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les armes de distraction massive
La notion d’empire, admettons-le, est quelque peu litigieuse,
même au sein des leaders américains. Selon la déclaration du
président George W. Bush : « L’Amérique n’a pas d’empire à
étendre ni d’utopie à établir ». Pourtant, lorsque le président
Bush démontre la formidable force de la puissance « dure »
américaine contre des régimes politiques en Afghanistan et
en Irak, il devient soudain de bon ton de discuter, voire de
désapprouver, des ambitions impérialistes américaines. En
dépit des revendications voulant que l’Amérique soit autorité
malgré elle, la nouvelle réalité mondiale de la Pax Americana
est un fait qu’on ne peut aisément contredire.
De nos jours, aucune nation ne dispute à l’Amérique son
statut unique de superpuissance planétaire. La reconnaissance de
l’Amérique à titre d’« hyperpuissance » repose habituellement
sur les faits, plus précisément sur la supériorité de sa puissance
dure. Pourtant, l’Amérique a accédé à la domination mondiale
en grande partie grâce à des moyens non militaires, notamment
grâce au développement, à l’affirmation et à l’influence de sa
puissance douce, fondée sur des valeurs. La puissance dure
américaine est nécessaire pour maintenir la stabilité mondiale.
Sa puissance douce — les films, la musique pop, la télévision,
le prêt-à-manger — répand et renforce les normes, valeurs,
croyances et habitudes de vie communes. La puissance dure
menace, la puissance douce séduit. L’une cherche à dissuader,
l’autre, à persuader.
On constate avec ironie que de nombreux Américains sont à
peine conscients de l’impact de la puissance douce américaine
dans le monde. Pourtant les adversaires de l’Amérique n’en
sous-estiment jamais les effets. Mao Tsé-toung a lancé un
avertissement selon lequel les produits de la culture pop seraient
des « balles de fusil enrobées de sucre ». Il n’avait tort que
sur un point : ils ont beaucoup plus d’impact. On ne peut que
s’imaginer comment réagirait Mao aujourd’hui en apprenant que
l’un de ses successeurs, Jiang Zemin, a succombé à la séduction
de la puissance douce américaine. En 1998, le leader chinois
avouait en effet qu’il avait vu et bien aimé le film d’Hollywood,