Le Langage et l’Homme, vol. XXXXVII, n° 1 (juin 2012)
Quelle place pour les TICe en classe
de FLE ? L’heure des bilans :
présentation du dossier
Jean-Marc
DEFAYS
Directeur de l’Institut Supérieur des Langues Vivantes,
Université de Liège
et Audrey M
ATTIOLI
-T
HONARD
Institut Supérieur des Langues Vivantes,
Université de Liège
De la visite d’un site à la conception d’un cours « maison » en ligne, d’un
simple partage de documents à la création d’un blog de la classe, les pratiques
pédagogiques incluant les TICe sont indénombrables. Mais quelles sont celles
qui ont fait leurs preuves ces dernières années ? Pour développer quelles
macro-compétences ? Pour atteindre quels objectifs ? Pour former quel type de
locuteurs ? Et comment pallier les difficultés liées à l’isolement physique de
l’apprenant ? Et le rôle de ces apprenants, quel est-il à présent ? Comment
motiver et impliquer sa classe dans les activités proposées en ligne ? Et
comment les interactions en ligne sont-elles perçues par les apprenants ?
Les douze articles qui composent ce numéro du Langage et l’Homme se
proposent de répondre à ces questions en explorant les différents aspects de
l’intégration des TICe en classe de français, relatifs principalement…
à l’équipement technologique et au bon usage de l’ordinateur, des
connexions, des logiciels, des tableaux blancs numériques ou
interactifs, etc. ;
au média numérique et à l’analyse et l’évaluation des (res)sources en
ligne, dans deux perspectives : d’une part, celle de l’information,
d’autre part, celle de la communication et des échanges ;
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aux pratiques pédagogiques induites par les nouvelles technologies,
sur le plan mental, intellectuel, culturel, professionnel, qui
déterminent à terme les conditions de la création, de la construction,
de la transmission des connaissances à tous points de vue.
Avant de céder la parole aux différents auteurs de ce dossier, arrêtons-
nous brièvement sur deux questions que tout enseignant sensible aux TICe est
en droit de se poser : quels sont les avantages et risques des TICe et quelle
place faut-il leur accorder en classe de FLE ?
1. Quels avantages et limites des TICe
en didactique des langues?
Aussi célébrés soient-ils, ces avantages restent relatifs, ne serait-ce qu’en
fonction des objectifs et des personnes que l’on prend en compte : les
enseignants, les apprenants, les acteurs sociaux… ou les fabricants
d’équipements informatiques, les concepteurs de logiciels et les fournisseurs
de services Internet.
Si l’on s’en tient aux apprenants, ces avantages se situent à différents
niveaux :
psychologique : l’utilisation des TICe peut attiser la motivation des
jeunes étudiants à la faveur d’un transfert d’intérêt de l’outil vers
l’objet de l’apprentissage ; elle donne aussi aux plus timides
l’occasion de travailler en dehors des regards des autres et de la
pression de la classe ; par contre, les apprenants plus âgés peuvent
manifester une certaine résistance à l’égard de l’informatique avec
laquelle ils sont moins familiarisés ;
social : Internet permet la constitution de réseaux sociaux, de
communautés cybernétiques qui élargissent les groupes de contact,
multiplient les occasions d’échanges, diversifient les formes de
collaborations ;
cognitif : la lecture hypertextuelle que permet l’outil informatique
correspondrait à des processus cognitifs spontanés, par arborescence
et associations libres, et favoriserait ainsi « naturellement »
l’apprentissage par rapport à la lecture ou à l’écoute linéaires plus
contraignantes d’une leçon classique ;
pédagogique : grâce aux TICe, l’enseignement peut être davantage
adapté et différencié que dans une classe, car il laisse plus
d’autonomie et partant plus de responsabilité aux étudiants, tout en
leur ménageant plus d’interactivité avec le professeur et entre eux ;
documentaire : il est inutile d’insister sur la mine d’informations
diverses auxquelles Internet donne accès ;
pratique : l’ordinateur et Internet sont en principe au service de
l’utilisateur en tout lieu et à tout moment, alors que les cours donnés
par un enseignant sont assujettis à un horaire, à une institution, et que
l’accessibilité et les ressources de la bibliothèque sont limitées.
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Et qu’en est-il des risques liés aux TICe, de leurs limites ? Il est inutile de
rappeler que ces dernières ne peuvent certainement pas répondre à toutes les
questions, ni régler tous les problèmes posés par l’enseignement des langues,
et que l’espérer aveuglement serait une grave erreur. Il faut bien prendre
conscience que la technologie, aussi utile et stimulante soit-elle, dépendra
toujours du plus ou moins bon usage qu’en feront les utilisateurs. L’illusion de
la « méthode miracle », profitable partout et pour tout, risque en effet de causer
quelques dommages.
Si l’ordinateur, le logiciel, Internet, stimulent davantage la curiosité de
l’apprenant et répondent plus facilement et rapidement à ses besoins et à ses
intérêts, ils peuvent aussi créer des problèmes sur le plan de l’attention, de la
compréhension, de la mémoire, et même empêcher les processus essentiels de
synthèse et d’assimilation des connaissances ainsi acquises. Le zapping, auquel
pourraient inciter les TICe, ne facilite en effet pas toujours la construction du
sens, au point d’aucuns craignent l’apparition d’une certaine paresse
intellectuelle, voire d’une nouvelle forme d’illettrisme dans la génération
exposée davantage à l’écran numérisé qu’à la page écrite. Les interactions
virtuelles, malgré leurs incontestables opportunités, peuvent entraîner, suivant
la même logique, un repli de l’apprenant sur lui-même et lui causer
ultérieurement des difficultés à mener des échanges en contexte et en
présentiel.
Enfin, d’un point de vue plus stratégique, le succès des TICe a aussi
entraîné dans plusieurs cas un renversement de perspectives, et même de
priorités. Alors que les TICe devraient rester un moyen au service des
personnes concernées et des objectifs poursuivis, elles deviennent une fin en
soi : « Que vais-je pouvoir faire en viennent à se demander étudiants,
enseignants, chercheurs pour recourir à l’outil informatique que
prévoient/imposent mon projet, mon budget, les autorités, et qui crédibilisera
mon entreprise? »
2. Quels rôles attribuer aux TICe
en didactique des langues ?
Cette question se pose par rapport à l’enseignement classique, qui a lieu
en classe, en « présentiel ». Il ne faut plus craindre ou espérer, comme il y a
une vingtaine d’années, que les TICe et l’enseignement en ligne remplaceront
un jour le professeur et les activités en classe, mais il est évident que le rôle de
ce professeur et la nature de ces activités doivent désormais tenir compte de ce
nouvel outil pédagogique et se repositionner en conséquence pour en tirer le
meilleur parti.
On peut d’abord envisager les rapports entre enseignements présentiel et
en ligne en termes de complémentarité : soit ces activités en ligne sont
enchâssées parmi les diverses autres activités de la classe qui reste le cadre
général de l’enseignement-apprentissage, soit, au contraire, ce sont les TICe
qui assurent la cohérence et le déroulement du programme de l’enseignement-
apprentissage où s’inscrivent à différents moments les différentes activités
propres à la classe (ex : tutorat, tables de conversation, projets de groupe…).
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On préfèrera à ces rapports de subordination, dans un sens ou dans un
autre, la mise en œuvre d’une réelle synergie entre les activités présentielles et
les activités en ligne dans le cadre d’une pédagogie intégrée où, en fonction
des différents paramètres de cet enseignement-apprentissage, on optera pour
les répartitions et combinaisons les plus adaptées entre le présentiel et le
télématique, en se posant chaque fois la question de savoir ce qu’il est
possible, souhaitable de faire avec/sans les TICe : les différentes compétences
langagières (CO-CE-EO-EE-interactions), linguistiques (grammaire,
vocabulaire, prononciation), (inter)culture, communication,... Cette synergie
doit aussi être créative et susciter des activités pédagogiques et des
apprentissages qui n’auraient pas été possibles dans un enseignement
uniquement en présentiel, ou rien que dans un enseignement en ligne.
Bref, il faut donc prendre du recul par rapport à l’engouement dont les
TICe font actuellement l’objet et le bouleversement que certains pensent
qu’elles seraient en train de provoquer. Tout compte fait, les TICe mettent
seulement de nouveaux outils à la disposition des acteurs de l’enseignement-
apprentissage des langues, et leur grand succès représente seulement une phase
à la suite de nombreuses autres innovations et mutations dans l’histoire de la
didactique des langues. On peut à ce titre établir un parallèle avec l’époque des
premières méthodes audio-orales et audio-visuelles, qui combinaient la
psychologie behavioriste et la linguistique structurale, et qui profitaient des
progrès techniques des laboratoires de langues, pour développer une pédagogie
par conditionnement, alors que nous sommes en train d’assister à l’essor d’une
pédagogie actionnelle, qui associe quant à elle la psychologie cognitive, la
linguistique pragmatique et le perfectionnement et le déploiement des TICe.
Dans les deux cas, on a parlé de révolution didactique…
En tout cas, il est indéniable que le recours intensif aux TICe en
didactique des langues qu’on ne peut plus ignorer provoque des
rééquilibrages des différents vecteurs de l’apprentissage par rapport à la
langue, par rapport au monde (réel/ virtuel; dans/ hors classe; culture), par
rapport aux sujets (enseignant/ apprenant/ condisciples/ tiers/ natifs ; cognitif/
social/ affectif), et oblige de nouvelles approches pédagogiques. Aussi, pour
éviter les risques et réduire les inconvénients évoqués plus haut, nous pensons
que les concepteurs et les utilisateurs, enseignants ou apprenants, ont de tout
urgence besoin au cours de leur formation d’une éducation aux TICe et à ses
outils, non seulement sur le plan technique, mais aussi et surtout discursif,
sémiotique, éthique, idéologique… et finalement pédagogique. Car si les TICe
représentent un outil comme un autre, vu son pouvoir de séduction,
l’amplitude de son rayonnement, la multiplicité de ressources, la complexité de
son fonctionnement, il faut certainement prendre davantage de précautions
pour se mettre à l’abri d’un usage tendancieux, contraignant, aliénant.
Ces questions seront explorées plus en avant tout au long de ce numéro
par le biais de réflexions sur les nouveaux modes d’interaction et sur leurs
impacts dans l’enseignement/apprentissage du FLE (les quatre premiers
articles de ce numéro), d’analyses de pratiques visant au développement des
compétences écrites (les trois articles suivants) et de présentations de
dispositifs tout aussi riches que variés (les cinq derniers articles de ce numéro).
Que la créativité et l’enthousiasme des auteurs gagnent les lecteurs ainsi
sensibilisés aux potentialités si exaltantes que nous offrent les TICe…
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