Pirandello ou le passeur de nulle part.
Comment aborder un auteur dont vous avez l'intime conviction, au fil de vos
lectures, qu'il fuit devant vous et vous coule entre les doigts? Impossible de
l’assigner à résidence. Précisément, le contre sens est là, aux aguets, et la
volonté de certitude(s) constitue le non-sens.
Il n'empêche, que ça lui ait plu au non, il fut un des rares auteurs de théâtre à
avoir donné de son vivant naissance à un terme qui désigne une "philosophie"
particulière du théâtre:
Le pirandellisme, (épinglé comme un papillon sur un bouchon). Définie, pour la
première fois en 1922 par le critique et le théoricien italien Adriano Tilgher, la
capture s’avère finalement plus complexe qu'il n'y paraît. En fait, plutôt que de
philosophie théâtrale, il s'agit d'une nouvelle dimension de l’art théâtral qui
consiste en un ensemble de propositions propres à créer une impression
particulière, une façon de créer des situations dont les éléments, dans la
construction, échappent au spectateur, pour le propulser dans un monde où le
certain et l'incertain cohabitent sans qu'on puisse appréhender les contours
de l'un ou de l'autre. Le pirandellisme pulvérise nos certitudes pour nous révéler
la nature indéterminée et indéterminable du monde.
Bien qu'admirateur de Balzac et de Maupassant, des 1899, dans son essai
L'Action parlée, il condamne la suprématie de l'empire du narratif sur l'écriture
théâtrale, passant de la nouvelle au théâtre. Il récuse l’édifice de la pensée
occidentale du XIX ème siècle encore vivace à son époque, qui respire au rythme
du naturalisme, du positivisme et du déterminisme. Toute représentation évaluée
à l'aulne du vrai et du réel, est, tout simplement vouée à l’échec. Le
vraisemblable et le figuratif ne le concernent plus.
Faisant le douloureux constat des "amers contrastes et des après dissonances
de la nature", l'humorisme pirandellien se fonde sur une vision pessimiste de
l'être humain. L'auteur alléguera, en 1922 les absurdités humaines "qui n'ont
pas besoin d'être vraisemblables parce qu'elles sont véritables". Le ridicule sera
le prix de la douleur. La pitié se surcompensera par la dérision. Le tragique
trouvera sa solution dans le risible. Chaque image peut cacher son contraire.
Une telle réflexion ne laisse de répit à aucune vision unilatérale au simplement
unitaire de quoi que ce soit.
L'art moderne annonce cet état de recherche, qui est celui du passage de l’art
comme simulacre de la réalité, à l'art comme "virtualité assoiffée de non
référence."
Peut-être, ce passage difficile et dangereux pour soi, constitue-t-il,
véritablement, le sujet pirandellien. Pirandello est dans le passage, dans
l'espace du no man's land, dans celui du non lieu par excellence. Il est celui qui
dit, pour se manifester et sortir des limites mêmes de la parole. Car l'extérieur,
le dehors ne sont plus la référence de la chose représentée.
"Je suis celle qu'on croit que je suis" répond, au préfet, Madame Ponza. "De deux
choses, l'une..." "Ni l'une, ni l'autre" etc...