Le
grillon domestique n'a pas Îlni
de
surprendre. Capable de loger
dans les stations
du
métro parisien
(voir brève p 34), le voilà objet de
toute l'attention des neurobiolo-
gistes : l'étude de
son
cerveau a per-
mis de mettre
en
évidence que la
fabrication des neurones
ne
se
limi-
tait pas à la phase larvaire de crois-
sance
du
système nerveux central.
Elle existe aussi chez l'individu
adulte, grâce notamment à l'impli-
cation d'hormones et de poly-
amines, dont le rôle dans la matu-
ration des fonctions neuronales
pourra être facilement étudiée sur
ce modèle biologique.
1 est des a
ffir
mations tant de
fois
rép
é-
tées qu'on les croit vrai
es.
Ainsi,
jus
qu'à
une date cent
e,
une neurogese a
été démontrée chez les singes et même
chez l'Homme adulte, on croya
it
qu
e,
chez les vettébrés surieurs, aucun
neurone ne pouva
it
ê
tr
e fordans le
cerveau après la naissan
ce.
On pensa
it
de même que le com
po
rt
ement inné
relativement in
fl
exible des insectes
dev
ai
t ê
tr
e sous
-t
endu par une circuite-
rie
neuronale figée et l'on n'
im
aginait
pa
r Myriam C
ay
re et Alain Strambi
p
as
qu
e,
passée-la phase larvaire de
croissance du système nerveux central,
de nouve
ll
es cellules nerveuses pou-
vaient s'ajouter à certaines structures du
cerveau.
La neurogenèse
adulte
Ce
rt
es ce n'est p
as
uni
fo
rméme
nt
dans
le
sys
tème nerveux cen
tra
l que des neu-
rones sont
aj
ou
s.
Se
ules certaines
structures po
ss
èd
en
t ce p
ri
v
il
ège.
Ch
ez
les mammifères, c'est une zone dite
"so
us-ventr
ic
ul
a
ir
e"
et le
"gy
ru
s dente-
Les
corps pédonculés
l
é"
de l'hippocampe qui présentent une
neurogenèse persistante.
Ch
ez les
in
sectes, une structure brale pa
ir
e,
le
"c
orps doncu", est néralement
considérée, comme
un
analogue fon
c-
ti
onnel de l'
hi
ppocampe parce que
l'une comme l'autre de ces structures
sont impliqes dans la mémoire et
l'apprentissag
e.
Or, ce qui renforce le
para
ll
è
le
entre corps pédonc
ul
és et hip-
pocamp
e,
c'est la découverte, dans le
cerveau du G
rill
on domestique (Acheta
domesticus) adult
e,
d'un groupe de cel-
lules souches, ou neurobl
as
tes, q
ui
pro-
duisent des neurones qui s'
in
tèg
re
nt
dans
le
cortex des corps donc
ul
é
s.
Ce sont des neuropiles, c'es
t-
à-dire un en
se
mble de
fi
bres nerveuses et
de
synapses
provenant de corps ce
ll
ulaires extérieurs.
Il
s
so
nt c
ompo
sés d'
un
ca
li
ce simple ou
dou
ble,
en
forme
de
coupe
, prolongé à sa base
pa
r
un
pédo
ncule q
ui
bifurq
ue
en
de
ux
lobes. Une dense
popu
lation
de
petits corps ce
ll
ula
ir
es, fo
rm
ant
un cortex, r
emp
lit ce
ca
li
ce qui se trouve envahi, ain
si
que les l
ob
es,
par
leurs pro
lon
gements. C'est à ce cor-
tex
qu
e la
neu
rogen
èse
ajo
ut
e
co
ntinuellement de nouveaux
neuro
ne
s.
Du
ja
rdin, qui
déc
ri
v
it
po
ur
la
prem
ière fois les corps d
onc
ulés dès 1850, remarqua
qu
'
il
s étaient
co
mp
arativ
em
ent plus dévelo
ppés
ch
ez les insectes d
ont
les relations avec l'environ-
ne
ment étaient plus
comp
lexes (abe
ill
es ou fourmis par
ex
em
ple).
Il
en
conclut qu'
il
s
étaient le si
ège
de l'inte
lli
ge
nce
...
ce qui n'est pas faux.
On
sait maint
ena
nt que c'est
da
ns les corps
donculés que se fa
it
l'ingrati
on
des messages sensoriels qui arriv
ent
aux ca
li
ces et,
qu'à
pa
rtir des lobes,
en
ressortent des messages
en
direction des centres
mo
teurs. En 1980,
Er
ber montra que l'anesthésie des corps
pédo
nculés
de
l'abe
ill
e
em
chait l'apprentiss
age;
on
con
naît depuis
de
nom
breuses
mu
tations qui affectent
le comportement de la Drosophile et qui o
nt
le
ur
o
ri
gine dans des perturbations
mor
-
phologiques ou biochimiques des corps
donculés.
I
NS
E C
TE
S
35
,
Le
rôle des
hormones
L'intensité de
la
division des cellules
souches est régulée par les hormones
morphogénétiques. L'ecdysone ou hor-
mone de mue (qui est, chez l'imago,
sécrétée par les ovaires) a une action
inhibitrice, alors que la neurogenèse est
stimulée par l'hormone juvénile. Cette
hormone morphogénétique, crétée
par
les
corpora
allata
(corps allates) -
une paire de glandes endocrines situées
à l'arrière du cerveau -induit
le
maintien
de caractères larvaires lors des
mu
es·
(d'où son nom), puis stimule
la
crois-
sance des ovaires chez la femelle adulte.
L'ho
rm
one
ju
nil
e stimule aussi la mul-
tiplication des neuroblastes dans le cor-
tex des corps pédoncul
és,
ce qui montre
que le cerveau est également un organe
cible de l'hormone
ju
vénile.
Nous avons pu mettre en évidence un
intermédiaire de l'action
de
l'hormone
juvé
nil
e : les polyamines.
Les
poly-
amines (putrescin
e,
spermidine et sper-
mine) sont des facteurs de croissance
qui se rencontrent dans les bactéries et
presque toutes les cellules animales et
Et chez les autres insectes ...
Bien
peu
ont
été
étudié
s.
De
s
éq
ui
pes
é
tr
an
-
gères
ont
examiné
en
vain
les
cerveaux
de
la
Drosophile
(Drosophila
melanogaster)
et
de
l'
Abeille
(Apis
mellifera).
Nous
n
'avo
ns
pas
non
plus
décelé
de
neurogénèse
chez
des
imagos
d'
un
Criq
u
et
(Locusta
migratoria)
ni
d'
une
Blatte
(Periplaneta
americana).
Mais
elle
existe
chez
d'autres espèces
de
Gryllid
és
(Gryllus
bimaculatus,
Glyllolnolpha
dalmati-
na),
chez
un
HétérQptère
(Oncopeltus
fascia-
tus)
,
chez
un
Dictyoptère
(Mantis
retigiosa)
et
,
de
façon
inattendue,
chez
des
Endoptérygotes
:
TenebriO
motitor
et
Zopho
-
bas
sp.
(Coléoptères,
Ténébrionidés)
et
Har
-
monia
axyridis
(Coléoptèrès,
Cocci
nellid
és).
végétales et qui jouent un rôle clé dans
les processus de multipllcation et de
différenciation cellulaire. L'hormone
juvénile stimule la biosynthèse des
polyamines dans
le
système nerveux, ce
qui entraîne une concentration accrue
des trois polyamines. Inversement,
l'ablation des
corpor
a
al/ata,
qui sup-
prime l'hormone juvénile circulante,
entraîne la réduction des taux de poly-
amines cérébrales ; e
ll
e inhibe égale-
ment
la
multiplication neuronale dans
les corps pédonculés.
Les
polyamines
apparaissent donc comme des intermé-
diaires dans
le
mode d'action de l'hor-
mone juvénile sur les neuroblastes.
L'inhibition de
la
biosynthèse des poly-
amines, conjointement à
la
manipula-
tion de l'état hormonal des animaux et
à l'administration de putrescine exogène,
a permis de faire varier le taux de
putrescine du cerveau
en
maintenant
constants les taux des polyamines à
plus longues chaînes, la spermidine et
la
spermine. On a pu ainsi mettre en
évidence le rôle clé spécifique de la
putrescine dans
la
transduction du mes-
sage de l'hormone juvénile au
ni
veau
du système nerveux central.
Rôle
de
tenvironnement
L'environnement agit également
en
parallèle avec les hormones
pour
moduler la production des nouveaux
neurones dans le cortex des corps
pédonculés du grillon. C'est encore un
parallèle frappant avec l'hippocampe
des mammifères.
En
effet, chez
la
souris
comme chez
le
grillon, des animaux
élevés dans des cages pourvues de
riches informations sensorie
lle
s (congé-
nères, odeurs, sons,
cache!!:es
, etc) ont
une neurogenèse accrue par rapport à
des animaux élevés
en
confinement
sans possibilité d'explorer un univers
diversifié.
Vers
une
compré-
hension
du
rôle de
la neurogenèse ?
Des expenences antérieures avaient
déjà permis de soupçonner que l'hor-
mone juvénile agissait spécifiquement
sur le cerveau.
En
effet, elle s'avère
nécessaire à l'expression du comporte-
ment de ponte, lequel peut être observé
même après ablation des ovaires l'ex-
clusion, bien entendu, du dépôt des
œufs proprement dit). D'autre part, ce
comportement de ponte est fortement
inhibé après ingestion de l'inhibiteur
de
la
biosynthèse des polyamines, bien
que les taux d'hormone
ju
nile restent
inchangés.
Un
tel compoltement néces-
site l'intégration de nombreuses
séquences d'activité, allant de la
~/Jojr
a/1/cle "Dét.:efoppemellf de l'insectes ; mues
el
mélamorpbosesu, e.'\:traft de
/'oUV1"a{W
de
Micbel
Lamy
, "
{.es
insectes et
les
hommes
",
en
jXlges
27
de
ce
numéro
INSEC
TE
S
38
1
19
-
2000
( 4 )
Représentation schématique d'
un
ceroeau de grillon,
vu de l'arrièr
e,
montrant
la position
du
corps
péd
on-
cu
gau
che.
recherche d'un substrat de ponte adé-
quat à l'insertion de l'ovipositeur dans
le
sol ; des zones cérébrales spécialisées
dans l'intégration nerveuse doivent être
impliquées dans sa genèse. Or, les
centres intégrateurs majeurs du cerveau
des insectes sont justement les corps
pédonculés qui sont le siège de
la
neu-
rogenèse chez l'adulte. Bien qu'il soit
prématuré de poser l'hypothèse d'un
lien causal entre
la
neurogenèse et la
maturation d'un compOltement com-
plexe,
le
cerveau du Grillon est sans
doute adéquat pour étudier
le
rôle des
hormones et des polyamines dans les
phénomènes de maturation des fonc-
tions neurona
les.
Les
recherches dont
il
fait l'objet pourraient permettre de
généraliser aux mammifères des
connaissances acquises grâce à ce
modèle d'accès plus facil
e.
0
Les
auteurs
Myriam
Cayre
et
Alain
Strambi
sont
respectivement
Chargée
de
recherches
et
Direct
eur
de
recherches
au
CNRS.
Ils travaillent au Laboratoire
de
Neurobiologie (Unité
propre
du
CNRS)
à Marse
ill
e.
Pour
en
savoir
plus
Eriksson
P.
S.
et
al.
, 1998 - N
eurogenesis
in
the
adllit
human
hippocamplIs -
Nature
Medicine,
4,
1313-1317
Heisenberg
M.,
1998
-
What
do
the
mushroom
bodies
do
for
the
insect
brain
?
An
introduction.
- Leaming &
Memory,
5,
1-
10
Strambi
c.,
Cayre
M.
and Strambi
A.,
1
999
-
Neural
plasticity
in
the
adult
insect
brain
and
its
hormonal
contro
l.
-
lm.
Rev.
CyIO!.,
190,
137-
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