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Traduit de l'anglais par
Marie-Cécile Brasseur
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Table des matières
Préface................................................................................................... 9
Introduction ...................................................................................... 17
Puissance douce .......................................................................... 22
Empire et mondialisation ........................................................... 28
Géopolitique et culture populaire.............................................. 41
Chapitre Un ...................................................................................... 47
Le cinéma ...................................................................................... 47
Le pouvoir et la séduction.......................................................... 47
Cinéma et puissance américaine ................................................ 49
Yankee go home : l’impérialisme d’Hollywood ......................... 56
Hollywood et la guerre froide.................................................... 64
Jack Valenti et la tactique dure à Hollywood ............................ 74
La politique de bon voisinage de Mickey .................................. 88
D’Hollywood à Bollywood ...................................................... 114
L’impérialisme d’Hollywood aujourd’hui ................................ 135
Chapitre Deux................................................................................. 141
La télévision ................................................................................ 141
Lotusland : empire mondial ....................................................... 141
Télé de la guerre froide et mode de vie américain .................. 143
Normes techniques et politique internationale ....................... 152
Hollywood à l’heure de grande écoute mondiale .................... 159
Guerres d’information : la nouvelle télévisée .......................... 174
Circuits fermés et chaînes de résistance .................................. 198
Globalisation ou « glocalisation » ? ......................................... 214
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Chapitre Trois ................................................................................. 221
La musique .................................................................................. 221
Le monde devient pop ............................................................. 221
Marche impériale de la musique .............................................. 224
Je veux ma MTV ...................................................................... 244
La musique du monde se mondialise ....................................... 259
Nous sommes le monde ........................................................... 284
Chapitre Quatre ............................................................................. 293
Le prêt-à-manger ....................................................................... 293
Coca-colonisation .................................................................... 295
McDomination mondiale......................................................... 316
Prévention des conflits sous les arches dorées ......................... 336
Conclusion ....................................................................................... 343
Bibliographie sélective .................................................................. 353
Index .................................................................................................. 357
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Préface
Ce livre traite de la puissance américaine, de ses sources,
de son influence et des réactions profondément paradoxales
qu’elle provoque.
S’il peut prétendre à quelque originalité, celle-ci réside dans
l’analyse spécifique de la puissance « douce » américaine en tant
que ressource stratégique des affaires internationales. Nous ne
sommes pas particulièrement concernés ici par la puissance
militaire du Pentagone, mais plutôt par le rôle de premier plan
que joue la culture pop américaine en matière de politique
étrangère. Ce que ce livre a de nouveau, c’est qu’il confère à
Hollywood, à Disneyland, à CNN, à MTV, à Madonna, aux
Big Macs et à Coca-Cola un statut plus élevé dans la dynamique
complexe de la géopolitique mondiale.
La thèse centrale des pages qui suivent pourra sembler
bizarre, controversée et provocatrice. Nous soutiendrons ici
que si le pouvoir militaire et économique des États-Unis est
indispensable au statut de superpuissance de l’Amérique, la
puissance douce a servi historiquement de ressource stratégique
clé en matière de politique étrangère américaine. Pendant
la Première Guerre mondiale, Charlie Chaplin est l’un des
plus importants ambassadeurs de l’Amérique. Lorsqu’éclate
la Deuxième Guerre mondiale deux décennies plus tard,
Mickey Mouse et Donald Duck sont en tête des diplomates de
Disneyland qui répandent les valeurs américaines dans le monde
entier. Aujourd’hui, à l’ère de l’information et de l’Internet, la
puissance douce devient de plus en plus capitale dans le nouvel
ordre mondial dominé par l’Empire américain.
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La notion d’empire, admettons-le, est quelque peu litigieuse,
même au sein des leaders américains. Selon la déclaration du
président George W. Bush : « L’Amérique n’a pas d’empire à
étendre ni d’utopie à établir ». Pourtant, lorsque le président
Bush démontre la formidable force de la puissance « dure »
américaine contre des régimes politiques en Afghanistan et
en Irak, il devient soudain de bon ton de discuter, voire de
désapprouver, des ambitions impérialistes américaines. En
dépit des revendications voulant que l’Amérique soit autorité
malgré elle, la nouvelle réalité mondiale de la Pax Americana
est un fait qu’on ne peut aisément contredire.
De nos jours, aucune nation ne dispute à l’Amérique son
statut unique de superpuissance planétaire. La reconnaissance de
l’Amérique à titre d’« hyperpuissance » repose habituellement
sur les faits, plus précisément sur la supériorité de sa puissance
dure. Pourtant, l’Amérique a accédé à la domination mondiale
en grande partie grâce à des moyens non militaires, notamment
grâce au développement, à l’affirmation et à l’influence de sa
puissance douce, fondée sur des valeurs. La puissance dure
américaine est nécessaire pour maintenir la stabilité mondiale.
Sa puissance douce — les films, la musique pop, la télévision,
le prêt-à-manger — répand et renforce les normes, valeurs,
croyances et habitudes de vie communes. La puissance dure
menace, la puissance douce séduit. L’une cherche à dissuader,
l’autre, à persuader.
On constate avec ironie que de nombreux Américains sont à
peine conscients de l’impact de la puissance douce américaine
dans le monde. Pourtant les adversaires de l’Amérique n’en
sous-estiment jamais les effets. Mao Tsé-toung a lancé un
avertissement selon lequel les produits de la culture pop seraient
des « balles de fusil enrobées de sucre ». Il n’avait tort que
sur un point : ils ont beaucoup plus d’impact. On ne peut que
s’imaginer comment réagirait Mao aujourd’hui en apprenant que
l’un de ses successeurs, Jiang Zemin, a succombé à la séduction
de la puissance douce américaine. En 1998, le leader chinois
avouait en effet qu’il avait vu et bien aimé le film d’Hollywood,
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Titanic et l’a même recommandé aux membres de son politburo
communiste.
Aujourd’hui, la culture pop américaine est omniprésente. La
diva pop Madonna est une superstar en Inde. Au Moyen-Orient,
les jeunes dansent au rythme des vidéos de MTV, tandis que les
leaders politiques regardent CNN. Les ados au Brésil portent
des espadrilles Nike et des casquettes marquées aux couleurs
des équipes de la ligue majeure de baseball. Michael Jordan,
supernova du basket américain, est adulé en Chine, où Kentucky
Fried Chicken s’est installé près de la place Tienanmen et
Starbucks a ouvert ses portes dans la cité interdite. En Occident,
un parc de Disneyland a été construit en banlieue de Paris. Les
intellectuels des cafés y boivent du Coca-Cola tandis qu’ils se
répandent en injures contre « l’impérialisme culturel » américain.
Les émissions de télévision américaines, du feuilleton d’aprèsmidi aux meilleures comédies de situation, sont regardées
quotidiennement dans tous les coins du monde où se trouvent
des téléviseurs. On ne saurait échapper à la puissance douce
américaine, laquelle propage ses valeurs et son engagement
envers le libre marché et la démocratie libérale.
La puissance douce déclenche des réactions diverses et
ambiguës. Elle suscite l’admiration et l’envie, mais provoque
aussi le ressentiment et l’hostilité. Les contestataires de la
mondialisation condamnent les États-Unis qu’ils considèrent
comme une force aveugle poussée par les valeurs commerciales
de l’Amérique des marques. Les passions hostiles s’enflamment
aisément contre les symboles de la culture américaine, qui
sont associés à un ordre cosmopolite qui suscite de profondes
angoisses.
En France, l’élite éprouve un ressentiment amer contre
Hollywood et McDonald’s, dénonce la coca-colonisation et
affecte de s’opposer aux effets toxiques des produits de la culture
pop américaine. L’ironie veut, cependant, que la France et les
États-Unis aient beaucoup en commun sur le plan historique.
Les deux sont des républiques éclairées reposant sur les mêmes
valeurs universelles. C’est sans doute la raison pour laquelle la
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France considère depuis longtemps l’Amérique comme une rivale
au titre de l’influence mondiale. Comme le montrent les pages
qui suivent, dès la fin du xixe siècle, la France rivalisait déjà avec
la puissance douce américaine. À l’époque, on croyait même
que la France serait un chef de file dans l’industrie naissante
de la cinématographie. Toutefois, l’accession de l’Amérique au
statut de puissance mondiale au xxe siècle a mis fin au mythe de
la grandeur française dans le monde. Après la Deuxième Guerre
mondiale, même les réalisateurs rebelles français s’inspiraient des
films d’Hollywood, et les chanteurs populaires de France imitaient
les gestes d’Elvis Presley. Faisant fi du mépris hautain de ses
intellectuels parisiens, la France s’est rapidement retrouvée tout
aussi américanisée que la plupart des autres pays de la planète.
Au Québec, où la proximité géographique des États-Unis met
les Canadiens français en contact plus étroit avec la culture de
masse américaine, les effets de la puissance douce américaine
se font sentir davantage et ne soulèvent habituellement pas la
même résistance renvoyant noblement à sa propre grandeur et
supériorité culturelle. Comme les citoyens de la Ve République,
les Québécois sont à la fois fascinés et irrités par la culture
américaine populaire. Dans le reste du Canada – la population
la plus américaine en dehors des États-Unis –, le patriotisme
local est coloré de sentiments profondément antiaméricains.
Dans le monde non occidental, les icônes de la culture
américaine et les marques de commerce américaines, de MTV
à McDonald’s, irritent précisément parce qu’elles sont si
séduisantes. Si la mondialisation culturelle à l’américaine est
considérée comme subversive, c’est parce que ses messages
sont transmis avec une grande efficacité et accueillis avec
beaucoup d’empressement. Lorsque les ayatollahs islamiques
invoquèrent le Coran pour bannir MTV de leurs écrans locaux
de télévision, l’interdiction devint une déclaration de guerre
symbolique contre l’Amérique. Certains pays, notamment
l’Arabie saoudite, bénéficient de la protection de la puissance
dure américaine, mais interdisent néanmoins les symboles de
sa puissance douce, malgré la prédilection de leur élite pour
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les Cadillac et les Gulfstream. En Corée du Nord, le dictateur
communiste Kim Jong-il idolâtre Michael Jordan et est un
adepte des films d’Hollywood, alors même que son régime
menace l’Amérique de ses armes nucléaires.
Ces réactions intenses et contradictoires envers la puissance
douce américaine posent un défi de taille à la présence dominante
de l’Amérique dans le monde. De tout temps, la politique
étrangère américaine a été déchirée entre le froid calcul du
réalisme intéressé et la mission noble de l’idéalisme moral.
Comme l’a affirmé Franklin D. Roosevelt : « Notre objectif
principal envers l’humanité repose sur la combinaison du
pouvoir et d’un but noble. » Aujourd’hui, en ces premières
années du XXIe siècle, la politique étrangère américaine semble
s’inspirer de l’unilatéralisme plus péremptoire qui a pris le nom
de Doctrine Bush.
La doctrine Bush est née le 11 septembre 2001, alors que la
planète tout entière regardait dans l’horreur et l’incrédulité les
tours brillantes du World Trade Center de New York s’effondrer
sur Manhattan en un colossal amas de métal torturé. Les
barbares de l’espace d’Oussama Ben Laden perpétraient leurs
actes de violence terroriste non pas contre les États-Unis, mais
bien contre un système entier de croyances et de valeurs. Les
terroristes islamiques n’avaient aucune demande précise. Leur
cause se vouait à de plus grandes ambitions : la destruction de
la civilisation occidentale. Et le chef de file de l’Occident était
le grand Satan : l’Amérique.
Lorsque les États-Unis ripostèrent contre le régime des
talibans qui donnait asile à l’Al-Qaïda de Ben Laden, la frappe
militaire américaine en Afghanistan provoqua immédiatement des
représailles de la part de tout l’islam. Les ennemis fanatiques de
l’Amérique, impuissants à contrer la puissance dure américaine,
ciblèrent les symboles habituels de la puissance douce américaine :
McDonald’s, Coca-Cola, Pizza Hut, KFC et Burger King. Aucune
icône culturelle américaine n’était à l’abri d’actes hystériques
de vandales fondamentalistes. L’impact de ces emportements
spontanés s’est aussitôt fait sentir autour du monde. Le tourisme
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international s’est interrompu dans la panique. Certaines des
grandes lignes aériennes ont frisé la faillite. Le marché des
valeurs a dégringolé, créant des pertes de milliards de dollars.
Craignant l’attaque de terroristes, la Walt Disney Company
a fermé ses parcs à thème de Disneyland. Mickey Mouse,
semblait-il, battait rapidement en retraite dans un bunker de
Disney pour échapper à l’ire d’Allah.
Les États-Unis mirent toutefois peu de temps à riposter et à
réaffirmer la puissance américaine. Lorsque le président Bush a
déclaré que l’Amérique allait s’embarquer dans une « croisade »
en bonne et due forme pour débarrasser le monde de ce mal,
son choix de termes, dénoncé par les critiques, évoquait les
expéditions chrétiennes médiévales en vue de reprendre la
Terre sainte des mains païennes. Les sombres prédictions au
sujet du « choc des civilisations » semblaient destinées. La
décimation par l’Amérique du régime terroriste de Ben Laden
en Afghanistan fut la première démonstration de la vaste
portée de la Doctrine Bush. Le traitement réservé à l’Irak et à
son dictateur, Saddam Hussein, a transmis un message encore
plus fort déclarant que l’Amérique était prête à agir, même
unilatéralement, et à imposer sa volonté au monde. Une fois
de plus, pourtant, l’affirmation de la puissance dure des ÉtatsUnis a provoqué des réactions féroces contre les symboles
de la puissance douce américaine. De Buenos Aires à Quito
en passant par Séoul et Manille, les arches dorées devinrent
notamment la cible de la violence antiaméricaine. Au yeux des
adversaires de l’Amérique, McDonald’s était devenu le substitut
de prédilection aux ambassades américaines.
Qu’on ne s’y méprenne pas : la domination mondiale de
l’Amérique repose avant tout sur la supériorité de la puissance
dure des États-Unis. Toutefois, l’influence, le prestige et la
légitimité de l’Empire américain qui émerge dépendra de
l’efficacité de sa puissance douce. Aucun empire, fût-il grec,
romain, français, ottoman ou britannique, n’est demeuré
indifférent aux effets des ressources de sa puissance douce. La
longévité de l’Empire américain en dépendra, elle aussi.
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préface
Ce livre fournit une analyse détaillée, historique et contemporaine, du rôle complexe que joue la puissance douce dans
l’émergence de l’Empire américain. Réparties en quatre
sections portant sur le cinéma, la télévision, la musique pop et
le prêt-à-manger, les pages qui suivent retraceront les origines,
l’histoire et le rôle actuel des ressources de la puissance douce
dans le cadre de la politique étrangère des États-Unis. Arrivé
en fin de parcours, le livre aura démontré que l’arsenal de la
puissance douce américaine contient des armes impressionnantes
de distraction massive.
Matthew Fraser
juin 2004
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