être, comme l’Empire romain dont elle est l’héritière, un espace regroupant tous
les peuples germains : l’union se fait par « la race ». C’est dans ce contexte que se développe
l’exaltation des origines barbares, avec la redécouverte de Hermann, le chef germain Arminius qui
a triomphé des armées romaines et auquel on livre un véritable culte païen dans la forêt de
Teutobourg.
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Les recherches sur les origines françaises vont donc, en opposition à ce nationalisme jaloux et
expansionniste, se concentrer sur la Gaule – c’est l’époque de la redécouverte de Vercingétorix – à
travers en particulier Fustel de Coulanges et son élève Camille Julian. C’est avec leurs deux
œuvres, Histoire des institutions politiques de la France (1875-1891) et l’Histoire de la Gaule
(1914) que l’on dépasse pour la première fois la dichotomie romaniste/germaniste. Pour Fustel de
Coulanges, en effet – et c’est là son premier apport considérable – la conquête romaine n’a pas eu
lieu. Il n’y a pas pu avoir d’asservissement d’une nation par une autre car la nation allemande
n’existait pas ; les deux mondes se sont rencontrés, puis interpénétrés par le biais d’infiltrations
successives de groupes armés germains. Claude Nicolet montre bien le renouvellement complet
que cette prise de position opère dans la réflexion nationale. Les invasions francs ne sont plus un
fondement de l’histoire nationale, mais un des nombreux éléments contribuant à l’émergence de la
nationalité française, creuset de la diversité des différents peuples qui se sont unis. Cette unification
est le fait des institutions politiques de la Gaule, qu’elle a hérité de l’Empire romain. L’originalité
de la nation française vient ainsi de sa diversité originelle, et son unification est le fait du pouvoir
politique et institutionnel.
La réflexion de Coulanges met donc l’accent avant tout sur la continuité des institutions et la durée
de l’évolution de l’identité nationale. C’est les prémisses d’une réflexion sur l’«éthnogenèse ». Son
élève reprendra cette idée phare mais, dans le climat européen tendu, la réflexion de Camille Julian,
premier grand historien de la Gaule pré-romaine, est empreinte d’un patriotisme « virulent » et
lyrique, parfois même « intolérant ». Pour lui, la Gaule constituait déjà une nation presque unifiée,
non pas par une « race » homogène – on voit là l’opposition farouche au concept allemand de
nation – mais par un « tempérament » commun, c’est à dire par une communauté de langage, de
croyances, de civilisation. Le grand apport de Julian au débat historiographique sur l’origine de la
nation tient cependant dans la place qu’il donne au territoire national. La nation française s’est
construite avant tout par rapport à un territoire défini par le pouvoir politique qui, en l’aménageant,
a modelé la nation. En reconnaissant l’influence du sol sur l’identité nationale, il oppose la nation
française « raisonnée » et la « race » allemande qui, se basant sur une identité partagée par le sang,
refusant des frontières délimitées, est fatalement poussée vers un expansionnisme destructeur.
La question des origines des deux nations est donc au cœur de l’opposition entre les deux pays :
l’Histoire est un reflets de leurs querelles diplomatiques, mais aussi de leurs affrontements
idéologiques. Par son étude rationalisée et objective, Claude Nicolet en montre justement les
dérives. Tissant des liens entre auteurs, révélant les lourds implicites qui sous-tendent ce débat, il
permet au lecteur de mesurer la portée de cette question qui peut sembler, au premier abord,
obsolète. Mais son étude porte aussi , en filigrane, une réflexion sur l’évolution de l’Histoire et de
sa conception par les cercles érudits. Pendant la période qu’il étudie, l’auteur s’attache à faire
ressortir les transformations de la discipline et les apports des différents historiens dans ce
mouvement de rationalisation de la recherche historique.
Ainsi, Augustin Thierry va contribuer de manière significative à révolutionner la « forme » de la
recherche historique, par ses méthodes de collecte et d’utilisation de documents mais aussi par ses
réflexions sur l’historiographie. Il est un des premiers à se pencher sur les problèmes que posent les
sources d’un document, leurs détournements, ainsi que les implications des traductions sur la
compréhension du texte. Cette réflexion est à la base d’une conception esthétique de l’Histoire : le
texte, véritable exercice littéraire, doit tenter de capturer au mieux l’essence de la période. D’où
l’utilisation inédite de l’orthographe germanique d’origine, « gutturale », pour les noms par
exemple.
Néanmoins, la véritable révolution vint de l’Allemagne. Mommsen fut en effet, dans la deuxième
moitié du XIXème, à l’origine d’un bouleversement des études historiques avec l’introduction de
ce qu’il appelle les « sciences auxiliaires », c’est à dire la philologie, l’archéologie, la
numismatique, la papyrologie ou encore l’épigraphie.
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Cette ouverture vers de nouvelles disciplines permis une multiplication des sources historiques de
premier degré. L’étude d’aspects de l’Antiquité souvent occultés comme l’économie helléniste ou
l’évolution démographique sous l’Antiquité en fut révolutionné. Par ses recherches, Claude Nicolet
peint l’émergence d’une démarche scientifique qui va ébranler les méthodes, mais aussi les
fondements de la recherche historique et va permettre une véritable émulation intellectuelle.
Mais là encore, l’auteur insiste sur la dimension diplomatique de cette émulation. Entre
l’Allemagne et la France, la « bataille de l’érudition » va devenir un enjeu géopolitique. Le
traumatisme de la défaite de 1870 va aboutir en France à un effort accru en matière d’éducation et
de recherche. Fustel de Coulanges permettra ainsi, entre 1878 et 1890, la réforme et le
développement d’un véritable réseau universitaire français. L’affrontement va se propager en Italie,
dont la richesse documentaire est source de convoitise, mais surtout en Afrique du Nord. Les
guerres coloniales sont l’occasion de procéder à la redécouverte des sites romains du Maghreb,
mines de documents dont les puissances européennes s’abrogent le droit de diffuser. En tissant des
liens entre évènements politiques, considérations diplomatiques, enjeux nationaux et avancées
historiques, Claude Nicolet apporte de nouveaux éléments à la réflexion historiographique. Sa
relecture de Boulainvilliers et de Fustel de Coulanges, son travail minutieux de retour vers les
sources documentaires originales, l’ampleur de sa réflexion bibliographique sont en quelque sorte
la consécration de ces nouvelles méthodes de travail dont il montre l’émergence. Son essai
constitue véritablement une « histoire de l’histoire ».
Ainsi, mettant en lumière l’évolution du débat sur les origines de la Nation, Claude Nicolet y prend
part et construit, en puisant dans les différents auteurs qu’il étudie, sa propre argumentation. La
nation à la française, réalité composite, ne se réalisa qu’à travers une construction volontariste
conduite par le pouvoir royal sur un territoire défini : « les rois (bientôt l’Etat) ont été les
inventeurs et…les bénéficiaires » du concept de nation. Cette conception « délibérément unitaire »
s’est construite au fil des siècles en opposition aux deux défis que Claude Nicolet a mis en avant
dans son essai. Les revendications identitaires de la noblesse, tout d’abord, qui, à travers le mythe
germaniste, se revendiquait d’une autre race et la rivalité avec l’Allemagne, ensuite, qui, par le
pangermanisme, affirmait sa supériorité « native, héréditaire et donc biologique » et la
prééminence de la nation de race.
Revenant à son sujet de prédilection, Claude Nicolet montre que c’est la République qui a permis
de dépasser les caractères sociaux, politiques et diplomatiques du débat historique sur les origines.
En effet, en intégrant à l’identité nationale les fondements idéologiques républicains,
démocratiques, laïques des Lumières et de 1789, elle a achevé cette construction volontariste et a
assis la nation française autour du consentement explicite des individus à vivre en commun. Par là
même, la République a affirmé ce qui constitue l’originalité, la spécificité de la nation
française aujourd’hui: elle a vocation à l’universel. C’est ce qui constitue sa légitimité.
L’intérêt de cet essai consiste donc dans sa double étude historique : concilier une réflexion sur le
concept de nation « dans son devenir historique et sa conscience de soi » avec une étude de son
évolution pendant les deux derniers siècles. Il n’est pas toujours très aisé de maîtriser les doubles
références historiques, la présentation des différents auteurs, leur succession, le contexte national
en même temps que les considérations parfois très précises sur une époque difficilement accessible,
la France gallo-romaine puis germanique. Néanmoins, la qualité de l’érudition de l’auteur lui
permet de conduire sa démonstration, exigeante, avec clarté et précision. Il apporte à la fois une
vision intéressante de « l’éthnogenèse » française et permet au lecteur de mesurer les enjeux, en
particulier diplomatiques, de ce débat pouvant passer au premier abord comme suranné. La
décision récente du gouvernement allemand de mettre fin au droit du sang constitue un
prolongement de ces débats sur la nation et la nationalité qui, on le voit, gardent une importance
considérable dans le monde contemporain. On peut ainsi regretter que l’auteur se soit restreint à la
première moitié du XXème siècle et n’ait pas poussé son étude jusqu’aujourd’hui.
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