vers l'autonomie de cet adolescent, les prémices de liberté du futur jeune adulte? Sacrifier, c'est
empêcher de partir nous disent les psychanalystes, sacrifier c'est garder pour soi cet enfant tant
attendu qu'il veut posséder, dont il veut faire un prolongement de lui 1.
C'est l’intervention de l'ange qui arrête la main du père, c’est l’ange qui évite l'irréparable. En
cela, l'ange libère Isaac qui se relève et se met en route vers son avenir d'homme.
C'est cette place de l'ange que nous occupons, nous tous ici qui travaillons auprès d'adolescents
objets de tant de constructions fantasmatiques qui donnent aux parents l'illusion d'une toute
puissance, l'illusion que leur enfant leur appartient, envers et contre tout. Nous sommes, comme
l'ange, ce tiers séparateur bien souvent nécessaire. Nous sommes, comme l’ange, celui qui re-
explique en permanence ce que signifie «transmettre la vie».
Mais pour ce faire, pour intervenir convenablement auprès de nos jeunes patients se pose
souvent la question du juste dialogue à trouver, du juste chemin à emprunter pour les rejoindre, du
juste lien à tenter pour les atteindre.
À Montpellier il y a quelques années, nous avions essayé de décrypter le mystère de ce passage
entre ce qui est dit et ce qui est entendu. Nous avions informé des jeunes de 15 ans sur tout ce qu'il
faut connaitre dans le domaine de la sexualité, prévention, contraception, amour... et trois ans plus
tard nous les avions retrouvés, à cet âge où les deux tiers d'entre eux ont eu leurs premiers rapports,
et nous les avions comparés à un groupe témoin, non informé. Aucune différence entre les deux
groupes, ni dans les souvenirs de ce qui avait été dit, ni dans la compréhension de la physiologie, de
la contraception ni même dans l'attitude préventive, nos mots n'avaient pas existé! Mais au bout du
compte, dans le groupe informé, ils avaient pris garde à eux, dix fois moins d'IVG, quatre fois
moins d'IST par rapport au groupe témoin.
Quel chemin étrange a pris notre parole d'adulte pour porter le message dont elle était chargée?
Françoise Dolto, qui jugeait ce travail, a dit: «On s'est intéressés à eux, on leur a donné envie de
s'intéresser à eux. Le message est allé s'inscrire directement dans l'inconscient». Et Michel Ribstein,
psychiatre montpelliérain a rajouté: «Il n'y a que la mélodie qui a compté, pas les mots».
La parole lorsqu'elle est juste, c'est ce qui offre la capacité de se représenter quelque chose.
Mettre des mots, c'est faire exister ce quelque chose. La parole, c'est ce qui va permettre la
distinction entre soi et l'autre. La parole crée l'altérité.
C'est par elle que l'autonomie se fraiera passage et par cette parole que nous adressons aux
jeunes, nous ouvrons la voie. L'autonomie, c'est la possibilité d'élaborer la conscience, d'être
capable de choisir entre le bien et le mal sans référence nécessaire à une autorité supérieure.
Autonomie, du grec, ‘avoir intégré la loi en soi’, loi de justice (connaître la limite, celle à respecter
et celle à faire respecter aux autres), loi religieuse (connaître les dogmes et les doctrines), loi morale
(être capable de faire ses propres choix).
La connaissance des lois et des dogmes est indispensable pour redire la limite, pour redire la
norme, même si c’est pour ensuite devoir la transgresser. La connaissance des lois et des dogmes est
indispensable car ils formeront les piliers contre lesquels pourra s’élaborer la conscience
individuelle.
Libéré, Isaac s'est relevé de l'autel du sacrifice et il est parti, autonome, vers son avenir
d'homme libre. Il épousera Rebecca et après vingt ans d'attente ils auront deux jumeaux, Jacob et
Esaü.
Jacob épousera Rachel et ils auront un fils après que Rachel ait vu naître onze autres enfants de
son mari.
1 Causse, JD. Figures de la filiation. Ed Cerf. Nov 2008