44 AURÉLIE DESSEIX
Dans un second temps, nous montrerons que l’amalgame entre trai-
tement et maladie repose également sur une perception aiguë de change-
ments corporels qui se dessinent «pour» l’entrée en dialyse, et «avec»
ce traitement par dialyse. C’est la maladie qui fait habituellement souffrir
les êtres, or, pour les patients rencontrés, c’est l’hémodialyse qui concen-
tre leur vécu douloureux. L’hémodialyse met le patient sous le coup d’un
traitement qui englobe les définitions habituellement attribuées à la
maladie chronique (Baszanger, 1986, 1991): périodicité et détérioration
lente de l’état de santé (conséquences médicales de la dialyse). Les rap-
ports que les individus entretiennent avec leurs soins ont fait l’objet d’une
importante littérature. De nombreux auteurs se sont intéressés aux raisons
de la « non compliance » des patients aux traitements (Adams et al.,
1997; Boutry et al., 2001; Conrad, 1985; DiMatteo et al., 2002; Ferreira
et al., 2010 ; Kravitz et al., 1993 ; Pound et al., 2005 ; Shoemaker et
Ramalho de Oliveira, 2008). Certains se sont plus particulièrement pen-
chés sur le vécu des patientset ont montré que les traitements, parfois dif-
ficiles à supporter, sont appréhendés comme des obligations (Collin,
2003; Shoemaker et Ramalho de Oliveira, 2008), ou encore chargés d’une
fonction symbolique (DiMatteo et al., 2002 ; Montagne, 1988; Pierron,
2009). Cependant, s’il arrive aux patients de dire que les traitements les
«rendent malades » (Aïach et al., 1989: 74), comme cela est le cas avec
la chimiothérapie ou la radiothérapie, ils ne considèrent pas pour autant
ces traitements comme une maladie mais bien comme un moyen de
«combattre» le cancer (Dany et al., 2005a, 2005b). Les patients vont jus-
qu’à être rassurés par la violence des effets secondaires du traitement,
vécus comme un « signe d’efficacité », et peuvent être réticents face à la
chimiothérapie orale (Reignier-Denois et al., 2005 ; Soum Pouyalet,
2007). De même, si les patients contaminés par le VIH et traités par tri-
thérapie «(…) construisent une représentation plus importante des effets
secondaires du traitement que celle des symptômes attribués à leur
maladie » (Ferreira et al., 2010: 32), ce qui explique en partie leur moin-
dre adhérence thérapeutique, il n’est jamais question d’un amalgame entre
un traitement et une maladie.
C’est souvent l’apparition de symptômes, révélateurs d’une anorma-
lité corporelle, qui signe l’entrée dans la maladie pour le patient. Ainsi, les
patients contaminés par le VIH et traités revendiquent que la notion de
séropositivité soit dissociée de celle de maladie (Herzlich, 1998; Pierret,
1997). Dans le cas du cancer, Soum Pouyalet (2007) fait remarquer que:
«Le cancer n’est pas une maladie qui “se voit” (…) Aussi, ce n’est pas
tant la maladie qui est “stigmatisante” mais bien le traitement de cette
maladie et ses effets secondaires définis par certaines comme “une
seconde maladie” » (Soum-Pouyalet, 2007 : 120). Dans ce cas, c’est l’ap-