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Codage nerveux des mélanges olfactifs dans le cerveau de l’abeille Apis mellifera
Nina Deisig, Martin Giurfa & Jean-Christophe Sandoz
Centre de Recherches sur la Cognition Animale, CNRS - Université Paul Sabatier, UMR 5169,
Le fonctionnement du système nerveux olfactif montre une remarquable conservation des insectes
jusqu’aux vertébrés supérieurs. Ainsi, le premier relais nerveux olfactif (lobe antennaire chez l’insecte
et bulbe olfactif chez le vertébré) est constitué dans les deux cas de sous-unités anatomiques
fonctionnelles appelées glomérules, représentant des aires de contact synaptique entre différentes
populations neuronales impliquées dans le traitement olfactif. On sait à présent que les odeurs sont
codées dans le cerveau par des motifs spatiotemporels combinatoires d’activité de ces glomérules. Par
la relative simplicité numérique du lobe antennaire de l’abeille (160 glomérules contre des milliers
chez les vertébrés), et l’accessibilité de son cerveau aux techniques d’imagerie calcique in vivo, cet
insecte s’est révélé comme un modèle de choix pour l’étude du code nerveux olfactif. Ainsi, le codage
nerveux de nombreuses odeurs simples, différant par leur structure chimique (groupe fonctionnel,
chaîne carbonée), a pu être cartographié précisément au niveau de glomérules clairement identifiés.
Cependant, les stimuli naturels que les abeilles rencontrent lors du butinage sont des mélanges de
nombreux composés. Comment le système nerveux code-t-il des mélanges olfactifs complexes par
rapport au codage des odeurs élémentaires ? Grâce à l’imagerie calcique in vivo, appliquée avec deux
types de marquages révélant respectivement l’entrée sensorielle du lobe (neurones sensoriels) et la
sortie traitée par celui-ci (neurones de projection), nous avons évalué les règles sous-tendant le
traitement nerveux des mélanges olfactifs. Quatre odeurs simples et tous leurs mélanges binaires,
ternaires et quaternaire ont été présentés aux abeilles et les réponses nerveuses ont été enregistrées au
niveau du lobe antennaire. Les résultats montrent une saturation rapide de l’intensité de la réponse
glomérulaire avec le nombre de composés du mélange, sous l’action d’un système de ‘contrôle de
gain’ prévenant la saturation du système olfactif. Par ailleurs, nous montrons que la représentation
d’un mélange peut être prédite sur la base des signaux obtenus avec chacun des composants
individuels, ce qui confirme que le codage d’un mélange olfactif obéit à des règles élémentaires
postulant qu’un stimulus composé conserve l’information de ses composants. Dans leur
comportement, les abeilles semblent cependant traiter certains mélanges olfactifs comme ayant des
propriétés uniques, au-delà de celles des composants (traitement configural). Nous pensons donc
retrouver un traitement configural des mélanges dans les centres supérieurs du cerveau, comme les
corps pédonculés, véritables centres multimodaux impliqués dans les apprentissages complexes.