La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXI - n° 6 - novembre-décembre 2006
Mise au point
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AUTRES PÉRILS PEUTÊTRE PLUS IMMÉDIATS
Ils sont représentés par l’extension ou l’importation sous nos climats
de virus dangereux, les changements climatiques pouvant favoriser
le développement, voire la pullulation de leurs vecteurs.
Les virus bougent beaucoup et, depuis peu, ils se font remar-
quer par des déplacements intercontinentaux.
En 1995, l’encéphalite japonaise, une virose à fl avivirus transmise
par des moustiques, a réussi à franchir le détroit de Torres, entre
la Papouasie-Nouvelle Guinée et le nord de l’Australie. Un de ses
vecteurs venu d’Asie, Culex gelidus, a été retrouvé à seulement
quelques kilomètres de l’aéroport de Brisbane (6).
En 1999, le virus West Nile, un autre flavivirus, a franchi
l’Atlantique. Venu d’Israël, il a débarqué à New York, puis il
s’est implanté dans pratiquement tous les États-Unis et dans le
sud du Canada, où il provoque chaque année chez l’homme de
nombreux cas d’encéphalite, fréquemment mortels.
En 2003, la fi èvre de la vallée du Rift, une infection à phlebovirus
transmise par des moustiques, jusque-là cantonnée à l’Afrique
tropicale, a gagné le Yémen et l’Arabie saoudite, y provoquant
respectivement 140 et 87 décès.
En 2003, le virus du monkeypox, un orthopoxvirus voisin de
celui de la variole humaine, jusqu’à présent confi né aux deux
blocs forestiers de l’Afrique de l’Ouest et du centre, a, lui aussi,
franchi l’Atlantique, contaminant 82 personnes aux États-Unis.
Les malades étaient des amateurs de rongeurs exotiques afri-
cains, “d’adorables boules de poils”, mais, en réalité, des petits
compagnons très dangereux sur le plan sanitaire (17).
Quels risques pour notre pays ?
Des événements récents nous prouvent que le territoire métro-
politain n’est pas à l’abri de menaces épidémiologiques venues
de son propre sol ou des territoires d’outre-mer.
✓ Le virus West Nile s’est réveillé en 2000 en Camargue, un foyer
naturel d’infection connu depuis les années 1960. Il y a provoqué
une épizootie équine dans les départements limitrophes du delta
du Rhône : 76 cas et 21 décès chez des chevaux. Heureusement,
l’infection ne s’y est pas propagée à l’homme. Mais, en septembre
2003, plusieurs cas ont été rapportés à Fréjus (18), dans le Var, en
même temps que l’on signalait l’infection d’un cheval.
✓ Le virus Chikungunya, un alphavirus transmis par des mousti-
ques, n’ayant jamais sévi dans le Sud-Ouest de l’océan Indien, y a fait,
à partir de février 2005, une incursion spectaculaire (19). Il a atteint
successivement la République islamique des Comores, Mayotte (une
île française), l’île Maurice, la Réunion, les Seychelles et Madagascar.
L’impact le plus grave, à la fois sanitaire et économique, s’est produit
à la Réunion, où quelque 300 000 cas ont été recensés, soit plus du
tiers de la population réunionnaise. De plus, on y a vu apparaître des
formes graves, jusque-là non décrites dans cette maladie, touchant le
système nerveux central, le cœur, les reins, le foie, la peau (éruptions
bulleuses) et, surtout, plusieurs cas de transmission de la mère à
l’enfant, avec de graves répercussions chez le nouveau-né (“Séminaire
de coordination des recherches sur la maladie de Chikungunya”,
Paris, 10-11 avril 2006). Enfi n, plus de 200 décès, plus ou moins
attribuables à ce virus, ont été répertoriés.
Or, dès que Mayotte a été touchée, de nombreux cas importés
sont apparus en métropole, dans la communauté comorienne,
et, lors de la deuxième poussée épidémique à la Réunion (fi n
2005-début 2006), ils se sont multipliés en région parisienne
et dans le Midi de la France. Or, le moustique A. albopictus, le
vecteur désigné de cette épidémie, est déjà implanté dans le
sud de la France. Comme l’épidémie continue à la Réunion, il
existe un risque non négligeable d’extension de cette virose chez
nous, durant la saison estivale 2006 ou plus tard.
Rien n’exclut non plus que la dengue, actuellement épidémique
en Guyane française (avril 2006), puisse également arriver en
France, profi tant de la présence du même vecteur, A. albopictus,
sur notre sol (20).
Par conséquent, sans perdre de vue ce qui se passe dans le reste
du monde, nous devons être particulièrement vigilants face à
des menaces qui ne sont plus seulement théoriques et lointaines
pour notre pays. ■
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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