Le métabolisme des polyamines dans le cancer du sein : une cible

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Le métabolisme des polyamines dans le cancer du sein :
une cible thérapeutique potentielle
● J. Levêque *, ***, F. Foucher*, F. Burtin**, V. Catros-Quemener***
LE MÉTABOLISME DES POLYAMINES
chronisé avec le cycle cellulaire (figure 1). L’ornithine décarboxylase (ODC) est l’enzyme clé de l’anabolisme des polyamines, contrôlant la formation de putrescine à partir d’ornithine, et sur laquelle agit un inhibiteur pharmacologique
spécifique et irréversible, la difluorométhylornithine (DFMO,
eflornithine). L’anabolisme des polyamines est accru dans les
cellules cancéreuses et, réciproquement, son inhibition provoque un arrêt de la croissance tumorale : en conséquence, ces
molécules présentent un intérêt potentiel en thérapeutique
humaine (1, 2).
Les polyamines naturelles (putrescine, spermidine et spermine)
sont des composants universels et obligatoires des cellules
eucaryotes, synthétisées “à la demande”. Elles jouent un rôle
majeur dans l’homéostasie de la prolifération et de la différenciation cellulaire grâce aux interrelations que ces polycations
entretiennent avec les sites anioniques des acides nucléiques
(ADN et ARN), des protéines et des membranes cellulaires.
Leur taux cellulaire résulte d’un métabolisme régulé et synARGININE
1
β-alanine
CO2
10
Acide glutamique
PUTRESCINE
8 9
acétate
3-acétamidopropanal
AcCoA
7
ORNITHINE
2
4
N1-acétylputrescine
1
N -acétylspermidine
7
N , N -diacétylspermine
AcCoA
Adénine
SPERMIDINE
8
AcCoA
7
12
12 MÉTHIONINE
Méthylthioribose-1-phosphate
β-alanine
3-acétamidopropanal
1
AdoMet
ATP
11
MTA
6
AcCoA
3
dAdoMet
Glutamine
6
9
acétate
3
dAdoMet
AdoMet
12
MÉTHIONINE
8
N -acétylspermidine
N1-acétylspermine
5
MTA
11
ATP
Adénine
Méthylthioribose-1-phosphate
6
SPERMINE
1 : arginase
2 : ornithine décarboxylase
3 : S-adénosylméthionine décarboxylase
4 : spermidine synthétase
5 : spermine synthétase
6 : spermidine/spermine N1-acétyltransférase
7 : polyamine oxydase
8 : AcCoA N8-acétylspermidine/N1-acétylputrescine transférase
9 : N8-acétylspermidine/N1-acétylputrescine déacétylase
10 : ornithine aminotransférase
11 : 5' méthylthioadénosine phosphorylase
12 : méthylthioadénosine transférase
Figure 1. Cycle des polyamines.
* Service de gynécologie B du Pr J.Y. Grall, CHU de Rennes, 16, boulevard de Bulgarie, 35056 Rennes Cedex.
** Antenne d'anatomie pathologique du Pr J. Kérisit, CHU de Rennes, 16, boulevard de Bulgarie, 35056 Rennes Cedex.
*** GRETAC, UPRES-A CNRS 6027 du Pr J.P. Moulinoux, CHU de Rennes, 16, boulevard de Bulgarie, 35056 Rennes Cedex.
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La Lettre du Gynécologue - n° 254 - septembre 2000
LES SOURCES DE POLYAMINES ET LEUR INHIBITION
L’inhibition de l’anabolisme intracellulaire des polyamines
(inhibition irréversible de l’ODC par la DFMO) est responsable d’un effet cytostatique in vitro vérifié sur de nombreuses
lignées cellulaires cancéreuses (3). À l’échelle d’un organisme
entier, le blocage des sources cellulaires de polyamines doit
être couplé à une réduction de l’apport exogène de polyamines, car les cellules cancéreuses reconstituent le pool intracellulaire de polyamines nécessaires à leur prolifération en les
captant dans leur environnement immédiat (sang, liquides
interstitiels…) (4). L’intestin est l’une des sources majeures de
polyamines exogènes : certains aliments sont en effet riches en
polyamines, et la prolifération naturelle de la flore bactérienne
intestinale s’accompagne d’une production importante de
polyamines. Ainsi, l’inhibition de la synthèse intracellulaire de
polyamines (DFMO), lorsqu’elle est associée à une réduction
de l’apport exogène de polyamines (alimentation à très faible
teneur en polyamines couplée à une décontamination bactérienne intestinale par néomycine), provoque, quel que soit le
type de tumeur traitée, une inhibition de plus de 95 % de la
croissance tumorale (y compris métastatique) (4, 5). Chez
l’animal, lorsque la carence en polyamines est levée, la progression tumorale reprend, témoignant du caractère cytostatique de la déprivation en polyamines.
POLYAMINES ET CANCER DU SEIN
Dans le cancer du sein, les polyamines sont considérées
comme des seconds messagers de la croissance estrogénoinduite : tant in vitro que chez l’animal, l’estradiol accroît
l’activité ODC des cellules cancéreuses, et par conséquent les
taux intracellulaires de polyamines (6, 7). Inversement, in
vitro, la DFMO provoque dans diverses lignées cellulaires
mammaires malignes une inhibition de la prolifération cellulaire qui s’accompagne d’une réduction intracellulaire des taux
de polyamines liée à une réduction de l’activité ODC (7).
Cependant, chez l’animal, l’administration de DFMO seule ne
réduit que très modestement la croissance tumorale, avec seulement une chute de la putrescine et de la spermidine tumorale
(8, 9). Deux explications peuvent être avancées : la première
concerne une surexpression du gène de l’ODC (3), ou un
accroissement de la stabilité de cette enzyme dans les cellules
tumorales traitées par DFMO (1). Si tel était le cas, la DFMO
devrait être théoriquement moins active in vitro qu’in vivo, ce
qui n’est pas vérifié. La seconde rejoint nos observations précédentes, à savoir que l’inhibition des sources cellulaires de
polyamines est contrebalancée in vivo par les sources exogènes de polyamines. Dans un travail récent (10), nous avons
en effet montré que la carence de l’organisme en polyamines
via la trithérapie (aliment à très faible teneur en polyamines +
DFMO + décontamination bactérienne digestive par néomycine) provoquait chez la souris nude porteuse d’une xénogreffe
de carcinome mammaire humain MCF-7 :
● une notable réduction de la croissance tumorale, essentiellement due à la présence de DFMO ;
● une chute des concentrations tumorales des trois polyamines
(y compris de la spermine), significativement plus importante
La Lettre du Gynécologue - n° 254 - septembre 2000
que chez les animaux traités par DFMO seule ;
● une diminution de l’immunomarquage de la protéine Ki67,
reflétant que la baisse des taux tumoraux de polyamines était
bien due à une baisse de la prolifération tumorale et non à une
diminution de la cellularité du carcinome (celle-ci restant, dans
les tumeurs traitées, identique à celle des tumeurs contrôles) ;
● l’absence de modification de l’expression tumorale des
récepteurs hormonaux (RE et RP).
Dans une perspective thérapeutique éventuelle, nous avons
cherché à analyser le métabolisme des polyamines chez des
patientes atteintes de cancers du sein invasifs en utilisant un
groupe contrôle constitué de femmes opérées d’une pathologie
bénigne du sein (adénofibrome mammaire et mastopathie
fibrokystique sans dysplasie associée) (11). La comparaison
des deux groupes montre que les concentrations tumorales des
trois polyamines sont plus élevées chez les patientes cancéreuses. De plus, les facteurs pronostiques classiques sont corrélés aux taux tumoraux de polyamines dans les cancers du
sein : corrélation entre les taux de spermidine et le statut ganglionnaire axillaire ; corrélation des grades histologiques SBR
et mSBR aux trois polyamines ; corrélation du marquage de la
protéine Ki67 et des taux de polyamines. Enfin, dans ce travail, nous n’avons pas observé de corrélation entre les polyamines tumorales et l’expression des récepteurs hormonaux.
CONCLUSION
Le métabolisme des polyamines est étroitement lié aux mécanismes associés dans la promotion tumorale estrogéno-induite.
En particulier chez la femme, les cancers du sein en phase de
croissance ont une biosynthèse de polyamines exagérée : cette
voie métabolique, si elle peut être contrôlée, présente donc un
intérêt thérapeutique. En expérimentation animale, sur des
tumeurs mammaires d’origine humaine, l’inhibition complète
des sources cellulaires et digestives de polyamines offre une
efficacité anticancéreuse. Des essais cliniques de déprivation
en polyamines mériteraient d’être initiés en pathologie
maligne mammaire, comme cela est déjà le cas dans les cancers du côlon et du col utérin (12).
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9th Congress of the
European Society
for Gynaecological Endoscopy
Paris, 19-21 octobre 2000
Renseignements et inscriptions :
Convergences-ESCG 2000,
120, avenue Gambetta,
75020 Paris.
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