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Comment les mutations mondiales sont-elles vécues par
les grandes entreprises en Europe ?
Michelle Bergadaà
Directrice de l'Observatoire de Vente et Stratégies du Marketing de Genève
Professeur
HEC- Université de Genève
Article soumis pour publication à la Revista Colombiana de Marketing en juin 2002.
Coordonnées :
Prof. M. Bergadaà
OVSM – HEC
Uni Mail - Bd du Pont-d'arve 40
CH-1211 Geneva 4, Switzerland
tel./fax : 41-22-794 43 80
http://ovsm.unige.ch/
REMERCIEMENTS : l'auteur remercie le FNRS qui a financé cette recherche et l'OVSM qui
en a assuré la logistique. Un grand merci également aux enquêteurs-étudiants qui se sont
succédés pour recueillir les données et les analyser sous notre direction.
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Comment les Mutations mondiales sont-elles vécues par
les grandes entreprises en Europe ?
Résumé : Face aux profonds changements de l’environnement socio-économique, les
entreprises de l'Europe doivent désormais s’adapter à un marché global, à une concurrence
accrue et à des consommateurs plus que jamais exigeants. Grâce au développement d’un
modèle générique, cette recherche analyse l’impact de ces changements au niveau de
l’entreprise et de sa stratégie marketing. Une méthodologie utilisée tout au long d'une
période de dix-huit mois, résolument qualitative, a été conduite auprès d'un échantillon
d'entreprises représentatives des différents secteurs économiques. Cette recherche naturelle
a permis d'induire le sens que mutation et crise avaient dans l'entreprise au niveau de
l'organisation, du métier central, des politiques de marque et de la relation au
consommateur.
Mots clés : Europe ; Environnement ; Capital de Marque ; Stratégie Marketing ; Marketing
Relationnel ; méthodes qualitatives ; recherches naturelles , méthode inductive.
1. Introduction
Nous assistons depuis quelques années à de profonds changements commerciaux amorcés
par la mise en place du marché européen, puis par la mondialisation et la globalisation des
échanges. Ceci implique des mutations dans les entreprises notamment, au niveau de leurs
stratégies de marketing et de vente. Tous les modèles académiques puissent leurs sources
dans un marketing d'origine américaine. Or, l'Europe a des particularités qui ne permettent
pas toujours d'adhérer aux propositions nord américaines. Nous avons donc, avec des
dirigeants d'entreprises qui ont créé avec nous l'Observatoire de Vente et Stratégies du
Marketing de Genève (OVSM), cherché à comprendre les mutations en cours. Ensuite, nous
avons proposé un modèle spécifique dont les éléments sont présentés dans cet article.
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Une première mutation, en Europe, concerne le consommateur. Il est d'abord touché, tant
par les modifications de la structure démographique (pyramide des âges, espérance de vie
accrue, etc.), que par les adaptations sociales en cours (durée hebdomadaire du travail
réduit, âge de la retraite, etc.). Par ailleurs, une répartition différente du "temps de libre" vs.
"temps obligatoire" se met en place avec l'augmentation des possibilités de travail mobile
(téléphone, micro, Internet, etc.) qui change la notion de frontière entre ces deux types de
temps traditionnels. L'augmentation du niveau de scolarité et de l'éducation, ainsi que
l'augmentation générale du niveau de vie permettent l'émergence de populations plus aptes
à décider de manière autonome de leurs modes de consommation. Un "consommateur
entrepreneur", client d'un nouveau type, partenaire de l'entreprise et partie intégrante d'un
processus de coproduction fait son apparition (Rochefort, 1997 ; Gaillard, 1997). Et son
pouvoir augmente continuellement par l'accès à l'information, car Internet ouvre à chacun les
voies de la communication directe mondialisée (Mermet, 1997 ; Glazer, 1991).
Une seconde mutation fondamentale touche l'extension des marchés. Depuis quelques
années l’Union Européenne est devenue un vaste marché unique de près de 400 millions de
consommateurs potentiels. Depuis quelques mois, la monnaie unique est dans le porte-
monnaie des consommateurs et c'est toute l'économie des pays Européens qui est touchée
par ce mouvement de fond d'une monnaie qui challenge maintenant le dollar américain.
Parallèlement, la mondialisation ouvre, pour les entreprises, la perspective d'un marché
devenu plus vaste et plus concurrentiel, où la comparaison d’un pays à l’autre, voire d’une
région à l’autre, est facilitée. La course à la taille, reposant sur la volonté de réduire les
coûts, conduit certains acteurs économiques à standardiser prix et produits. Pour les
pessimistes, la mondialisation, qui ferait du monde un village et de l’Europe un quartier,
conduirait à une forme d'homogénéité culturelle.
Une troisième mutation concerne l’explosion d’Internet qui autorise l'accès à la virtualité des
consommateurs. Au-delà de nouveaux moyens de communication, Internet aurait le pouvoir
de modifier l'ordre social actuel du savoir, et donc l'"homo sapiens" (Serres, 1997). L'individu,
consommateur ou client industriel, apprend à vivre avec de nouveaux paradigmes
communicationnels et commerciaux qui remettront profondément en cause ses rapports au
temps et à l'espace (de Rosnay, 1995 ; 1998). Toutes les catégories d'individus sont
susceptibles d'être touchées à plus ou moins brève échéance (Bergadaà, Hébali, 2002). Les
nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) transforment
profondément les stratégies et les pratiques de l'entreprise en Europe. L'économie de
l'Internet n'est plus virtuelle, mais tout à fait réelle. Elle permet l'apparition de modèles de
gestion qui affectent profondément les métiers et les organisations, et elle remet en cause
les techniques traditionnelles du commerce. Ce nouveau média est en train de bouleverser
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notre façon de communiquer, d'apprendre, d'acquérir et de diffuser l'information (Dutta et
Segev, 1999 ; Sguire, Sanders et Dempsey, 1999).
Pour comprendre l'impact de ces trois mutations sur les perspectives marketing et vente de
grandes entreprises nous avons conduit une recherche sur le terrain auprès de dirigeants de
onze d'entre-elles. Au cours de cette période de dix-huit mois, une a disparu (Arthur
Andersen), une a fusionné (Compaq), une s'est implantée en Suisse (FNAC), deux
poursuivent une transformation mondiale radicale (Procter & Gamble, Caterpillar). C'est dire
que ces mutations appellent de l'innovation pour proposer des cadres d'analyse marketing
qui tiennent compte des nouvelles dimensions spatiales et temporelles des enjeux qui se
présentent aux entreprises.
En aucun cas cet article ne prétend détenir des réponses. Au contraire, la méthodologie
qualitative utilisée permet de proposer un cadre générique qui puisse servir de miroir aux
dirigeants d'entreprises et aux chercheurs académiques afin, qu'ensemble, il soit bientôt
possible de rendre opérationnelles de nouvelles définitions du marketing et de la vente.
2. Les mouvements de l'entreprise
Les mutations du contexte européen et mondial actuel requièrent une compréhension
profonde des risques et opportunités auxquels les entreprises sont confrontées. Notre revue
de littérature s'est articulée autour des cinq thèmes qui nous sont apparus comme
structurant cette problématique, soit l'impact des facteurs contingents, sur les évolutions en
termes d'organisation et de stratégie de l'interface entreprise-marché, sur sa politique de
marque et sur la relation client.
2.1 Les facteurs contingents
Dans les entreprises de grande taille et internationales, les changements de l'environnement
des dix dernières années ont été, ou sont encore, perçus comme de véritables ruptures. On
peut citer l'intensification de la concurrence internationale, la rapidité et la radicalisation des
développements dans le domaine des sciences et de la technologie (surtout en informatique,
en télécommunication et en sciences de l'information), la surveillance des pratiques des
financiers et des comptables par l'Etat et les media (portée morale des décisions),
l'intensification de la déréglementation, les privatisations, fusions et acquisitions donnant
naissance à d'immenses groupes privés. Les recherches en Marketing ont également mis en
évidence de nombreux facteurs tels que les contraintes financières et boursières, le niveau
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de concurrence, les turbulences du marché (Subramanian et Gopalakrishna, 2001). Les
entreprises doivent désormais faire face à une concurrence intense et, ce, avec des profits
réduits. Ainsi, le principal enjeu concurrentiel devient la rétention des consommateurs
(Colgate et Danaher, 2000)
Plusieurs phénomènes se produisent en parallèle telle l'arrivée de nouveaux intermédiaires
ou de nouvelles entreprises sur le marché, l'émergence de nouvelles pratiques
commerciales dues aux NTIC, le développement de nouveaux moyens de distribution, un
rapprochement de concurrents qui jusqu'alors restaient hors de portée (pour des questions
de distance géographique), ou encore un élargissement du marché potentiel. Tous ces
facteurs ont un impact sur la structure du marché et sur les facteurs clés de différenciation
entre ses principaux acteurs, ce qui affectera leurs positions concurrentielles respectives.
2.2 L'organisation et les mutations de métier
Les effets de ces différentes contraintes externes, ainsi que leurs interactions, modifient
profondément les choix organisationnels des grandes entreprises. L'organisation est
considérée ici comme une entité fondée sur des actifs intangibles comme la culture
(Wernerfelt, 1995), sur ses compétences distinctives via l'agencement de ses ressources
humaines (Irvin et Michaels, 1989) et, finalement, sur les compétences intellectuelles
spécifiques de son personnel (Hall, 1989, 1992). Il semble que les entreprises ont quitté une
logique de production pour adopter une orientation vers le marché. Cette dernière consiste à
instaurer une véritable intelligence marketing de ce que sont les besoins actuels et futurs des
consommateurs. Cette "intelligence marketing" met l'emphase sur la coordination
interfonctionnelle dans les processus internes. (Kohli & Jaworski, 1990, 1993 ; Kohli,
Jaworski & Kumar, 1993). Face à des choix stratégiques fondamentaux et faisant un large
usage des Nouvelle technologies d'Information et de Communication (NTIC) qui accélèrent
échanges et décisions, les entreprises sont confrontées à des mutaions de métiers
considérables. Il s'agit, non seulement de transformer leurs pratiques traditionnelles de
management de la force de vente, mais également de préparer la mutation vers une
entreprise globalement vendeuse (Bergadaà, 1997).
Ainsi, tout changement de stratégie va avoir un impact interne à la fois sur son capital
culturel et son capital personnel. Ainsi, la décision stratégique de donner une orientation
marché à l'entreprise passe obligatoirement par la modification du capital culturel (Slater,
Narver, 1995), c'est-à-dire du système de valeurs et croyances qui constituent la trame de la
culture interne afin de placer le client au centre de la pensée organisationnelle (Deshpande
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