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TEMPO MÉDICALSEPTEMBRE 2012 – WWW.MEDIPRESS.BE
VIH/SIDA
Tempo Médical : Professeur De
Wit, vous vous trouvez au cœur
de la pratique clinique depuis
la période initiale de l'épidémie
du sida, voici près de trente
ans. Pouvez-vous esquisser vos
premières expériences comme
médecin traitant ?
Pr S. De Wit : Les premiers patients
sidéens que j'ai pu traiter étaient deux
femmes africaines, ici, dans un hôpital
bruxellois.
TM : C'était en…
SDW : …1982. Nous nous trouvions
face à une énigme médicale. Il s'agissait d'un mal mystérieux,
qui présentait d'importantes analogies avec un certain nombre
d'infections opportunistes rares et le sarcome de Kaposi, signalés
quelques mois auparavant à Los Angeles.
TM : Une grande incertitude diagnostique a dû régner à
l'époque ?
SDW : Exactement. Mais il est rapidement apparu que le système
immunitaire de ces patients était profondément compromis. Il
n'existait alors qu'une seule méthode nous permettant de docu-
menter la faiblesse immunitaire de ces patients : le comptage des
lymphocytes T CD4+. Ce test a également servi de critère diagnos-
tique pour démontrer que les patients présentaient le syndrome,
appelé depuis Syndrome d'Immunodé-
ficience Acquise ou sida.
TM : Peu après, le virus a été isolé
simultanément des deux côtés de
l'Atlantique.
SDW : En effet. Depuis, il est généra-
lement admis que Françoise Barré-Si-
noussi (Institut Pasteur, Paris) a été la
première à isoler le virus de ganglions
lymphatiques infectés. Elle se trouvait
donc de bon droit aux côtés de son
mentor Luc Montagnier sur le podium à
Stockholm en 2008. Leurs travaux ont
tracé la voie vers une méthode permet-
tant de détecter des anticorps du VIH chez un patient. Ce qui est
resté le seul test diagnostique dont nous disposions pendant de
nombreuses années.
Jusque…
SDW : Jusqu'au début des années 90. A cette époque s'est déve-
loppée la PCR (Polymerase Chain Reaction, pour amplification ou
réaction en chaîne par polymérase), d'abord semi-quantitative,
quantitative ensuite. Elle nous a permis de déterminer directement
la charge virale. Au cours des années suivantes, la sensibilité et la
précision de ces tests de PCR ont été continuellement optimalisées.
Depuis, ils sont également appliqués dans le suivi de l'efficacité
d'un traitement.
Nous avons rencontré le Pr Stéphane De Wit
Le professeur Stéphane De Wit est spécialisé en médecine interne
et en infectiologie. Il est chef de service adjoint du Centre de Référence
pour le VIH/SIDA du CHU Saint-Pierre et a été, de 1989 à 1998,
coordinateur clinique de l'European Network for the Treatment of Aids(ENTA).
Dès les premières années, le Pr De Wit s'est trouvé au centre des
développements dramatiques autour du VIH et du sida.
Dr Pieter Van Boom, d'après un entretien avec le Professeur Stéphane De Wit
(Département de maladies infectieuses, Centre Hospitalier Universitaire Saint-Pierre, Bruxelles)
PR STÉPHANE DE WIT
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VIH/SIDA
Une pandémie se dessine à l'échelle mondiale
TM : Une fois le VIH identifié comme cause du sida, l'étape suivante
était…
SDW : … que pouvons-nous y faire ?
TM : Pouvez-vous décrire brièvement les stratégies adoptées à cet effet ?
SDW : A l'époque, nous ne disposions que d'antibiotiques pour enrayer les infec-
tions opportunistes. Il n'existait aucun médicament permettant de traiter l'immu-
nodéficience. Nous étions quasiment impuissants. Il faut se rappeler le contexte
de cette époque : il était possible de guérir un patient porteur d'une maladie
infectieuse dans la plupart des cas… jusqu'à l'entrée en scène du VIH. Les méde-
cins et virologues appelés à soigner des patients sidéens étaient devenus à brève
échéance des thérapeutes palliatifs. Il était devenu évident depuis que l'origine
historique du VIH se situait en Afrique et que des millions de personnes étaient
déjà infectées ou se situaient au seuil de la mort. C'était une époque sombre,
rappelant des images des grandes épidémies de peste du Moyen Âge, où des
populations entières ont été balayées. Il devint rapidement clair que, outre les
soins médicaux que les patients recevaient, des soins non médicaux et palliatifs
devaient également être proposés pour leur garantir tant bien que mal un mini-
mum de qualité de vie.
De fiévreuses recherches conduisent aux premiers médicaments
TM : Que s'est-il passé en matière de recherche ?
SDW : De fiévreuses recherches étaient entamées dans le monde entier. Une
stratégie se dessinait rapidement, pour tenter de bloquer dans les cellules la
synthèse de l'ADN contrôlée par l'ARN viral. De tels médicaments étaient déjà
connus dans le domaine de l'oncologie et le premier médicament issu de cette
recherche – à peine un an après la découverte du virus – était l'inhibiteur nucléo-
sidique de la transcriptase inverse, la zidovudine (AZT ou azidothymidine). Je me
rappelle comme si c'était hier le premier essai contrôlé par placebo (avec une
cohorte de 260 patients sidéens symptomatiques). Il fut arrêté peu de temps
après la mise en route parce que l'avantage clinique de l'AZT était tellement
évident. Or, ce médicament devait être administré rigoureusement toutes les
quatre heures, jour et nuit !
Les autres analogues nucléosidiques ont été développés peu après. Au cours des
années suivantes, il a été démontré que ces médicaments antiviraux pouvaient
également être mis en œuvre chez des patients séropositifs au VIH mais non ou
faiblement symptomatiques. Permettons-nous quelque lyrisme : les lourds nuages
à l'horizon thérapeutique semblaient se dissiper…
Pas pour longtemps, l'étude européenne CONCORDE, avec une période de
suivi plus longue (2 - 3 ans) que certaines études effectuées aux Etats-Unis, a en
tout cas fortement mitigé l'enthousiasme initial. En effet, l'étude a montré que
l'AZT offrait peu d'avantages à long terme et ne pouvait ralentir l'évolution de la
maladie. C'était la première démonstration de la capacité du VIH de développer
une résistance envers le traitement antiviral, marquant la défaite de la monothé-
rapie. Il était clair que pour tenir sous contrôle le virus qui mutait constamment,
des bi- ou trithérapies devaient être développées : des cocktails de plusieurs
analogues nucléosidiques.
"La période qui a
vu le développement
de HAART était
rétrospectivement
aussi une période où le
sida a progressivement
évolué d'une maladie
mortelle vers une
affection chronique.
A l'époque même,
très peu de gens
l'ont perçu ainsi."
Pr Stéphane De Wit
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VIH/SIDA
Au milieu des années 90, nous avons été
les témoins des premiers résultats spec-
taculaires avec les inhibiteurs de la pro-
téase virale, le saquinavir et le lopinavir,
des molécules antivirales très puissantes
qui visaient pour la première fois une autre
cible thérapeutique que la transcriptase
inverse du VIH. Ces médicaments ont été
repris avec les inhibiteurs nucléosidiques
dans un schéma de trithérapie, selon le
principe HAART (High Active Antiretroviral
Therapy), qui demeure à ce jour le traite-
ment standard.
De maladie mortelle, le sida
devient une affection chronique
TM : C'était une époque
particulièrement passionnante, sans
aucun doute.
SDW : Comme vous le dites ! N'oubliez pas
que nous ne disposions d'aucun test quan-
titatif permettant de mesurer la charge
virale jusqu'au début des années 90, ce
qui est devenu possible avec la PCR. Nous
pouvions bien enregistrer une augmenta-
tion abrupte et spectaculaire du nombre
de lymphocytes T CD4+ après une inter-
vention thérapeutique. Ce que l'on peut
qualifier sans plus comme une des princi-
pales avancées dans la lutte contre le VIH.
Depuis lors, après le millénaire, l'arsenal
des inhibiteurs de transcriptase inverse, de
protéase et d'intégrase s'est constamment
étendu et nous disposons actuellement
d'une nouvelle génération de molécules
qui n'engendrent pas les graves effets
secondaires d'un HAART prolongé (aug-
mentation des affections cardiovasculaires,
lipodystrophie et diabète). De même, un
patient atteint du sida n'est plus soumis à
des schémas draconiens comme il y a vingt
ans, qui imposaient la prise rigoureuse, à
heures fixes, de 18 comprimés par jour.
Actuellement, plusieurs médicaments sont
administrés à l'aide d'un seul comprimé,
par voie orale.
TM : Ces meilleurs médicaments
ont-ils entraîné un changement de
mentalité chez les médecins traitants
et/ou les patients ?
SDW : Je pense que oui. Après coup
– très peu l'ont perçu ainsi au moment
même – la période du développement du
HAART a aussi été la période où le sida
a progressivement évolué d'une maladie
mortelle vers une affection chronique. Ces
nouveaux traitements efficaces ont égale-
ment eu pour conséquence que l'éventail
des complications s'est modifié de fond
en comble chez les patients sidéens. Il y
a vingt ans, les patients recevaient un trai-
tement prophylactique pour des maladies
infectieuses comme la pneumonie ou la
méningite. Par contre, lorsqu'un patient
porteur du VIH se présente à la consulta-
tion de nos jours, le médecin traitant doit
avant tout se soucier de l'ostéoporose, de
la bronchite chronique et de l'insuffisance
rénale. Autrement dit, une gamme com-
plexe d'affections possibles en tant qu'ef-
fets secondaires du HAART. Mais elles sont
tout autant la conséquence de l'infection
virale et de la réponse inflammatoire. On
peut tranquillement affirmer que l'infection
par le VIH est passée dans le domaine de la
médecine interne.
Actuellement,
plusieurs
médicaments sont
administrés
à l'aide d'un seul
comprimé,
par voie orale.
Figure 2. Image au microscope à balayage électronique d'un virion de VIH-1 (en vert), qui se sépare d'un
lymphocyte en culture.
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