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LES SOURCES DE POLYAMINES ET LEUR INHIBITION
L’inhibition de l’anabolisme intracellulaire des polyamines
(inhibition irréversible de l’ODC par la DFMO) est respon-
sable d’un effet cytostatique in vitro vérifié sur de nombreuses
lignées cellulaires cancéreuses (3). À l’échelle d’un organisme
entier, le blocage des sources cellulaires de polyamines doit
être couplé à une réduction de l’apport exogène de poly-
amines, car les cellules cancéreuses reconstituent le pool intra-
cellulaire de polyamines nécessaires à leur prolifération en les
captant dans leur environnement immédiat (sang, liquides
interstitiels…) (4). L’intestin est l’une des sources majeures de
polyamines exogènes : certains aliments sont en effet riches en
polyamines, et la prolifération naturelle de la flore bactérienne
intestinale s’accompagne d’une production importante de
polyamines. Ainsi, l’inhibition de la synthèse intracellulaire de
polyamines (DFMO), lorsqu’elle est associée à une réduction
de l’apport exogène de polyamines (alimentation à très faible
teneur en polyamines couplée à une décontamination bacté-
rienne intestinale par néomycine), provoque, quel que soit le
type de tumeur traitée, une inhibition de plus de 95 % de la
croissance tumorale (y compris métastatique) (4, 5). Chez
l’animal, lorsque la carence en polyamines est levée, la pro-
gression tumorale reprend, témoignant du caractère cytosta-
tique de la déprivation en polyamines.
POLYAMINES ET CANCER DU SEIN
Dans le cancer du sein, les polyamines sont considérées
comme des seconds messagers de la croissance estrogéno-
induite : tant in vitro que chez l’animal, l’estradiol accroît
l’activité ODC des cellules cancéreuses, et par conséquent les
taux intracellulaires de polyamines (6, 7). Inversement, in
vitro, la DFMO provoque dans diverses lignées cellulaires
mammaires malignes une inhibition de la prolifération cellu-
laire qui s’accompagne d’une réduction intracellulaire des taux
de polyamines liée à une réduction de l’activité ODC (7).
Cependant, chez l’animal, l’administration de DFMO seule ne
réduit que très modestement la croissance tumorale, avec seu-
lement une chute de la putrescine et de la spermidine tumorale
(8, 9). Deux explications peuvent être avancées : la première
concerne une surexpression du gène de l’ODC (3), ou un
accroissement de la stabilité de cette enzyme dans les cellules
tumorales traitées par DFMO (1). Si tel était le cas, la DFMO
devrait être théoriquement moins active in vitro qu’in vivo, ce
qui n’est pas vérifié. La seconde rejoint nos observations pré-
cédentes, à savoir que l’inhibition des sources cellulaires de
polyamines est contrebalancée in vivo par les sources exo-
gènes de polyamines. Dans un travail récent (10), nous avons
en effet montré que la carence de l’organisme en polyamines
via la trithérapie (aliment à très faible teneur en polyamines +
DFMO + décontamination bactérienne digestive par néomy-
cine) provoquait chez la souris nude porteuse d’une xénogreffe
de carcinome mammaire humain MCF-7 :
●une notable réduction de la croissance tumorale, essentielle-
ment due à la présence de DFMO ;
●une chute des concentrations tumorales des trois polyamines
(y compris de la spermine), significativement plus importante
que chez les animaux traités par DFMO seule ;
●une diminution de l’immunomarquage de la protéine Ki67,
reflétant que la baisse des taux tumoraux de polyamines était
bien due à une baisse de la prolifération tumorale et non à une
diminution de la cellularité du carcinome (celle-ci restant, dans
les tumeurs traitées, identique à celle des tumeurs contrôles) ;
●l’absence de modification de l’expression tumorale des
récepteurs hormonaux (RE et RP).
Dans une perspective thérapeutique éventuelle, nous avons
cherché à analyser le métabolisme des polyamines chez des
patientes atteintes de cancers du sein invasifs en utilisant un
groupe contrôle constitué de femmes opérées d’une pathologie
bénigne du sein (adénofibrome mammaire et mastopathie
fibrokystique sans dysplasie associée) (11). La comparaison
des deux groupes montre que les concentrations tumorales des
trois polyamines sont plus élevées chez les patientes cancé-
reuses. De plus, les facteurs pronostiques classiques sont cor-
rélés aux taux tumoraux de polyamines dans les cancers du
sein : corrélation entre les taux de spermidine et le statut gan-
glionnaire axillaire ; corrélation des grades histologiques SBR
et mSBR aux trois polyamines ; corrélation du marquage de la
protéine Ki67 et des taux de polyamines. Enfin, dans ce tra-
vail, nous n’avons pas observé de corrélation entre les poly-
amines tumorales et l’expression des récepteurs hormonaux.
CONCLUSION
Le métabolisme des polyamines est étroitement lié aux méca-
nismes associés dans la promotion tumorale estrogéno-induite.
En particulier chez la femme, les cancers du sein en phase de
croissance ont une biosynthèse de polyamines exagérée : cette
voie métabolique, si elle peut être contrôlée, présente donc un
intérêt thérapeutique. En expérimentation animale, sur des
tumeurs mammaires d’origine humaine, l’inhibition complète
des sources cellulaires et digestives de polyamines offre une
efficacité anticancéreuse. Des essais cliniques de déprivation
en polyamines mériteraient d’être initiés en pathologie
maligne mammaire, comme cela est déjà le cas dans les can-
cers du côlon et du col utérin (12).■
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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La Lettre du Gynécologue - n° 254 - septembre 2000