Damien Degeorges #!! "Groenland Collection dirigée par Georges Nurdin TERRES RARES : ENJEU GÉOPOLITIQUE DU XXIe SIÈCLE Chine - États-Unis - Europe Japon - Groenland Damien DEGEORGES TERRES RARES : ENJEU GÉOPOLITIQUE DU XXIe SIÈCLE Chine - États-Unis - Europe Japon - Groenland © L'HARMATTAN, 2012 5-7, rue de l'École-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-336-00222-4 EAN : 9782336002224 PRÉFACE 3HU6WLJ0¡OOHUDQFLHQPLQLVWUHGDQRLVGHV$IIDLUHV pWUDQJqUHVSUpVLGHQWGHOD&RPPLVVLRQGHV $IIDLUHVpWUDQJqUHVGX3DUOHPHQWGDQRLV Damien Degeorges est un des chercheurs et connaisseurs prédominants dans le monde au sujet de l’Arctique et de ses terres rares. Celles-ci auront à l’avenir un rôle toujours plus grand et la course aux terres rares sera de fait intensifiée. Le Groenland possède plusieurs d’entre elles, dont certaines en grande quantité. Le Groenland, après avoir été une région périphérique du monde, aura ainsi une importance centrale et grandissante pour l’économie mondiale. Le Groenland attirera en conséquence toujours plus d’investisseurs et bénéficiera d’une attention toujours plus grande des grands consommateurs de ces métaux. Le Groenland fait partie de la Communauté du Royaume danois (Iles Féroé, Groenland et Danemark), mais le Groenland a acquis la souveraineté de son sous7 sol. De fait, le Groenland est amené à avoir une importance croissante pour la politique étrangère commune de la Communauté de Royaume et le positionnement de cette dernière au sein de la politique internationale. Le Danemark et le Groenland ont signé il y a quelques années la Déclaration d’Itilleq, qui donne au Groenland une influence considérable sur la politique étrangère commune au sujet des intérêts qui lui sont propres. L’accord est une expression de l’égalité qui vaut pour toutes les parties de la Communauté de Royaume. Le Groenland et le Danemark ont par la suite pris l’initiative de la Déclaration d’Ilulissat entre les ÉtatsUnis, le Canada, la Norvège, la Russie et le GroenlandDanemark, qui a été signée par tous les pays en mai 2008. Le fond de son contenu est que tous les conflits d’intérêts dans la région arctique doivent être résolus de manière pacifique en accord avec la Convention du Droit de la Mer des Nations Unies et le Comité des Limites du Plateau Continental, dont la décision peut en dernier recours faire l’objet d’un règlement à La Haye. Une obligation commune de sauvetage en mer a également été décidée, ce qui aura son importance lorsque le climat rendra possible davantage de navigation dans l’océan Arctique et ses environs. Ces accords démontrent le sérieux avec lequel le Groenland et le Danemark regardent les possibilités et défis futurs. Nous souhaitons un développement apaisé et une exploitation durable des ressources. La course aux précieuses terres rares ne doit conduire ni à une aventure du Klondike, ni à des conflits armés. Elles doivent être exploitées en respectant les intérêts du peuple groenlandais et la durabilité de l’environnement. Nombreux sont ceux à être intéressés. Damien Degeorges examine l’intérêt des États-Unis, de l’Europe et de la Chine. Il s’agit pour le Groenland d’utiliser sa position 8 de manière intelligente et d’éviter de se retrouver dans un embarras politico-sécuritaire. Les terres rares ouvrent dans le même temps de nouvelles possibilités pour un développement économique et social sans précédent dans l’histoire du Groenland. Celles-ci doivent naturellement être exploitées sans que cela ait un coût pour les générations futures. Par égard pour le climat, certains ont proposé que l’Arctique soit doté d’une forme de Traité de l’Antarctique avec pour objectif d’empêcher l’exploitation industrielle humaine de la région. Aucun humain n’a habité en Antarctique, contrairement aux Inuit qui ont toujours vécu en Arctique. Si l’on doit par égard pour le climat arrêter le développement industriel, il n’est pas juste que celui-ci s’arrête au moment où les Inuit ont la possibilité d’en profiter. Si l’industrialisation doit s’arrêter, elle devrait s’arrêter chez ceux qui en ont abondamment profité. Le Groenland est conscient de sa responsabilité. Tout comme l’est la Communauté de Royaume. L’avenir nécessite la responsabilité de tous, y compris de ceux qui regardent aujourd’hui avec de grandes attentes le Groenland et ses terres rares. 9 INTRODUCTION L’enjeu des terres rares, encore inconnu du grand public il y a peu, commence à se répandre dans les médias. Ce qui s’apparente à l’ « or vert » du XXIe siècle n’est autre qu’un élément essentiel de la réussite des ambitions de croissance verte, de par l’utilisation des terres rares dans de nombreuses technologies vertes. Dans un monde où les ressources naturelles sont au cœur de l’économie, l’objectif durant ce siècle d’une économie bas carbone, autrement dit faiblement émettrice en CO2, dépend donc en partie de terres davantage stratégiques que rares. L’attention portée au quasi-monopole de la Chine dans la production mondiale de terres rares témoigne de l’enjeu économique et de puissance qui se dessine derrière ces terres rares. D’autant que la Chine est amenée à devenir importatrice de terres rares, ce qui ne fera que compliquer la tâche des puissances occidentales désireuses de s’affranchir de la Chine dans ce secteur stratégique. Dans ce contexte, l’enjeu du recyclage des terres rares est essentiel. La sécurisation de nouvelles mines, comme au Groenland, l’est tout autant. 11 L’enjeu des terres rares permet de redécouvrir les vertus stratégiques de régions jusque-là éloignées : un pan entier de l’industrie danoise se passionne désormais pour le Groenland, tandis que la France redécouvre les vertus stratégiques de sa présence dans le Pacifique, région aux fonds marins riches en terres rares. L’État français, contrairement à l’État danois dans le cas du Groenland, avait en 2012 conservé la souveraineté en matière de gestion des ressources naturelles dans ses territoires d’outre-mer du Pacifique. Le Groenland, de par son potentiel considérable en terres rares, ses compétences décisionnelles dans le secteur des ressources naturelles et son processus d’étatisation, mérite d’être mieux connu tant il représente un enjeu majeur pour la sécurité énergétique mondiale sur le long terme. Cet ouvrage présentera l’enjeu groenlandais dans un contexte d’intérêt croissant de la Chine pour ce territoire stratégique de l’Arctique. 12 PARTIE I DES TERRES PLUS STRATÉGIQUES QUE RARES CHAPITRE I L’ « OR VERT » DU XXIe SIÈCLE Qu’est-ce que les « terres rares » ? Le fait de prononcer ce terme peut autant dérouter votre interlocuteur, tant la médiatisation sur ce sujet n’en était en 2012 qu’à ses débuts, que vous permettre de nouer un contact très rapide entre initiés, d’autant plus si vous ajoutez le mot « Groenland ». 1. Les terres rares Les terres rares sont un groupe de métaux comprenant 15 lanthanides (lanthane, ceryum, praséodyme, neodym, promethium, samarium, europium, gadolinium, terbium, dysprosium, holmium, erbium, thulium, ytterbium, lutetium) et l’yttrium, auquel le scandium est régulièrement ajouté. Loin d’être « rares », les terres rares, présentes pour certaines en abondance dans la croûte terrestre, sont sou15 vent associées à des éléments radioactifs, comme l’uranium ou le thorium, ce qui rend leur exploitation sensible, voire impossible dans ce cas au Groenland en 2012, du fait d’une tolérance zéro concernant l’extraction d’éléments radioactifs. Une politique qui est cependant amen Le procédé de séparation de ces éléments chimiquement similaires est onéreux, difficile et peut avoir un impact environnemental important (produits chimiques utilisés dans les étapes de raffinage, consommation énergétique très importante lors de la production, etc). Si des améliorations environnementales peuvent être apportées, notamment en matière de sources d’énergie nécessaire à la production de terres rares, d’autres enjeux comme le recyclage sont des plus stratégiques : moins de 1% des terres rares sont recyclées en fin de vie. De par leurs applications indispensables à de nombreux secteurs, notamment celui des technologies vertes (turbines d’éolienne, cellules photovoltaïques, batteries de véhicule électrique, éclairage basse consommation, etc.), les terres rares sont destinées à devenir l’ « or vert » d’un siècle où l’économie est amenée à être bas carbone. La miniaturisation permise par les terres rares (en particulier pour la fabrication d’aimants de petite taille, légers et très solides) inscrit également ces éléments dans le XXIe siècle, où l’infiniment petit sera de mise. Les technologies nécessiteuses en terres rares (téléphones portables, écrans plats LCD, etc.) sont elles aussi amenées à être au cœur de la société de ce siècle. Au-delà d’un contexte de compétition entre la Chine et les autres grandes économies mondiales, l’utilisation de terres rares dans le secteur de la défense, en particulier pour l’appareillage militaire de haute technologie, rend la situation de quasi-monopole de la Chine dans la production de terres rares encore plus critique. De fait, les terres 16 rares sont d’ores et déjà un enjeu géopolitique du XXIe siècle. 2. Une augmentation constante de la demande mondiale Au vu de leurs nombreuses applications, dans des secteurs en plein développement, les terres rares vont connaître une demande en constante augmentation au cours du XXIe siècle. Les ressources n’étant pas inépuisables, l’enjeu du recyclage est d’autant plus essentiel qu’il permettra de réduire la dépendance aux exportations chinoises. La demande mondiale de certaines terres rares est amenée à dépasser l’offre, selon certains dans les dix ans, d’où une augmentation des prix à prévoir. Alors que les restrictions d’exportations chinoises sont perçues de l’extérieur comme un levier d’affirmation de l’Empire du Milieu, la réalité est également une demande intérieure accrue de la Chine. Il est prévu que la consommation chinoise sera égale à sa production en 2014. D’où l’urgence, tant pour la Chine et son développement futur que pour les autres économies du monde, d’exploiter de nouvelles mines, d’accentuer les efforts sur l’enjeu du recyclage, et de diversifier, dans le cas des économies occidentales, leurs sources d’approvisionnement. L’enjeu de sécurisation des terres rares a vu le jour dans un contexte où la quasi-totalité des mines de terres rares en exploitation se situait en Chine, les autres étant principalement en Inde, au Brésil et en Malaisie. En termes de sécurisation de l’approvisionnement, l’Australie et dans une plus grande mesure le Groenland présentent un potentiel capable de mettre un terme au quasi-monopole chinois dans la production mondiale de terres rares. Tout l’enjeu est d’éviter une trop grande acquisition, directe ou 17 indirecte, par des investisseurs chinois dans le secteur des terres rares en Australie et au Groenland. L’Australie a montré sa solidité, le Groenland n’en est qu’à ses débuts. 18 CHAPITRE II LES TERRES RARES ET L’ENJEU CHINOIS 1. Production mondiale : Le quasi-monopole de la Chine Alors qu’elle ne représente qu’environ 37% des réserves mondiales de terres rares, la Chine contrôle environ 60% des réserves mondiales et assure un quasi-monopole de la production mondiale (plus de 97%), notamment depuis l’arrêt de la production de ces métaux aux États-Unis. En 1992, Deng Xiaoping aurait affirmé que les terres rares étaient à la Chine ce que le pétrole est au Moyen-Orient : une pensée qui démontre une vision en avance et sur le long terme de la puissance chinoise. Au vu du faible coût de la production chinoise, l’exploitation de mines, notamment aux États-Unis, était devenue non rentable. En quelques années, le quasimonopole chinois a cependant eu des conséquences sérieuses, suite à l’introduction en 2004 par la Chine de quo1