Nouveaux aspects des atteintes rénales de l`infection par le VIH

FLAMMARION MÉDECINE-SCIENCES — ACTUALITÉS NÉPHROLOGIQUES 2008
(www.medecine.flammarion.com)
NOUVEAUX ASPECTS DES ATTEINTES RÉNALES
DE L’INFECTION PAR LE VIH
par
É. DAUGAS et B. DEROURE*
La mortalité au sein de la population infectée par le VIH a largement été réduite
par l’avènement en 1996 de schémas thérapeutiques efficaces pour restreindre la
réplication du virus et autoriser un maintien ou une reconstitution du système
immunitaire. Ces traitements sont regroupés sous l’acronyme HAART pour
« Highly Active Antiretroviral Therapy » (multithérapies antirétrovirales haute-
ment actives) et consistent en l’association de trois antirétroviraux, un inhibiteur
non nucléosidique de la reverse transcriptase ou un antiprotéase combiné à deux
inhibiteurs nucléosidiques (ou nucléotidiques) de la reverse transcriptase [1].
Néanmoins l’effet de l’HAART sur le VIH n’est que suspensif, la réplication
virale et ses conséquences réapparaissant dès son interruption. Les patients
doivent donc le recevoir à vie. La morbidité au sein de la population infectée par
le VIH ayant accès aux traitements a été amplement modifiée depuis le début de
l’ère HAART. Le spectre des maladies associées au VIH glisse vers des affec-
tions moins liées aux conséquences de la forte réplication virale et du déficit
immunitaire qu’à l’exposition prolongée à l’HAART et/ou à une faible réplication
virale. Par ailleurs, la reconstitution immunitaire peut avoir en soi des consé-
quences pathologiques telles le syndrome de reconstitution immunitaire ou IRIS
pour « Immune Reconstitution Inflammatory Syndrome ».
Les modifications des maladies rénales obéissent à ces règles (fig. 1). En
effet, la majorité des maladies rénales observées au cours de la période pré-
HAART étaient en partie la conséquence de la réplication du VIH au sein du
tissu rénal [2-5], ou du déficit immunitaire. Aujourd’hui, l’introduction d’un
traitement par HAART protège les patients mais peut conduire à l’apparition
d’autres maladies rénales, soit parce qu’un composant de l’HAART est
ATTEIN-
TES
RÉNA-
LES DE
L’INFEC
TION
PAR LE
VIH
* Service de Néphrologie, Hôpital Bichat ; Université Paris 7 ; INSERM U699 ; Paris.
É. DAU-
GAS ET B.
DEROURE
76 É. DAUGAS ET B. DEROURE
néphrotoxique, soit parce qu’il est responsable d’un syndrome de reconstitution
immunitaire. Les maladies rénales des patients infectés par le VIH peuvent
ainsi être classées en 4 groupes selon leur physiopathologie [6] :
– groupe 1 : les maladies rénales liées directement au VIH ;
groupe 2 : les maladies rénales liées au déficit immunitaire telles les
néphropathies interstitielles infectieuses ou les néphropathies compliquant une
lymphoprolifération ;
– groupe 3 : les maladies rénales liées aux traitements dont l’HAART ;
groupe 4 : les maladies rénales non liées au contexte de l’infection par le VIH,
ses conséquences ou les traitements qu’il nécessite.
Ère pré-HAART
Proportion p.100
Temps
1996
Liées au VIH (groupes 1 et 2)
Directement
• HIVAN
• MAT
• GN à complexes immuns
Indirectement
• Néphropathies interstitielles infiltratives
(mycobactéries, LNH, DILS…)
• Néphropathies interstitielles
infectieuses
• GN infectieuses
• Amylose?
Liées au traitement antiviral
(groupe 3)
Directement : néphrotoxicité
Indirectement : IRIS
Autres (groupe 4)
Néphropathie diabétique,
Néphropathies vasculaires
Liées aux co-infections virales
Ère HAART
FIG.1. Évolution du spectre des maladies rénales avant et depuis l’émergence des
thérapies de type HAART. Les prévalences affichées sont arbitraires et ne correspon-
dent pas aux données épidémiologiques.
Groupe 1 : maladies rénales liées au VIH, groupe 2 : maladies rénales liées au déficit
immunitaire, groupe 3 : maladies rénales liées aux traitements dont l’HAART,
groupe 4 : maladies rénales non liées au contexte de l’infection par l’HIV.
HAART : highly active antiretroviral therapy, HIVAN : HIV associated nephropathy,
MAT : microangiopathie thrombotique, GN : glomérulonéphrites, LNH : lymphomes
non hodgkiniens, DILS : diffuse infiltrative lymphocytosis syndrome, IRIS : immune
restoration inflammatory syndrome.
ATTEINTES RÉNALES DE L’INFECTION PAR LE VIH 77
CHANGEMENT DU PROFIL
DES MALADIES RÉNALES DEPUIS L’AVÈNEMENT
DES TRAITEMENTS ANTIRÉTROVIRAUX
L’HAART prévient et guérit l’HIVAN
Au cours de l’ère pré-HAART, le pronostic rénal de l’HIVAN (groupe 1 des
maladies rénales des patients infectés par le VIH) était particulièrement péjoratif
puisque associé à une perte définitive de la fonction rénale en quelques semaines
ou quelques mois. Le surcroît de morbidité et de mortalité de l’insuffisance rénale
associée au déficit immunitaire sévère rendait même discutable le recours à l’épu-
ration extrarénale lorsque celle-ci devenait nécessaire. Les stéroïdes et les inhibi-
teurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine sont longtemps restés les seuls
traitements proposés pour ralentir la perte de fonction rénale souvent inéluctable
[7-10]. Cependant dès 1990, le bénéfice rénal d’un traitement antirétroviral a été
perçu puisque plusieurs études ont montré le ralentissement du cours évolutif de
l’HIVAN par la zidovudine, sans toutefois empêcher la survenue de l’insuffisance
rénale [10, 11-13].
Ces prémices quant à l’effet néphrologique des traitements antiviraux, ainsi que
les données fondamentales démontrant le rôle des protéines du VIH dans la
physiopathologie de l’HIVAN [2-5] ont permis d’évoquer un bénéfice rénal de
l’HAART, ensuite confirmé par des données individuelles et épidémiologiques.
Wali et al. ont rapporté pour la première fois en 1998 l’amélioration specta-
culaire des caractéristiques cliniques et histologiques d’un patient atteint
d’HIVAN et traité par HAART : ce patient était dialysé pour un DFG estimé à
7 ml/min et avait une protéinurie mesurée à près de 10 g/j au moment du
diagnostic d’HIVAN, confirmé par l’histologie. L’instauration d’un traitement
par HAART, efficace sur la réplication virale et la reconstitution immunitaire,
avait été suivie d’une franche amélioration de la fonction rénale (sevrage de la
dialyse après treize semaines, baisse de la créatinine plasmatique jusqu’à
132 µmol/l) et d’une décroissance de la protéinurie à moins d’1 g/j. Une biopsie
rénale de contrôle avait montré la disparition des lésions d’HIVAN et en
particulier de podocytose [14]. Ultérieurement des cas similaires ont été rapportés
et ces constatations cliniques sont à présent de plus en plus fréquentes [15-17].
Des données issues d’études de cohortes montrent également le bénéfice de
l’HAART sur l’HIVAN. L’étude menée par Lucas et al. sur une population de
patients infectés par le VIH à Baltimore suivie longitudinalement de 1989 à 2001
(11 732 patient-années), montre une diminution de l’incidence de l’HIVAN chez
les patients traités par l’HAART (réduction du risque estimée à 60 p. 100 après
analyse multivariée), surtout lorsque l’HAART est introduite précocement [18].
De même, l’étude publiée par Schwartz et al. en 2005 à partir des données nationa-
les aux États-Unis (Centers for Disease Control and Prevention et US Renal Data
System) estime à 38 p. 100 la réduction de la progression vers l’insuffisance rénale
terminale dans la population noire infectée par le VIH depuis l’utilisation de
l’HAART [19]. Concernant les patients d’Ile-de-France, l’étude rétrospective de
Burckle et al. sous l’égide du GENIF s’est intéressée au pronostic des patients
atteints d’HIVAN pendant la période 1996-2000 comparé à celui de la période pré-
HAART (1984-1996) [20-21]. Alors que le diagnostic de l’HIVAN était porté his-
tologiquement à un degré comparable d’insuffisance rénale (créatinine moyenne à
78 É. DAUGAS ET B. DEROURE
496 µmol/l et 592 µmol/l en période pré-HAART et HAART respectivement), la
survie rénale à 3 ans du diagnostic passait de 18 à 61 p. 100 chez les patients béné-
ficiant de l’HAART. De la même manière, Atta et al. ont montré que l’utilisation
d’au moins une molécule antirétrovirale suffisait à l’amélioration du pronostic
rénal dans une cohorte de patients atteints d’HIVAN (diagnostic histologique) sui-
vis entre 1995 et 2004 à Baltimore [22].
Ces données ont contribué à la recommandation selon laquelle le diagnostic
d’HIVAN doit faire mettre en œuvre un traitement par HAART même en
l’absence d’indication immunologique [23].
L’HAART guérit-elle les autres maladies rénales liées au VIH ?
La micro-angiopathie (MAT) a été rapportée aux conséquences directe ou indi-
recte du VIH (groupe 1 et/ou groupe 2 des maladies rénales des patients infectés
par le VIH) [24-27]. Même s’il n’existe pas de donnée épidémiologique défini-
tive, il semble que le contrôle de l’infection par le VIH et de ses conséquences par
l’HAART permette également un recul de la MAT. Une étude italienne compa-
rant des données rétrospectives concernant 1 223 patients pendant la période pré-
HAART et des données prospectives recueillies chez 347 patients après 1996
montre la réduction de l’incidence de la MAT avec l’avènement de l’HAART
(aucun cas parmi les 347 patients vs 17 cas dans la cohorte historique) [28]. Cette
réduction est corrélée au taux de lymphocytes CD4 positifs et inversement à la
charge virale dans une cohorte nord-américaine de plus de 6 000 patients [29].
Cet effet bénéfique de l’HAART peut être attribué tant à la réduction des lésions
endothéliales occasionnées directement par le VIH qu’à la diminution des infec-
tions favorisant la MAT.
Parmi les maladies rénales associées au VIH, l’ensemble intitulé « glomérulo-
néphrites à complexes immuns » est très hétérogène. Il est parfois mal aisé de
distinguer les glomérulonéphrites à dépôts d’IgA ou les glomérulonéphrites dites
« lupus like », dont on pense qu’elles peuvent être directement liées au VIH
(groupe 1), des glomérulonéphrites infectieuses indirectement liées au VIH
(groupe 2) [30-33]. L’hétérogénéité physiopathologique et nosologique contribue
sans doute à l’absence de données fiables mesurant l’effet de l’HAART sur cet
ensemble. Aussi, l’indication d’un traitement par HAART en cas de diagnostic
d’une glomérulonéphrite à complexes immuns en l’absence de déficit immu-
nitaire sévère doit-elle être laissée à l’appréciation du clinicien au cas par cas.
TOXICITÉ RÉNALE DE L’HAART
Sans établir un nouveau catalogue des médicaments antiviraux qui peuvent
donner lieu à une néphrotoxicité (groupe 3 des maladies rénales des patients
infectés par le VIH), on peut retenir deux molécules : l’antiprotéase indinavir
(Crixivan®) et l’inhibiteur nucléotidique de la reverse transcriptase ténofovir
(Viread®, Truvada®) [6, 34].
La toxicité de l’indinavir est liée à sa capacité à cristalliser dans l’urine dans tou-
tes les structures anatomiques, du tube proximal à la vessie. Il est ainsi responsable
ATTEINTES RÉNALES DE L’INFECTION PAR LE VIH 79
d’anomalies néphrologiques et urologiques : cristallurie, leucocyturie, hématurie
microscopique ou macroscopique, protéinurie tubulaire, insuffisance rénale aiguë,
insuffisance rénale chronique par néphropathie interstitielle chronique avec atro-
phie rénale segmentaire et nécrose papillaire, HTA, coliques néphrétiques, dou-
leurs lombaires, dysurie. Selon, les recommandations de l’« HIV Medicine
Association of the Infectious Diseases Society of America » [23], les patients traités
par indinavir doivent :
– boire au moins 1,5 l/j pour prévenir la formation de calculs ;
faire l’objet d’une évaluation de la fonction rénale et d’une recherche de
leucocyturie régulièrement pendant les 6 premiers mois de traitement, puis tous
les 6 mois ;
faire l’objet d’une recherche de cristallurie en cas de suspiscion de lithiase
urinaire.
De plus, ces recommandations indiquent :
– que l’indinavir est autorisé en cas d’insuffisance rénale préalable ;
– qu’il doit être interrompu en cas de lithiase, puis repris après hydratation ;
qu’il doit être interrompu définitivement en cas d’HTA, de leucocyturie,
de rhabdomyolyse ou d’insuffisance rénale (aiguë ou chronique) qui lui sont
imputable(s).
La toxicité rénale du ténofovir est liée à son effet sur les cellules épithéliales
tubulaires rénales. Son mécanisme reste hypothétique [6-34]. Même si cette notion
est discutée, on doit considérer que sa toxicité est dépendante de la dose comme
pour les autres inhibiteurs nucléotidiques de la reverse transcriptase [35-38]. Les
facteurs de risque de développer une néphrotoxicité du ténofovir sont : un déficit
immunitaire, l’ancienneté de l’infection, une insuffisance rénale pré-existante,
l’absence d’adaptation posologique du ténofovir au DFG réduit, un traitement
concomitant par ritonavir ou ddi pouvant contribuer à l’augmentation de la
concentration intracellulaire épithéliale de ténofovir, et l’usage simultané d’autres
molécules néphrotoxiques. Les premiers signes de néphrotoxicité du ténofovir
peuvent n’apparaître que plusieurs mois après le début du traitement (5 à 12 mois)
avec une dysfonction des cellules tubulaires proximales voire distales pouvant
avoir pour conséquence un syndrome de Fanconi total ou partiel (une glycosurie,
une baisse du Tm des phosphates et une hypophosphatémie sont en règle les
anomalies les plus précoces), un diabète insipide, une insuffisance rénale aiguë.
Un cas rapporté de protéinurie de débit glomérulaire soulève l’hypothèse d’une
potentielle toxicité podocytaire du ténofovir. De telles anomalies doivent impéra-
tivement conduire à l’arrêt du ténofovir, ce qui permet une réversibilité le plus
souvent totale. La néphrotoxicité du ténofovir est jugée aujourd’hui moins
fréquente qu’envisagé initialement, même si les études contrôlées rapportant sa
faible incidence excluent les patients à risque [39-40]. Toutefois, il convient de
suivre les recommandations usuelles pour la prévenir, comme celles de l’« HIV
Medicine Association of the Infectious Diseases Society of America » indiquant
que les patients traités par ténofovir ayant un DFG < 90 ml/min /1,73 m2, rece-
vant d’autres traitements à élimination rénale par secrétion tubulaire (adéfovir,
aciclovir, ganciclovir, ou cidofovir), avec comorbidités (diabète ou hypertension)
ou recevant un traitement « synergisé » par le ritonavir, doivent être évalués au
minimum tous les 6 mois par une estimation du débit de filtration glomérulaire,
une phosphatémie, une recherche de protéinurie et de glycosurie. De plus, il est
nécessaire d’adapter les posologies au DFG dès 50 ml/min [23]. La prudence est
probablement d’envisager une telle surveillance pour l’ensemble des patients
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