Étude spéciale: Où sommes-nous dans le cycle? - 18 mai 2017

18 mai 2017
Où sommes-nous dans le cycle?
Sommaire
La probabilité d’une récession au Canada ou aux États-Unis
dans les prochaines années est le sujet de débats animés
dans les milieux économiques et les médias. Certains
soulignent que la pente de la courbe des taux des
obligations gouvernementales demeure nettement positive,
ce qui laisse penser qu’une récession n’a que très peu de
chances de se produire. D’autres insistent sur la longévité
du cycle actuel et suggère que cette probabilité est
beaucoup plus grande.
Dans cette étude, nous avons d’abord défini la maturité de
l’expansion économique en utilisant la différence entre le
taux de chômage observé et le taux de chômage à inflation
stationnaire (TCIS). Nous avons comparé la situation
actuelle avec un échantillon remontant à 1950 pour
déterminer quelles étaient les probabilités d’une récession
aux États-Unis. Étant donné que les États-Unis viennent
tout juste d’entrer dans la phase mature de l’expansion,
nos calculs indiquent une probabilité de moins de 20% sur
12 mois.
En reproduisant le même exercice pour le Canada, nous
avons obtenu une probabilité de 3% seulement étant donné
que la phase d’expansion du pays n’est pas encore parvenue
à maturité et parce que l’échantillon ne contenait que cinq
récessions depuis 1970. Cela nous apparait faible com-
parativement à son voisin du sud compte tenu de la
corrélation entre les deux économies. L’utilisation d’un
échantillon englobant tous les pays du G7 (38 récessions)
nous semble plus appropriée. L’historique dans ces pays
indique que la probabilité d’une récession au Canada dans
les douze prochains mois se situe à 15%.
Quelles sont les probabilités
d’une récession?
Notre équipe publie périodiquement le scénario économique
qui nous semble le plus probable pour les trimestres à venir.
Actuellement, ce scénario de base est caractérisé par une
poursuite de l’expansion au Canada et aux États-Unis pendant

1https://www.newyorkfed.org/medialibrary/media/research/
capital_markets/Prob_Rec.pdf
les deux prochaines années. Malgré quelques divergences sur
la vigueur de cette expansion, la plupart des économistes
s’accordent également sur un scénario de croissance continue.
Cependant, les probabilités d’une récession ne sont jamais
nulles. Sachant cela, se pourrait-il que nous soyons trop
optimistes et qu’une récession survienne dans les prochains
trimestres? Quelle probabilité doit-on attribuer à un tel
scénario dans le contexte actuel? Dans le cadre de cette étude
spéciale, nous nous interrogeons sur ces questions et tentons
d’évaluer les chances qu’une récession survienne à court et
moyen terme.
Qu’en dit la courbe des taux?
La courbe que forment les taux des obligations d’État sur un
horizon de 3 mois à 10 ans a, au fil du temps, acquis une solide
réputation comme variable prédictive des récessions aux
États-Unis. En effet, l’inversion de la pente de cette courbe
a souvent annoncé des difficultés économiques. D’ailleurs, la
Réserve fédérale de New York met à jour régulièrement son
modèle basé uniquement sur cet indicateur pour déterminer
la probabilité d’une récession sur un horizon d’un an1.
Utilisant cette même approche, nous calculons que la
probabilité que l’économie américaine sombre dans une
récession d’ici un an est de 5% seulement (graphique).
Cela dit, beaucoup d’économistes questionnent la pertinence
d’un tel modèle à un moment où les taux directeurs se situent
à la borne zéro ou près de celle-ci, comme c’est le cas
actuellement. Pour qu’une inversion de la pente de la courbe
se produise dans les conditions actuelles, c’est-à-dire dans un
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États-Unis : La courbe des taux n’annonce pas de difficultés économiques
Probabilité de récession sur un an − modèle Probit s’appuyant sur la courbe des taux d’intérêt
%
FBN Économie et Stratégie (données de Bloomberg)
Probabilité de
récession
Courbe des taux (10 ans moins 3 mois)
5 %
Étude s
p
éciale
É
conomie et Stratégie
Étude spéciale
2
environnement où les taux 3 mois demeurent inférieurs à 1%,
il faudrait que les taux des obligations de 10 ans baissent à
des creux inégalés. Par exemple, pour reproduire une
inversion de l’ampleur de celle observée en décembre 1980,
soit sept mois avant que l’économie américaine tombe en
récession, les taux des obligations de 10 ans devraient
actuellement se situer à environ -1.4%, soit près de 275 points
de base plus bas que leur plancher historique.
Une expansion qui prend de l’âge
Une probabilité de 5% seulement peut paraître faible, surtout
si l’on considère la longévité de l’expansion actuelle qui atteint
maintenant 95 mois. Aux États-Unis, cela représente la
troisième expansion la plus longue de l’histoire (graphique). Au
Canada, seulement trois expansions se sont étalées sur une
période plus longue depuis les années 1930.
La seule longévité de l’expansion constitue-t-elle une bonne
raison de craindre quune récession soit imminente? Après
tout, seulement 12 mois se sont écoulés entre la récession de
1980 et celle de 1981-1982 aux États-Unis. Suite à la
construction d’un modèle utilisant comme variable
prévisionnelle la durée d’une expansion, nous avons constaté
que le pouvoir explicatif de cette mesure était beaucoup plus
faible que la pente de la courbe des taux
2
. Ce dernier constat
abonde dans le sens des propos tenus l’an dernier par Glenn
D. Rudebusch de la Fed de San Francisco. Celui-ci avait alors
remis les pendules à l’heure en défendant que, selon un
modèle de survie emprunté à des actuaires, il était faux
d’affirmer qu’une expansion devait finir par mourir de
vieillesse
3
. Quoi qu’il en soit, notre modèle basé sur la durée
d’une expansion estimait la probabilité d’une récession sur un
horizon de 1 an à 35% (graphique), un chiffre beaucoup plus
élevé que celui obtenu à l’aide de la courbe des taux.

2
Le R2 de ce modèle se situe à uniquement à 9% alors qu’il se situe à
38% pour celui qui utilise la courbe des taux.
3
“Will the Economic Recovery Die of Old Age?”, G. D. Rudebusch, 2016
Autre vision de la maturité
de l’expansion
Il est vrai que la dernière récession date d’un certain temps
déjà. Mais cela veut-il automatiquement dire que l’expansion
actuelle est parvenue à maturité? Pour répondre à cette
question, nous avons défini une expansion comme « mature »
à partir du moment où le taux de chômage devient inférieur
au taux de chômage à inflation stationnaire (TCIS). Aussi
connu sous l’acronyme anglais NAIRU, le TCIS est le taux de
chômage compatible avec une inflation qui n’est ni appelée à
augmenter, ni à diminuer. Le taux de chômage est
habituellement au TCIS lorsque l’économie fonctionne à
pleine capacité. À ce moment, les individus encore au
chômage y sont transitoirement (chômage frictionnel) ou ont
des qualifications désalignées avec les besoins des entreprises
(chômage structurel).
Historiquement, il s’écoule en moyenne 32 mois entre le
moment où le taux de chômage devient inférieur au TCIS et
le début d’une récession. Lorsqu’on analyse la phase
d’expansion actuelle en fonction de ce barème de maturité,
on s’aperçoit qu’elle vient à peine d’entrer dans sa phase
mature. Effectivement, le taux de chômage aux États-Unis
n’est inférieur au TCIS que depuis trois mois (graphique)
4
.
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LE TCIS estimé par le Congressional Budget Office (CBO) a été utilisé
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États-Unis : La durée de l’expansion joue un rôle mais...
Probabilité de récession sur un an − modèle Probit s’appuyant sur la durée de l’expansion
%
FBN Économie et Stratégie (données de Bloomberg)
… le pouvoir
explicatif du modèle
est très limité.
Étude spéciale
3
La longueur du cycle économique actuel ne reflète donc pas
sa maturité, mais est plutôt le résultat de la lenteur de la
reprise. Comme l’indique le graphique suivant, il a fallu pas
moins de 93 mois après la fin de la récession de 2007-2009
avant que le taux de chômage repasse sous le TCIS. L’extrême
lenteur de cette reprise, la plus longue depuis la Seconde
Guerre mondiale (graphique), témoigne de la gravité de la
dernière récession, mais laisse également penser que
l’expansion pourrait se poursuivre encore quelque temps.
L’idée d’associer la probabilité d’une récession à la maturité
d’une phase d’expansion déterminée selon la position du
taux de chômage par rapport au TCIS a inspiré une étude à
la société de recherche Macroeconomic Advisers
5
. Les auteurs
ont utilisé des données remontant à 1950 sur l’emploi afin
d’établir les probabilités qu’une récession se produise sur
différents intervalles de temps.
Afin d’obtenir un peu plus de granularité quant au niveau du
taux de chômage que ce qui était présenté dans l’étude, nous
avons répété l’exercice de la société pour les États-Unis. Nos

5
“Recession Probabilities”, B. Herzon and J. Prakken, 2016
résultats, similaires à ceux de l’étude, nous permettent
d’affirmer que, tant que le taux de chômage dépasse le TCIS,
la probabilité d’une récession sur un horizon de douze mois
demeure très faible. Celle-ci est en effet inférieure à 5% dans
tous les cas de figure (graphique).
Par contre, les probabilités d’une récession augmentent
nettement à partir du moment où le taux de chômage devient
inférieur au TCIS. Actuellement le taux de chômage américain
se situe à 4.4%, soit 3 dixièmes en dessous du TCIS, une
situation associée historiquement à une probabilité de
récession dans les douze mois de 19%. Toujours en considérant
le taux de chômage actuel, les probabilités qu’une récession
survienne d’ici trois ans grimpent à 70% (graphique).
Utilisant la même approche, nous avons reproduit cet
exercice pour le Canada en utilisant des données remontant
à 1970. Étant donné que le taux de chômage au Canada se
situe actuellement à 6.5%, à peine au-dessus du TCIS
6
, nos
calculs indiquent une probabilité de récession sur un an de 3%
seulement. Sur un horizon de trois ans, cette probabilité ne
s’élève qu’à 13% (graphique). En fait, nos résultats
démontrent que les probabilités d’une récession au Canada
sont significativement inférieures à celles observées aux
États-Unis pour quasiment tous les niveaux de chômage.
6
À l’exception des États-Unis, les TCIS utilisés sont ceux estimés par
l’OCDE.
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2001
1980-81
1990
2007
États-Unis : Long et lent rétablissement depuis la grande récession
Nombre de mois après une récession avant que le chômage descende sous le TCIS pendant plus d’un trimestre
FBN Économie et Stratégie (données de Bloomberg)
4% 7% 12%
2% 7%
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1 an 2 ans 3 ans
TCIS dépassé de plus de 0.6% TCIS dépassé de plus de 0.3%, mais maximum de 0.6%
TCIS dépassé au maximum de 0.3% Inférieur au TCIS d'un maximum de 0.3%
Inférieur au TCIS de plus de 0.3%
États-Unis : Probabilité d’une récession selon la maturité de l’expansion
Probabilités historiques fondées sur le taux de chômage comparativement au TCIS
FBN Économie et Stratégie (Datastream)
Étude spéciale
4
Est-il possible que notre approche sous-estime les risques de
récession au Canada? En réalité, est-il raisonnable de considérer
pour le Canada des probabilités de récession nettement
inférieures à celles des États-Unis, dans la mesure où ces deux
économies affichent une forte corrélation (graphique)?
Dans les faits, les faibles probabilités de récession au Canada
s’expliquent en partie par le fait que le pays aurait connu
moins de récessions que son voisin du sud. En effet, il se serait
produit au Canada une récession tous les 9.5 ans depuis 1970
comparativement à 6.7 ans aux États-Unis depuis 1950. Depuis
1970, le C.D. Howe Institute estime qu’il s’est produit 5
récessions au Canada alors que le NBER en décompte 7 aux
États-Unis. Il faut comprendre que les deux organismes
chargés de définir les périodes de récession fondent leurs
décisions respectives sur une multitude d’indicateurs
économiques analysés par des experts. Sachant cela, la ligne
peut être parfois mince entre ce qui est défini comme une
récession comme telle et ce qui est considéré « uniquement »
comme un important ralentissement économique.
Par exemple, il est fort à parier que, pour l’épisode de 2001
au Canada, c’est probablement après un débat intense que le
verdict d’absence de récession a été rendu. Bien que
l’étiquette de récession n’ait pas été accolé à cette période,
l’économie a tout de même connu un ralentissement
économique significatif et les investisseurs ont encaissé des
pertes majeures sur les marchés boursiers. La résilience du
marché du travail au Canada a probablement convaincu les
experts en ce sens. Un fait demeure, l’économie canadienne
a été relativement épargnée depuis 1970, si l’on se fie au
nombre officiel de récession qui a été identifié.
Un échantillon plus large
Pour pallier aux faiblesses d’un échantillon comportant
uniquement 5 récessions, nous avons répété l’exercice en
incluant l’ensemble des pays du G7. Cela nous a permis de
nous baser sur un historique comptant pas moins de 38
récessions dont les dates ont été déterminées par l’ECRI
(Economic Cycle Research Institute) en utilisant un cadre
d’analyse unique. Les TCIS estimés par l’OCDE ont été utilisés
par souci de cohérence. L’évolution des taux de chômage des
différents pays ainsi que leurs périodes de récession
respectives sont présentées en annexe. Si l’on applique au
Canada les résultats obtenus avec cet échantillon, la
probabilité actuelle de récession sur un horizon d’un an passe
à 15% (graphique), un chiffre légèrement inférieur aux 19%
estimés pour les États-Unis. Sur un horizon de trois ans, celle-
ci atteint désormais 47%. Intuitivement, cette estimation
nous semble plus appropriée.
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Canada : Perspective sur le taux de chômage
Taux de chômage et TCIS
FBN Économie et Stratégie (Datastream)
%
TCIS
Taux de chômage
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1 an 2 ans 3 ans
TCIS dépassé de plus de 0.6% TCIS dépassé de plus de 0.3%, mais maximum de 0.6%
TCIS dépassé au maximum de 0.3% Inférieur au TCIS d'un maximum de 0.3%
Inférieur au TCIS de plus de 0.3%
Canada : Probabilité d’une récession selon la maturide l’expansion
Probabilités historiques fondées sur le taux de chômage comparativement au TCIS
FBN Économie et Stratégie (Datastream)
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1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015
Forte corrélation entre les économies canadienne et américaine
Produit intérieur brut réel
%, a/a
FBN Économie et Stratégie (données via Datastream)
États-Unis
Canada
Coefficient de corrélation : 82%
Zones ombragées= récessions américaines
Étude spéciale
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Conclusion
La probabilité d’une récession au Canada ou aux États-Unis
dans les prochaines années est le sujet de débats animés dans
les milieux économiques et les médias. Certains soulignent
que la pente de la courbe des taux des obligations gou-
vernementales demeure nettement positive, ce qui laisse
penser qu’une récession n’a que très peu de chances de se
produire. D’autres insistent sur la longévité du cycle actuel et
suggère que cette probabilité est beaucoup plus grande.
Dans cette étude, nous avons d’abord défini la maturité de
l’expansion économique en utilisant la différence entre le
taux de chômage observé et le taux de chômage à inflation
stationnaire (TCIS). Nous avons comparé la situation actuelle
avec un échantillon remontant à 1950 pour déterminer
quelles étaient les probabilités d’une récession aux États-
Unis. Étant donné que les États-Unis viennent tout juste
d’entrer dans la phase mature de l’expansion, nos calculs
indiquent une probabilité de moins de 20% sur 12 mois.
En reproduisant le même exercice pour le Canada, nous avons
obtenu une probabilité de 3% seulement étant donné que la
phase d’expansion du pays n’est pas encore parvenue à
maturité et parce que l’échantillon ne contenait que cinq
récessions depuis 1970. Cela nous apparait faible com-
parativement à son voisin du sud compte tenu de la
corrélation entre les deux économies. L’utilisation d’un
échantillon englobant tous les pays du G7 (38 récessions) nous
semble plus appropriée. L’historique dans ces pays indique
que la probabilité d’une récession au Canada dans les douze
prochains mois se situe à 15%.
Matthieu Arseneau et Jocelyn Paquet
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Étude spéciale: Où sommes-nous dans le cycle? - 18 mai 2017

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