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Universite de lyon – Université Lumière Lyon II
Institut d’études politiques de lyon
Environnement et accords commerciaux :
quels choix pour l’Europe ?
Mémoire de séminaire : Globalisation, commerce et développement
Benjamin Lécorché
Sous la direction de : Mme Emmanuelle Ganne et Mr Mustapha Sadni-Jallab
Soutenu le 3 Septembre 2012
Jury : Mr Mustapha Sadni-Jallab, Mr René Sandretto
Table des matières
Introduction . .
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Première partie : Accords Commerciaux Préférentiels et environnement : connaissances
empiriques et cadre européen . .
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Remerciements . .
A. Etat des connaissances actuelles sur les accords de libre échange et leur relation à
l’environnement : . .
1. Définition : . .
2. Les questions non-commerciales et l’environnement dans les accords
préférentiels : . .
3. Typologie des dispositions environnementales : . .
4. La place de l’environnement dans le processus de négociation : . .
B. Le climat dans le cadre européen de négociations commerciales : . .
1. Textes de référence : . .
2. Le processus de négociation des accords commerciaux . .
3. L’étude d’impact environnemental . .
4. Dispositions environnementales classiques des accords commerciaux
européens : . .
Seconde partie : Etudes de cas . .
A. Les rapports EU-ACP . .
1. Historique des relations : . .
2. L’accord de Cotonou : cadre actuel des relations . .
3. La coopération environnementale avec Cotonou . .
4. Un APE fonctionnel : l’accord avec le Cariforum . .
B. Une nouvelle génération d’accord : l’exemple de la Corée . .
1. Processus de négociation de l’accord : . .
2. Les relations économiques UE-Corée : . .
3. Présentation générale de l’accord . .
4. L’environnement dans cet accord : . .
Conclusion . .
Bibliographie . .
Livres . .
Articles et extraits de livres . .
Rapports institutionnels . .
Etudes d’impact . .
Documents officiels européens . .
Eurobaromètres . .
Communications des institutions . .
Discours . .
Accords internationaux . .
Sites internet . .
Annexes . .
Annexe 1 : échange avec Mme Sofia Taïki, députée européenne. . .
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Annexe 2 : entretien avec Mr. Patrick Ravillard, chargé des relations commerciales
DG environnement . .
Annexe 3 : liste et classification des pays ACP (Annexe VI de l’accord de Cotonou)
..
ETATS ACP LES MOINS AVANCES . .
ETATS ACP ENCLAVES . .
ETATS ACP INSULAIRES . .
Annexe 4 : les priorités du développement durable dans les Caraïbes . .
Annexe 5 : tableau des grands domaines pour les études d’impact
environnementales des accords commerciaux signés par l’Europe . .
Résumé . .
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Remerciements
Remerciements
Mes premiers remerciements vont à ma directrice de mémoire, Mme Emmanuelle Ganne, pour
sa disponibilité et ses conseils avisés. Son aide a été très précieuse pour orienter ma réflexion. Je
tiens aussi à remercier Mr Mustapha Sadni-Jallab, qui a assuré avec Mme Ganne l’enseignement
de mon séminaire de recherche. J’ai ainsi eu la chance de bénéficier de deux avis éclairés tout au
long de l’année. Un grand nombre de professeurs, en prépa puis à l’IEP, m’ont préparé à écrire ce
mémoire. Je n’en aurais pas été capable sans eux.
Au cours de mes recherches, plusieurs personnes se sont montrées très disponibles pour
m’aider. Particulièrement, je souhaite remercier vivement Mr Patrick Ravillard, chargé des
relations commerciales à la DG Environnement, pour sa grande disponibilité. L’entretien qu’il m’a
accordé et les suggestions qu’il m’a faites par la suite ont été un appui inestimable. Mme Sofia
Taïki, députée européenne, a également nourri ma réflexion par ses réponses.
Je voudrais également exprimer ma reconnaissance aux autres étudiants du séminaire ainsi
qu’à mes amis, les uns pour leur support moral, les autres pour leur support intellectuel tout au
long de l’année. Enfin, je voudrais remercier toute ma famille, dont le soutien continu m’a permis
d’arriver jusqu’ici.
LECORCHE Benjamin - 2012
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Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
Introduction
Les problématiques écologiques en général sont devenues l’un des sujets majeurs du
débat public en Europe. Depuis les réunions du club de Rome et jusqu’aux plus récentes
conférences comme celle de Copenhague, en passant par le sommet de la terre de Rio
et la découverte de catastrophes écologiques (trou de la couche d’ozone …), la santé de
la planète est devenue un enjeu majeur. Et plus particulièrement s’est imposé comme le
problème celui du réchauffement climatique. Par tous ces événements, le lent processus
de prise de conscience de notre planète est arrivé à maturation dans les sociétés les plus
riches.
Parallèlement à cette prise de conscience, nos sociétés ont aussi vécu ce
bouleversement considérable qu’est la mondialisation. Et ce n’est certainement pas un
hasard si ces deux phénomènes sont devenus en même temps les deux défis politiques
fondamentaux, pour la planète prise dans son ensemble. La mondialisation, quelle que
soit la manière dont on la décrit (« village-monde » de Mac Luhan, « planète-plate » de
Thomas Friedman), on décrit avant tout un rétrécissement des distances par lequel ce
qui était auparavant lointain devient notre horizon commun. Les conséquences de nos
comportements ne nous sont plus étrangères, même si ces conséquences se produisent à
plusieurs milliers de kilomètres. On en est donc arriver à s’inquiéter du mode de production
qui, depuis deux siècles, nous a permis notre mode de vie moderne. Nous avons compris
1
que, quelque part, « acheter, c’est voter ».
Et puisque cette prise de conscience est désormais générale, elle a des conséquences
sur les décisions politiques. Les gouvernements sont aujourd’hui décidés, à revoir leurs
pratiques commerciales (au moins dans une certaine mesure) et à ne plus tolérer certaines
pratiques. La manière de faire des affaires a changé, et les gouvernements des pays riches
ont tendance à inviter leurs partenaires à changer, voir à les y inciter fortement.
L’Europe est en ce domaine un acteur pionnier sur la scène internationale.
Parce que la société européenne est depuis longtemps sensibilisée, et que les relais
environnementalistes y sont forts, c’est là que se situe l’avant-garde des troupes écologistes
jusque dans les administrations. A tel point que le commerce lui-même, est devenu un
véritable outil au service de ce développement durable ou soutenable tant souhaité. Malgré
tout, le domaine commercial reste un des sujets chéris de la Realpolitik, et un accord
commercial garde pour objet de prédilection les questions commerciales. C’est d’ailleurs
logique, il n’y a rien d’évident à parler environnement dans des discussions commerciales.
Et pourtant, l’Europe a là probablement son outil le plus efficace, à l’échelle mondiale.
C’est à ce mystère de l’outil commercial adapté à la lutte climatique que va s’intéresser
ce mémoire. Nous essaierons de comprendre pourquoi cet outil est utilisé par l’Europe en
ce sens, comment la dialectique commerce/environnement trouve son équilibre, et quelles
mesures concrètes sont finalement adoptées.
Dans un premier lieu par cette introduction, il s’agit de situer le contexte qui nous
intéresse. Nous commencerons donc par discuter quel lien peut exister entre commerce
et environnement. Puis nous verrons pourquoi l’Europe est devenue la championne
1
6
Acheter, c’est voter : le cas du café, Laure Waridel, Equiterre et Edition Ecosociété, 2004
LECORCHE Benjamin - 2012
Introduction
de l’environnement dans l’enceinte internationale. Enfin nous présenterons la politique
commerciale européenne et les raisons pour laquelle cette politique est un instrument de
choix pour les européens dans ce combat.
Le lien commerce/environnement
Savoir quel est l’impact du commerce international sur l’environnement a été l’objet de
2
très nombreuses analyses . Malgré toutes ces analyses, les résultats restent controversés.
La littérature sur le sujet est apparue dans les années 70, et elle se focalise aujourd’hui
plus spécifiquement sur la problématique du changement climatique (une grande emphase
est donc mise sur la question des émissions de CO2). Il n’a pas encore été possible de
faire émerger de consensus, ni positivement ni négativement, à propos de l’effet global sur
l’environnement que peut avoir une augmentation des échanges commerciaux à l’échelle
mondiale. Pour présenter l’état des débats à l’heure actuelle, nous nous appuierons ici sur
3
deux rapports commandés par le Parlement Européen à différents instituts .
Le PIB mondial a été multiplié par 8 environ en 50 ans, et le commerce mondial par
32. La part du commerce mondial dans le PIB est ainsi passée de 5.5% à 21% entre 1950
et 2007. Ces chiffres sont encore plus importants dans les pays en développement, et la
tendance devrait donc se poursuivre. Dans le même temps, les émissions de gaz à effet
de serre ont doublé depuis le début des années 70, et l’Agence Internationale de l’Energie
estime qu’elles devraient continuer à croitre entre 25 et 90% d’ici à 2030 (par rapport à
l’année 2000), et ce principalement dans les pays en voie de développement :
2
Pour deux rapports d’institutions internationales couvrant extensivement tous les aspects de la question : International Trade
and Climate Change, World Bank, Washington D.C., 2008 ; Trade and Climate Change, WTO/UNEP, Geneva, 2009
3
International Trade Policy in the context of Climate Change Imperatives, Christiane Gerstetter, Michael Mehling, Tanja
Srebotnjak, Septembre 2010; What contribution can Trade Policy make towards combating Climate Change, R. Andreas Kremer, Dr.
Friedrich Hinterberger, Richard Tarasofsky, Juillet 2007
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Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
Deux thèses principales s’opposent. La première avance que la globalisation conduit
inévitablement à une dégradation de l’environnement, la seconde à l’inverse estime que
la mondialisation permet le développement, des revenus plus importants et de là des
standards environnementaux plus élevés. Ces deux thèses ont été appliquées dans nombre
d’études empiriques aux résultats partagés. « Un consensus semble émerger selon lequel
les facteurs spécifiques à chaque pays pourraient être plus importants que chacune des
4
théories. »
L’impact du commerce sur l’environnement a été décomposé par la théorie en trois
effets distincts : un effet d’échelle, un effet de composition et un effet de technologie. Le
premier est l’effet simple selon lequel, toutes choses égales par ailleurs, une augmentation
de la production conduira à une augmentation des émissions de gaz à effet de serre.
L’effet de composition s’attache lui aux conséquences pour un pays de son ouverture
commerciale sur sa structure de production. Une première conséquence de l’ouverture sera
4
“Consensus seems to be growing that country-specific factors may be more important than either theory.”, International Trade
Policy in the context of Climate Change Imperatives, p. 7.
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LECORCHE Benjamin - 2012
Introduction
de conduire à une meilleure allocation des ressources, qui pourrait permettre des économies
d’énergie. Toutefois selon la théorie économique, le pays sera conduit à se spécialiser
dans un certain nombre de productions pour lesquelles il aura un avantage comparatif et,
suivant l’intensité énergétique de ces productions, sa nouvelle spécialisation pourra ou non
améliorer sa performance environnementale. Enfin, l’effet de technologie désigne la plus
grande accessibilité sur le marché mondial des biens environnementaux. Les importateurs
ont accès à des technologies plus avancées plus facilement et à un coût plus faible, tandis
que les exportateurs ont accès à de nouveaux marchés. De la sorte, ces technologies
seront mises en œuvre plus rapidement et à plus grande échelle si le commerce mondial est
ouvert (d’où l’importance donnée à cette question dans les conférences internationales sur
le changement climatique). Ces trois effets se cumulent dans une certaine mesure, parfois
en sens opposés.
Les études empiriques s’attachent aussi à des secteurs plus particuliers, comme celui
des transports identifié comme l’un des plus polluants. L’agence internationale de l’énergie
estime par exemple que 95% de l’énergie totale utilisée pour le transport mondial provient du
pétrole, et qu’en 2004 le seul secteur du transport était responsable de 24% des émissions
mondiales de gaz à effet de serre (dont 74% sont issues du transport routier, et 12% de
l’aviation alors que le transport maritime -90% des marchandises transportées au niveau
mondial- ne représente que 8.6% de ces émissions).
Un point important à noter à propos de la relation commerce mondial/environnement est
que, d’après les conventions internationales, les émissions sont aujourd’hui comptabilisées
dans le pays où elles sont produites et non dans le pays où le bien sera finalement
consommé. Naturellement, cela se fait à l’avantage des pays développés qui importent
massivement leurs biens de consommation (la plupart des pays mentionnés à l’annexe B
5
du protocole de Kyoto seraient ainsi des importateurs nets de carbone alors que la Chine,
l’Inde ou l’Indonésie seraient des exportateurs).
La préférence européenne pour l’environnement :
Les européens sont parmi les plus en avances sur la sensibilité aux thématiques
écologiques. La protection de l’environnement est aujourd’hui l’une de leur préoccupation
majeure, particulièrement avec la perspective du changement climatique. Et cela va
trouver une traduction politique concrète. La perception du changement climatique a fait
6
l’objet de plusieurs enquêtes spéciales Eurobaromètres , et les questions d’environnement
reviennent régulièrement dans de très nombreuses autres enquêtes sur les thèmes les plus
divers.
Le changement climatique est ainsi considéré comme le second problème le plus grave
auquel le monde dans son ensemble est confronté. 20% (+3% par rapport à l’enquête
précédente de 2009) des Européens partagent cette opinion, ils ne sont précédés que
par 28% (-6%) pensant que le problème le plus grave est celui de la pauvreté, la faim et
l’accès à l’eau potable. Un européen sur cinq estime donc plus important ce problème que
l’état de l’économie (16%), et ce en pleine période de crise. Des divergences profondes
entre Etats-membres sont toutefois à noter, de manière peu surprenante. Par exemple, les
suédois (30%) ou les danois (31%) sont très au-dessus de la moyenne européenne, les
portugais par contre ne sont que 7% à mettre le changement climatique en tête. Il est utile de
5
Cette annexe regroupe l’essentiel des pays développés. Ils sont contraints à des engagements plus importants. La quasi-
totalité des Etats-membres de l’UE en fait partie.
6
La dernière : Eurobaromètre spécial 372 : Le changement climatique, Réalisée par TNS Opinion & Social à la demande de
la Commission européenne – Direction générale Action pour le climat, enquête en juin 2011
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Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
préciser que le changement climatique n’est de plus pas le seul item à correspondre à une
demande de protection de l’environnement, l’item pauvreté dans sa dimension eau potable
y est fortement relié, et un item énergie est également présent (cité à 7%). Globalement,
une écrasante majorité d’européens juge le problème très sérieux (68%), 21% le jugeant
sérieux et moins de 10% ne s’en inquiétant pas.
Pour y faire face, les européens font presque autant confiance à l’Union qu’à leurs
propres gouvernements (35% contre 43%). A 72%, ils jugent que la protection de
l’environnement devrait être une action conjointe de l’UE et ses Etats-membres contre
7
seulement 26% qui estiment que seuls les gouvernements nationaux devraient agir . La
protection de l’environnement est donc le troisième sujet sur lequel les européens souhaitent
voir passer le niveau de décision à celui de la communauté (après la lutte contre le terrorisme
et la coopération scientifique). 25% des européens font du renforcement des politiques de
protection de l’environnement la priorité pour l’avenir.
Différentes questions de plusieurs enquêtes se rapportent plus précisément au lien
entre mondialisation, commerce et environnement. L’opinion européenne incline ainsi
à penser que la mondialisation augmente les problèmes d’environnement à l’échelle
mondiale. C’est l’avis d’une moitié des européens (50.2%), seul un quart (24.3%) d’entre
8
eux n’est pas d’accord avec cette proposition . De manière concordante, une légère
majorité des européens interrogés (34.4% plutôt d’accord contre 30.1% plutôt pas d’accord)
estime que le libre-échange forcera l’Union Européenne à baisser ses normes en matière
d’environnement. A propos de la politique commerciale européenne, 30% des européens
jugent que l’écologie devrait faire partie des priorités pour les années à venir. Les objectifs
économiques restent nettement prioritaires, puisque 61% mettent la création d’emploi dans
l’UE parmi les priorités ou 39% de permettre l’accès à un large choix de produits.
La prise de conscience des défis que représente l’environnement n’est pas récent
en Europe. On l’a vu apparaitre dans les études Eurobaromètres dès les années 1980,
et elle s’est étendue considérablement depuis lors. Ce mouvement s’est agrégé autour
d’associations environnementalistes et de partis « Verts » de plus en plus puissants partout
dans l’Union. Cela s’est fait d’abord dans les pays les plus en avance sur ces questions,
typiquement l’Allemagne (où un écologiste, Joschka Fischer, fût ministre des affaires
étrangères –c'est-à-dire traditionnellement numéro 2 du gouvernement en Allemagnedès 1998) et les pays du Nord. Les mouvements écologistes ont également profité de
l’élargissement à des nations comme l’Autriche ou la Suède en 1995. Un certain nombre
d’événements écologiques dramatiques fortement médiatisés ont de même participé de ce
mouvement, les plus évidents étant la catastrophe nucléaire de Tchernobyl et la découverte
9
du trou dans la couche d’ozone au même moment . Aujourd’hui, la quasi-totalité des pays de
l’UE ont un ou plusieurs partis écologistes d’importance représentés à chaque élection. Aux
élections européennes de 2009, 14 des 27 Etats-membres ont envoyé au moins un député
siégeant au groupe « Greens-EFA (European Free Alliance) » au Parlement Européen. En
récoltant 2.1% de plus en moyenne européenne qu’aux précédentes élections, le groupe
7
Eurobaromètre 74 – Automne 2010, Réalisée par TNS Opinion & Social à la demande de la Commission européenne –
Direction générale de la communication, enquête en novembre 2010
8
Eurobaromètre 55.1 – Les européens, la globalisation et la libéralisation, Rapport rédigé par The European Opinion Research
Group EEIG pour la DG Commerce, printemps 2001
9
R. Daniel Kelemen, Globalizing European Union Environmental Policy, Princeton Annual Workshop on European Integration,
1 May 2009. L’article de Peter Mair The Green Challenge and Political Competition : how typical is the german experience ?(German
Politics Vol. 10-2, 2001), bien que moins positif sur le rôle des partis Verts, présente une description de l’émergence de ces partis
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LECORCHE Benjamin - 2012
Introduction
écologiste progresse de moitié et gagne 12 sièges (avec 55 députés au soir de l’élection,
et 59 aujourd’hui, il est le quatrième parti au Parlement). On observe un certain clivage
entre anciens Etats-membres et nouveaux (9 sur 12) sur l’environnement, puisque seuls 4
des Etats ayant formé l’UE à 15 n’ont pas envoyé de représentants écologistes, tandis que
10
9 des 12 nouveaux Etats n’en ont pas envoyé . Selon Kelemen, l’intérêt des institutions
européennes pour l’environnement est ainsi principalement le résultat de dynamiques de
« politiques de régulation » (regulatory politics). Répondre à ces préoccupations était une
opportunité pour ses responsables de montrer que « l’UE et le Marché Unique n’étaient pas
de simples outils de business international » (Kelemen). C’était là une occasion d’obtenir
un certain support des citoyens européens pour les institutions. Les Etats-membres en
pointe sur ces questions ont aussi pu voir là un levier pour faire avancer des politiques
environnementales dans les pays en retard.
Depuis donc au moins les années 90, l’Europe s’est engagé fortement dans des
politiques ambitieuses en matière d’environnement. Un point marquant a été l’adoption de la
stratégie de Cardiff, présentée par la Commission Européenne au Conseil Européen en juin
1998 dans une communication intitulée « Une stratégie pour intégrer l’environnement dans
les politiques de l’UE ». La Commission y écrit : « La mise en place d'un environnement
de qualité pour les citoyens d'aujourd'hui et du développement durable pour nos enfants
11
font partie à juste titre des objectifs officiels de la Communauté » . Cet engagement sera
confirmé au conseil européen de Göteborg en 2001. Cette volonté affichée ne tardera
pas à trouver des effets concrets. Sur le plan intérieur, un exemple célèbre est celui du
règlement REACH (Registration, Evaluation, Autorisation and Restriction of Chemical).
er
Voté en 2006 et en application depuis le 1 juin 2007, il régule le commerce des
produits chimiques sur le marché européen. Et du fait de la taille de ce marché, le
système REACH a eu des effets considérables sur les normes couramment appliquées
partout dans le monde. A l’international, l’Europe a de manière consistante depuis 20
ans soutenu les positions les plus progressistes dans les négociations sur des accords
multilatéraux en ce domaine (protocole de Kyoto, convention de Bâle, le protocole de
Cartagène, la convention sur la diversité biologique ou plus récemment les positions
européennes lors des sommets de Copenhague et Cancun ou encore notablement les
positions européennes dans le cycle de négociations de Doha). Elle a signé l’ensemble des
conventions internationales se rapportant à l’environnement (Cf. tableau page suivante).
Cela en fait aujourd’hui le champion incontesté –quoique autoproclamé- de la régulation
12
environnementale internationale, où l’UE aurait remplacé les Etats-Unis .
10
Cela est par ailleurs cohérent avec deux des trois hypothèses majeures explicatives de la prise de conscience
environnementale. La première est l’hypothèse d’Inglehart selon laquelle lorsqu’une société devient plus aisée (« more-affluent »),
ses membres se préoccupent moins des questions économiques directes et plus de valeurs post-matérialistes dont la protection
de l’environnement. La seconde hypothèse suit un raisonnement typiquement économique qui consiste à faire de la qualité de
l’environnement un bien de type supérieur. Or l’on a démontré que pour ces biens, la consommation prend une part plus importante
avec l’élévation du niveau de revenu. Cette présentation est issue de l’article d’Axel Franzen et Reto Mayer, Environmental attitudes
in cross-national perspective : A multilevel analysis of the ISSP 1993 and 2000, (European Sociological Review Vol. 26-2, 2010). La
troisième hypothèse avance quant à elle que la préoccupation pour l’environnement est une attitude désormais globale, qui ne dépend
plus de la richesse d’un pays puisque de nombreux pays en développement la partagent.
11
Communication de la Commission au Conseil Européen du 27 mai 1998, relative au partenariat d’intégration : une stratégie
pour intégrer l’environnement dans les politiques de l’UE (Cardiff – juin 1998), COM(1998)333
12
R. Daniel Kelemen et David Vogel, Trading Places : The US and EU in International Environmental Politics, Comparative
Political Studies Vol. 43-4, Avril 2010
LECORCHE Benjamin - 2012
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Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
La politique commerciale européenne tient bien entendu compte de cette évolution
elle-aussi. Ces objectifs font intégralement partie des objectifs de la politique commerciale
européenne et sont pris en compte dans les négociations. Comme le formule un
fonctionnaire de la Direction Générale à l’environnement (précédemment en poste à la DG
Commerce) :« Libre échange et environnement sont systématiquement intrinsèquement
liés. Si la relation peut paraître contradictoire, en réalité les deux sujets se soutiennent l'un
l'autre. Pour nous, cela va ensemble, on ne peut pas traiter le commerce de manière isolée,
sans prendre en considération l'environnement. De même, le souci de l'environnement doit
13
se traduire au niveau du commerce. »
Comparaison des conventions internationales sur l’environnement UE/Etats-Unis :
Source : article de Vogel et Kelemen précédemment cité.
13
Entretien réalisé pour le mémoire. De même Pascal Lamy en tant que Commissaire Européen au Commerce faisait la liste
des préférences non-marchandes que l’Europe souhaitait protéger : « On peut cependant citer sans ambiguïté certaines préférences
collectives de l’Europe : le multilatéralisme, la protection de l'environnement, la sécurité alimentaire, la diversité culturelle, le service
public en matière d'enseignement ou de santé, la précaution en matière de risque, les droits sociaux. »
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LECORCHE Benjamin - 2012
Introduction
La politique commerciale européenne :
C’est à celle-ci que nous nous intéressons particulièrement dans ce mémoire, aussi
peut-il être utile de la présenter rapidement. La politique commerciale est un enjeu majeur,
tant pour l’Union que pour les relations économiques internationales où elle pèse très
fortement. En effet, même en excluant les échanges intra-européens (65% du commerce
des Etats-membres), la part de l’UE reste en 2010 d’environ 16% des échanges mondiaux,
devant les Etats-Unis à 14% ou la Chine à 12%. Sa part est toutefois déclinante depuis
plusieurs années, principalement en raison de la montée en puissance des économies
émergentes. La balance commerciale de l’UE dans son ensemble est légèrement déficitaire
en 2011.
L’UE dans le commerce mondial de marchandises :
C’est l’une des plus anciennes politiques de l’Union Européenne. Elle apparait dès
le traité de Rome en 1957, à l’article 110 : « En établissant une union douanière
entre eux, les Etats membres entendent contribuer conformément à l’intérêt commun
au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des
LECORCHE Benjamin - 2012
13
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
restrictions aux échanges internationaux et à la réduction des barrières douanières ». La
politique commerciale est ainsi présentée comme le pendant naturel de l’union douanière
qu’établissent les Etats membres entre eux, conformément à la théorie de l’intégration
14
économique . L’union douanière se caractérise en effet par l’existence d’un tarif extérieur
commun, c'est-à-dire des tarifs douaniers harmonisés entre les Etats-membres pour éviter
l’existence d’effets d’aubaine dans l’union. C’est afin de négocier un tel tarif que la politique
commerciale commune est définie à l’origine. Elle a été mise en place progressivement
après une période de transition qui s’est achevée au 31 décembre 1969 (suite à l’adoption
le 28 juin 1968 du Tarif Extérieur Commun européen).
Depuis lors, il s’agit d’une compétence dite exclusive des communautés européennes.
Concrètement, cela a deux implications majeures. Tout d’abord, la politique commerciale
est gérée principalement par la Commission Européenne, en temps que garante de
l’intérêt général européen. Ce sont ses fonctionnaires qui vont suivre et gérer les dossiers.
Les négociations commerciales sont menées au nom de l’Union par la Commission,
sans participation directe des Etats-membres. De plus au GATT puis à l’OMC, c’est la
Commission Européenne qui siège seule au titre de l’UE, les représentants des Etatsmembres n’étant pas autorisés à participer directement aux débats. Deuxième implication,
les décisions au Conseil Européen à propos de la politique commerciale sont adoptées à
la majorité qualifiée, il n’y a pas de nécessité d’unanimité. Notons toutefois que ceci est
le fonctionnement théorique des compétences exclusives. La matière commerciale reste
une matière sensible sur laquelle les Etats-membres n’ont pas renoncé à s’exprimer. De
fait, la majorité qualifiée n’a quasiment jamais été appliquée en pratique dans le domaine
commercial. De 1970 à la fin des années 80 et l’adoption de l’Acte Unique, le compromis de
Luxembourg obligeait les européens à trouver un consensus sur toute matière sensible, dont
la politique commerciale. Et dès 1993, l’affaire de l’accord de Blair House viendra à nouveau
remettre en cause la règle de la majorité qualifiée. La Commission n’avait pas impliqué
les Etats-membres dans le processus de négociation. Or les dispositions sur lesquelles
l’accord s’était fait ne convenaient absolument pas à la France, ce qui a amené une réaction
très ferme du gouvernement Balladur. Il a fallu renégocier l’accord trouvé, et depuis lors
les accords commerciaux sont adoptés au Conseil par consensus et non à la majorité
15
qualifiée . Si le système de décision est donc aujourd’hui officiellement (quelques domaines
restent régis par l’unanimité même officiellement) un système de majorité qualifiée pour
l’essentiel, il est tempéré dans les faits par une pratique du consensus.
Cela n’a pas empêché la politique commerciale d’évoluer encore avec l’adoption des
derniers traités. Avec l’ouverture des négociations sur le commerce des services ainsi que
16
les questions de propriétés intellectuelles à l’OMC, il a été décidé dans le traité de Nice
d’ajouter ces questions au domaine de compétence de l’UE, qui ne gérait auparavant que
le commerce des biens. Et depuis la ratification du traité de Lisbonne de 2009, les décisions
14
Béla Balassa, The theory of economic integration, Greenwood Press, 1961. Dans la théorie, l’union douanière correspond
après la zone de libre-échange à la deuxième phase de l’intégration économique. La conclusion de l’intégration économique est
logiquement la création d’une union monétaire.
15
Sophie Meunier, L’Union fait la force : l’Union Européenne dans les négociations commerciales internationales, Presses
de Sciences Po, Paris, 2005, 272 p.
16
« 5. Les paragraphes 1 à 4 [rappellent les dispositions applicables dans le domaine commercial] s'appliquent également à
la négociation et à la conclusion d'accords dans les domaines du commerce des services et des aspects commerciaux de la propriété
intellectuelle, dans la mesure où ces accords ne sont pas visés par lesdits paragraphes et sans préjudice du paragraphe 6. » Article
2 point 8 du Traité de Nice, 2003.
14
LECORCHE Benjamin - 2012
Introduction
17
en matière commerciale relèvent de la procédure législative ordinaire , c'est-à-dire qu’aux
règles vues précédemment s’ajoutent la nécessité d’obtenir l’accord du Parlement Européen
pour tout accord commercial (la décision du Parlement n’était auparavant qu’un avis noncontraignant). Cette dernière évolution pourrait avoir des implications importantes à l’avenir,
comme le montre les difficultés du traité A.C.T.A. finalement refusé par les parlementaires,
ce qui a marqué un coup d’arrêt définitif au traité en Europe.
Le processus fonctionnel pour la mise en place d’un accord commercial entre l’UE
et un pays ou ensemble de pays tiers se fait en plusieurs étapes. Premièrement, la
Commission doit obtenir l’aval du Conseil pour ouvrir des négociations. Celui-ci va donner
un mandat comprenant ses recommandations à la Commission. La deuxième phase de
négociation proprement dite peut alors commencer. Les Etats-membres sont tenus informés
de l’état des travaux par le « Comité 207 » (du numéro de l’article dans le Traité sur
le Fonctionnement de l’UE –TFUE-, connu auparavant sous le nom de « comité 133 »)
qui regroupe les représentants des 27 Etats-membres. Le Parlement doit également être
tenu informé régulièrement. La troisième étape consiste en la signature et la ratification de
l’accord commercial par le Conseil et le Parlement, puis par les Parlements nationaux. Le
traité peut ensuite être mis en place. Nous verrons plus loin que le processus est aussi
ouvert sur l’extérieur par un dialogue relativement étendu avec la société civile, notamment
au moment de la publication et la discussion des études d’impact de l’accord.
La politique commerciale fait appel à différents instruments. Généralement, les relations
économiques de l’Union et de ses partenaires sont régies par deux sortes d’accord,
les accords multilatéraux signés principalement dans le cadre de l’OMC et les accords
bilatéraux de commerce préférentiels (Preferential-trade agreements – PTAs) sur lesquels
portera spécifiquement ce mémoire (ces accords doivent eux-aussi respecter certaines
règles, cf. Encadré 1). D’autres dispositifs plus particuliers existent pour les pays en voie de
développement et les pays les moins avancés. L’UE a pris de nombreuses initiatives en leur
faveur. La principale est le « Système Généralisé de Préférence » (GSP) et ses déclinaisons,
l’initiative « Everything but arms » (EBA) et le « GSP + ». A ces initiatives s’ajoutent le
dispositif « Aid for trade ». Le GSP consiste à proposer des tarifs douaniers plus avantageux
aux pays en voie de développement pour certaines de leurs exportations. Le « GSP + »
est un dispositif offrant des avantages encore accrus pour les pays qui s’engageraient à
respecter certaines normes en matières de droit du travail, de droit humain, de protection
de l’environnement et de bonne gouvernance. L’initiative EBA enfin est offerte à tous les
pays les moins avancés définis comme tels par l’ONU, soit 48 Etats actuellement. Elle va
encore plus loin en offrant un libre accès absolu au marché européen, sans quotas ni droits
de douanes ni réciprocités quelconques, pour tous les produits à l’exception des armes et
munitions. Cela en fait le dispositif d’ouverture commerciale le plus ambitieux au monde
18
envers les pays les moins avancés .
Encadré 1 : La réglementation des accords préférentiels au GATT/OMC :
Les mouvements de régionalisation, et en premier lieu celui de l’Europe, ont posé la
question de l’interprétation à donner de ces accords par rapport au projet de libéralisation
des échanges porté par le GATT. Le problème était la règle générale du commerce
17
« Le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire,
adoptent les mesures définissant le cadre dans lequel est mise en œuvre la politique commerciale commune. » Article 2 point 158
du Traité de Lisbonne, 2009.
18
C’est du moins la prétention de la Commission Européenne : http://ec.europa.eu/trade/wider-agenda/development/
generalised-system-of-preferences/
LECORCHE Benjamin - 2012
15
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
internationale : celle de la clause de la nation la plus favorisée. Or la Communauté
Européenne s’est bâtie sur un système de préférences communautaires, qui accordaient
aux Etats-membres entre eux des tarifs plus avantageux. Un tel accord régional s’opposait
donc a priori à la clause de la nation la plus favorisée. Cela a donné lieu à un contentieux
19
dans les années 60 dont le résultat a été d’autoriser de tels accords en les encadrant
de conditions précises (cette exception à la règle se justifiant par l’idée que ces accords
permettaient d’aller plus loin que les accords multilatéraux ne le permettaient, toujours dans
un esprit de commerce ouvert).
L’OMC applique donc trois types d’exceptions pour ce type d’accords :
- La clause générale est celle de l’article XXIV du GATT (« les dispositions du
présent Accord ne feront pas obstacle, entre les territoires des parties contractantes, à
l'établissement d'une union douanière ou d'une zone de libre-échange ou à l'adoption d'un
accord provisoire nécessaire pour l'établissement d'une union douanière ou d'une zone de
libre-échange). L’article précise dans ses alinéas 4 à 10 un certain nombre de règles et
conditions à respecter.
- Une clause générale en faveur des pays en développement existe avec la clause
dite d’habilitation (décision L/4903 du 28 novembre 1979). Cette clause permet d’offrir des
avantages à ces pays en particulier, sans ouvrir les mêmes avantages à l’ensemble des
membres de l’OMC.
- L’article 5 de l’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) autorise
pour les services le même type d’accord que l’article XXIV du GATT pour les marchandises.
Enfin, il est toujours possible de mettre en place d’autres accords préférentiels qui ne
rentreraient pas dans l’une de ces trois catégories en demandant une dérogation aux règles.
Cette dérogation nécessite l’accord des trois-quarts des Etats-membres.
Source : Accords Commerciaux Régionaux : les règles de l’OMC : http://www.wto.org/
french/tratop_f/region_f/regrul_f.htm
Pourquoi l’Union Européenne utilise-t-elle la politique commerciale pour servir
ses objectifs en matière d’environnement :
Il ne va pas de soi que les négociations commerciales puissent servir à défendre
des positions progressistes en matière de défense de l’environnement. Après tout, le
but premier de ces négociations reste la conclusion d’accords permettant l’ouverture de
nouveaux marchés à l’économie européenne. Pourtant la tendance européenne à inclure
des dispositions non commerciales dans ce type d’accord se renforce de plus en plus
avec la nouvelle architecture de la politique commerciale européenne. Nous verrons par
exemple que l’inclusion désormais systématique de chapitres traitement du développement
durable est une évolution très récente. De plus on peut aujourd’hui réellement parler de
« dispositions », c'est-à-dire de mesures concrètes, et non plus seulement de grands
principes placés en préambule des accords commerciaux. La question se pose donc de
savoir pourquoi cette évolution prend place, pourquoi la politique commerciale sert-elle
aujourd’hui une telle pluralité d’objectifs.
Nous avons évoqué les raisons internes qui poussent l’Europe dans cette direction
précédemment. La politique commerciale a besoin d’être légitimé comme un instrument
européen et non plus national aux yeux de l’opinion, et ce d’autant plus que l’UE est
souvent présenté comme un cheval de Troie d’une certaine forme de libéralisme agressif
hostile à la régulation nationale. Les autorités européennes ont donc tout intérêt à utiliser
19
16
Magdalena Lickova, La Communauté Européenne et le système GATT/OMC, Editions Pedone, 2005
LECORCHE Benjamin - 2012
Introduction
cette politique, pour laquelle elles disposent d’une certaine marge de manœuvre vis-àvis des Etats-membres, dans une optique plus large que simplement commerciale. Les
enquêtes Eurobaromètres montrent par ailleurs un soutien général à l’inclusion d’objectifs
non-commerciaux dans cette politique, qu’il s’agisse de protection de l’environnement, de
promotion de certains standards en matière de droits ou d’aide au développement.
L’Europe utilise toutefois la politique commerciale pour de tels objectifs pour d’autres
raisons qu’une simple volonté de se légitimer auprès de ses propres citoyens. L’UE se
caractérise ainsi par une approche visant à la « mondialisation maitrisée » telle que définie
puis mise en application par Pascal Lamy lors de son mandat de Commissaire de 1999 à
20
2004 . Cette pratique particulière dans la diplomatie commerciale convient particulièrement
bien au type d’acteur qu’est l’UE sur la scène internationale. La caractérisation du type de
puissance de l’UE est l’objet de débats importants, toutefois l’on remarque une tendance
à la qualifier de « puissance civile » ou autre désignation similaire. L’UE n’est pas une
« grande puissance » pour différentes raisons, notamment car elle ne se pense pas ellemême en garante de sa propre sécurité et surtout puisqu’un certain nombre des attributs de
21
la puissance la plus classique lui font défaut. En termes de hard power , l’UE n’a aucune
puissance militaire significative, et des capacités de coercition économique très limitées (si
l’économie européenne dans son ensemble est l’une des plus importantes au monde, voir
la plus importante, l’usage coercitif sous forme de sanctions par exemple de cette économie
ne peut se faire qu’avec l’accord et la participation des Etats-membres). Voilà pourquoi
l’Europe est tentée d’utiliser autre chose, d’autres moyens d’action, pour arriver à ses fins.
22
On a ainsi commencé à parler de « puissance civile » dans les années 70 et jusque
dans les années 90, sans que ce concept ne soit réellement reconnu (le contexte de guerre
23
froide ayant rapidement conduit à relativiser ces formes de puissance particulières ). Le
débat a néanmoins fortement rebondi au début des années 2000, date à laquelle Ian
24
Manners a introduit son idée de « puissance normative » . Depuis lors de nombreuses
études ont été faite sur le sujet, et la qualification de puissance normative semble être la
plus adaptée à l’Europe. Par exemple, Manners conclut son article de la manière suivante :
“I have suggested […] that in addition to civilian or military conceptions, the EU
should be considered a normative power. […] Thus the different existence, the
different norms, and the different policies which the EU pursues are really part
of redefining what can be ‘normal’ in international relations. Rather than being
20
Audition de Pascal Lamy devant le Parlement Européen, 1999 : « Mais pour être à la fois efficace et juste, cette globalisation
doit être maîtrisée, pilotée, gérée en fonction des intérêts collectifs des citoyens européens. […] Nous sommes aussi en charge
d’intérêts politiques externes. En matière de développement, de droits de l’homme, de normes sociales et d’environnement, l’Union
européenne est porteuse de valeurs qui ont vocation à l’universalité. » Cette approche rentre dans la catégorie du « management
offensif » de la globalisation telle que proposée par Wade Jacoby et Sophie Meunier (Europe and the management of globalization :
defensive and offensive responses to globalization pressures, Introduction à la conférence « Europe and the management of
globalization », Université de Princeton, 23 février 2007). Le management offensif voit la mondialisation à la fois comme contrôlable
et comme une opportunité.
21
22
Joseph Nye, Soft power : the Means to Success in World Politics, Public Affairs, 2004
François Duchêne, “The European Community and the Uncertainties of Interdependance”, in. Max Konhnstamm et Wolfgang
Hager (ed.), A Nation Writ Large? Foreign Policy Problems before the European Community, Basingstoke, MacMillan, 1973
23
24
Hedley Bull, “Civilian Power Europe: A Contradiction in Terms?”, Journal of Common Market Studies, Vol. 21-2, 1982
Ian Manners, Normative Power Europe : A contradiction in Terms ?, Journal of Common Market Studies, Vol. 40-2, 2002
LECORCHE Benjamin - 2012
17
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
a contradiction in terms, the ability to define what passes for ‘normal’ in world
politics is, ultimately, the greatest power of all.”
C’est cette volonté de définir ce qui est « normal » qui anime la Commission Européenne
à défendre des préférences non-marchandes jusque dans ses accords commerciaux. La
mondialisation est un fait, mais l’Europe croit qu’elle peut être régulée dans une certaine
mesure, et veut inspirer les règles qui s’appliqueront. L’idée de puissance civile ou normative
est reprise jusque dans les discours officiels des autorités européennes, ainsi Romano
Prodi : « En fait, l’Europe doit aller plus loin - elle doit se vouloir puissance civile globale au
25
service du développement soutenable dans le monde. »
Zaki Laïdi est, en France, celui qui a le plus développé cette idée de puissance
26
normative. Ses travaux voient en l’Europe, si ce n’est une grande puissance, du moins
une puissance qui compte. Et particulièrement, contrairement à l’avis généralisé qui veut
que l’Europe ne pèse rien dans les affaires mondiales, et serait incapable de se défendre, il
montre une toute autre réalité. Ne serait-ce que par la taille de leur marché, les européens
arrivent à dicter les règles du jeu dans de nombreux domaines. Et même en matière
commercial, Laïdi fait remarquer à juste titre que les européens sont parmi ceux qui ont le
plus recours à l’organe de règlement des différends de l’OMC. Il voit aussi notablement en
l’Europe le champion de préférences non-marchandes, ou hors marché, rôle qui lui donne
une voix particulière dans le monde. Loin d’être un nain politique sans volonté, la thèse de
Laïdi est qu’un tel géant économique a déjà une certaine influence même lorsqu’il s’engage
très peu, et définitive quand il jette son poids dans la bataille (les exemples de la directive
REACH ou de la rivalité des normes comptables montrent bien une volonté et une capacité
à défendre son propre point de vue).
27
L’UE cherche donc en quelque sorte à « laisser son empreinte sur la globalisation » .
Particulièrement significatif pour nous, Meunier et Jacoby estiment que l’UE utilise dans une
certaine mesure sa politique commerciale comme prolongement de sa politique étrangère :
“The EU offers market access as a bargaining chip in order to obtain changes in
the domestic area of its trading partners –from labour standards to human rights,
democratic practices and the environment. It is also a way of using trade policy
to pursue foreign policy, sometimes out of the timelight and on the back of the
member states.”
L’UE utilise donc les négociations commerciales comme outil pour faire progresser ses
positions dans tous les domaines auprès de ses partenaires. Le commerce est pour elle un
outil particulièrement efficace, certainement le plus efficace à sa disposition. En effet, l’UE
n’étant pas un Etat, elle manque souvent des capacités qui lui permettraient de négocier
de manière classique. Par contre, son organisation particulière est souvent un avantage
dans le cadre de négociations difficiles. Un accord doit en effet être accepté tant par les
représentants européens dans un premier lieu que par la majorité (et même la totalité
puisque le consensus est la règle) des Etats-membres par la suite. Les européens défendent
alors souvent des positions très rigides du fait du jeu de 27 politiques intérieures avec
leurs attentes propres. Les négociateurs européens ne peuvent donc généralement offrir
25
Romano Prodi, 2000-2005 : donner forme à la nouvelle Europe, discours devant le Parlement Européen, 15 février 2000
26
Et notamment : Zaki Laïdi, La norme sans la force : l’énigme de la puissance européenne, Presses de Sciences Po, Paris,
2008, 296 p.
27
Wade Jacoby and Sophie Meunier, Europe and globalization, In Michelle Egan, Neill Nugent, and William Paterson
eds., Research Agendas in European Union Studies: Stalking the Elephant (Palgrave MacMillan, 2010)
18
LECORCHE Benjamin - 2012
Introduction
que peu de concessions comparées à l’autre partie. Et en offrant un accès favorable
au plus grand marché intérieur du monde, le futur partenaire n’a souvent d’autre choix
28
que d’accepter cette règle du jeu imposée par l’Europe . Cela permet aux européens
d’obtenir des résultats sur des questions bien plus politiques que commerciales comme
celles relatives au développement soutenable. De tels résultats ne pourraient être obtenus
avec ses autres outils d’action extérieure.
Problématique :
Nous l’avons établi, les européens ont un vrai attachement à la cause
environnementale, et sont même prêt à faire confiance aux institutions européennes pour le
soutenir. C’est également l’intérêt bien compris de ces dernières. Mais comme on l’évoquait
au début de cette introduction, le domaine commercial est avant tout celui de la realpolitik,
qui limite l’action concrète qui pourrait être faite. Nombreux sont ceux qui souhaitent voir
ces questions traitées ailleurs, à commencer par les responsables économiques. Aussi la
question se pose de savoircomment les autorités européennes trouvent leur équilibre, et
quel est cet équilibre ? En clair, de savoir comment les thématiques écologiques sont traitées
dans les accords de commerce préférentiels négociés par l’UE ? quelle réponse le défi
environnemental trouve-t-il ?
Annonce de plan :
Nous étudierons cette question en deux parties. La première sera consacré à faire l’état
des connaissances actuelles sur le traitement général des questions environnementales
dans les accords préférentiels. Nous essaierons de la sorte de dégager les formes générales
de ces accords ainsi que les grandes dispositions le plus souvent appliquées. Puis nous
reviendrons sur le cadre général européen pour la négociation de tels accords, à la fois
dans le temps en en retraçant l’évolution et en faisant l’état des lieux du traitement de la
question environnementale aujourd’hui.. Dans la seconde partie, nous ferons deux études
de cas à propos d’accords concrets. La première d’entre elle reviendra sur les relations EUACP (pays Afrique-Caraïbes-Pacifique) depuis une cinquantaine d’années, et leur évolution
récente. La seconde sera elle consacré principalement à l’accord de libre-échange entre
l’UE et la République de Corée, puisque celui-ci est le premier accord entré en vigueur
depuis la refonte de la politique commerciale depuis 2009.
28
Sophie Meunier, L’Union fait la force : l’Europe dans les négociations commerciales internationales, Presses de Sciences Po, 2005
LECORCHE Benjamin - 2012
19
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
Première partie : Accords Commerciaux
Préférentiels et environnement :
connaissances empiriques et cadre
européen
On assiste aujourd’hui à une véritable explosion du nombre d’accords préférentiels de
commerce dans le monde. Depuis le début des années 1990, près d’une vingtaine d’accords
de ce type sont notifiés à l’OMC pour vérification chaque année. On observe par là
un phénomène de régionalisation du monde qui va doubler une organisation globale
d’organisations régionales pour la relayer.
Et de plus en plus souvent, ces accords régionaux s’intéressent aux questions
d’environnement. Ce domaine est désormais quasi-systématiquement évoqué dans les
négociations commerciales avec tout pays développé (c’est même dans beaucoup d’entre
eux un chapitre légalement obligatoire), et un nombre toujours croissant de pays en
développement suivent ce mouvement dans leurs propres accords.
Il existe en réalité une grande diversité de formes pour des agréments commerciaux, et
la manière d’y traiter l’environnement est elle aussi très variable. Certains accords disposent
par exemple d’un accord parallèle pour traiter de ces questions, d’autres vont les traiter
directement dans l’accord commercial lui-même. Les dispositions prises peuvent ellesaussi varier énormément, allant de simples déclarations (de la soft-law), à de véritables
obligations, juridiquement contraignantes, et pouvant donner lieu à des procédures en
manquement à la réalisation de l’accord. On distinguera aussi à ce propos les accords
pour lesquels un véritable dispositif de mise en vigueur des dispositions environnementales
existe des accords pour lesquels rien n’est prévu.
Dans ce paysage, l’Union Européenne est un acteur particulier. En tant que
leader mondial sur les thématiques écologiques, elle essaie de mettre en place une
politique ambitieuse jusque dans sa politique commerciale. En effet, elle voit la politique
environnementale avant tout comme une politique transversale, dont les plus hautes
autorités européennes ont décidé qu’elle devait s’appliquer partout et pour tous. La
Commission Européenne a donc publié depuis la fin des années 90 de nombreux
documents visant à mieux prendre en compte cette problématique. C’est même devenu une
obligation dans la plupart des domaines politiques.
La Direction Générale chargée des affaires commerciales s’est adaptée. Elle a publiée
ses propres guides sur la manière par laquelle les questions que l’on qualifiera de « plus
politiques » devaient entrer dans ses négociations avec ses partenaires commerciaux. Un
certain nombre de mesures concrètes se sont également peu à peu imposées comme étant
des minimas à défendre pour chaque accord.
20
LECORCHE Benjamin - 2012
Première partie : Accords Commerciaux Préférentiels et environnement : connaissances
empiriques et cadre européen
A. Etat des connaissances actuelles sur les accords
de libre échange et leur relation à l’environnement :
Les accords de libre-échange font aujourd’hui l’objet d’importantes études du fait de leur
multiplication. Il n’existe pas encore de théorie à proprement parler de ces accords, toutefois
de nombreuses études empiriques s’attachent à en définir les contours. Elles proposent
aussi des classifications relativement rigoureuses en fonction de leur forme et de leur objet.
Le programme de recherche sur ces accords comprend de nombreuses questions,
comme par exemple leurs rapports avec l’approche multilatérale (parfois vu comme
conflictuels avec une approche globale, les PTAs sont aussi parfois présentés comme une
avancée dans cette optique), la détermination de la forme d’accord la plus efficace ou
encore le contenu non-commercial de ces accords. C’est à cette dernière interrogation que
nous nous intéresserons avec les études relatives aux clauses environnementales de ces
accords.
1. Définition :
T.N. Srinivasan, professeur d’économie à l’université de Yale, définit un accord de commerce
préférentiel de la manière suivante :
“Preferential Trade Agreements (PTAs) are agreements among a set of countries
involving preferential treatment of bilateral trade between any two parties to the
agreement relative to their trade with the rest of the world. Preferences, however,
need not extend to all trade between the two, and the coverage could depend on
29
the type of PTAs.”
Un accord commercial préférentiel est un accord par lequel deux ou plusieurs ensembles
d’Etats s’accordent pour faciliter l’échange entre eux, en réduisant leurs protections
douanières et tarifaires de toute sorte. Si le principal aspect concerné est celui des
simples réductions de droits de douanes particuliers entre deux Etats, les accords peuvent
aussi recouvrir l’abolition d’éventuels quotas ou encore la réduction des contraintes à la
circulation des marchandises et capitaux posées par les régulations étatiques (par exemple
en pratiquant la « reconnaissance mutuelle » des normes de chacun des Etats partis à
l’accord, c'est-à-dire que les normes de production ou de commercialisation dans un Etat
sont considérées suffisantes pour la commercialisation dans l’autre Etat).
C’est là la définition la plus générale. En réalité, la notion d’accord commercial
30
préférentiel recouvre de nombreux types d’accords. Voici une typologie simple
29
∙
Les accords de libre-échange (Free-trade agreements - FTAs) : des accords qui
éliminent l’essentiel des protections tarifaires sur une partie ou la totalité des
échanges commerciaux entre les pays. Les tarifs envers les pays tiers restent
inchangés. Exemple : l’ALENA.
∙
Les accords à portée partielle (Partial-scope agreement) : ces accords ne concernent
qu’un nombre relativement restreints de secteurs ou de produits.
T.N. Srinivasan, Preferential Trade Agreements with Special Reference to Asia, http://www.econ.yale.edu/~srinivas/
PrefTradeAgreements.pdf
30
World Bank, Preferential trade agreements : policies for development – A Handbook, Box. 2.1, p. 38
LECORCHE Benjamin - 2012
21
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
∙
L’union douanière (Customs union) : en plus de l’élimination des tarifs déjà contenue
dans un accord de libre échange, les pays mettent en place un tarif extérieur
commun. Exemple : l’accord UE-Turquie.
∙
Les accords d’intégration économique (Economic integration agreement) : ce sont
les accords qui vont concerner le commerce des services. Ils peuvent soit être des
accords spécifiques relatifs uniquement aux services ou insérer des dispositions pour
les biens classiques. Exemple : l’accord CARICOM-EFTA.
∙
L’accord commercial préférentiel (Preferential Trade Agreements – PTAs) : on l’utilise
couramment comme terme générique pour désigner tous les types d’accords.
Cette classification est celle utilisée notamment par le secrétariat de l’OMC. C’est à lui
que sont notifiés couramment ces accords, afin que leur compatibilité avec les règles
du commerce internationale soit établie. La grande majorité des accords notifiés sont de
simples accords de libre-échange, les moins contraignants à négocier.
Le nombre d’accords commerciaux notifiés au secrétariat de l’OMC chaque année
montre un véritable phénomène de régionalisation du commerce mondial. Ces accords
sont de fait en forte augmentation depuis le début des 90. Un effort de notification est
explicitement demandé aux membres de l’OMC (la demande est même formelle depuis
l’introduction du mécanisme de transparence pour les accords régionaux en 2006). Les
accords régionaux doivent être notifiés préalablement à leur mise en place pour pouvoir être
étudiés par le comité des accords régionaux (s’il s’agit d’un accord conclu dans le cadre de
l’article XXIV du GATT) ou par le comité du commerce et du développement (s’il s’agit d’un
accord entre pays en développement entrant dans le cadre de la clause d’habilitation).
22
LECORCHE Benjamin - 2012
Première partie : Accords Commerciaux Préférentiels et environnement : connaissances
empiriques et cadre européen
On notera toutefois que tous les accords notifiés ne survivent pas à l’épreuve du temps.
Ainsi en février 2010, on comptait 183 accords en vigueur, alors qu’environ une centaine
d’accords notifiés n’étaient plus appliqués. On est de plus réellement en mesure de parler
d’un phénomène de régionalisation, puisque les blocs régionaux se constituent de plus en
plus dans des régions auparavant peu touchées. C’est le cas bien sûr en Europe et en Asie
centrale avec la réorganisation des républiques de l’ex-bloc soviétique, mais aussi en Asie
de l’est ou dans le Pacifique où de nouveaux pays tentent de s’insérer dans l’architecture
du commerce mondial.
2. Les questions non-commerciales et l’environnement dans les
accords préférentiels :
Beyond Market Access : l’approfondissement des accords préférentiels
Les accords préférentiels se multiplient ainsi tant en termes de nombres d’accords
qu’en termes de pays concernés. Mais en plus d’être de plus en plus nombreux et large,
LECORCHE Benjamin - 2012
23
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
les PTAs sont aussi de plus en plus profonds. Souvent, il ne s’agit plus aujourd’hui de
simples accords de libre-échange par lesquels les pays partis à l’accord s’accordent un
traitement douanier préférentiel. Désormais, des questions plus politiques sont traitées dans
ces accords.
Un tel succès des accords commerciaux ne peut de toute façon guère s’expliquer
par les simples dispositions tarifaires. En effet, sous l’impulsion des accords multilatéraux
conclus dans le cadre de l’OMC, les barrières commerciales ont aujourd’hui perdu beaucoup
de leur importance (les barrières tarifaires tout au moins). Que ce soit les produits industriels
ou ceux issus de l’agriculture, les droits d’entrée dans les pays développés sont aujourd’hui
pour l’essentiel inférieurs à 5%, et une partie très importante des biens en provenance
des pays en voie de développement sont totalement exempts de droits souvent dans des
accords généraux unilatéraux comme l’initiative européenne « tout sauf les armes » (des
schémas similaires existent en Australie, au Canada, en Nouvelle-Zélande et dans d’autres
pays). De sorte qu’un accord tarifaire préférentiel n’offre plus suffisamment d’avantages
potentiels de ce simple point de vue des tarifs douaniers. Les accords ont donc une autre
utilité désormais, celle de discuter de questions plus controversées.
Les négociations tournent alors aujourd’hui autour du protectionnisme caché, de toutes
ces formes de protection qui ne sont pas tarifaires (adoption de règlements contraignants,
souvent biaisés pour favoriser les entreprises nationales, par exemple). Ces formes
particulières sont généralement définies par l’OMC comme les « Obstacles techniques au
commerce » et autres normes sanitaires et phyto-sanitaires (voir encadré 2 plus loin). En
touchant à de tels sujets, on est rapidement dans le domaine du politique plus que de
l’économique. Les négociateurs doivent donc élargir leur point de vue. Aussi parle-t-on
désormais d’une vision « beyond market-access » :
“All this translates into a beyond-market-access vision for PTAs that includes
a broad set of rules and disciplines governing areas such as investment
regimes, technical and sanitary standards, trade facilitation, competition
policy, government procurement, intellectual property, environment protection,
31
migration, labor rights, human rights, and other “behind the border” issues.”
Ce nouvel agenda se traduit dans les accords de deux manières. Soit ces accords vont
reprendre des domaines déjà traités dans le cadre des accords de l’OMC, et étendre leur
portée. On parle alors généralement de dispositions « WTO + ». Soit l’on va inclure des
dispositions qui ne sont pas couvertes du tout par les accords de l’OMC, on parle alors de
32
dispositions « WTO X/WTO-Extra » .
Comment traiter l’environnement dans les accords commerciaux :
Sur la manière dont les questions environnementales devraient être traitées, on
trouve deux possibilités. La première est l’inclusion de dispositions de protection de
l’environnement directement dans les accords commerciaux (c’est certainement l’approche
la plus courante aujourd’hui, l’accord de libre-échange UE-Corée contient par exemple un
chapitre dédié au développement durable). La seconde est d’inclure ces dispositions dans
un accord lié mais distinct (c’est le cas pour l’ALENA qui dispose d’un accord parallèle
spécifiquement consacré aux questions environnementales : l’Accord Nord-Américain de
31
Jean-Pierre Chauffour et Jean-Christophe Maur, Beyond Market Access, dans Preferential trade agreement : policies
for development – A Handbook, éditeurs : Jean-Pierre Chauffour et Jean-Christophe Maur, Banque Mondiale, 2011
32
Henrik Horn, Petros C. Mavroidis et André Sapir, Beyond the WTO ? An anatomy of EU and US preferential trade agreements,
Bruegel Blueprint Vol. VII., 2009
24
LECORCHE Benjamin - 2012
Première partie : Accords Commerciaux Préférentiels et environnement : connaissances
empiriques et cadre européen
Coopération dans le domaine de l’Environnement – ANACE). Les études ne se sont
toutefois guères intéressées aux mérites de ces deux approches, et aucune des deux ne
semble se détacher comme étant la meilleure.
Ces deux courants sont en réalité une translation de deux écoles de pensée sur la
manière de concevoir le lien entre commerce et environnement. Pour le premier courant, le
libre-échange n’est pas nécessairement créateur d’efficacité en matière environnementale.
Il pourrait même conduire à une réduction des standards exigés des producteurs. Ces
auteurs avancent que les entreprises les plus nuisibles à l’environnement seront tentées
d’aller produire là où les règles sont les plus faibles. On assisterait ainsi à l’apparition de
« refuges pour les pollueurs » (pollution haven). Dans ces conditions, il est nécessaire
selon eux d’inclure des dispositions environnementales dans les accords de libre-échange
pour obliger à l’harmonisation par le haut des normes. A l’inverse, les auteurs de la
seconde école estiment que le développement économique permet d’investir dans des
standards environnementaux plus élevés. Il serait alors contre productif d’imposer des
normes contraignantes dans les accords de libre-échange puisqu’en ralentissant la hausse
du revenu dans les pays en développement, l’adoption de meilleurs standards serait ralentie
d’autant. Les études montrent que la vérité dépend du cas considéré, et bien souvent
est située entre ces deux pôles. Si le développement économique est clairement un
facteur déterminant dans l’adoption de normes élevées, certaines activités commerciales
peuvent avoir des effets tellement dévastateurs pour l’environnement qu’elles ne sauraient
être compensées par une légère hausse du niveau de vie. De même, l’importance des
règles de protection de l’environnement n’est qu’un facteur peu significatif dans la stratégie
de positionnement géographique d’une entreprise, mis à part dans quelques secteurs
particuliers. Il n’existe donc pas réellement de refuges où les entreprises seraient invitées
par une sorte de dumping environnemental (si celui-ci existe, c’est plutôt du fait de
l’inévitable différence de niveau de développement entre les pays que de pays diminuant
volontairement leurs exigences pour attirer les capitaux).
Mais quoi que l’on pense du débat précédent, il est clair que le niveau
de développement est un facteur significatif pour l’apparition de préoccupations
environnementales dans les populations. En vérité, la géopolitique de l’environnement
est un calque de l’économie politique. Les pays les plus en avance sur le sujet de
l’environnement sont en effet majoritairement les pays du « Nord » : Etats-Unis, Canada,
Nouvelle-Zélande et l’Union Européenne. Cela est d’ailleurs vrai tant au niveau multilatéral
des grands accords environnementaux globaux qu’au niveau des accords commerciaux
bilatéraux. Toutefois cette préférence pour l’environnement n’est pas l’apanage exclusif des
pays les plus développés, puisque des accords comme celui liant le Chili à la Chine lui
consacrent également une part (le Mexique est aussi relativement en avance sur le sujet, de
même que les pays naturellement les plus exposés), la plupart des pays en développement
se montrent plus sceptiques et craignent que cela ne soit rien de plus qu’une autre forme de
protectionnisme (l’harmonisation se révélant beaucoup plus coûteuse à effectuer pour ces
pays que pour les pays déjà bien avancés). Selon eux, si l’environnement doit être traité par
le commerce, cela devrait se faire dans les négociations multilatérales de l’OMC. Cela oublie
néanmoins que différents accords de l’OMC autorisent de telles dispositions (cf. encadré).
Encadré 2 : les règles de l’OMC concernant l’environnement
Bien que le domaine de compétence de l’OMC soit le commerce lui-même,
l’organisation n’est pas hermétique aux considérations environnementales. Différents
accords négociés en son sein confirme le droit pour les Etats-membres à prendre
des mesures de protection de l’environnement, si certaines conditions sont respectées.
LECORCHE Benjamin - 2012
25
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
Le préambule de l’accord de Marrakech instituant l’OMC fait explicitement référence à
l’environnement dès son premier paragraphe, les rapports dans le domaine commercial et
économique doivent se faire « en vue de protéger et de préserver l’environnement ». Au-delà
de cette position de principe, différents accords cadres de l’OMC autorisent concrètement
la prise de mesures spécifiques en faveur de l’environnement :
- Article XX du GATT : « rien dans le présent Accord ne sera interprété comme
empêchant l'adoption ou l'application par toute partie contractante des mesures […] b)
nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la
préservation des végétaux; […] g) se rapportant à la conservation des ressources naturelles
épuisables »
33
- Préambule de l’accord sur les Obstacles Techniques au Commerce : « rien ne saurait
empêcher un pays de prendre les mesures nécessaires pour assurer la qualité de ses
exportations, ou nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des
animaux, à la préservation des végétaux, à la protection de l'environnement ».
- L’accord sur les mesures sanitaires et phyto-sanitaires permet l’application du point
b) de l’article XX du GATT cité au-dessus, dans le domaine de la santé.
L’idée est en précisant les conditions applicables de faire la distinction entre
des mesures réellement protectrices de l’environnement et des mesures à visées
protectionnistes. Les différents accords ainsi que la jurisprudence commerciale
internationale établissent donc une procédure précise pour la mise en place de telles
mesures. De telles mesures doivent être accompagnées d’études scientifiques précises et
concluantes, notamment pour ce qui est des mesures prises sous l’égide de l’accord sur les
normes SPS. De plus, il est nécessaire de vérifier qu’il n’existe pas de mesures applicables
moins restrictives au commerce, et que les mesures appliquées ne créent pas de distorsions
entre produits nationaux et produits importants.
La jurisprudence de l’OMC va plus loin à la suite de contentieux parfois importants.
Sans revenir en détail sur les affaires, on peut noter deux points principaux émergeant de
cette jurisprudence :
- Les règles de l’OMC ne sont pas isolées du reste du droit international. Les différents
doivent être arbitrés en tenant compte des règles produites dans d’autres institutions. Et ce
même si elles vont à l’encontre de certains des principes commerciaux.
- Les solutions multilatérales doivent être privilégiées, et ce n’est que lorsque des efforts
en ce sens ont été tentés en vain que des mesures unilatérales peuvent se justifier.
Quand on observe la part des accords commerciaux dans lesquels sont inclus des
dispositions de protection de l’environnement, le phénomène de régionalisation présent
dans les accords commerciaux en général s’observe également. C’est en effet souvent le
moyen de traiter de problèmes dont les effets sont très souvent transfrontaliers. L’accord
33
L’accord est une nécessaire clarification de la manière selon laquelle doivent être formulés les normes et règlements
techniques adoptés par les Etats-membres pour être compatibles avec le régime de l’OMC. En effet d’après l’OMC elle-même, « Les
règlements techniques et les normes jouent un rôle important, mais ils varient d'un pays à l'autre. L'existence d'un si grand nombre
de normes différentes rend les choses difficiles pour les producteurs et les exportateurs. Les normes peuvent devenir des obstacles
au commerce. Mais elles n'en sont pas moins nécessaires pour diverses raisons, depuis la protection de l'environnement jusqu'à
l'information du consommateur en passant par la protection contre les risques et la sécurité nationale. Elles peuvent aussi faciliter
les échanges. La même question fondamentale se pose donc une nouvelle fois: comment faire en sorte que les normes soient d'une
réelle utilité, sans être des mesures arbitraires ou une excuse pour le protectionnisme. » http://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/
tif_f/agrm4_f.htm#TRS
26
LECORCHE Benjamin - 2012
Première partie : Accords Commerciaux Préférentiels et environnement : connaissances
empiriques et cadre européen
commercial lui-même pourrait aussi avoir un impact régional qu’il convient de traiter. On
estime ainsi que la présence d’un accord parallèle à l’ALENA concernant l’environnement
s’explique notamment par la crainte de voir nombre d’activités polluantes migrer au sud de la
frontière entre Etats-Unis et Mexique. D’autres exemples sont par exemple les dispositions
de gestion des ressources hydrauliques et aquatiques, comme les fleuves traversant de
nombreux pays (l’accord entre l’ASEAN et la Chine contient des mesures spécifiques
traitant du fleuve Mékong). On trouve ainsi souvent des mesures non-contraignantes d’aide
ou de coopération dans ces accords. Ceux-ci sont particulièrement adaptés à ce type
de problèmes régionaux mais certains vont aussi essayer de traiter de problèmes plus
globaux. On trouve en illustration des accords qui contiennent des références à l’application
du protocole de Kyoto, comme l’accord de libre-échange liant le Japon au Mexique, ou
différents accords faisant de la protection de la biodiversité un objectif majeur.
3. Typologie des dispositions environnementales :
Parmi les accords commerciaux, on distinguera ceux pour lesquels existent des dispositions
ayant une certaine force contraignante de ceux pour lesquels l’environnement ne sera
présent que sous la forme de soft-obligations. Des deux approches aucune étude n’a pu
déterminer laquelle était la meilleure puisque si les accords contraignants représentent
certainement un pas plus avancé, ils sont également plus difficiles à négocier et certains
pays refuseraient d’inclure toute référence à l’environnement dans un accord commercial
si celle-ci conduisait à de réelles obligations. Or la simple présence dans un préambule de
cette référence permet à la société civile d’un pays de faire pression sur son gouvernement.
Parler de l’environnement même dans des textes a priori sans valeur juridique n’est
potentiellement pas anodin politiquement, et à terme ces textes pourraient prendre valeur
juridique (à la manière du préambule de la Constitution française qui, à l’origine, ne devait
pas servir d’objet juridique et sur lequel sont aujourd’hui rendues certaines décisions). Autre
remarque, s’il est vrai que souvent les pays les plus avancés sont ceux qui ont recours à des
artifices contraignants, tous n’ont pas cette approche. La Nouvelle-Zélande par exemple
34
propose des dispositions plutôt plus souples .
35
Les principales dispositions possibles :
- Références à l’environnement ou au développement durable dans le préambule.
C’est la forme la plus courante. Elle est quasi-systématique dans les accords
commerciaux signés par de très nombreux pays désormais. La formulation choisie ainsi que
le contenu du préambule peuvent varier très légèrement. Les accords signés par les EtatsUnis sont ainsi plus précis, en faisant référence à l’obligation pour les partis à coopérer dans
le domaine de l’environnement, ainsi qu’à leur obligation de s’assurer que les politiques
commerciales et environnementales se supportent mutuellement ; alors que les accords
européens se contentent généralement de rappeler les objectifs de développement durable
et de protection de l’environnement.
- Engagement à appliquer efficacement les lois nationales relatives à l’environnement.
34
Accord de libre-échange entre la Nouvelle-Zélande et la Chine, “Article 177 : Labour and Environmental Cooperation The Parties
shall enhance their communication and cooperation on labour and environment matters through both the Memorandum of
Understanding on Labour Cooperation and the Environment Cooperation Agreement between the Parties.”
35
Liste prise dans l’étude de l’OCDE : L’environnement et les accords commerciaux régionaux, 2007
LECORCHE Benjamin - 2012
27
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
En visant à obliger les partenaires commerciaux à effectivement appliquer les mesures
environnementales qu’ils ont chacun mis en place dans leurs législations nationales, cette
contrainte est nettement plus rare. Elle donne en effet un certain droit de regard non
seulement sur le contenu des législations environnementales mais aussi sur la manière dont
elles sont appliquées. On ne la trouve donc pas couramment. Ici, les Etats-Unis sont plutôt
36
pionniers en la matière .
- Engagements relatifs aux normes environnementales (ne pas les diminuer, les
améliorer ou les harmoniser).
Ces dispositions sont parmi les plus courantes dans les accords commerciaux. Il s’agit
bien cette fois simplement d’obtenir un droit de regard uniquement sur le contenu des
législations environnementales du pays partenaire, et non sur leur application, et encore
ce droit de regard est-il limité. On notera toutefois que les grands accords commerciaux
consacrent aussi, paradoxalement, le droit pour chaque partie de fixer ses propres
standards de protection de l’environnement et ses propres priorités de développement
37
durable .
En pratique, l’engagement est généralement tout d’abord de ne pas diminuer ses
standards environnementaux. C’est là le plus simple. Parfois, l’accord essaiera aussi de
pousser à une amélioration de ces standards, bien qu’il s’agisse plutôt d’un encouragement
que d’une quelconque obligation pratique. Enfin les accords commerciaux visent aussi à
faciliter le commerce par l’harmonisation des normes. C’est le cas aussi pour les normes
environnementales, et il est relativement courant de voir des accords commerciaux pour
lesquels il est prévu d’aller plus loin que la simple reconnaissance mutuelle des normes du
partenaire en acceptant de rapprocher les pratiques réglementaires des deux partenaires.
L’Europe a aussi une particularité quant à ces dispositions législatives, elle demande
explicitement à ses partenaires de ne pas faire de dumping environnemental, de ne pas
baisser leurs exigences législatives en ce domaine pour attirer les flux commerciaux et
38
d’investissement .
- Mécanismes de coopération et de renforcement des capacités dans le domaine de
l’environnement.
36
Par exemple l’accord parallèle à l’ALENA prévoit en son article 5 : « 1. Afin de parvenir à des niveaux élevés de protection
environnementale et d'observation de ses lois et réglementations environnementales, chacune des Parties assurera l'application
efficace de ses lois et réglementations environnementales […] 2. Chacune des Parties devra prévoir dans sa législation intérieure des
procédures visant l'application par voie judiciaire, quasi-judiciaire ou administrative de ses lois et réglementations environnementales. »
37
L’article 184 de la convention UE-Cariforum, intitulé « niveaux de protection et droit à réglementer », tente de faire la synthèse
de ces deux aspirations contradictoires : « 1. Reconnaissant le droit de chaque partie et de chaque État signataire du Cariforum
de réglementer afin d'atteindre son propre niveau de protection de l'environnement et de la santé publique et ses objectifs
prioritaires en matière de développement environnemental ainsi que d'adopter ou de modifier en conséquence ses lois et politiques
en matière d'environnement, chaque partie et chaque État signataire du Cariforum cherche à garantir que ses propres lois
et politiques en matière d'environnement et de santé publique prévoient et favorisent de hauts niveaux de protection de
l'environnement et de la santé publique et s'efforcent de poursuivre l'amélioration de leurs lois et politiques. »
38
Article 188 convention UE-Cariforum : Maintien des niveaux de protection 1. Sous réserve des dispositions de l'article
184, paragraphe 1, les parties conviennent de ne pas encourager les échanges commerciaux ou les investissements directs étrangers
dans le but de préserver ou d'accroître un avantage concurrentiel en: a) abaissant le niveau de protection assuré par la législation
environnementale et sanitaire interne; b) dérogeant à cette législation ou en ne l'appliquant pas. 2. Les parties et les États signataires
du Cariforum s'engagent à ne pas adopter ou appliquer de législation régionale ou nationale liée aux échanges commerciaux ou aux
investissements ou d'autres mesures administratives de même nature d'une manière qui aurait pour effet de contrarier des mesures
visant à favoriser, protéger ou conserver l'environnement ou les ressources naturelles ou à protéger la santé publique.
28
LECORCHE Benjamin - 2012
Première partie : Accords Commerciaux Préférentiels et environnement : connaissances
empiriques et cadre européen
La coopération et l’aide à la mise en place de mesures environnementales est
probablement le domaine où les accords sont les plus satisfaisants. C’est en effet là qu’il est
le plus simple de progresser en proposant des actions concrètes, et des actions qui seront
très facilement acceptées puisque généralement proposées par les pays développés qui
les financeraient.
Le type de coopération proposé peut varier grandement selon les accords, car ce
sont souvent des dispositions relatives à un problème spécifique lié à ce même accord.
Cela peut être la fourniture de capacités financières nécessaires à la mise en place d’un
mécanisme coûteux, ou la fourniture par le pays qui en a les ressources d’une expertise.
Cela peut aussi passer par la formation des fonctionnaires nationaux des Etats parties par
un Etat habitué à ce type de régulation. Enfin c’est aussi la mise en place de programmes
communs pour faire face à des problèmes écologiques se posant aux deux partenaires.
Par exemple les européens ont demandé à leurs partenaires commerciaux de faire certifier
différents produits qu’ils exporteraient vers le marché commun. En échange, les européens
fournissent le budget ainsi que l’expertise technique pour la mise en place d’un système de
39
certification (l’article 190 de l’accord Cariforum-UE est un des exemples les plus aboutis ).
- Garanties procédurales et procédures de soumissions publiques pour assurer
l’application des lois nationales relatives à l’environnement.
On trouve parfois dans les accords l’obligation pour les parties d’assurer une certaine
transparence du processus judiciaire pour permettre une meilleure prise en compte de
l’environnement et une meilleure application des lois en ce domaine. Le processus judiciaire
notamment devra être le plus clair possible afin de permettre à la société civile de jouer
son rôle en surveillant la manière dont les lois décidées seront appliquées. A nouveau,
on va chercher à éviter l’adoption de mesures environnementales qui ne seront finalement
pas suivies d’effets. C’est un problème parfois pour les pays en développement, puisque
cela implique des processus coûteux, la formation d’un personnel adapté à ce genre de
mission et autres dispositions nécessaires à un tel processus. C’est là un autre endroit où
la coopération peut se révéler très efficace. Ce type d’obligations est présent par exemple
40
pour la partie environnementale de l’ALENA .
39
Article 190 : Coopération 1. Les parties reconnaissent l'importance de la coopération sur les questions environnementales
dans la poursuite des objectifs du présent accord. 2. Sous réserve des dispositions de l'article 7, les parties conviennent de coopérer,
y compris en facilitant l'assistance, dans les domaines suivants: a) l'assistance technique apportée aux producteurs pour respecter
les normes pertinentes en matière de produits et autres applicables sur les marchés de la partie CE; b) la promotion et la facilitation
des régimes volontaires et fondés sur une logique de marché, privés et publics, y compris les systèmes d'étiquetage et d'accréditation
pertinents; c) l'assistance technique et le renforcement des capacités, en particulier dans le secteur public, dans la mise en œuvre et
l'exécution des accords environnementaux multilatéraux, y compris en ce qui concerne les aspects liés au commerce; d) la facilitation,
entre les parties, du commerce de ressources naturelles, y compris le bois et les produits du bois, à partir de sources légales et
durables; e) l'assistance aux producteurs pour développer et/ou améliorer la production de biens et de services que les parties
considèrent comme bénéfiques pour l'environnement; f) la promotion et la facilitation de programmes publics de sensibilisation et
d'éducation en ce qui concerne les biens et les services environnementaux afin de promouvoir le commerce de ces produits entre
les parties.
40
Article 7 : Garanties procédurales 1. Chacune des Parties fera en sorte que ses procédures administratives, quasi-judiciaires
et judiciaires visées aux paragraphes 5(2) et 6(2) soient justes, ouvertes et équitables, et, à cette fin, elle prévoira que ces procédures :
a) devront être conformes au principe de l'application régulière de la loi; b) devront être ouvertes au public, sauf lorsque l'administration
de la justice exige le huis clos; c) devront permettre aux parties à la procédure de faire valoir leurs points de vue et de présenter des
informations ou des éléments de preuve; et d) ne devront pas être inutilement compliquées, et ne devront entraîner ni frais ou délais
déraisonnables ni retards injustifiés.
LECORCHE Benjamin - 2012
29
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
- Énoncé visant à concilier les engagements contractés en vertu de l’accord et les
accords régionaux ou multilatéraux relatifs à l’environnement.
On l’a dit, l’un des principaux reproches que l’on fait à l’approche du régionalisme est
sa capacité potentielle à miner le système multilatéral en créant des zones fortes avec
des règles très différentes. Pour diminuer ce risque, les accords préférentiels incluent
couramment des dispositions visant à assurer la bonne conciliation des normes de l’accord
41
avec les normes multilatérales, l’article 104 de l’ALENA est un canon du genre .
Autre aspect du problème, les règles commerciales en droit international sont
également très en avance sur les règles environnementales. L’environnement est
aujourd’hui un grand sujet de débat, pour lequel plusieurs accords multilatéraux sont en
négociation depuis des années. C’est aussi l’un des grands thèmes du cycle de négociation
de Doha en cours à l’OMC. Aussi les accords bilatéraux font-ils parfois référence à ces
négociations, en incluant une référence à leurs possibles implications.
- Exceptions environnementales aux règles commerciales.
C’est un ensemble de dispositions usuelles dans les accords commerciaux. Dans ce
domaine, on se contente généralement de reprendre la formulation même des accords
multilatéraux de l’OMC. On introduit donc des clauses d’exception fondées sur l’article XX du
GATT, sur l’accord général sur le commerce des services (AGCS) ainsi que sur les accords
traitant des obstacles techniques au commerce et des normes sanitaires et phytosanitaires.
Les européens font aussi généralement inclure une référence à l’article 30 du traité sur le
fonctionnement de l’Union Européenne qui prévoit que les dispositions du traité « ne font pas
obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit, justifiées
par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de
la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux ». Plus
récemment, les accords ont commencé à introduire des exceptions différentes de celles
prévues dans les traités multilatéraux, des dispositions qui visent à faciliter le commerce
des biens et services dits environnementaux (servant à la gestion des eaux, à la production
d’énergie renouvelable par exemple, ces biens ne sont pour le moment qu’à l’agenda des
négociations de Doha à l’OMC).
- Dispositifs visant à assurer la participation du public à l’exécution de l’accord.
Plusieurs accords prévoient des dispositifs de transparence et d’implication du public
dans l’exécution des accords. Ces dispositions visent notamment à permettre à différents
relais de la société civile de poser des questions sur l’accord ou de discuter les
mesures prises pour son application. Les accords signés par les Etats-Unis comportent
41
Article 104 : Rapports avec des accords en matière d'environnement et de conservation 1. En cas d'incompatibilité entre le
présent accord et les obligations spécifiques que prescrivent en matière de commerce a) la Convention sur le commerce international
des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction , faite à Washington le 3 mars 1973 et modifiée le 22 juin 1979,
b) le Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d'ozone , fait à Montréal le 16 septembre 1987 et
modifié le 29 juin 1990, c) la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur
élimination , faite à Bâle le 22 mars 1989, dès son entrée en vigueur pour le Canada, le Mexique et les États-Unis, ou d) les accords
visés à l'annexe 104.1, ces obligations prévaudront dans la mesure de l'incompatibilité, si ce n'est que, s'agissant de se conformer
auxdites obligations, toute Partie devra choisir, parmi les moyens également efficaces et raisonnablement accessibles qui s'offrent à
elle, le moyen le moins incompatible avec les autres dispositions du présent accord.
30
LECORCHE Benjamin - 2012
Première partie : Accords Commerciaux Préférentiels et environnement : connaissances
empiriques et cadre européen
systématiquement de tels dispositifs (l’ANACDE est encore une fois un exemple très
42
poussé) , et l’UE a lancé plusieurs initiatives en ce domaine.
- Mécanismes exécutoires de règlement des différends afférents aux obligations
environnementales.
La question du règlement des différends liés au non-respect des clauses
environnementales de l’accord est une question délicate. En effet, cela fait passer les
mesures prévues de simples engagements à de véritables contraintes. Qui plus est, cela
pose parfois des questions liées à l’attachement à une certaine idée souveraineté nationale
selon laquelle un Etat ne saurait être pris en défaut. Au total, inclure un dispositif visant à
rendre coûteux le non-respect de l’accord n’a généralement que des aspects négatifs a priori
pour l’Etat signataire. Pour cette raison, peu d’accords poussent loin dans la juridisation des
obligations environnementales.
C’est aussi là que se trouve l’une des principales différences d’approche entre l’UE
et les Etats-Unis. Sur cette question, les américains incluent dans tous leurs accords (à
l’exception de celui avec la Jordanie) des clauses selon lesquelles en cas de non-respect
constaté de l’accord au bout de la procédure, des compensations monétaires peuvent être
obtenues pour non-respect des conditions environnementales. Et surtout, si jamais ces
compensations n’étaient pas versées, l’accord lui-même pourrait être remis en question.
L’environnement peut donc pour les accords signés avec les Etats-Unis être un facteur de
rupture de l’accord. Ce n’est pas le cas des accords signés par l’Europe. Ceux-ci laissent
généralement à la discrétion du mécanisme de résolution du différend le soin de proposer
les mesures à appliquer pour faire respecter l’accord.
La procédure appliquée est par contre similaire pour tous les acteurs. Il s’agit de la
procédure classique en droit international. En cas de soupçon de manquement à l’accord,
un Etat peut engager des consultations avec le partenaire supposé défaillant pour discuter
du problème. Si jamais ces discussions d’Etat à Etat directes ne permettaient pas d’arriver
à une solution satisfaisante, alors seraient nommés un panel d’experts chargés d’étudier
le dossier. Et enfin, si aucun agrément n’était trouvé à la suite de leurs conclusions, une
véritable procédure faisant appel au mécanisme de règlement du différent inclus dans
l’accord commercial pourrait être engagée. A noter que les accords ayant pour partie les
Etats-Unis laissent la possibilité à la société civile de soumettre certaines réclamations
auprès de la commission environnement ou du secrétariat de l’accord en question. Celui-ci
est alors obligé d’y répondre et peut faire des recommandations, celles-ci ne sont toutefois
pas contraignantes.
4. La place de l’environnement dans le processus de négociation :
Différentes questions se posent quand on en vient à négocier l’inclusion de l’environnement
dans un accord commercial. Le processus peut donc varier beaucoup d’un pays et
d’une région à l’autre. La première différence majeure est le moment où les dispositions
environnementales vont être négociées, en même temps que les dispositions commerciales
42
Article 2 : Obligations générales 1. Chacune des Parties devra, en ce qui concerne son territoire : a) produire périodiquement
et rendre publiquement accessibles des rapports sur l'état de l'environnement; b) élaborer et examiner des mesures de préparation
aux urgences environnementales; c) promouvoir l'enseignement sur les questions environnementales, y compris sur la législation de
l'environnement; d) encourager la recherche scientifique et le développement technologique dans le domaine de l'environnement;
e) effectuer, s'il y a lieu, des études d'impact sur l'environnement; et f) promouvoir l'utilisation d'instruments économiques pour la
réalisation efficace des buts environnementaux.
LECORCHE Benjamin - 2012
31
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
dans la même enceinte, en même temps mais dans une négociation parallèle, ou à un
autre moment. Ces deux dernières possibilités existent notamment quand l’accord sur
l’environnement n’est qu’un accord parallèle de l’accord commercial. D’autres facteurs
influant sur le processus de négociation sont ceux du mandat défini aux négociateurs, de
quels éléments clés est formé ce mandat et desquels de ces éléments sont légalement
contraignants pour les négociateurs. Enfin dernier facteur sur le processus lui-même,
savoir quels ministères sont impliqués et comment ils le sont a aussi son importance.
Les fonctionnaires d’un ministère de l’environnement n’auront probablement pas la même
attitude que ceux du ministère du commerce ou des affaires étrangères.
Le deuxième point capital dans les processus de négociation aujourd’hui est celui
de l’étude d’impact. Celles-ci sont devenues la pratique courante dans la majorité des
négociations incluant des pays développés (ceux-ci étant généralement plus à même de
les financer, et plus enclin à le faire vis-à-vis de leurs population). Aujourd’hui, il est même
obligatoire dans ces pays de conduire des études d’impact et d’inclure des provisions
environnementales au sein des accords commerciaux (U.S. Public Law 107-210 aux
43
Etats-Unis , Framework for Integrating Environement Issues into Free Trade Agreements
en Nouvelle Zélande, nouvelle stratégie commerciale européenne …). Une imposante
littérature s’est alors faite jour sur ces études d’impact et la manière dont elles doivent être
44
conduites . Nous reviendrons sur celle-ci plus en détails au moment d’étudier le cadre
européen de négociations, dans lequel ces études occupent une place majeure. A ce stade,
nous nous contenterons de noter que les choix majeurs à faire à propos des études d’impact
sont ceux du moment où elles seront effectuées (ex ante et/ou ex post), de la région où
l’impact sera étudiée (l’ensemble des pays concernés par l’accord ou uniquement ceux
qui mandateront l’étude), de qui conduira l’étude (consultant indépendant ou organisme
étatique), du degré d’ouverture de l’étude aux remarques extérieures, et surtout de la
manière selon laquelle les résultats de l’étude seront pris en compte pour les négociations.
Conclusion : environnement et commerce, quels choix ?
Pour conclure et résumer cette partie, ce tableau présente les principaux choix à faire
pour un Etat qui souhaiterait développer une politique commerciale qui inclurait une véritable
préoccupation pour l’environnement. Nous allons dans la suite de cette étude essayer
d’appliquer ce tableau à l’Europe pour voir quels choix celle-ci a effectué, et la manière dont
ils se mettent en œuvre concrètement.
43
(a) OVERALL TRADE NEGOTIATING OBJECTIVES.—The overall trade negotiating objectives of the United States for
agreements subject to the provisions of section 2103 are— […] (5) to ensure that trade and environmental policies are mutually
supportive and to seek to protect and preserve the environment and enhance the international means of doing so, while optimizing
the use of the world’s resources;
44
Voir par exemple : Joint Working Party on Trade and Environment, OCDE, Methodologies for environmental assessment
of trade liberalization agreements, Octobre 1999
32
LECORCHE Benjamin - 2012
Première partie : Accords Commerciaux Préférentiels et environnement : connaissances
empiriques et cadre européen
Source : L’environnement et les accords commerciaux, OCDE, 2007
B. Le climat dans le cadre européen de négociations
commerciales :
Le processus de négociation des accords commerciaux est bien codifié dans l’UE. Avec
l’évolution des mentalités sur les problématiques de développement durable, il leur a fait une
place de plus en plus grande. Il ne s’agit plus de sujet purement annexes. Les négociations
restent avant tout commerciales, mais les sujets politiques comme celui de la protection de
l’environnement ou celui des droits de l’Homme sont désormais incontournables – ce que
le Parlement Européen ne manque pas de rappeler aux négociateurs de la Commission.
1. Textes de référence :
Les clauses environnementales pour les accords commerciaux sont issues de deux grands
ensembles de textes. Un premier point à noter est que de telles clauses sont une
obligation européenne, directement issue des traités constitutifs qui établissent la politique
environnementale européenne. Elles sont aussi une obligation que le Conseil Européen
a mise en place pour assurer la cohérence des politiques de la communauté. Ensuite, la
stratégie commerciale européenne depuis 1999 fait place à une stratégie inclusive, encore
renforcée par sa redéfinition récente avec l’incorporation de concepts comme la croissance
soutenable. Le processus de négociation, même pour ces questions, est régi de manière
relativement précise.
Textes généraux sur l'environnement :
LECORCHE Benjamin - 2012
33
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
L’introduction de l’environnement dans le domaine du droit européen s’est faite de
manière progressive, et à un rythme de plus en plus soutenu. Dans les traités eux-mêmes, le
chemin parcouru est impressionnant depuis le traité de Rome. Celui-ci n’incluait en effet pas
la moindre référence –même indirecte- aux enjeux écologiques. Mais la logique économique
qui présidait seule à la communauté européenne à ses débuts, si elle reste probablement
la composante majeure, n’est plus exclusive.
En cela et à propos de l’environnement, les européens ont suivi la prise de conscience
mondiale qui s’est faite jour depuis une cinquantaine d’années. La préoccupation
environnementale est apparue en tant que telle dans les traités constitutifs européens
qu’avec l’acte unique européen de 1987, et incorporé dans le corps des traités avec le traité
de Maastricht en 1992. Il y est ainsi noté dès le préambule la volonté de « renforcement
de la cohésion et de la protection de l’environnement ». Néanmoins, si cette référence est
incluse dans le préambule, la place réelle faite à l’environnement est pour le moins confuse.
Par exemple, sa protection ne fait même pas partie des grands objectifs de l’Union énoncés
à l’article B. Il ne s’agit pas encore d’une préoccupation essentielle, ce qui n’empêche pas
le traité de Maastricht de modifier le traité instituant la Communauté Européenne (à l’origine
le traité de Rome donc) pour ajouter aux politiques déjà existantes constituant l’action de
l’Union « une politique dans le domaine de l’environnement ». Cette politique est définie plus
45
précisément à l’article 130R . Le traité d’Amsterdam ajoutera la notion de développement
durable comme objectif de l’Union, et l’obligation d’intégrer l’environnement dans toutes
les politiques européennes. Le traité de Nice viendra clarifier la définition de la politique,
sans y apporter d’évolutions notables. De même le traité de Lisbonne ne modifiera que peu
ce chapitre, se contentant d’ajouter la mention du changement climatique à la formulation
précédente, en accord avec la place prise par ce problème particulier ces dernières années.
L’environnement est donc passé d’un statut inexistant à celui d’une politique officielle,
d’importance croissance, de la Communauté en un demi-siècle.
Cette politique prend pour forme générale les « Programme d’action communautaire
pour l’environnement ». C’est sous cette forme qu’est lancée la politique européenne
environnementale en 1972 (20 ans avant son incorporation formelle dans les traités donc).
Nous en sommes aujourd’hui au sixième programme, couvrant la période 2002-2012 (les
travaux sur le septième programme sont actuellement en cours, mais peu d’informations
sont disponibles à ce sujet). Ces programmes visent à mieux intégrer la dimension
environnementale dans les autres politiques de l’Union, à améliorer la législation en vigueur
dans les Etats-membres, ou encore à impliquer entreprises et citoyens. Ils font l’objet d’un
rapport de la Commission Européenne chaque année. L’intégration de l’environnement dans
les autres politiques européennes a été demandée explicitement lors du Conseil européen
46
de Cardiff en 1998 .
Autre document majeur, les conclusions du conseil européen de Göteborg en juin 2001.
On retrouve souvent ces conclusions comme base juridique aux décisions européennes
en matière d’environnement. Elles visaient à compléter la stratégie de Lisbonne (connue
pour son objectif de faire de l’UE « l’économie de la connaissance la plus compétitive
45
« La politique de la Communauté dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte
de la diversité des situations dans les différentes régions de la Communauté. Elle est fondée sur le principe de précaution et d’action
préventive, sur les principes de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement et sur les principes du pollueurpayeur ».
46
Avec l’adoption des propositions de la communication de la Commission Européenne « Partenariat d’intégration – une
stratégie pour intégrer l’environnement dans les politiques de l’Union Européenne », désormais connue la stratégie de Cardiff au
succès relatif.
34
LECORCHE Benjamin - 2012
Première partie : Accords Commerciaux Préférentiels et environnement : connaissances
empiriques et cadre européen
et la plus dynamique du monde en 2010 »). En effet, la stratégie de Lisbonne était
essentiellement économique et sociale, et les dirigeants européens ont voulu ajouter une
troisième dimension environnementale à leur stratégie. Le conseil de Göteborg a donc
permis de définir une stratégie européenne en faveur du développement durable :
19. Le développement durable - répondre aux besoins du présent sans
compromettre ceux des générations futures - est un objectif fondamental
assigné par les traités. Il implique que les politiques économiques, sociales
et environnementales soient abordées dans un esprit de synergie. Les
tendances qui menacent la qualité de vie future, si elles ne sont pas inversées,
entraîneront une très forte augmentation des coûts à charge de la société ou
deviendront irréversibles. […] 20. Le Conseil européen approuve une stratégie de
développement durable qui complète l'engagement politique de l'Union en faveur
d'un renouveau économique et social et ajoute une troisième dimension, celle
de l'environnement, à la stratégie de Lisbonne, définissant ainsi une nouvelle
approche en matière d'élaboration des politiques. Les modalités de mise en
œuvre de cette stratégie seront définies par le Conseil.
Mais surtout, significatif pour notre sujet, cette stratégie rappelle la dimension planétaire
de la politique environnementale européenne, et l’importance d’assurer une certaine
cohérence entre cette politique et la politique commerciale :
26. Le développement durable exige des solutions au niveau planétaire. L'Union
veillera à ce que le développement durable devienne un objectif dans le cadre de
la coopération bilatérale au développement et au sein de toutes les organisations
et agences spécialisées internationales. En particulier, l'UE devrait mettre en
avant les questions de gouvernance internationale en matière d'environnement
et assurer la synergie entre les politiques commerciales et environnementales.
La stratégie de développement durable de l'Union s'inscrit dans le cadre de la
préparation de l'Union au sommet mondial sur le développement durable de 2002.
L'Union cherchera à conclure un "pacte planétaire" sur le développement durable
lors de ce sommet.
La stratégie « Europe 2020 » adoptée récemment peut être vu dans une certaine mesure
comme un recul vis-à-vis du statut qu’avait lentement acquis l’environnement dans les
objectifs de long terme de l’Union. Certes cette stratégie est avant tout une stratégie de
croissance, mais une nouvelle fois elle ne contient pas de partie dédiée à l’environnement
spécifiquement. En réalité, le terme environnement est beaucoup plus souvent utilisé pour
désigner l’environnement commercial, concurrentiel et législatif dans lequel évoluent les
entreprises que pour désigner l’environnement au sens commun. Seuls points positifs, le
rappel de l’objectif 20/20/20 (20% d’énergie renouvelable dans le mix énergétique européen,
20% de réduction des émissions de CO2 –pouvant aller même jusqu’à 30% de réduction si
d’autres partenaires s’engagent, 20% d’amélioration du rendement énergétique) et l’accent
mis sur la gestion des ressources. Ce dernier point est l’une des sept initiatives phares
mises en avant. On peut penser que la Commission a souhaité adopter une approche
plus pragmatique. Celle-ci permet certainement à l’Europe de développer sa politique
environnementale tout en préservant le consensus entre Etats-membres, tout saut en avant
trop définitif étant bloqué par des points de vue très différents sur la thématique écologique
selon les Etats.
Textes spécifiques aux relations extérieures et commerciales de l’Union :
LECORCHE Benjamin - 2012
35
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
La Commission Européenne a publié de nombreux documents pour donner les grandes
orientations de sa politique commerciale. L’actuel commissaire au commerce, le néerlandais
Karel de Gucht, a la particularité d’être passé du portefeuille du développement à celui du
commerce. Il est donc particulièrement au courant des liens existant entre le commerce et
les autres défis politiques. Et surtout, cela fait de lui un fervent avocat du commerce comme
outil politique :
Trade is therefore not only a tool of international economic policy, but also of
47
international politics, helping to turn rivalries into partnerships .
La stratégie commerciale européenne a donc été confirmée dans l’orientation large qu’elle a
pris depuis une dizaine d’années, traitant de questions politiques autant que commerciales
en complétant de la sorte l’action extérieure de l’Union. La politique commerciale récemment
révisée s’inscrit donc dans une forme de continuité, bien que le ton soit différent.
Le rôle proactif de cette politique est souligné dans la dernière grande communication
48
issue de la DG Commerce . Mais ce qui frappe surtout dans cette communication est son
discours relativement peu policé. Face à une montée du scepticisme vis-à-vis du libreéchange dans la plupart des pays d’Europe, les responsables européens sont persuadés
que « pour assurer la réussite d’une politique commerciale ouverte en Europe, il faut
toutefois que les autres –y compris nos partenaires développés et émergents- répondent
à [nos] efforts, dans un esprit de réciprocité et de bénéfice mutuel ». Le ton employé est
alors plus musclé, l’Europe par exemple refusant de « pécher par naïveté », la Commission
veillant aux « intérêt et emplois européens » et combattant « les pratiques commerciales
déloyales par tous les moyens appropriés ». De plus, en l’absence de progrès au niveau
multilatéral, les européens n’hésiteront pas à avancer de manière bilatérale. Si « l’Europe
agira au niveau multilatéral » et que « Doha reste sa priorité », « ces deux niveaux d’action
[bilatéral et multilatéral] ne sont pas incompatibles, au contraire, la libéralisation nourrit la
libéralisation ». Doha semble de toute façon à ce point dépassé aux yeux des européens
que ce même document appelle déjà à « réfléchir à l’après Doha ».
Plus spécifiquement sur les questions environnementales, cette communication vise
notamment à la « croissance durable ». Elle indique notamment parmi les grands objectifs
que « par le commerce, nous devrions également encourager une économie mondiale plus
verte et des conditions de travail décentes ». Les partenariats commerciaux sont un outil
essentiel pour poursuivre cet objectif. Surtout, il est précisé que la Commission accordera
« une attention particulière à la mise en œuvre des chapitres consacrés au développement
durable » des accords de libre-échange. On le verra dans les études de cas, c’est de là
que vient la volonté d’insérer des chapitres particulièrement consacrés au développement
durable dans les accords. Les négociations commerciales ont aussi pour but de supprimer
les obstacles au commerce des biens et services environnementaux, ainsi que d’améliorer
l’approvisionnement énergétique.
2. Le processus de négociation des accords commerciaux
Nous avons vu le processus de négociation des accords en introduction. On rappelle que
c’est du côté européen un processus en plusieurs phases. La première est purement
intra-européenne, il s’agit de la définition du mandat de négociation. Cette négociation
47
“Of Markets and Men”, premier discours majeur de Karel de Gucht en tant que commissaire au commerce, prononcé
devant le Collège d’Europe de Bruges, 4 février 2010
48
36
« Commerce, croissance et affaires mondiales », DG Commerce, 2010
LECORCHE Benjamin - 2012
Première partie : Accords Commerciaux Préférentiels et environnement : connaissances
empiriques et cadre européen
débute soit par la proposition de négocier un accord par la Commission (qui a développé
un programme ambitieux visant à atteindre le chiffre de 50% du commerce extérieur
couvert par des accords de libre-échange), soit par la demande des Etats-membres
adressée à la Commission. Le Conseil Européen va ensuite définir la portée des
négociations (essentiellement le type de biens et services concernés) ainsi que leur objet
(la négociation portera-t-elle uniquement sur les tarifs ou également sur les autres barrières
commerciales ?). Une fois ce mandat de cadrage obtenu, la Commission est exclusivement
en charge de toutes les négociations. Sa seule obligation est de rapporter régulièrement
l’état d’avancement des travaux au Conseil (par le biais des comités permanents) et au
Parlement Européen. Outre le mandat donné à la Commission, les négociations sont
également basées sur les études d’impact effectuées. La société civile est elle-aussi
consultée pendant les négociations mêmes. Enfin une fois les négociations terminées,
l’accord obtenu est présenté au Conseil et au Parlement Européen, dont les deux avis
conformes sont nécessaires à l’adoption de l’accord. A la lumière des principaux points
dégagés en conclusion de la partie précédente, nous allons voir les spécificités de ce
processus.
- Participation du public :
L’UE est probablement l’acteur mondial donnant le plus de place à la société civile dans
le processus de négociation. La société civile est officiellement impliquée dans les activités
de l’UE depuis 1992 et l’adoption d’un « dialogue ouvert entre la Commission et les groupes
d’intérêt ». Celui-ci a été depuis profondément remanié. Dans le domaine commercial,
c’est le cas avec l’initiative prise par la Commission du Civil Society Dialogue. Ce dialogue
a quatre objectifs principaux. Le premier est de permettre à la Commission de consulter
très largement sur le long terme avec de nombreuses organisations. Un « registre de
transparence » existe pour l’Union Européenne (Commission et Parlement) depuis le 23 juin
2008 (en application du livre vert de 2006 sur la transparence proposé par la Commission).
Il permet en pratique à tout type d’organisation de s’enregistrer, dès lors qu’elle vise à avoir
49
une influence sur le processus politique de l’Union . Une grande variété d’organisations est
50
de fait représentée . Les consultations prennent la forme de rencontres régulières entre
la DG Commerce –parfois le commissaire lui-même- et les organisations intéressées. La
Commission informe ainsi la société civile des dernières évolutions et permet d’échanger à
ce propos (les minutes de ces rencontres sont publiées sur le site de la DG Commerce). Le
deuxième objectif est de prendre en compte les craintes que la société civile pourrait avoir
sur la politique commerciale. Un groupe de contact informel est établi et travaille au jour le
jour à faire remonter l’information, et les éventuelles suggestions qui pourraient émerger.
Le troisième objectif est d’améliorer le processus de policy-making de l’UE à travers un
49
Extrait de l’accord sur l’établissement d’un registre de transparence : 8. Le champ d'application du registre couvre toutes les
activités, autres que celles exclues par la présente partie IV, menées dans le but d'influer directement ou indirectement sur l'élaboration
ou la mise en oeuvre des politiques et sur les processus de décision des institutions de l'Union, quel que soit le canal ou le mode de
communication utilisé, par exemple l'externalisation, les médias, les contrats avec des intermédiaires professionnels, les groupes de
réflexion, les "plates-formes", les forums, les campagnes et les initiatives locales. […] Les contributions volontaires et la participation
à des consultations formelles sur des actes législatifs ou d'autres actes juridiques de l'Union envisagés ou à d'autres consultations
ouvertes sont également comprises. 9. Toutes les organisations et personnes agissant en qualité d'indépendants, quel que soit leur
statut juridique, se livrant à des activités qui relèvent du champ d'application du registre, sont censées s'enregistrer.
50
D’après les statistiques au 30 juillet 2012, 5185 entrées étaient recensées au registre : 592 cabinets de consultants/d’avocats,
2474 représentants internes et groupements professionnels (dont 692 sociétés et entreprises et 124 syndicats), 1486 ONG, 322
groupes de réflexion, organismes de recherche ou institutions académiques, 276 organisations représentant des autorités locales (de
droit, les autorités publiques font partie des exceptions n’ayant pas à s’inscrire au registre ce qui explique ce faible nombre).
LECORCHE Benjamin - 2012
37
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
dialogue de qualité. La DG Commerce considère notamment « essentiel » d’avoir des
retours sur l’opinion public pour pouvoir les « prendre en compte et y répondre ». Enfin,
le dernier objectif est d’accroitre la transparence du processus et la responsabilisation de
l’administration concernée.
La participation du public se fait à la fois pendant le processus même de négociation
par les rencontres avec les fonctionnaires de la DG Commerce, à la fin du processus avec
les consultations organisées par le Parlement Européen et après que l’accord lui-même
soit entré en vigueur. En effet, l’Europe met désormais en place des forums de discussions
de la société civile à propos des accords mis en place. C’est l’un des points majeurs de
vérification et de révision de l’application des accords.
- Moment de la négociation des clauses environnementales
« On ne peut pas traiter le commerce de manière isolée, sans prendre en considération
l'environnement » nous disait-on lors de nos entretiens. De fait ces clauses sont
négociées simultanément. L’Europe ne pose pas ses conditions sur l’environnement
comme des préalables aux négociations, de même que ces dispositions ne sont pas
négociées indépendamment a posteriori. Cela peut être à la fois un avantage et un
inconvénient. Avantage car cela rend de telles dispositions beaucoup plus indispensables
à l’aboutissement des négociations, inconvénient car en tant que part des négociations il
existe toujours un risque pour que l’Europe accepte d’abandonner ses exigences en matière
d’environnement pour obtenir autre chose. Ceci inquiète d’ailleurs certains représentants
européens comme la députée européenne Sofia Taïki pour qui « la Commission européenne
a tendance à se servir des clauses environnementales (et des normes sociales) comme
51
monnaie d'échange dans les négociations » .
- Clauses environnementales comme partie de l’accord
La position de l’UE à ce sujet est claire : l’environnement fait partie de l’accord
commercial lui-même. L’Europe négocie non seulement tout simultanément, mais les
dispositions environnementales sont partie de l’accord de libre-échange lui-même, et
non d’un accord séparé. C’est la politique d’inclure systématiquement des chapitres
« développement durable » dans les accords. Les avantage les plus évidents de cette
méthode sont de permettre que ces mesures aient le même statut que le reste de l’accord
(y compris donc vis-à-vis du mécanisme de règlement des différents prévus par l’accord),
et qu’elles soient inclues également lors des différentes révisions de l’accord. Il sera donc
plus facile de les faire respecter et évoluer.
- Clauses juridiquement contraignantes
La question de savoir si les clauses environnementales incluses dans l’accord seront
réellement juridiquement contraignantes est tout aussi essentielle que délicate.
Un premier aspect est la clarté des formulations utilisées. Plus le chapitre consacré
au développement durable sera rédigé clairement et précisément, plus il sera facile
de constater un non-respect et d’en demander l’application de manière juridique. Par
exemple, l’application d’une mention comme celle de « viser de hauts standards en
matière environnementale » est très subjective, et ne saurait donc guère créer d’obligations
juridiques.
51
Entretien réalisé pour le mémoire. Mme Taïki ajoute : « Je le regrette et, avec mes collègues de la commission du commerce
international, nous attirons régulièrement l’attention du commissaire De Gucht et de son directeur général lorsqu’ils viennent nous
rendre compte de l’avancement des négociations commerciales en cours ».
38
LECORCHE Benjamin - 2012
Première partie : Accords Commerciaux Préférentiels et environnement : connaissances
empiriques et cadre européen
Le deuxième aspect est bien sûr de savoir si les clauses environnementales pourront
réellement en tant que telles provoquer des recours devant l’organisme chargé par l’accord
de gérer les différents. Toutes les dispositions d’un accord ne peuvent pas nécessairement
faire l’objet de tels recours. Il arrive même que certaines parties de l’accord soient
explicitement exclues de ce mécanisme. Les européens ne suivent pas toujours la même
approche sur ce point.
Enfin, la dernière question est celle des conséquences si des dispositions étaient
juridiquement reconnues comme non-respectées. Les accords européens sont peu
ambitieux sur ce point. Seules des sanctions pécuniaires peuvent être données, et encore le
montant de celles-ci n’est absolument pas prévu par les accords. En réalité, c’est au panel
qui gérera le différent de proposer des sanctions ou mesures appropriées. Il n’est en tout
cas jamais question de remettre en cause l’accord commercial dans sa totalité. Dans ces
conditions, il n’y a guère d’incitations à respecter les dispositions les plus contraignantes
de l’accord.
- Institutions en charge de l’accord
L’Europe et ses partenaires créent souvent des institutions spécifiques pour gérer leurs
accords. L’accord prévoit parfois une assemblée commune chargée de le gérer. Celle-ci
réunit des représentants élus des deux bords. C’est le cas par exemple depuis l’accord
de Cotonou pour les relations ACP-EU. 147 députés européens sont membres de cette
assemblée qui met en place commissions d’enquêtes et missions d’études. De manière
intéressante, cette assemblée est d’ailleurs un lieu où les travaux sur les dimensions
non-économiques sont nombreux et importants, elle est ainsi à l’origine d’une proposition
d’intégration d’une politique de l’environnement aux projets de développement. Autre forme
d’institution plus récente, l’UE souhaite mettre en place des forums de la société civile
pour participer au suivi de l’application des accords. C’est l’une des grandes nouveautés
de l’accord avec la Corée du Sud. Il s’agit de forums faisant appel à la société civile non
seulement européenne mais aussi des pays concernés.
- Allocations budgétaires
Mobiliser des fonds pour la coopération est difficile pour l’UE puisque son budget est
très limité, quasiment sans ressources propres et qu’elle ne peut emprunter que faiblement
et de manière très cadrée. Le budget européen 2012 n’est que de 141.9mds d’euros (1%
du PIB européen environ), et seuls 6% de ce budget déjà faible est alloué pour l’ensemble
des opérations de relations extérieures, soit 9mds d’euros. La Commission souhaite voir
ce budget augmenter pour atteindre 96mds d’euros sur la période 2014-2020, ce qui serait
une relativement substantielle augmentation, mais resterait très insuffisant (le financement
alloué à la coopération, tous accords confondus, est de 1.135mds d’euros). Allouer des
fonds pour financer une disposition importante d’un accord nécessite alors le plus souvent
le concours des Etats-membres soit directement aux institutions impliquées, soit par une
augmentation de la dotation en direction de l’Union Européenne. Le financement actuel
52
passe par le dispositif « Aid for trade » , et est assuré pour moitié environ par l’UE ellemême et pour l’autre moitié par ses Etats-membres. Ces fonds sont donc budgétés sur des
52
Les grandes orientations ont été fixées par le Conseil Affaires Générales et Relations Extérieures du Conseil, dans le
document « EU Strategy on Aid for Trade : Enhancing EU support for trade-related needs in developing countries ». Ce document
appelait rappelle les objectifs d’augmentation du budget alloué à l’aide au développement, conformément à la hausse des besoins
et au nombre d’engagements pris, néanmoins les très difficiles discussions actuelles sur le budget 2014-2020 ne permettent pas
d’assurer que ces engagements soient finalement respectées. La proposition de la Commission demandant plus de moyens a été mal
acceptée par les Etats-membres en cette période de restrictions budgétaires générales.
LECORCHE Benjamin - 2012
39
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
périodes relativement longues, et ce indépendamment donc des engagements pris par les
européens vis-à-vis de leurs partenaires. Il n’y a pas de budget spécifique pour la plupart
des mesures prévues par les accords commerciaux.
3. L’étude d’impact environnemental
Les études d’impact étudient aussi bien l’impact sur le commerce et l’économie de
l’accord prévu que son impact sur les conditions de vie, de travail, ou encore l’impact
environnemental. Ces études sont également désormais systématiques et aucun accord ne
peut être signé par l’Europe sans qu’une telle étude n’ait été faite au préalable. Elles ont
donc pris une place considérable dans le processus de négociation, où elles apparaissent
à de très nombreuses reprises.
La position européenne sur les études d’impact
L’amélioration de « l’environnement réglementaire » de l’Union Européenne a été une
importante préoccupation de la Commission depuis une vingtaine d’années, confirmée par
exemple dès le Conseil Européen d’Edimbourg en 1992. On retrouve là le même souci de
rendre l’Europe plus claire et plus populaire auprès de citoyens qui s’en sentent de plus en
plus éloignés. Cette inquiétude est clairement exprimée dès l’introduction du livre blanc sur
la gouvernance européenne de 2001 :
Dans le cas de l'Union, [l’inquiétude] est cependant le reflet de tensions
spécifiques et de l'incertitude au sujet de la nature et du projet d'avenir de
l'Union, de ses limites géographiques, de ses objectifs politiques et de la façon
dont les pouvoirs sont partagés avec les États membres. Le taux décroissant de
participation aux élections du Parlement européen et le "non" irlandais montrent
également que le fossé entre l'Union européenne et ceux qu'elle sert est en train
53
de s'élargir .
Le livre blanc est donc censé apporter les premières réponses d’envergure à ce problème
grandissant, dont on sait aujourd’hui qu’il ne se résorbe toujours pas. Notons aussi qu’il
n’est pas anodin que ces efforts se soient amplifiés au début des années 2000. Le scandale
de la Commission Santer, conduite à démissionner, obligeait les institutions européennes
à faire un significatif effort de transparence. La mise en place des études d’impact dans
le processus législatif européen n’est donc qu’un des nombreux aspects d’une politique
plus large (les efforts pour renforcer les liens avec la société civile évoqués précédemment
font partie du même mouvement), ici dans le but d’améliorer l’évaluation des politiques
proposées.
Ces études ont pris de l’importance dans le domaine commercial en 1999, à l’origine
pour les discussions de Seattle sur le cycle de Doha à l’OMC. Elles se sont depuis
généralisées et ont été appliquées aux négociations commerciales bilatérales avec le
Chili, le Mercosur, les pays ACP, les pays du Golf ou encore la Corée. Une nouvelle fois,
c’est au conseil européen de Göteborg qu’ont été actées ces évolutions, il note en effet
« que la Commission inclura, dans son plan d'action pour améliorer la réglementation
qui doit être présenté au Conseil européen de Laeken, des mécanismes garantissant
que
toutes
les grandes propositions comprennent une évaluation de leur impact
sur le développement durable, couvrant les conséquences économiques, sociales et
53
40
Livre blanc sur la gouvernance européenne, Commission Européenne, juillet 2001, COM(2001)428
LECORCHE Benjamin - 2012
Première partie : Accords Commerciaux Préférentiels et environnement : connaissances
empiriques et cadre européen
environnementales possibles. » Cela a conduit la Commission a publié une communication
54
sur les analyses d’impact en mai 2002 .
La méthodologie européenne des études d’impact
Un premier trait caractéristique de la nouvelle méthode européenne est son approche
compréhensive, intégrant tous les inputs et outputs plutôt qu’une approche secteur par
secteur. « La nouvelle méthode d'analyse d'impact intègre dans un seul instrument toutes
les analyses sectorielles concernant les incidences directes et indirectes d'une mesure
proposée, ce qui rompt avec la situation actuelle caractérisée par plusieurs analyses
sectorielles partielles. Elle fournit un ensemble commun de questions de base, des normes
d'analyse minimales et un format de rapport commun. »
La DG Commerce a publié en 2006 son propre cahier des charges et règlement pour les
études d’impact concernant les négociations commerciales, ses principes sont les suivants :
1. Trade SIAs should be carried out for all major multilateral and bilateral trade
negotiations;
2. All three pillars of sustainability - economic, social and environmental - should be
covered;
3. Impacts on third, i.e. non-EU, countries should be analysed together with those on the
EU;
4. Trade SIAs should be carried out in cooperation with third country partners;
5. Trade SIAs should be based on transparency and include external consultations. All
stakeholders should be given an opportunity to take part in the analysis of issues and
impacts;
6. Results of all Trade SIAs should be made public;
7. Trade SIAs should be carried out by external consultants selected by public tendering
procedures. Consultants are independent. The EU stipulates only that they work in a
transparent and rational manner and base their findings on scientific evidence;
8. The European Commission should set up an internal consultation process to guide
consultants. A steering committee involving representatives of different Commission
departments and EU negotiators should ensure the relevance of the Trade SIA
process;
9. Coordination with EU Member State experts and Members of the European
Parliament is also part of the Trade SIA processHandbook for Trade Sustainability
Assessment, DG Commerce, 2006.
Les deux premiers points ont déjà été évoqués. Le troisième point est par contre plus
particulier à l’UE qui ne se contente pas d’analyser les effets de l’accord sur son propre
territoire et ses propres intérêts, mais aussi sur les pays partenaires. C’est un point
extrêmement important dans le sens où de nombreux accords commerciaux pourraient
être remis en question de ce fait, particulièrement dans le domaine environnemental. Un
exemple évident est l’accord en négociation avec le Canada. Celui-ci exploite ses gaz
de schiste et son pétrole non-conventionnel, mais une facilitation du commerce sur ces
biens présentant un risque pour l’environnement certainement affiché dans l’étude d’impact
commandé par la Commission elle-même, elle pourrait facilement être dénoncée par les
ONG environnementales. Le point 4 imposant la coopération avec ses partenaires va
dans le même sens. Les points 5 et 6 reprennent la volonté européenne de proposer un
dialogue le plus important possible avec l’extérieur et la société civile, et ce à tous les
moments de la négociation. Le point 7 est certainement le plus spécifique à l’Europe. De
54
Communication de la Commission sur l’analyse d’impact, 5 juin 2002, COM(2002)276
LECORCHE Benjamin - 2012
41
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
nombreux pays conduisent des études d’impact, mais ce sont généralement les ministères
concernés qui en prennent la charge – le département du commerce aux Etats-Unis par
exemple-, ce qui comporte bien évidemment tous les risques de partialité dans les résultats
de l’étude. L’UE procède par appels d’offres publics auxquels répondent de grands cabinets,
PriceWaterHouse Cooper pour l’accord avec les ACP, IBM Belgique avec la Corée, ou
d’autres institutions comme l’université de Manchester pour l’accord avec le Mercosur ou la
Méditerranée. Outre que ces consultants indépendants sont normalement moins partiaux,
la Commission demande à ce que les études s’appuient au maximum sur des données et
modèles scientifiques. Ce n’est pas une mention anodine. Les travaux sur la méthodologie
des études d’impact dans le domaine commercial ont beaucoup discuté des indicateurs
55
à utiliser . Important aussi, il ne s’agit pas uniquement d’indicateurs de sciences dites
« dures ». La DG Commerce demande en effet à ses consultants d’appliquer des modèles
macroéconomiques précis dans leurs études. Enfin, les points 8 et 9 servent essentiellement
à assurer le bon déroulement de la procédure tant pour la DG Commerce que pour son
acceptation finale par le Parlement et le Conseil Européens.
L’étude comporte quatre étapes : screening, scoping, assessment, flanking measures.
La première consiste à séparer les mesures de l’accord qui n’auront probablement pas
d’impact important des autres mesures dans l’étude. Le scoping consiste lui à déterminer
quels facteurs sont importants dans chaque mesure, et quelles procédures utiliser pour
évaluer chacun de ces facteurs (méthode de mesure, type de consultations …). L’évaluation
proprement dite vient ensuite, d’abord de chaque impact individuellement puis de l’impact
global de l’accord. Enfin, l’étude d’impact va chercher à proposer des solutions pour
diminuer l’impact des mesures les plus négatives, et éventuellement pour accroitre des
mesures d’effets positifs.
Intégrer les études d’impact au policy-making
Les études d’impact ne sont utiles qu’à condition d’être ensuite utilisées dans la création
de l’accord. C’est là que, selon ses propres termes, l’UE joue sa crédibilité sur son agenda
de développement durable. Pour intégrer les résultats des études, l’Europe a recours à un
processus d’analyse et de consultations faisant à la fois appel à la Commission elle-même,
aux Etats-membres et à la société civile. Cette analyse se passe en deux phases.
La première vient directement après la publication des résultats de l’étude d’impact.
La DG Commerce va travailler sur un position paper sur ces résultats, avec consultation
des autres services de la Commission. Ce document va exprimer les points d’accord de
la Commission avec les remarques de l’étude, et éventuellement ses points de désaccord.
La direction générale peut aussi avancer certaines idées et analyses complémentaires. La
dernière partie du document se consacre à la manière par laquelle les impacts identifiés
pourraient être corrigés si besoin était. Le document achevé est présenté aux Etatsmembres, qui peuvent à leur tour suggérer des modifications. Si le document convient aux
deux parties, il est alors rendu public à la société civile et transmis au Parlement Européen
ou à certaines institutions internationales concernées (OCDE, OMC …).
Dans un second temps, tous les services de la Commission concernés de près
ou de loin par l’accord sont impliqués pour vérifier que les remarques avancées soient
effectivement mises en œuvre dans les négociations, puis dans l’application de l’accord qui
en résulte.
55
Les Nations Unies ont par exemple publié un document de 315 pages au sujet du seul développement soutenable : Indicators of
sustainable development : guidelines and methodologies. Pour un exemple des critères utilisés par l’UE en matière d’environnement,
voir annexe 5.
42
LECORCHE Benjamin - 2012
Première partie : Accords Commerciaux Préférentiels et environnement : connaissances
empiriques et cadre européen
En pratique, l’ensemble du processus de la publication de l’appel d’offre à celle de la
position de la Commission, environ deux ou trois années s’écoulent.
Schéma : le processus de préparation d’une étude d’impact commercial
4. Dispositions environnementales classiques des accords
commerciaux européens :
Nous allons faire ici l’inventaire des dispositions les plus couramment présentes dans les
accords commerciaux négociés récemment par les européens, et ce depuis l’année 2000,
en excluant les accords d’association signés avec les pays d’Europe non-membres de
la communauté, qui bénéficient de ce fait de conditions très différentes par la politique
européenne de voisinage.
Sont donc inclus les accords avec l’Algérie (2005), l’Egypte (2004), Israël (2000), la
Jordanie (2002), le Liban (2003), le Maroc (2000), le Chili (2005), le Mexique (2000),
l’Afrique du Sud (2000), le Cariforum (APE appliqué de manière provisionnelle), la Côte
LECORCHE Benjamin - 2012
43
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
d’Ivoire (APE intérimaire suite à l’accord de Cotonou), le Cameroun (APE intérimaire). Nous
mentionnerons le cas échéant les accords avec l’Amérique centrale, les pays andins, mais
ces deux accords sont en renégociation. De même, l’accord avec la Corée sera étudié plus
longuement en étude de cas. Aussi ces trois accords particuliers ne seront qu’évoquer à
la marge.
Les quelques dispositions étudiées ne sont pas obligatoires puisqu’il n’existe pas de
listes de clauses à inclure nécessairement dans les accords dont le contenu est entièrement
négocié au cas par cas. Toutefois, ce sont les dispositions les plus répandues, et que l’on
peut observer dans de nombreux accords sous des formes plus ou moins similaires.
Dispositions de principes
L’introduction de principes généraux de coopération dès le préambule est le premier
signe d’une véritable volonté de travailler et de coopérer sur le thème de l’environnement.
L’accord avec le Mexique, de même que les premières versions des accords avec
l’Amérique centrale et les pays andins, inclut une référence à ce sujet :
CONSCIENTS de l'importance que les deux parties attachent à la mise en œuvre
correcte du principe du développement durable convenu et défini dans le
catalogue Action 21 de la déclaration de Rio de 1992 sur l'environnement et le
développement;
Par contre, aucun des accords signés avec les pays méditerranéens n’inclut de telles
dispositions. Cela inclut l’accord avec Israël, ce qui démontre qu’il ne s’agit pas uniquement
d’un problème de niveau de développement. Les accords africains avec le Cameroun et
l’Afrique du Sud eux aussi sont muets sur le sujet en préambule. Pour autant, ce n’est pas
parce que le préambule ne fait pas mention de l’environnement que le sujet n’est pas évoqué
du tout dans l’accord. Les accords avec Israël, la Jordanie, l’Algérie et le Maroc ont tous
quatre un article entier consacré au sujet qui débute par une définition de la coopération en
matière environnementale entre les partenaires. La formulation est similaire dans tous les
cas, par exemple l’article 65.1 de l’accord avec la Jordanie :
La coopération vise à prévenir la détérioration de l’environnement, à maîtriser
la pollution et à garantir l’utilisation rationnelle des ressources naturelles, dans
le but d’assurer un développement durable, ainsi qu’à promouvoir les projets
régionaux dans le domaine de l’environnement.
Ce premier point des articles concernés est généralement suivi d’un second point, qui
détaille les problématiques particulières sur lesquelles la coopération se concentrera. Par
exemple dans l’accord avec Israël (la liste est très similaire de celle présente dans les
accords avec les pays voisins –désertification, salinisation …) :
La coopération est centrée en particulier sur: la désertification, la qualité des
eaux de la Méditerranée ainsi que le contrôle et la prévention de la pollution
marine, la gestion des déchets, la salinisation, la gestion environnementale des
zones côtières sensibles, l'éducation dans le domaine de l'environnement et la
sensibilisation à ses problèmes, l'utilisation d'instruments avancés de gestion
et de surveillance de l'environnement, et notamment l'utilisation du système
d'information sur l'environnement (EIS) et l'exécution d'études d'impact sur
l'environnement, l'incidence du développement industriel sur l'environnement en
général et sur la sécurité des installations industrielles en particulier, l'incidence
de l'agriculture sur la qualité des sols et des eaux.
44
LECORCHE Benjamin - 2012
Première partie : Accords Commerciaux Préférentiels et environnement : connaissances
empiriques et cadre européen
L’accord avec le Mexique est lui-aussi intéressant car il va plus loin qu’une simple définition
de la coopération (on la trouve à l’alinéa suivant de l’article, elle n’a rien de particulier) :
La nécessité de préserver l'environnement et les équilibres écologiques est prise
en compte dans toutes les actions de coopération engagées par les parties en
vertu du présent accord.
Ici, on trouve plus qu’une définition. La coopération doit être prise en compte pour les actions
issues de l’accord. C’est un timide premier pas vers la création d’obligations réelles en
matière environnementale. Une même mention est présente dans l’accord de coopération
avec le Cameroun.
Pour conclure sur les dispositions générales, une dernière possibilité utilisé afin
d’inclure l’environnement dans les accords est de l’évoquer directement dans les parties
concernant des sujets qui lui sont reliés dans l’accord (assurer « l’interaction positive
entre tourisme et développement », des transports « durables du point de vue de
l’environnement », l’activité minière « dans le respect de l’environnement » etc.). C’est utile
dans la mesure où cela n’engage pas les parties énormément (les mots employés sont
plutôt faibles) mais que tous les sujets potentiels sont évoqués.
Dispositions concernant les lois domestiques sur l’environnement
Les négociateurs européens naviguent constamment entre la volonté de faire
progresser concrètement la protection de l’environnement chez leurs partenaires, et leur
position de principe affichée de ne jamais interférer dans les affaires intérieures. Ce que
résume notre interlocuteur à la DG Environnement par la formule suivante : « On ne souhaite
pas imposer les standards environnementaux européens à nos partenaires commerciaux.
Il s'agit plutôt pour les parties à l'accord de réaffirmer ensemble leurs engagements pour la
protection de l'environnement. »
Les traités essaient de refléter cette volonté, en demandant à ce que les parties
respectent des normes internationales, et un certain niveau de protection (à fixer
nationalement) à atteindre et à maintenir ensuite. L’accord avec le Cameroun est sur ce
point un précurseur :
Pour atteindre cet objectif [de développement durable], les parties concluront
avant le 1er janvier 2009 des négociations sur une série d'engagements éventuels
sur le développement durable qui concerneront notamment les points suivants:
niveau de protection et droit à réglementer; intégration régionale en Afrique
centrale et utilisation des normes internationales environnementales et de
l'Organisation internationale du travail et promotion du travail décent; maintien
des niveaux de protection; d) procédures de consultation et de suivi.
Depuis ce premier dispositif, les européens et leurs partenaires ont travaillé cette approche
et sont arrivés à des formulations plus ambitieuses et complètes (avec le Cariforum et la
Corée), que nous évoquerons dans nos études de cas.
Obligations d’assistance technique
On l’a vu précédemment, la grande majorité des accords évoquent la « coopération » et,
sans que des mesures concrètes soient proposées directement dans l’accord, il est possible
à ce titre de lancer des projets de coopération (naturellement plutôt dans le sens de l’UE
vers son partenaire, bien que la formulation impersonnelle permette d’aller dans les deux
sens). Les champs ouverts sont très nombreux, et au vu des domaines de coopération
évoqués, l’UE peut potentiellement fournir une expertise assez large. Parfois même dans
LECORCHE Benjamin - 2012
45
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
plusieurs accords, il arrive que l’assistance technique au partenaire soit évoquée de manière
directe et précise. C’est le cas par exemple de l’accord d’association avec le Chili qui
considère comme « particulièrement important les projets visant à renforcer les structures
et les politiques du Chili en matière d’environnement ». L’accord avec le Mexique offre un
catalogue de mesures possibles en coopération :
2. Les parties s'engagent à développer leur coopération afin de prévenir la
dégradation de l'environnement, d'encourager la conservation et la gestion
rationnelle des ressources naturelles, de développer, diffuser et échanger des
informations et des expériences sur la législation applicable dans le domaine de
l'environnement et d'user de stimulants économiques pour favoriser sa mise en
oeuvre, de renforcer la gestion environnementale à tous les niveaux de pouvoir,
de promouvoir la formation des ressources humaines, les initier aux questions
d'environnement et leur faire exécuter des projets de recherche communs
ainsi qu'à créer des canaux de participation sociale. 3. Les parties encouragent
l'accès mutuel aux programmes menés dans ce domaine, selon les modalités
spécifiques prévues par ces mêmes programmes.
L’éventail est large, et la tendance est de le rendre toujours plus complet et précis avec les
accords. Les traités signés avec la Corée ou le Cariforum plus récemment sont ainsi bien
plus exhaustifs en la matière.
Assistance particulière à propos standards SPS et aux barrières techniques au
commerce
Comme le disent les accords, leur objet est de « faciliter le commerce entre les
parties ». Les limites à cette facilitation du commerce sont en théorie les normes sanitaires
et phytosanitaires et les obstacles techniques au commerce clairement définis par l’OMC.
La coopération entre l’UE et ses partenaires portent donc parfois sur ce domaine précis.
Elle va notamment viser à harmoniser ces normes. C’est le cas de l’accord avec le
Mexique qui prévoit, en matière agricole, « d’étudier des mesures visant à l’harmonisation
des règles ainsi que des normes sanitaires, phytosanitaires et environnementales ». Ou
encore de l’accord avec le Chili à propos de la protection du consommateur, protection qui
« implique un renforcement de la compatibilité des législations relatives à la protection des
consommateurs pour éviter les obstacles au commerce ». Là aussi, les nouveaux accords
tendent à être plus précis sur la manière par laquelle les parties pourraient améliorer leur
coopération.
Conclusion sur le cadre européen de négociation :
Si l’on reprend les grands choix à faire dégagés à la section précédente, les
négociations menées par l’Europe assument des choix clairs confirmés dans les
communications officielles. Il a été décidé de procéder à des évaluations extensives de
l’impact des accords, y compris de leur impact environnemental. Le public est appelé
à participer à toutes les étapes de la négociation jusqu’à l’implémentation de l’accord
trouvé. L’environnement est un sujet de négociation à part entière de l’accord, il n’est pas
question d’en discuter dans des négociations parallèles ou postérieures. Les résultats de
ces négociations sont donc bien parties de l’accord commercial lui-même. Par contre, sur
le choix d’instruments juridiquement contraignants, l’Europe adopte une démarche peu
ambitieuse. Des institutions sont créées pour gérer la majorité des accords signés par l’UE,
et gèrent un budget pour partie propre à l’accord et pour partie allouer depuis des fonds de
coopération à l’ensemble des projets des différents accords.
46
LECORCHE Benjamin - 2012
Seconde partie : Etudes de cas
Seconde partie : Etudes de cas
Après cette présentation des connaissances actuelles concernant les aspects
environnementaux des accords de libre-échange, et la manière dont l’Europe souhaite
officiellement traiter le problème, nous allons effectuer deux études de cas pour voir quelle
est la situation actuelle, pour répondre à la question : quelle place pour l’écologie dans un
accord de libre-échange signé par l’Union Européenne ?
La première de ces études de cas concernera les relations européennes avec les
pays du groupe Afrique, Caraïbes et Pacifique. Il y a plusieurs avantages à choisir
d’étudier les relations avec ces pays. Il s’agit déjà de relations importantes. Pour des
raisons historiques si ce n’est commerciales, les relations entre l’Europe et ces pays
pour la plupart à la fois anciennes colonies et extrêmement pauvres. Mais aussi parce
que si leur poids politique et économique est aujourd’hui faible, ce poids est appelé à
ème
s’accroitre continuellement au cours du 21
siècle. Ce qui fait d’eux des partenaires
stratégiques majeurs pour une Europe qui se cherche sur la scène internationale. Le
second avantage principal est l’ancienneté des accords commerciaux entre l’Europe et ses
anciennes colonies. En remontant aux origines des Communautés européennes en 1957,
cette première étude nous permettra de mieux comprendre le chemin parcouru par les
questions environnementales depuis un demi-siècle. Il n’est de fait pas toujours allé de
soi que des questions d’écologie soient traitées dans des accords commerciaux, dont le
but principal reste de faciliter les échanges (on pourrait même dire qu’il fût un temps où
c’était l’unique objectif de tels accords). Nous terminerons cette première étude de cas par
l’analyse de l’APE signé avec le Cariforum, premier accord à prendre en compte le format
prévu par les accords de Cotonou, et qui comporte un certain nombre de points notables.
La seconde étude concernera spécifiquement l’accord de libre-échange signé avec
la république de Corée. Au fur et à mesure que nous travaillions sur ce mémoire, il est
en effet apparu que cet accord était incontournable pour comprendre la position actuelle
des négociateurs européens. Il constitue en quelque sorte le premier essai transformé d’un
accord de libre-échange moderne aux yeux des responsables du commerce européen, et
notamment pour la manière dont il traite les questions de développement durable.
Avoir deux études sur des partenaires aussi différents nous garantit également
d’observer les différences de traitement à des niveaux de développement très différents, et
avec des problématiques écologiques se posant à un niveau incomparable.
A. Les rapports EU-ACP
Commençons par un point d’explication sur les pays ACP. Il s’agit d’un groupe de pays créé
par les accords de Georgetown en 1975, avec pour objectifs principaux le développement
durable et la lutte contre la pauvreté. 34 pays étaient signataires de l’accord dès 1975, et
11 pays les ont rejoints juste après l’entrée en vigueur de l’accord entre 1976 et 1979. Tous
LECORCHE Benjamin - 2012
47
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
ses Etats membres sont parties aux relations avec l’UE aujourd’hui, à l’exception de Cuba,
56
la Somalie et le Timor Leste .
Les pays de l’UE et les pays ACP :
1. Historique des relations :
Initiation des rapports :
Le traité de Rome prévoyait dès 1957 les relations avec les « pays et territoires »
d’outre-mer : « les Etats-membres conviennent d’associer à la Communauté les pays et
territoires non-européens entretenant avec la Belgique, la France, l’Italie et les Pays-Bas des
relations particulières ». L’association visait à la « promotion du développement économique
et social et l’établissement de relations économiques étroites ». Cette manière de réguler
les relations est vite devenue obsolète avec l’accession progressive à l’indépendance d’un
nombre important des pays qui deviendront les pays ACP (Guinée en 1958, 14 colonies
africaines de la France, plus la Somalie italienne et le Congo belge en 1960, le Rwanda et le
Burundi en 1962). Ces Etats ne pouvaient bien sûr pas accepter de fonctionner dans leurs
relations avec l’Europe sur des règles déterminées par elle-seule, du temps où les capitales
européennes géraient leurs colonies. Ils demandèrent donc à négocier sur des bases
contractuelles avec la Communauté et purent obtenir de véritables accords d’association,
sur le fondement commun des accords avec la Communauté Européenne (article 238 du
traité de Rome).
Les conventions de Yaoundé à Cotonou :
La première convention liant l’Europe aux ACP est signée dans ce cadre le 2 juillet 1963
à Yaoundé. Elle est la première d’une longue série de conventions qui feront régulièrement
évoluer les domaines concernés par la coopération. La première convention de Yaoundé
repose sur trois éléments : une zone de libre-échange, une aide financière et technique
(assurée dès l’origine par le Fond Européen de Développement – FED, ainsi que par
56
48
La liste complète est disponible en annexe.
LECORCHE Benjamin - 2012
Seconde partie : Etudes de cas
des fonds de la Banque Européenne d’Investissement, ces deux institutions sont ellesaussi créées par le traité de Rome), plus des institutions communes (Conseil d’association,
conférence parlementaire d’association, cour arbitrale d’association). La convention fût
conclue pour une période de 5 ans, et remplacée par la convention de Yaoundé II en 1969.
Cette seconde version servit essentiellement à préparer l’adhésion de la Grande-Bretagne
en organisant les relations avec les anciennes colonies britanniques, notamment dans l’est
africain anglophone.
Une deuxième série de conventions, à nouveau conclues pour 5 années, viennent
remplacer les conventions de Yaoundé. La convention de Lomé I est signée le 28 février
1975, entre 46 pays ACP et les 9 pays d’Europe. Les conventions de Lomé reprennent
les principes actés à Yaoundé, et sont basés sur une solidarité internationale plus poussée
et un espace économique plus organisé et structuré. Les évolutions apparaissent plutôt
avec la seconde mouture des conventions de Lomé. La convention de Lomé II institue en
effet un système d’assurance pour les pays ACP dont l’économie dépendait fortement des
exportations minières aux bénéfices volatiles, le SYSMIN vise à permettre le développement
du potentiel minier et énergétique de ces pays. Lomé II met aussi en place le STABEX,
mécanisme de stabilité des recettes d’exportations qui s’applique à une douzaine de
produits de base (cacao, bananes, coton, minerai de fer …). La convention de Lomé III
est signée le 8 décembre 1984, avec un net élargissement puisqu’elle est signée entre 65
pays ACP et les dix européens. Elle ouvre de nouveaux domaines de coopération pour tenir
compte des besoins de développement des ACP. La coopération va de la sorte concerner
l’autosuffisance alimentaire, la désertification ou la dimension culturelle et sociale pour la
première fois de manière importante.
La convention de Lomé IV (1989) marque un certain changement dans l’optique de
créer une politique de long terme, puisqu’elle est conclue pour dix ans. Elle insiste également
beaucoup plus sur le respect des droits de l’Homme comme une valeur fondamentale de la
convention. Bien que conclue pour dix ans, elle est révisée dans son ensemble en même
temps que son protocole financier, qui lui n’était conclu que pour cinq ans. Lomé IV bis
renforce un certain nombre d’objectifs. Les droits de l’Homme deviennent essentiels au point
que leur violation ne peut être sanctionnée que par la suspension partielle ou totale de la
Convention. Les objectifs définis par le traité de Maastricht sont également pris en compte :
développement économique et sociale durable, insertion des pays en développement
dans l’économie mondiale, lutte contre la pauvreté dans les pays en développement. Les
conventions de Lomé IV marquent donc le début d’une véritable coopération politique.
Le bilan de ces conventions depuis un demi-siècle est mitigé. La mission première
de la coopération était d’assurer le développement économique des pays ACP, ce qui
globalement n’a guère été le cas. De même, les objectifs de plus en plus larges et politiques
ne sont quasiment pas remplis. Les difficultés économiques se sont dans de nombreux
pays ACP doublés de situations de conflits, entrainant des violations de droits de l’Homme.
Tout cela s’inscrit dans un nouveau contexte, celui international de la mondialisation, celui
aussi du scepticisme sur l’aide publique au développement, et enfin celui pour l’Europe de
l’élargissement aux pays de l’Est consécutivement à la chute du mur de Berlin. Le constat
57
de cette situation par la Commission la conduit à proposer un changement d’approche.
Notamment, « le constat de la différenciation croissante qui se marque entre les pays en
développement en général et au sein des pays ACP en particulier, constitue sans doute
un élément fondamental ». L’UE va alors proposer à ses partenaires ACP une nouvelle
57
Publication du Livre vert sur les relations entre l’Union Européenne et les pays ACP à l’aube du 21
ème
siècle, en 1996.
COM(96)0570
LECORCHE Benjamin - 2012
49
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
approche, plus large dans les questions traitées, et qui prendra en compte les spécificités
de chaque pays. Pour la mettre en œuvre, l’accord de Cotonou est conclu le 23 juin 2000.
Les problématiques écologiques dans ces premières conventions :
Comme partout ailleurs, la protection de l’environnement apparait très progressivement
dans le temps, reflétant la prise de conscience du défi qu’elle représente. La convention de
Yaoundé ne comporte qu’une seule mention des aspects écologiques, et encore de manière
plutôt peu expressive à l’article 10 :
Les dispositions des articles 3, 4 et 6 ci-dessus ne font pas obstacle aux
interdictions ou restrictions d’importation, d’exportation ou de transit justifiées
par des raisons de moralité publique, d’ordre public, de sécurité publique,
de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de
préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une
valeur artistique, historique ou archéologique, ou de protection de la propriété
industrielle et commerciale.
Autrement, seul le développement social est évoqué. Le terme environnement ne figure
pas une fois dans l’accord. C’est encore le cas avec les conventions de Lomé. Et là
aussi, dans leur préambule où se retrouvent généralement les grands principes guidant la
coopération, seul le « progrès social des Etats ACP » est l’objet des efforts des partenaires
de la coopération. La coopération en matière d’écologie reprend de même la formule de la
convention de Yaoundé, « la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux
ou la préservation des végétaux ». Le seul progrès éventuel en matière d’environnement
est indirect, puisque au régime de coopération financière et d’assistance technique figure la
possibilité « d’investissements dans le domaine du développement rural » ou de l’énergie,
deux domaines dans une certaine mesure liés aux problématiques écologiques.
L’importance relative du partenariat
Le partenariat UE-ACP a, évidemment, une importance très différente pour les deux
partenaires. La réalité économique est que les partenaires n’ont rien à voir :
EPA
EU
SADC
ESA
West Africa
Central Africa
Carribean
Pacific
Total EPA
GDP 2005 (billion US$)
13.300
66
75
162
40
72
9
425
Per cent of EU GDP
Ratio to EU GDP
0.50
0.56
1.22
0.30
0.54
0.07
3.20
200
178
82
330
185
1414
31
Source : Oxfam, données de la Banque Mondiale
58
Du point de vue commercial, les partenaires sont très inégaux. L’Europe représente
un cinquième du commerce mondial (exportations et importations), alors que les 79 pays
ACP ne sont à l’origine que de 3.1% des exportations et 3.4% des exportations (et encore,
environ un quart de ce commerce est fait par la seule Afrique du Sud, si on l’exclut les parts
respectives des ACP tombent à 2.6% et 2.4%). De plus, cette part des pays ACP dans le
58
Oxfam Briefing Note : Unequal Partners : How EU-ACP Economic Partnership Agreements (EPAs) could harm the
development prospect of many countries of the world’s poorest countries, 2006
50
LECORCHE Benjamin - 2012
Seconde partie : Etudes de cas
commerce mondial comme dans le commerce européen a fortement diminué depuis 1976,
bien qu’elle se soit stabilisée depuis une dizaine d’années :
Mais une grande partie des ACP bénéficie d’une croissance rapide, au-delà de 5% par
an pour l’ensemble de l’Afrique par exemple. Ils vont donc très vite retrouver une importance
bien plus grande dans l’économie mondiale dans les prochaines années, et d’ailleurs les
échanges sont en forte augmentation ces dernières années (il est vrai après une forte
contraction due à la crise en 2009).
Le commerce UE-ACP, 2009-2011 :
2. L’accord de Cotonou : cadre actuel des relations
Une nouvelle forme d’accord :
LECORCHE Benjamin - 2012
51
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
L’accord de Cotonou est un modèle original de coopération, censé mettre en œuvre
la nouvelle approche européenne nourrie des enseignements tirés du livre Vert sur les
relations UE-ACP.
L'accord de Cotonou est un accord global, qui consacre des changements
radicaux et arrête des objectifs ambitieux, tout en préservant l'acquis de 25
59
années de coopération entre l'UE et les Etats ACP.
C’est aussi un accord nécessaire pour rendre le système d’aide européen parfaitement
compatible avec les règles de l’OMC, ce qui n’était pas forcément le cas précédemment
et pouvait commencer à poser un certain nombre de problèmes. Notamment, la réciprocité
des concessions accordées était exigée. C’est un véritable tournant dans la mécanique de
coopération. Il est signé pour une durée de 20 ans, et possède une clause de révision tous
les cinq ans. La lutte contre la pauvreté reste au cœur de la stratégie, mais elle lie désormais
le dialogue politique à l’aide au développement, renforce la participation des acteurs locaux
(société civile et entreprises) au processus de développement.
Les principes fondamentaux de l'accord de Cotonou
∙
Egalité des partenaires et appropriation des stratégies de développement
∙
Participation (l'Etat reste partenaire principal mais ouverture à différents types
d'acteurs)
∙
Rôle central du dialogue et respect des engagements mutuels
∙
Différenciation et régionalisation
Le système financier qui présidait aux conventions précédentes est lui-aussi revu. Les
systèmes STABEX et SYSMIN sont progressivement abandonnés et remplacés par des
dispositifs exceptionnels non-automatiques. Et surtout, les allocations attribuées par le fond
européen de développement ou la banque européenne d’investissement ne le sont plus
seulement à partir des besoins identifiés par les Etats mais aussi de leurs performances.
L’idée était aussi de permettre une allocation plus efficiente de ressources plutôt faibles,
puisqu’une part très importante de l’aide publique européenne est dirigée vers les pays
bénéficiant de la politique européenne de voisinage. Les facteurs géopolitiques en général
décident de toute façon d’où les ressources sont allouées, ainsi les territoires palestiniens
ou l’Afghanistan reçoivent plus d’aide que n’importe quel pays ACP. Dans ces conditions,
il convenait de s’assurer que ce soient réellement les projets les plus utiles, dans les pays
faisant le plus d’efforts, qui soient financés.
59
Site de l’agence EuropeAid (organisme chargé de l’aide au développement de la Commission Européenne)
présentation de l’accord de Cotonou : http://ec.europa.eu/europeaid/where/acp/overview/cotonou-agreement/index_fr.htm
52
LECORCHE Benjamin - 2012
Seconde partie : Etudes de cas
Mais le principal changement est de proposer pour la première fois une véritable
différenciation de la relation à chaque partenaire. Jusqu’ici, une seule convention était
signée avec l’ensemble des ACP, bien que certaines mesures puissent être éventuellement
réservées à un petit groupe. Cela créait en pratique un système peu souple où seule la
coopération sur des projets concrets de développement était différenciée, les mesures
générales restant identiques. L’accord de Cotonou ne va quant à lui donner que le cadre
dans lequel les accords seront signés, pays par pays (ou éventuellement par groupe de
pays) avec l’Europe. Le contenu de ces accords pourra donc varier beaucoup plus.
Cotonou va donc mettre en place pour une période transitoire une zone de libreéchange entre l’Europe et les pays ACP (et les pays ACP entre eux, en application des
règles de l’OMC interdisant la discrimination entre pays en développement), en pratique il
s’agit d’une prolongation du régime des conventions de Lomé. Cette période transitoire était
60
censée s’achever en 2008 . Pendant ce laps de temps, les 76 pays ACP signataires de
60 Article 37 de l’accord original de Cotonou (cette mention a disparue avec la consolidation du texte) : « Des accords de
partenariat économique seront négociés au cours de la période préparatoire qui se terminera le 31 décembre 2007 au plus tard. Les
LECORCHE Benjamin - 2012
53
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
l’accord sont entrés dans un cycle de négociation avec l’UE en vue de conclure de nouveaux
« accords de partenariat économique (APE) » avec elle. Ce cycle de négociation traine
toutefois fortement en longueur, si bien qu’il a fallu adapter la période préparatoire pour éviter
que la majorité des ACP ne perdent leurs avantages économiques. On a ainsi fait signer
aux pays avec lesquels les négociations n’étaient pas terminées des APE dits intérimaires
61
(avec le Cameroun ou la Côte d’Ivoire par exemple ). A ce jour, seul le Cariforum a mis en
place un APE définitif avec l’Europe (depuis janvier 2008).
Le contenu de l’accord de Cotonou :
L’accord repose sur « trois piliers complémentaires : la coopération au développement,
62
la coopération économique et commerciale, la dimension politique . Les deux principaux
pour l’accord sont les volets commerciaux et politiques, puisque la coopération au
développement concerne plus que l’accord de Cotonou lui-même, et n’implique pas les
mêmes organismes de la Commission (EuropeAid plutôt que DG Commerce).
Le pilier politique repose sur les acquis des dernières conventions de Lomé, qu’il
prolonge. Avec l’accord de Cotonou, les pays-membres de l’Union Européenne peuvent
décider unilatéralement de suspendre immédiatement l’aide en cas d’atteintes graves aux
droits de l’Homme, aux principes démocratiques ou à l’état de droit. Cette procédure est
inscrite à l’article 96 de l’accord (article 366a de la convention de Lomé) pour protéger
les « éléments essentiels » des articles 8 et 9 instituant la coopération politique. Et il
ne s’agit pas d’une simple disposition théorique mais bien d’un dispositif d’application
concrète. Pas moins de 26 procédures ont été lancées depuis 1990 contre une vingtaine de
63
pays . C’est donc du point de vue européen plutôt une réussite qui lui permet de défendre
certaines valeurs. Certains regrettent donc que d’autres domaines importants ne soient pas
concernés, comme la corruption qui ne figure pas dans la liste des « éléments essentiels »
et doit donc faire l’objet de procédures de consultation. A l’inverse, de nombreux ACP
n’apprécient guère l’usage relativement offensif fait par l’UE de ces mesures, et préféreraient
qu’un dialogue se fasse autour de l’article 8, selon eux moins contraignant et plus constructif.
La dimension politique de la coopération fait aussi mention comme « élément fondamental »
de la bonne gestion des affaires publiques. Ce point peut lui-aussi -après procédureentrainer la suspension partielle ou totale de l’accord. Enfin, la dimension migratoire est
pour la première fois intégrée au partenariat avec l’introduction d’une clause standard de
réadmission qui oblige les pays ACP à accepter le renvoi de leurs ressortissants pris à
séjourner illégalement sur le territoire européen.
C’est par le biais du pilier commercial de l’accord de Cotonou que l’on va essayer de
rendre la coopération Europe-ACP compatible avec les règles de l’OMC. Cela se fait en
passant d’une logique de coopération pour le développement dans les conventions de Lomé
à une logique d’aide à l’intégration dans la mondialisation dans Cotonou. Jusqu’alors, le
négociations formelles des nouveaux accords commerciaux commenceront en septembre 2002 et ces nouveaux accords entreront
en vigueur le 1er janvier 2008, à moins que les parties ne conviennent de dates plus rapprochées. »
61
La DG Commerce tient à jour un état des lieux des négociations en cours à l’adresse suivante : http://trade.ec.europa.eu/
doclib/docs/2009/september/tradoc_144912.pdf
62
Pour la présentation des dispositions générales de l’accord de Cotonou, nous nous appuyons sur le dossier de la
documentation française : Union Européenne : l’aide au développement des pays ACP, publié en 2005 après la première révision
importante de l’accord de Cotonou.
63
Pour plus d’informations sur ces procédures : Suspension of development cooperation : an instrument to promote Human
Rights and Democracy ?, Hadewych Hazelzet, European Center for Development Policy Management, Discussion paper No. 64B,
Août 2005
54
LECORCHE Benjamin - 2012
Seconde partie : Etudes de cas
système était celui de préférences réciproques accordées par les partenaires les uns aux
autres. Cela est contraire à la règle de base du commerce international pour l’OMC, la
clause de la nation la plus favorisée. Dès lors, il faut changer de système (l’ancien reste
en place dans la zone de libre-échange préparatoire jusqu’en 2008). Cela passe déjà par
le regroupement des ACP par blocs régionaux. Il y en a sept au total : SADC (Southern
African Development Community), ESA (Eastern and Southern Africa), EAC (East African
Community), la CEDEAO (rejointe pour la région ouest-africaine dans les négociations par
la Mauritanie), la CEMAC (plus le Congo, Sao Tomé et Principe), le forum des îles Pacifiques
(PIF) et le Cariforum. L’objectif est de permettre l’établissement de relations commerciales
comme prévues par l’article XXIV du GATT.
L’approche du développement change elle-aussi pour entrer dans une optique de
réduction de la pauvreté suivant un certain nombre de principes directeurs : égalité hommesfemmes, gestion durable de l’environnement, exploitation rationnelle des ressources
64
naturelles, développement institutionnel et renforcement des capacités . Cette stratégie
de développement suit trois axes : stimulation de la croissance des pays ACP par des
réformes macroéconomie-économiques favorisant la compétitivité des entreprises, soutien
aux politiques sociales et à l’accès à ces services, et soutien aux processus d’intégration
déjà évoqué.
L’accord de Cotonou marque aussi une véritable évolution pour la prise en compte des
problématiques écologiques dans les relations euro-ACP.
3. La coopération environnementale avec Cotonou
a. Approche de principe
On l’a vu, ces questions n’étaient abordées auparavant qu’à la marge. Elles prennent cette
fois une véritable importance. Et cela s’est encore renforcé avec la seconde révision de
l’accord en 2010, qui ajoute la mention suivante au préambule :
CONSCIENTS de l’ampleur des défis environnementaux posés au niveau mondial
par le changement climatique, et profondément préoccupés par la situation des
populations les plus vulnérables vivant dans les pays en développement, en
particulier dans les pays les moins avancés et les petits États insulaires ACP où
les moyens de subsistance et le développement durable sont menacés par des
phénomènes climatiques tels que l’élévation du niveau de la mer, l’érosion du
littoral, l’inondation, la sécheresse et la désertification;
Mais déjà dans la première rédaction de l’accord, le défi environnemental était
présent à plusieurs reprises, dans le préambule avec le rappel de l’importance d’un
développement « soutenable » et surtout dans les objectifs du partenariat, listés à l’article
1. Particulièrement, l’article se termine ainsi :
Les principes de gestion durable des ressources naturelles et de l’environnement
[la révision de 2010 ajoute ici : « y compris le changement climatique »] sont
appliqués et intégrés à tous les niveaux du partenariat.
Nous sommes donc bien en présence d’un objectif d’ordre fondamental pour les partenaires,
qui conviennent d’en tenir compte dans tous les aspects de leur coopération. Il est toutefois
64
Pour une présentation détaillée de ce type d’approche, voir le rapport de François Coursin adopté par le Conseil Economique
et social : La contribution de la France au progrès des pays en développement, 28 février 2001.
LECORCHE Benjamin - 2012
55
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
intéressant de noter que les problématiques écologiques ne sont nulle part mentionnées
dans la présentation de la dimension politique de l’accord (titre II).
Nous pouvons avoir deux lectures de cette absence. Une lecture positive selon laquelle
l’environnement ne serait plus une simple question annexe au commerce, voir une question
dérangeante (on l’a dit, la dimension politique insiste fortement sur le respect des droits de
l’Homme). Les objectifs environnementaux ne seraient plus mis avec toutes ces dispositions
dont l’on sait qu’elles n’ont que très peu d’effets en réalité (des droits humains aux droits
sociaux en général), signe qu’une véritable coopération serait possible. Mais une lecture
plus négative est aussi possible, selon laquelle on évite justement de mettre l’écologie
dans ces parties plus sujettes à interprétation car elle pourrait poser trop de difficultés à
appliquer. En effet, en plaçant la coopération environnementale sous un aspect technique,
on ne fait qu’énoncer un certain nombre d’obligations et d’interdictions précises, ce qui en
restreint nécessairement la portée par rapport à des principes généraux. Des critères plus
objectifs sont plus faciles à appliquer juridiquement, mais ils ne recouvrent que ce pour
quoi ils ont été définis, une mauvaise définition les rendant alors inutiles. Au vu du dispositif
contraignant permettant de suspendre, voir de rompre l’accord, en cas de non-respect de
certains objectifs politiques, il nous semble que la deuxième option est la plus probable. L’UE
a fait pression pour l’intégration du respect des droits fondamentaux dans le partenariat,
mais n’a pas su ou pu faire de même pour les questions environnementales. Les européens
auraient fort bien pu intégrer, par exemples, l’obligation pour leurs partenaires de respecter
la biodiversité ou de limiter leurs émissions de gaz à effet de serre. De la sorte, il aurait été
possible de faire pression en faveur d’objectif globaux difficiles à traduire concrètement.
b. L’environnement : une coopération transversale
La coopération environnementale n’est donc pas objectif politique du partenariat. Elle
fait par contre partie des stratégies de développement dans le cadre des questions
systématiques ou transversales listées aux articles 31 à 33 (questions liées au genre, art.
31, environnement et ressources, art. 32, développement institutionnel et renforcement des
capacités, art. 33). L’article 20 prévoit qu’une « prise en compte systématique des questions
thématiques ou transversales sera assurée. […] Ces domaines pouvant également faire
l’objet de l’appui de la Communauté. » L’article 32 liste les objectifs de la coopération
environnementale : intégration dans tous les aspects de la coopération au développement,
renforcement des capacités techniques et humaines pour tous les acteurs, appuis à des
mesures et projets locaux ainsi qu’à l’application d’accords régionaux et internationaux,
prise en considération des questions de transport et l’élimination des déchets dangereux.
Les domaines concernés par la coopération sont également listés, allant des forêts
tropicales aux ressources en eau ou du développement urbain à la désertification. Il est
aussi noté séparément différents points importants dont la coopération devra aussi tenir
compte : vulnérabilité des Etats insulaires, aggravation des problèmes de sécheresse et
désertification, développement institutionnel et renforcement des capacités. On a donc une
liste relativement exhaustive à la fois d’objectifs de la coopération, des domaines auxquels
elle s’applique et de points particuliers à prendre en compte.
Cette liste est complétée en 2010 par l’introduction d’un long article 32A consacré
exclusivement à la question du changement climatique. L’article est réellement détaillé et
introduit pour la première fois la reconnaissance du « défi majeur » que représente le
changement climatique, de la « menace » qu’il représente pour les objectifs du millénaire,
et en contrepartie ajoute la nécessité d’un « appui financier adéquat, prévisible et en temps
opportun ». L’article se poursuit en rappelant à nouveau la vulnérabilité particulière de
56
LECORCHE Benjamin - 2012
Seconde partie : Etudes de cas
certains Etats face à ce problème, puis en proposant un certain nombre de nouvelles
mesures.
c. L’environnement dans le reste de l’accord
Dans l’accord de Cotonou, il n’y a pas de chapitre entier spécifiquement dédié au
développement durable. On trouve donc, outre l’article dédié expliquant l’approche globale,
des mentions aux thématiques écologiques disséminées partout dans le texte sur des
sujets précis. Les parties reconnaissent par exemple l’importance d’un transport maritime se
faisant dans un « environnement marin sûr et propre » (de la même manière la « durabilité »
est évoquée à propos de la politique de pêche), sans que ne soit précisé comment y arriver
concrètement.
Autre disposition évoquée dans l’accord, les mesures sanitaires et phytosanitaires dont
on rappelle qu’elles ne « constituent pas, en général, un moyen de discrimination arbitraire
ou une restriction déguisée dans le commerce » (art. 48). L’article 49 plus précisément est
intitulé « Commerce et Environnement ». Un tel article est une première dans un accord
commercial européen. Il précise la manière dont la coopération peut se faire en ce domaine :
La coopération visera notamment à mettre en place des politiques nationales,
régionales et Internationales cohérentes, à renforcer les contrôles de qualité
des biens et des services sous l'angle de la protection de l'environnement et à
améliorer les méthodes de production respectueuses de l'environnement dans
des secteurs appropriés.
On regrettera toutefois que cet article n’aille pas plus dans les détails, et qu’il se conclue
par un rappel ajouté en 2010 que « les mesures environnementales ne doivent pas être
utilisées à des fins protectionnistes ».
La partie concernant le financement du développement est quasi-muette sur ces sujets.
Les projets pouvant être financés entrent dans la catégorie vague de « l’appui aux politiques
sectorielles », un des sept champs d’application des financements, au même titre que les
politiques économiques et sociales (on peut donc s’attendre à une forte concurrence sur
les crédits alloués à ces politiques sectorielles). La coopération technique n’est pas plus
précise, bien qu’il soit mentionné que celle-ci « peut être fournie dans tous les secteurs
relevant de la coopération et dans les limites de son champ d'application. Les activités
couvertes seraient diverses par leur étendue et leur nature, et seraient taillées sur mesure
pour satisfaire aux besoins des États ACP », signe d’une approche réellement au cas par
cas à négocier.
Bien sûr, ces imprécisions que l’on peut regretter sont notamment dues à cette volonté
de faire du sur mesure, et donc de plutôt négocier les possibilités de coopération précise
dans les APE signés avec chaque Etat, comme nous allons le voir.
4. Un APE fonctionnel : l’accord avec le Cariforum
ème
L’accord a été signé par 14 Etats de la Communauté Caraïbes en octobre 2008 (le 15
Etat-membre, Montserrat, est un territoire britannique), plus la République Dominicaine, et
est appliqué de manière provisionnelle depuis le 29 décembre de la même année. Haïti a
également signé le traité, mais ne l’a pas encore ratifié. Le parlement Européen a donné
son accord en mars 2009.
Impact environnemental dans la région
LECORCHE Benjamin - 2012
57
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
L’ouverture des négociations dataient officiellement de 2002 avec l’accord de Cotonou.
En réalité elles n’ont commencé qu’en 2004, après que la première phase de l’étude
d’impact ait été menée. L’étude avait été confiée à PWC, qui avait ouvert un site internet
65
dédié à l’étude, malheureusement disparu aujourd’hui . Cette étude consacrait une dizaine
de pages aux priorités environnementales, plus quelques autres pages d’explications. Les
principaux défis environnementaux identifiés sont les suivants : écosystèmes uniques et
fragiles, forte dépendance économique, sociale et culturelle aux ressources naturelles,
66
haute vulnérabilité environnementale globale , particulièrement dans les îles. Qui plus est,
cette région est située dans une forte zone de tempête tropicale, ouragans et tornades qui
viennent régulièrement la frapper. Un certain nombre de facteurs économiques impactant
l’environnement est identifié :
∙
Agriculture avec les risques en cas d’intensification de la production : produits
chimiques, érosion, surexploitation des ressources rares en eau)
∙
Sylviculture : les plus importantes parts de forêt tropicales au monde se trouvent dans
les pays continentaux du Cariforum (environ 95% du Surinam et de la Guyane, 90%
du Belize), et même dans les îles l’exploitation du bois est importante. Et bien que
cela soit destiné quasi-exclusivement à la consommation nationale, le secteur reste
très important pour certains pays.
∙
Pêche : malgré leur situation géographique, les ressources halieutiques de la région
sont à peine suffisantes pour sa consommation (en 2000, les exportations vers
les Etats-Unis ne représentaient que 210 millions de dollars, pour 150 millions
d’importations), certaines îles sont même importatrices. Les ressources sont
surexploitées et subissent les variations climatiques. Le risque environnemental est
grand, de même que ses conséquences économiques (obligation d’importations, et
perte d’attractivité touristique).
∙
Activités minières : certains Etats de la région (Jamaïque, Guyane, Surinam) utilisent
abondamment leurs ressources minières, de même que Trinidad et Tobago produit du
pétrole. Les risques liés sont connus tant pour l’économie que pour l’environnement.
∙
Tourisme : l’expansion du tourisme pose de graves difficultés par les destructions
qu’ils apportent à l’environnement (destruction du corail pour produire divers objets à
destination des touristes, saccage du littoral, difficultés d’accès à l’eau). Le problème
des eaux-usés est particulièrement important.
Pour y faire face, les pays de la région sont parties de très nombreuses conventions
internationales : Convention sur la biodiversité, CITES, Convention de Bâle, protocole de
Carthagène etc. Au niveau régional, seules des politiques de management des désastres
naturels sont mises en place. La prévention ne se fait qu’au niveau national dans certains
Etats, qui mettent peu à peu en place une législation sur l’aménagement du territoire, encore
65
Sustainability Impact Assessment (SIA) of the EU-ACP Economic Partnership Agreements Regional SIA: Caribbean ACP
countries, 30 Janvier 2004, PWC. Le résumé des priorités de développement soutenable dans la région figurant dans l’étude est
disponible en annexe.
66
Définition du rapport : “Environmental vulnerability can be defined as the degree to which a natural system is susceptible to, or
unable to cope with the effects of external stimuli refers to the risk of damage to a country’s natural capital, and by extension threatens
the likelihood that it can achieve sustainable development. Indices of environmental vulnerability are numerous : loss of biodiversity,
loss of soil fertility, pollution of freshwater, overexploitation of fisheries, etc. It is caused by natural hazards as well anthropogenic
factors (growing population density, intensification of agriculture and fishing practices, etc.).”
58
LECORCHE Benjamin - 2012
Seconde partie : Etudes de cas
67
très insuffisante. La version finale du rapport et la réponse de la Commission sont clairs
sur la nécessité et la volonté de prendre en compte les problématiques écologiques dans
l’accord en négociations. C’est même l’objet de la remarque finale du Position Paper de la
Commission :
An important area is the environmental aspects of the EPAs, which are
highlighted in many recommendations. In this connection, Commission Services
are fully committed to further pursue its efforts to incorporate an environmental
dimension into the EPAs.
Dispositions de l’APE
Cette volonté se retrouve bien dans l’accord conclu au final. Ainsi la Partie I de l’accord
est-elle intitulée : « Partenariat commercial pour un développement durable ». L’article
concernant le développement durable est l’un des tous premiers, l’article 3 dans lequel les
parties rappellent leur attachement au développement durable et leur volonté d’en tenir
compte dans tous les domaines de leur coopération.
Les dispositions prises sont par contre par la suite assez nettement plus détaillées qu’à
l’accoutumée. Par exemple à propos de la pêche, identifiée comme un risque majeur par
l’étude d’impact, un paragraphe entier est accordé à l’objectif d’une pêche responsable :
3. Les parties reconnaissent que les pêcheries et les écosystèmes marins des
États du Cariforum sont complexes, biologiquement divers et fragiles et que leur
exploitation doit tenir compte de ces facteurs grâce à une conservation et une
gestion efficaces des ressources halieutiques et des écosystèmes associés sur
la base de conseils scientifiques bien étayés et du principe de précaution défini
par le code de conduite de la FAO pour des activités de pêche responsables.
Ainsi non seulement le problème est défini précisément, mais le contenu du « tenir compte »
est lui-aussi défini, obligeant à recourir à des conseils scientifiques et surtout en allant
jusqu’à évoquer le principe de précaution défini par le code de conduite de la FAO. Voici
une mention qui n’est pas tout à fait anodine. En effet, une telle mention renvoie à un texte
précis, et créait donc une obligation objective.
D’autres exemples de dispositions inhabituellement précises existent. Dans le secteur
du tourisme, un article dédié précise que les partenaires « encouragent le respect de
normes de qualité et des normes environnementales » (bien que ces normes ne soient pas
précisées, c’est déjà un progrès de reconnaitre la nécessité de leur existence). Toujours
dans ce secteur, la coopération technique prévoit précisément d’aider au renforcement des
capacités en matière de gestion environnementale, ainsi que de garantir la participation des
Etats signataires du Cariforum aux instances de normalisation spécialisés dans l’élaboration
de normes pour un tourisme durable.
Un article intéressant encore est l’article 138, intitulé « coopération en matière d’écoinnovation et d’énergies renouvelables ». Pour la première fois, de véritables projets de
coopération pour améliorer l’accès aux technologies environnementales sont prévus :
1. Dans un souci de développement durable et pour faire en sorte que le présent
accord ait le plus d'incidences positives possible sur l'environnement sans
retombées négatives, les parties soulignent l'importance de promouvoir des
67
PricewaterhouseCoopers, “Sustainability Impact Assessment of the EU-ACP Economic Partnership Agreements– key findings,
recommendations and lessons learned”, Paris, PricewaterhouseCoopers, Mai 2007 ; Position Paper : Sustainability Impact
Assessment of EU-ACP Economic Partnership Agreements, Commission Européenne, 16 novembre 2007
LECORCHE Benjamin - 2012
59
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
formes d'innovation bénéfiques pour l'environnement dans tous les secteurs de
leur économie. Les éco-innovations de ce type concernent notamment l'efficacité
énergétique et les sources d'énergie renouvelables.
Le point suivant de l’article détaille ensuite une liste de projets génériques possibles en ce
domaine comme l’assistance à des projets d’énergie renouvelable, de gestion de l’eau, la
promotion de réseaux d’éco-innovation en assistant à la mise en place de partenariat publicprivé, des échanges d’informations ou d’experts, l’aide à la recherche ou la préparation
d’études pour le compte du partenaire.
En pratique, de très nombreux domaines sont concrètement touchés. On trouve aussi
une mention dans le cadre de la protection de la propriété intellectuelle concernant les
ressources génétiques (avec obligation pour l’obtention d’un brevet d’identifier les sources
du matériel biologique utilisé).
Mais l’APE va encore plus loin, en proposant pour la première fois un véritable chapitre
dédié uniquement à l’environnement (art. 183 à 190). Jusqu’ici on trouvait généralement
un article seul expliquant dans un premier lieu l’attachement des partenaires à un
environnement sain, et dans un second lieu dans quels domaines la coopération pouvait
avoir lieu. On est ici en présence d’un chapitre de deux pages, nécessairement bien plus
complet. Il concerne premièrement les niveaux de protection et le droit de réglementer (art.
184). Ce droit est reconnu à chaque Etat, mais il devra « chercher à garantir que ses propres
lois et politiques en matière d'environnement et de santé publique prévoient et favorisent de
hauts niveaux de protection de l'environnement et de la santé publique. » Mention est aussi
faite des normes internationales (art. 185), et notamment la précision qu’en cas d’absence
de normes régionales ou nationales, les parties « s’attachent à adopter et à mettre en œuvre
les normes, lignes directrices ou recommandations internationales pertinentes ». Autre point
majeur, l’article 188 s’attaque au « dumping environnemental » :
1. Sous réserve des dispositions de l'article 184, paragraphe 1, les parties
conviennent de ne pas encourager les échanges commerciaux ou les
investissements directs étrangers dans le but de préserver ou d'accroître un
avantage concurrentiel en: a. abaissant le niveau de protection assuré par la
législation environnementale et sanitaire interne; b. dérogeant à cette législation
ou en ne l'appliquant pas.
Le chapitre prévoit encore des exigences en termes d’informations scientifiques, de principe
de précaution, de transparence, de concertation et d’évaluation des mesures prises. Il
se termine enfin par une nouvelle série de mesures potentielles de coopération, plus
transversales.
Conclusion de la première étude de cas :
Les relations UE-ACP montrent bien l’évolution des thématiques écologiques dans
les relations commerciales sur les cinquante dernières années. Le chemin parcouru
est immense, de l’absence quasi-totale de ce sujet dans les premières conventions à
l’apparition de dispositifs complexes, dispositifs qui commencent à créer des contraintes
sérieuses et que les partenaires ne sauraient ignorer.
Cette évolution trouve son aboutissement avec la nouvelle architecture donnée aux
accords de libre-échange par les européens, architecture qui doit enfin permettre que
les sujets politiques prennent la place qui leur revient dans des relations normales
internationales.
60
LECORCHE Benjamin - 2012
Seconde partie : Etudes de cas
B. Une nouvelle génération d’accord : l’exemple de la
Corée
Pour cette deuxième étude de cas, nous allons nous intéresser à l’accord de libre-échange
récemment mis en place entre l’Union Européenne et la république de Corée. Cet accord
est en effet le dernier accord de libre-échange en date à être entré en vigueur concernant
l’UE (l’accord d’association avec l’Amérique Centrale a depuis été signé le 29 juin dernier, et
l’accord de libre-échange avec le Pérou et la Colombie le 26 juin, mais les deux ne sont pas
encore entrés en vigueur). Il est ainsi particulièrement intéressant en tant que premier de
ces accords de nouvelle génération prévu depuis la redéfinition de la stratégie internationale
er
européenne en 2007. Signé en octobre 2010, il est appliqué depuis le 1 juillet 2011. Il vient
compléter et remplacer pour la matière commerciale un accord de coopération plus large,
68
traitant de questions plus politiques .
1. Processus de négociation de l’accord :
Les négociations commerciales en vue d’un accord avec la Corée ont été lancées dès
que la nouvelle stratégie internationale et commerciale européenne a été décidée. Les
négociations formelles ont eu lieu de la mi-2007 jusqu’en 2010.
Comme pour tout nouvel accord en projet, des études d’impact ont été effectuées. Elles
69
ont été confiées à IBM Belgique . Contrairement aux conclusions de l’étude d’impact de
l’accord avec les pays Caribéens, l’aspect environnemental n’est guère un problème dans
les relations commerciales avec la Corée (« The implementation of the EU-Korea FTA is not
foreseen to have significant adverse environmental effects »). La Corée étant un pays depuis
longtemps émergé, et bénéficiant d’une culture respectueuse de l’environnement, elle a déjà
une législation environnementale bien en place et prends part à une très grande partie des
conventions internationales. L’étude d’impact fait tout juste remarquer que l’accroissement
prévu des relations économiques entre les deux parties devraient amener à une plus
grande consommation d’énergie, notamment dans le transport, et que cette énergie provient
massivement de matières fossiles importées. Les auteurs se bornent donc sur le sujet à
appeler à une plus grande coopération sur ce sujet précis et les grands sujets écologiques
internationaux.
2. Les relations économiques UE-Corée :
La Corée est un partenaire important pour l’UE puisqu’il s’agit de son dixième partenaire
commercial le plus important en 2011. La relation est encore plus importante pour la Corée,
l’Europe étant parmi ses quatre principaux partenaires avec la Chine, les Etats-Unis et le
Japon. Les exportations européennes vers la Corée augmentent fortement, de 7% par an
entre 2007 et 2011 malgré le ralentissement dû à la crise. En 2011, l’UE a exporté pour 32.4
milliards d’euros (en hausse de près de 30% par rapport à l’année précédente) de biens
vers la Corée, et importé pour 36 milliards d’euros (hausse de 21.5%). Le déficit commercial
a ainsi fortement décru, il était supérieur à 11 milliards l’année précédente. Le commerce
des services est particulièrement attractif pour l’Europe, celle-ci a exporté ses services pour
68
Accord cadre de commerce et de coopération entre la Communauté Européenne et la République de Corée
69
Les documents sont disponibles sur le site dédié à l’accord : http://www.eu-korea-sia.org/
LECORCHE Benjamin - 2012
61
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
7.5 milliards contre 4.5 milliards d’importations. Enfin, les entreprises européennes sont les
investisseurs les plus importants en Corée depuis 50 ans, avec près de 30 milliards d’euros
d’investissements cumulés.
Les statistiques depuis la mise en place de l’accord montre que cette tendance
haussière des relations devrait encore s’accentuer (bien qu’il soit difficile de trancher
l’effet net de l’accord au vu des fluctuations conjoncturelles importantes ces dernières
années, et notamment après le très fort rebond de 2010 dans les relations UE-Corée). La
er
70
Commission a publié pour le 1 juillet 2012 un premier bilan annuel de l’accord , basé sur
les statistiques des neufs premiers mois disponibles. Les exportations ont sur la période
étudiée augmenté de 6.7 milliards d’euros par rapport à 2007, soit 35% d’augmentation
(sur la même période de comparaison, les exportations européennes ont augmenté en
moyenne de 25% seulement vers les autres pays). De plus, les secteurs les plus libéralisés
par l’accord sont ceux qui ont connus les plus importantes augmentations : 2.7 milliards pour
er
les biens totalement libéralisés au 1 juillet 2011 (vin, certains produits chimiques, textile,
produits sidérurgique, machinerie, 34% des exportations européennes vers la Corée), soit
46% de hausse, 3 milliards pour les produits partiellement libéralisés (automobiles et
certains produits agricoles, 44% des exportations européennes), soit 36% de hausse, un
milliard d’augmentation soit 23% pour les produits non-concernés par des libéralisations.
La Commission estime donc l’impact de l’accord sur les exportations pour ces neuf mois
à 1.7 milliard d’euros.
70
EU-Korea Free-Trade Agreement : One Year on, DG Commerce, 27 juin 2012 (http://trade.ec.europa.eu/doclib/press/
index.cfm?id=814)
62
LECORCHE Benjamin - 2012
Seconde partie : Etudes de cas
Source : South Korea : EU Bilateral Trade and Trade with the World, site de la DG
Commerce
( http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2006/september/tradoc_113448.pdf )
3. Présentation générale de l’accord
Cet accord marque une étape importante pour les relations commerciales européennes
avec le reste du monde. Il s’agit en effet du premier accord de libre-échange de nouvelle
génération, correspondant au nouveau cahier des charges lancé depuis l’initiative « Global
Europe » en 2007. En ce sens, son architecture est appelée à devenir le modèle pour les
futurs accords européens.
On y trouve les mesures classiques des accords de libre-échange, à commencer par
la réduction des droits d’importation. C’est l’accord le plus complet jamais signé par l’UE
à ce sujet. Il prévoit que 98.7% des droits exprimés en valeur seront supprimés d’ici à
2016. On y trouve aussi des mesures visant à l’élimination des obstacles non-tarifaires
LECORCHE Benjamin - 2012
63
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
aux échanges commerciaux. Cela passe par une série d’engagements généraux sur les
obstacles techniques au commerce, avec une coopération particulière sur les questions
de normes, d’étiquetage, de transparence ou de marques. Cette coopération vise à aller
plus loin que les règles imposées par l’OMC. Les domaines concernés sont notamment
l’électronique, la chimie, la pharmacie et l’automobile.
Les points commerciaux plus sensibles sont également l’objet de l’accord. Selon
la Commission, c’est même l’une des réussites majeures de cette nouvelle génération
d’accords :
Ces ALE marqueront également une étape importante sur la voie de la
libéralisation,puisqu’ils aborderont des questions qui ne sont pas encoremûres
pour faire l’objet de négociations multilatérales et irontau-delà de ce qu’il
est aujourd’hui possible d’atteindre dans lecontexte multilatéral en termes
71
d’ouverture des marchés.
L’un des objectifs de l’accord, notamment pour l’Europe, étant de permettre l’accroissement
des échanges agricoles, les normes sanitaires et phytosanitaires ont une certaine
importance. Le dispositif de coopération mis en place est sensé y faire face. Des
règles de transparence et de réciprocité dans le secteur des marchés publics figurent
elles-aussi au menu de l’accord, de même qu’une régulation renforcée de la propriété
intellectuelle (particulièrement, l’Europe a obtenu un haut degré de protection aux
indications géographiques européennes sur le marché coréen pour nombre de ses produits,
par exemple ses vins et spiritueux). Le secteur des services verra aussi une libéralisation
poussée pour de nombreux secteurs, de nombreuses règles coréennes précises limitant
l’accès à ses marchés devant rapidement être levées.
Mais bien qu’il s’agisse avant tout d’un accord commercial, cet accord se caractérise
aussi par sa nouvelle approche des questions réellement politique. C’est ainsi le premier
accord européen à inclure un véritable chapitre regroupant toutes les questions de
« développement soutenable » (termes sous lesquels sont inclus tant les droits humains
que les droits sociaux ou les questions environnementales).
4. L’environnement dans cet accord :
Principes généraux :
Le préambule de l’accord contient deux références à l’environnement, légèrement
innovante. Dans la première, en plus de « réaffirmer leur engagement en faveur du
développement durable », les deux parties se disent « convaincues que le commerce
international peut contribuer au développement durable dans ses dimensions économiques,
sociales et environnementales, y compris […] la protection et la préservation de
l’environnement et des ressources naturelles. » Le commerce est donc clairement
présenté comme un outil adapté pour répondre aux problématiques écologiques. Il ne
s’agit plus uniquement de prendre en compte l’environnement lorsque l’on prévoit de
faciliter le commerce, d’adapter à la marge les effets négatifs connus des échanges sur
l’environnement. C’est en réalité presque la logique inverse : le commerce peut jouer un
rôle actif, protecteur et faire progresser la cause environnementale.
La deuxième mention au développement durable au préambule va dans le même sens :
71
64
L’accord de libre-échange entre l’UE et la Corée en pratique, DG Commerce, Commission Européenne, 2011
LECORCHE Benjamin - 2012
Seconde partie : Etudes de cas
Désireux de renforcer le développement et le respect du droit et des politiques en
matière (de travail et) d’environnement, de promouvoir (les droits élémentaires
des travailleurs et) le développement durable, ainsi que de mettre en œuvre le
présent accord dans le respect de ces objectifs
A nouveau, on ne se contente plus d’afficher un attachement au développement durable
ou de le prendre en compte, on cherche à en « renforcer le développement et le respect »
et à le « mettre en œuvre ». Le vocabulaire utilisé est bien plus fort, bien plus actif que
d’accoutumée. Cela apparait encore plus nettement dans la version anglaise de l’accord
(« Desiring to strengthen the development and enforcement of …»).
En passant ainsi à une logique d’action et non plus de simple déclaration, il est difficile
d’aller beaucoup plus loin à ce stade d’un accord. La même logique préside d’ailleurs à
l’article premier de l’accord, qui en définit les objectifs :
Les objectifs du présent accord sont les suivants : […] Tout en reconnaissant
que le développement durable constitue une finalité primordiale, s’engager en
faveur du développement du commerce international d’une manière qui contribue
à réaliser l’objectif de développement durable, en faisant en sorte que cet objectif
soit pris en compte et trouve son expression à tous les niveaux des relations
commerciales entre les deux parties;
Progrès ici encore, on aurait après tout très bien pu se passer de la mention liminaire en
se contentant de « s’engager etc. ». On le disait précédemment, cela aurait déjà été un
progrès en soit. Mais les parties rajoutent encore que le développement durable est une
« finalité primordiale ». Une telle précision est exceptionnelle. On peut d’ailleurs constater
que de nombre de textes juridiques à valeur constitutionnelle couramment appliquée en
France sont bien moins clairs, et donc une juridiction pourrait tout à fait estimer qu’une telle
mention créait objectivement des obligations.
Mesures diverses comprises dans l’accord :
- Normes sanitaires et phytosanitaires (articles 5) :
Outre les dispositions habituelles en matière de transparence et d’échange
d’informations dans le cadre de l’application de telles normes, l’accord obtenu est explicite
sur certains points. Par exemple à l’article 5.9 (« Coopération en matière de bien-être
animal »), il est prévu que les parties « adoptent un programme de travail », et surtout
« coopèrent à l’élaboration de normes » sur un sujet aussi pointu que « l’étourdissement et
l’abattage des animaux ». Un « comité mesures sanitaires et phytosanitaires » est d’ailleurs
institué (art. 5.10), avec objectifs, composition, et fréquence de réunion définis à l’avance.
Il a pour fonction de régler toutes ces questions. On notera que l’organe de Règlement des
différends prévu par l’accord n’est pas compétent pour examiner ce type d’affaires.
- Variétés végétales (sous-section F, article 10.39 et 10.40) :
Pour la protection de la propriété intellectuelle, les deux parties s’engagent à prendre
des « dispositions pour assurer la protection des variétés végétales et respecter la
convention internationale pour la protection des obtentions végétales (1991) » (art. 10.39).
L’article 10.40 est intéressant lui-aussi, puisqu’il établit qu’un dialogue doit se faire entre
les parties au sein des différentes organisations internationales concernées (OMPI et OMC
citées) sur des sujets comme les savoirs traditionnels ou le folklore, mais surtout « les
ressources génétiques » et la « convention sur la diversité biologique ». Et suite à ces
LECORCHE Benjamin - 2012
65
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
discussions, les deux parties conviennent de revoir cet article concernant les ressources
génétiques « à la lumière des résultats et conclusions de ces discussions ».
En toile de fond de tous ces débats, c’est à la fois la protection de la biodiversité mais
aussi les questions de réglementations des OGM qui se jouent.
Chapitre 13 : « commerce et développement durable »
C’est le cœur de la coopération environnementale prévue par l’accord qui se joue ici. Un
tel chapitre, qui n’est plus un simple chapitre annexe mis au milieu de toutes les formes de
coopération, se veut une innovation majeure pour la Commission Européenne. Il est appelé
à devenir la norme. D’après l’entretien obtenu avec Mr. Patrick Ravillard :
Un chapitre sur le développement durable, couvrant à la fois les aspects
environnementaux et sociaux, est quasi-systématiquement proposé dans les
FTA. Celui-ci fait partie intégrante de l'accord et est traité sur un pied d’égalité
avec n’importe quel autre chapitre de l’accord.
Ce chapitre débute par la désormais traditionnelle profession de foi sur le développement
durable. Il a tout de même la particularité d’appuyer ses déclarations d’intention sur des
textes concrets : Action 21 sur l’environnement et le développement de 1992, plan de
mise en œuvre de Johannesburg sur le développement durable de 2002 et déclaration
ministérielle de 2006 sur le plein emploi et le travail décent pour tous des Nations Unies.
Mais surtout, après une déclaration limitative -d’importance- selon laquelle « les parties
reconnaissent que leur intention n’est pas d’harmoniser les normes relatives au travail et à
l’environnement des deux parties », ce chapitre va apporter nombre d’innovations majeures.
- Champ d’application (art. 13.2) :
L’article 13.2 est un article court mais pas tout à fait sans importance. Là où d’habitude
les parties se contentent de préciser qu’elles s’efforceront de prendre en compte le
développement durable dans leurs actions, l’article se veut plus impératif. En effet, « sauf
dans la mesure où il en dispose autrement », le chapitre développement durable va
s’appliquer à toutes les mesures « qui affectent les domaines du travail et de l’environnement
qui touchent au commerce ». Dans sa deuxième partie, l’article est une nouvelle fois limitatif,
puisqu’il rappelle que « les normes utilisées en matière d’environnement et de travail ne
doivent pas être utilisées à des fins protectionnistes » (et particulièrement, « l’avantage
comparatif des parties ne doit en aucun cas être remis en cause »).
- Droit de réglementer et niveaux de protection (art. 13.3) :
On retrouve ici l’innovation introduite dans l’APE avec le Cariforum. On « reconnait
à chaque partie le droit d’établir ses propres niveaux de protection en matière
d’environnement et de travail ». Toutefois, « les parties s’emploient à ce que leur législation
et leurs politiques prévoient et encouragent de hauts niveaux de protection », et ce
« conformément aux normes internationalement reconnues ou aux accords visées aux
articles 13.4 et 13.5 ». C'est-à-dire que chacun est libre d’établir ses propres règles comme
il le souhaite, mais celles-ci devront être tout de même d’un certain niveau, notamment au
regard des règles internationales.
Pour une telle disposition, on peut néanmoins s’interroger pour savoir si ce sont les
défenseurs d’une certaine souveraineté nationale qui l’ont emporté en obtenant des limites
à ce que la coopération pourrait entrainer, ou si à l’inverse ce sont des défenseurs de
l’environnement qui ont obtenus que soient mentionnés ces hauts niveaux de protection.
- Accords multilatéraux en matière d’environnement (art. 13.5) :
66
LECORCHE Benjamin - 2012
Seconde partie : Etudes de cas
L’article 13.5 concernant l’environnement est un peu en reste vis-à-vis de l’article
précédent concernant les normes internationales sur le travail. De nombreux textes
étaient cités en matière de travail, et un certain nombre de principes sur lesquels les
parties s’accordaient. En matière d’environnement, on se contente dans un premier temps
de « reconnaitre la valeur de la gouvernance et des accords multilatéraux en matière
d’environnement » et de coopérer en cas de négociations d’intérêt mutuel dans le domaine
commerce et environnement.
On note tout de même que les parties « réaffirment leur attachement à la mise en œuvre
effective, dans leurs législations et pratiques, des accords multilatéraux auxquels elles ont
adhéré », ce qui n’est pas si anodin au vu du nombre de conventions ratifiés par l’Europe
et la Corée sur l’environnement.
Enfin, les parties s’engagent aussi à réaliser « l’objectif ultime » de la Convention Cadre
des Nations Unies sur les Changements Climatiques et son protocole de Kyoto, et à mettre
en place le futur cadre international sur les changements climatiques prévu à la conférence
de Bali.
- Commerce au service du développement durable :
C’est l’occasion d’affirmer une nouvelle fois la conviction des parties que le commerce
peut favoriser le développement durable. Mais plus important, c’est à cet article qu’est
prévu la facilitation du commerce des biens environnementaux. Ceux-ci sont définis plus
précisément. La quasi-totalité de ces biens pourra librement, sans la moindre taxe, entre les
deux parties dans les trois ans qui suivront la mise en place de l’accord. Dans le domaine des
services environnementaux, la libéralisation est également prévue, bien que la Commission
ne communique pas de chiffres.
- Maintien des niveaux de protection dans l’application et l’exécution des lois,
règlements ou normes (article 13.7) :
C’est ici aussi une innovation déjà introduite dans l’accord avec le Cariforum, qui vise
à assurer qu’un des deux partenaires ne pratique le dumping environnemental, soit en
réduisant ses exigences, soit en ne faisant pas appliquer ses règles. Il est énoncé que les
parties ne « peuvent s’abstenir d’assurer le respect effectif de leurs législations en matière
d’environnement et de travail », et qu’une partie « n’affecte pas et ne réduit pas le niveau
de protection en matière d’environnement ou de travail assuré par sa législation en vue
d’encourager les échanges ou les investissements ».
- Article 13.8 à 13.10 :
Ces articles sont de moindre importance. Ils sont consacrés respectivement à
l’information scientifique, la transparence et l’examen des incidences (de l’accord) sur le
développement durable. Le plus intéressant est peut-être l’article sur la transparence, qui
appelle à la concertation publique et à la coopération avec la société civile et le privé.
- Coopération (Article 13.11) :
Cet article renvoie à l’annexe 13 de l’accord, qui liste une série de projets de coopération
en matière de commerce et de développement durable (la liste est disponible à la page
suivante, c’est une liste relativement exhaustive mais sans innovation particulière).
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Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
Mécanisme institutionnel et mécanisme de dialogue avec la société civile (Article 13.12
et 13.13) :
Le chapitre 13 bénéficie lui-aussi de son comité dédié, regroupant représentants des
deux administrations et chargé de la mise en œuvre du chapitre. La première réunion de ce
groupe a eu lieu en octobre 2011 sous la direction de Karel de Gucht et du ministre coréen
du Commerce.
A ces représentants officiels, les deux parties ajoutent chacune un groupe consultatif
d’organisations représentatives de la société civile chargé de les éclairer. Les groupes
représentant la société civile de chacune des parties se réunissent annuellement « afin
d’engager un dialogue couvrant les aspects du développement durable qui touchent les
relations commerciales entre les deux parties. C’est donc la société civile que l’on charge
de vérifier la bonne application de l’accord, et particulièrement du chapitre Développement
durable. Une telle revue, indépendante des administrations, est théoriquement mieux à
même de travailler sur ces questions sereinement. Il reste à voir comment cette pratique
68
LECORCHE Benjamin - 2012
Seconde partie : Etudes de cas
s’institutionnalisera pour juger ses résultats, voir si les constats faits par ce forum annuel
trouve un quelconque écho.
C’est encore trop tôt pour le dire, puisque le premier forum de la société civile a été
72
organisé il y a quelques semaines sous l’égide du Comité Economique et Social Européen ,
le 27 juin à Bruxelles. Nous avons contacté le CESE pour obtenir des informations sur la
réunion. Il nous a été répondu que celles-ci ne sont pas encore en ligne car il est prévu
qu’un site dédié au Forum Société Civile UE-Corée soit ouvert au début de l’automne. Seul
le sujet de la réunion était disponible en ligne, il était le suivant :
Au cours de la première réunion, les membres du Forum se pencheront sur la ratification
et la mise en œuvre des conventions fondamentales de l'OIT et ils analyseront aussi
l'impact sur le changement climatique des conventions et les règlements sur le
commerce et le développement durable. En outre, les participants discuteront des
questions relatives à la règle du transport direct.
Habituellement, de nombreux documents sont mis en ligne après les réunions du
CESE : ordre du jour, liste des participants, présentations faites sur le sujet, communiqués
de presse etc. On peut donc s’attendre à obtenir de nombreuses informations lorsque le
site spécifiquement dédié à l’accord sera mis en ligne. C’est aussi probablement le signe
qu’au-delà des réunions annuelles prévues par l’accord, les travaux se poursuivront tout au
long de l’année.
Concertation, groupe d’expert et règlement des différends (articles 13.14 à 13.16) :
Le mécanisme de concertation des pouvoirs publics prévoit qu’à la demande d’une des
parties « sur tout problème mutuel né du présent chapitre », des consultations puissent
être lancées. Il est précisé expressément que cette demande peut avoir pour origine
les « communications du ou des groupes consultatifs internes visés à l’article 13.12 ».
La concertation doit ensuite se faire entre les parties dans le respect des conventions
internationales. Si aucune solution n’est trouvée directement, le comité « Commerce et
développement durable » peut être saisi pour travailler sur le sujet. Il doit ensuite présenter
une solution écrite publiquement, à moins que « le comité n’en décide autrement ». Les
organisations internationales de même que le forum société civile sont invitées à faire leurs
recommandations à tout moment de la procédure.
Si les consultations gouvernementales échouent, le dossier est confié à un groupe
d’experts chargé de faire un rapport sur le sujet, et de présenter ses propres solutions
qui doivent ensuite, théoriquement, être mises en place par le comité « Commerce et
développement durable ».
Le point faible principal de l’accord en matière de développement durable réside
toutefois dans son mécanisme de règlement des différends. En effet selon l’article 13.16 :
Pour tout différend découlant du présent chapitre, les parties ne peuvent avoir recours
qu’aux procédures prévues par les articles 13.14 et 13.15.
Il est donc absolument exclu que le mécanisme de règlement des différends régulier
de l’accord (prévu au chapitre 14) soit saisi d’un sujet en rapport avec le développement
durable. Cela signifie donc qu’aucune sanction ne peut tomber en cas de non-respect des
dispositions du chapitre 13. Seules les dispositions situées ailleurs dans l’accord peuvent
entrainer une procédure formelle. Et seule une procédure formelle devant l’organisme de
72
Le CESE (http://www.eesc.europa.eu/) est une institution méconnue de l’UE, créée dès le traité de Rome et considérablement
renforcée depuis, notamment avec le traité de Maastricht. C’est la plate-forme consultative des institutions européennes auprès de
ses partenaires sociaux. Ses avis sont publiés au Journal Officiel de l’Union.
LECORCHE Benjamin - 2012
69
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
règlement des différends pourrait entrainer des sanctions financières, voir une suspension
partielle ou totale de l’accord.
Conclusion de cette deuxième étude de cas :
On l’a vu, le libre-échange avec la Corée ne devait selon l’étude d’impact faite au
préalable pas avoir d’effet significatif sur la protection de l’environnement tant en Europe
qu’en Corée. Il semblerait alors que les négociateurs européens aient profité de ces
enjeux faibles pour travailler leur boîte à outils pour les futures négociations. Aussi, sans
amener de projet absolument révolutionnaire de coopération, les négociations ont-elles
tout de même permis d’intéressantes avancées. On ne peut malgré tout que regretter les
nombreuses limites qui accompagnent chacune de ces mesures, que ce soit par des rappels
au fait qu’elles ne doivent pas faire obstacle de manière trop forte au commerce, ou par
l’interdiction de faire appel au seul mécanisme réellement contraignant pour faire respecter
ces dispositions.
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LECORCHE Benjamin - 2012
Conclusion
Conclusion
Arrivé au terme de notre étude, un certain nombre de conclusions s’imposent à nous :
1. La première conclusion évidente est que désormais, le commerce ne saurait être
traité à part, dans une bulle isolée des autres sujets. Avec de très nombreux pays, les
seuls accords bilatéraux en dehors de sujets très techniques sont les accords commerciaux.
Et il n’est plus aujourd’hui acceptable en Europe de traiter la matière commerciale sans
tenir compte de ses éventuelles conséquences. Les positions prisent par les écologistes
dans nos sociétés, et leur écho considérable, montrent définitivement qu’un nouveau
modèle de partenariat était nécessaire. Le contexte se montre également de plus en plus
favorable à des partenariats renouvelés. On en apprend chaque jour davantage sur les
défis environnementaux, et particulièrement celui du changement climatique toujours plus
documenté entretient un sentiment persistant d’urgence. Ces enjeux ne sont toujours pas
les plus haut-placés dans la hiérarchie des préoccupations d’une majorité d’électeurs. C’est
toutefois déjà le cas pour de nombreux électeurs, et pour certaines élections, il n’est pas
exagéré de dire : It’s the ecology, stupid.
2. Avec une telle pression, les gouvernants européens ont commencé à mettre
en œuvre des politiques environnementales d’ampleur. Les dirigeants d’institutions
européennes ont notamment saisi l’occasion avec un certain opportunisme. C’est pourquoi
l’Europe s’est dotée d’une politique environnementale officiellement depuis 1992 et le traité
de Maastricht, et que cette politique se renforce lentement mais sûrement depuis lors.
3. Les objectifs écologiques inscrits aux traités européens ont trouvé leur
traduction dans les textes régissant concrètement les politiques publiques européennes.
L’environnement est devenu une part significative de la stratégie de Lisbonne, puis de la
Stratégie 2020. Il est également un aspect transversal inclus dans chacune des politiques
européennes. Les instruments de politique publique pour assurer cette mise au vert des
politiques européennes ont rapidement suivi, accompagnant le mouvement de réforme de
la gouvernance et de meilleure transparence de la Commission Européenne.
4. La politique commerciale européenne elle-même s’est ouverte à cette préoccupation
depuis une décennie, sous l’impulsion de ses commissaires successifs Pascal Lamy, Peter
Mandelson et Karel de Gucht. De sensibilités différentes, les trois commissaires ont élargi
les tenants et aboutissants de la matière commerciale. Cette évolution culmine dans les
dernières communications de la Direction Générale au Commerce, et notamment dans la
nouvelle stratégie intitulée Commerce, croissance et affaires mondiales . L’importance
donnée aux accords de libre-échange dans cette stratégie (on rappelle l’objectif d’atteindre
plus de la moitié du commerce européen couvert par un tel accord) a fait de ceux-ci l’un des
fers de lance de ces nouvelles thématiques liées au commerce.
5. Pour les accords commerciaux que nous avons étudiés, on peut parler de véritable
révolution en un demi-siècle. Le temps où les accords commerciaux se contenter d’évoquer
vaguement « la santé des animaux et des végétaux » semble en effet bien loin. Lentement
mais sûrement, accompagnant la montée en puissance de la thématique écologique,
l’arsenal environnemental utilisé dans les accords commerciaux s’est étoffé. Des mesures
ponctuelles de coopération sont apparues il y a déjà 20 ans, puis au tournant des années
2000 le mouvement s’est véritablement enclenché. Des accords comme ceux négociés
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Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
par l’UE avec le Mexique et le Chili ont été les premiers à inclure de claires références
à l’environnement : objectifs communs et coopération précise. Avec l’accord de Cotonou,
une étape dans le bon sens est franchie. L’APE signé avec le Cariforum montre toutes les
possibilités offertes par cette convention. Pour la première fois, les partenaires s’engagent
sur des questions de normes environnementales, s’accordent sur des projets détaillés de
coopération. L’accord de libre-échange signé avec la Corée du Sud et en vigueur depuis
l’année dernière est l’aboutissement de cette évolution. Enfin, les dispositions prises sont
claires, objectives et à même de créer de véritables obligations juridiques. Malgré les
limites qui viennent restreindre la portée des dispositions les plus ambitieuses, il n’en reste
pas moins que la souveraineté étatique n’a pas empêché de prendre des engagements
relativement forts (« hauts standards », application des conventions internationales signées
…). D’autres initiatives sont prises dans cet accord, notamment celle de confier à la société
civile la surveillance des dispositions concernant le développement durable. On aboutit ainsi
enfin à un véritable ensemble cohérent de mesures et de propositions qui permettraient s’ils
étaient appliqués d’améliorer notablement les choses.
Toutefois, il convient de ne pas faire preuve d’un trop grand enthousiasme pour
conclure ce mémoire. Les progrès effectués sont indéniables. Beaucoup les jugeraient très
insuffisants, particulièrement au vu de l’urgence de la situation. Pour autant, sur un sujet
aussi politique à inclure que l’environnement, les engagements désormais pris en règle
générale dans tous les accords commerciaux négociés par l’UE sont conséquents. Il est
toujours possible de faire plus, de faire mieux. Mais là n’est pas la véritable faiblesse du
dispositif auquel les européens sont arrivés. Elle réside plutôt dans la possibilité de ne
pas tenir compte de tous ces articles potentiellement gênants. En l’absence d’un véritable
mécanisme de contrôle du respect des engagements environnementaux, on ne saurait se
montrer trop optimiste sur les chances de voir les engagements pris être respectés à la lettre.
S’il est donc un domaine qu’il convient de retravailler en urgence, c’est celui-ci. Il n’est
pas possible de voir comme dans l’accord avec la Corée le dernier article du chapitre
développement soutenable énoncer, en termes diplomatiques, que toutes les promesses qui
viennent d’être faites n’engagent que ceux qui les reçoivent. Il n’est pas possible d’exclure
les mesures de développement durable du mécanisme de règlement des différends de
l’accord, pour le confier à de vagues comités ou groupes d’experts chargés de trouver un
consensus, sans même que soit prévu une issue si un tel consensus n’était pas trouvé.
Confier la responsabilité de faire respecter ces dispositions à la société civile est intéressant,
voir nécessaire, mais définitivement pas suffisant. On ne peut pas toujours compter sur
des pratiques de name and shame pour faire plier un Etat récalcitrant. Nous verrons ce
qu’il adviendra dans la pratique de ce forum de la société civile avec la Corée. Mais même
si celui-ci représentait finalement un dispositif efficace, il reposera toujours sur la vigueur
de la société civile chez les partenaires, caractéristique absente parmi certains partenaires
commerciaux de l’Europe. Le seul mécanisme dont on sait qu’il permettra le respect de
l’accord quelle que soit le rapport de force politique entre partenaires et dans la vie interne
de chacun d’eux, c’est le mécanisme juridictionnel. Ce n’est qu’en permettant à une autorité
de juger le cas, et de prendre en cas de besoin des mesures fortes (sanctions véritablement
importantes ou suspension de l’accord), que l’on pourra sécuriser les avancées faites depuis
50 ans.
Il est probable que certains pays se montreraient récalcitrants à inclure des mesures
de protection de l’environnement si celles-ci s’avéraient de véritables obligations, mais de
telles obligations n’en sont pas moins indispensables. Il nous faut trouver un tel équilibre,
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LECORCHE Benjamin - 2012
Conclusion
puisqu’en l’absence de contrainte nous courons le risque que toutes nos belles phrases ne
soient suivies d’aucun effet.
LECORCHE Benjamin - 2012
73
Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
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pays ACP à l’aube du 21
siècle, 20 novembre 1996, COM(96)570
Commission Européenne (DG Commerce), EU-Korea Free-Trade Agreement : One
Year on, 27 juin 2012
Commission Européenne (DG Commerce), L’accord de libre-échange entre l’UE et la
Corée en pratique, 2011
Commission Européenne, Europe 2020 : A Strategy for smart, sustainable and inclusive
growth, 3 mars 2010, COM(2010)2020
Commission Européenne (DG Commerce), Trade, growth and development: tailoring
trade and investment for those countries most in need, 2012, COM(2012)22
Discours
Romano Prodi, 2000-2005 : donner forme à la nouvelle Europe, discours devant le
Parlement Européen, 15 février 2000
Audition de Pascal Lamy devant le Parlement Européen, 1999
Karel de Gucht, “Of Markets and Men”, discours devant le Collège d’Europe de Bruges,
4 février 2010
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Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
Accords internationaux
Traités
Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC)
Protocole de Kyoto à la CCNUCC
Traité de Nice du 26 février 2001
Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007
Traité de Rome instituant la CEE du 25 mars 1957
Traité de Maastricht sur l’Union Européenne du 7 février 1992
Acte Unique Européen du 28 février 1986
Accords commerciaux
Accord cadre de commerce et de coopération entre la Communauté Européenne et la
République de Corée
Accord de libre-échange entre la Nouvelle-Zélande et la Chine
Accord de Libre-Echange Nord-Américain/Accord Nord-Américain de Coopération dans
le Domaine de l’Environnement
Accord de Partenariat Economique UE-Cariforum
Accord de partenariat économique, de coordination politique et de coopération UEMexique
Accord d’étape vers un partenariat économique UE-Afrique Centrale
Accord de libre-échange UE-République de Corée
Accord UE-Chili
Accord UE-Egypte
Accord UE-Israël
Accord UE-Jordanie
Accord UE-Maroc
Accord UE-Algérie
Convention de Cotonou
Conventions de Lomé
Conventions de Yaoundé
Sites internet
T.N. Srinivasan, Preferential Trade Agreements with Special Reference to Asia, http://
www.econ.yale.edu/~srinivas/PrefTradeAgreements.pdf
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Bibliographie
Site de l’agence EuropeAid (organisme chargé de l’aide au développement de la
Commission Européenne), présentation de l’accord de Cotonou : http://ec.europa.eu/
europeaid/where/acp/overview/cotonou-agreement/index_fr.htm
Etat des lieux des négociations commerciales en cours, site de la DG Commerce :
http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2009/september/tradoc_144912.pdf
Site dédié à l’étude d’impact de l’accord UE-Corée : http://www.eu-korea-sia.org/
Statistiques sur le commerce euro-coréen, site de la DG Commerce : South Korea : EU
Bilateral Trade and Trade with the World http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2006/
september/tradoc_113448.pdf
Conseil Economique et Social Européen : (http://www.eesc.europa.eu/)
Présentation du GSP, site de la DG Commerce : http://ec.europa.eu/trade/wideragenda/development/generalised-system-of-preferences/
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Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
Annexes
Annexe 1 : échange avec Mme Sofia Taïki, députée
européenne.
A consulter sur place à la bibliothèque de l'Institut d' Etudes Politiques de Lyon
Annexe 2 : entretien avec Mr. Patrick Ravillard, chargé
des relations commerciales DG environnement
Annexe 3 : liste et classification des pays ACP
(Annexe VI de l’accord de Cotonou)
ETATS ACP LES MOINS AVANCES
Article 1
Aux fins du présent Accord, sont considérés comme Etats ACP les moins développés les
pays suivants:
Angola
Bénin
Burkina Faso
Burundi
République du Cap-Vert
République centrafricaine
Tchad
Comores
République démocratique du Congo
Djibouti
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LECORCHE Benjamin - 2012
Annexes
Ethiopie
Erythrée
Gambie
Guinée
Guinée-Bissau
Guinée équatoriale
Haïti
Kiribati
Lesotho
Liberia
Malawi
Mali
Mauritanie
Madagascar
Mozambique
Niger
Rwanda
Samoa
Sao Tomé et Principe
Sierra Leone
Iles Salomon
Somalie
Soudan
Tanzanie
Togo
Tuvalu
Ouganda
Vanuatu
Zambie
ETATS ACP ENCLAVES
Article 2
Des mesures et dispositions spécifiques ont été prises pour soutenir les Etats ACP enclavés
dans leurs efforts visant à surmonter les difficultés géographiques et autres obstacles
qui freinent leur développement de manière à leur permettre d’accélérer leur rythme de
développement.
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Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
Article 3
Les Etats ACP enclavés sont:
Botswana
Burkina Faso
Burundi
République centrafricaine
Tchad
Ethiopie
Lesotho
Malawi
Mali
Niger
Rwanda
Swaziland
Ouganda
Zambie
Zimbabwe
ETATS ACP INSULAIRES
Article 4
Des mesures et dispositions spécifiques ont été prises pour soutenir lesE´ tats ACP
insulaires dans leurs efforts visant à surmonter les difficultés naturelles et géographiques,
et les autres obstacles qui freinent leur développement, de manière à leur permettre
d’accélérer leur rythme de développement.
Article 5
Liste des Etats ACP insulaires:
Antigua-et-Barbuda
Bahamas
Barbade
République du Cap-Vert
Comores
Dominique
République dominicaine
Fidji
Grenade
Haïti
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Annexes
Jamaïque
Kiribati
Madagascar
Maurice
Papouasie-Nouvelle-Guinée
Saint-Christophe-et-Nevis
Sainte-Lucie
Saint-Vincent et les Grenadines
Samoa
Sao Tomé et Principe
Seychelles
Iles Salomon
Tonga
Trinité et Tobago
Tuvalu
Vanuatu
Annexe 4 : les priorités du développement durable
dans les Caraïbes
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Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
Source : Etude d’impact pour l’APE UE-Cariforum
Annexe 5 : tableau des grands domaines pour les
études d’impact environnementales des accords
commerciaux signés par l’Europe
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Annexes
Source : Handbook for Trade Sustainability Impact Assessment
Résumé
Les thématiques environnementales se sont imposées comme majeures dans le débat
public depuis une vingtaine d’années. Une véritable prise de conscience a eu lieu, et
le défi écologique est désormais bien connu. Et ce notamment dans les pays les plus
riches. C’est pourquoi l’Union Européenne se veut le champion de politiques protectrices
de l’environnement. Et parmi les outils à sa disposition, l’un s’impose par l’effet de levier
dont il est doté : la politique commerciale.
Celle-ci s’est métamorphosée en une décennie. Aux objectifs commerciaux s’est ajouté
une série d’objectifs politiques, dont l’objectif environnemental. Les accords commerciaux
ont donc commencé à incorporer de plus en plus de références au développement durable
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Environnement et accords commerciaux : quels choix pour l’Europe ?
sous toutes ses formes. Aujourd’hui, une batterie de mesures environnementales est
devenue la norme dans ces accords. Ce mémoire s’attache à montrer quelles sont ces
mesures, et quels peuvent être leurs effets.
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