Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous
1. Le mystère de l’incarnation : une nouveauté dans l’histoire des religions
Jésus, que nous confessons comme le Fils de Dieu - Dieu lui-même - est né dans un peuple
particulier, une culture particulière, une époque particulière, une terre particulière. Jésus est un
homme, de culture sémite, de religion juive, qui a vécu au premier siècle en Galilée et en Judée.
En abordant la question de l’insertion historique et géographique de Jésus nous touchons à
une question centrale de notre foi chrétienne : celle du mystère de l’incarnation. Dieu s’est fait
homme, il a pris notre chair. Autour de cette question se cristallisent un grand nombre de
contradictions auxquelles est confrontée notre foi chrétienne. Le mystère de l’incarnation de Dieu
manifeste à la fois toute la fragilité et toute la puissance de la foi chrétienne.
L’Evangile selon St Jean s’ouvre par un long et dense prologue dont la formule centrale est :
« le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous ». La Parole de Dieu s’est faite chair. Voilà une
déclaration qui semble dépasser l’entendement : l’absolu s’est fait relatif, l’immatériel s’est fait
matière, l’Eternel est entré dans le temps, l’infini dans le fini…
Cette une affirmation est unique dans toute l’histoire des religions. Dans bien des religions il
existe des histoires de dieux qui visitent les hommes, ou encore de mi-dieu mi homme qui
accomplissent des faits extraordinaires ; mais jamais il n’était question d’un Dieu qui se fait homme,
qui épouse la chair humaine avec sa fragilité. Cela est propre à la foi chrétienne.
Aller en pèlerinage en Terre Sainte c’est regarder en face cette affirmation de la foi
chrétienne : Dieu s’est fait homme, le Verbe s’est fait chair. C’est prendre au sérieux le réel de notre
foi. Jésus n’est pas un concept, une idée. Dieu n’est pas une idée dans la tête des hommes, ni une
philosophie. Dieu est une personne. Un jour du temps il a choisi de rejoindre les hommes en un point
précis du globe et de l’histoire.
2. Un Dieu a rejoint l’homme, réellement
L’homme Jésus a existé ; aucun historien aujourd’hui ne remet cela en question. Les preuves
historiques sont nombreuses : nous avons aujourd’hui beaucoup plus de certitude historique sur
l’existence de l’homme Jésus que sur celle de Platon par exemple ou encore d’Alexandre le Grand.
La question de l’existence de Jésus de Nazareth ne se pose pas. Mais la foi chrétienne
consiste à dire : Jésus est le Christ. Cet homme- qui a vécu en Judée et en Galilée au premier siècle,
c’est le Messie de Dieu, c’est Dieu lui-même, le Verbe fait chair.
En quelque sorte la foi chrétienne porte sur un trait d’union : celui qui est entre Jésus et
Christ. Ce trait d’union est décisif ! Nous croyons en Jésus-Christ. Toute notre foi est dans ce petit
trait d’union.
Beaucoup affirment que Jésus est un grand homme, mais seulement un homme. C’est déjà
pas mal de reconnaître cela mais, si Jésus n’est pas Dieu, si Jésus n’est qu’un grand homme alors Dieu
n’a pas réellement rejoint les hommes. Il n’a pas réellement partagé notre vie. Il ne nous a pas aimés
jusqu’au bout. Ce qui change tout dans la foi chrétienne c’est de reconnaître que cet homme est
Dieu ; qu’en lui, Dieu nous a réellement rejoint en toute chose, jusqu’à la mort ; que Dieu est
réellement Dieu avec l’homme et Dieu pour l’homme.
De fait, tous les système religieux partent de l’aspiration de l’homme vers l’absolu. L’homme,
de tout temps, est en quête d’un absolu, d’un infini et chaque religion répond, à sa manière, à cette
aspiration de l’homme, à cette quête humaine de Dieu. Le christianisme, lui, ne parle pas seulement
de l’homme qui cherche Dieu. Mais il parle d’un Dieu qui cherche l’homme.
Nous croyons qu’avant même que l’homme commence à chercher Dieu, c’est Dieu le premier
qui se met en quête de l’homme. D’ailleurs, comment l’homme pourrait-il prétendre trouver dieu par
lui-même si Dieu ne venait pas à lui ? Qui peut prétendre connaître Dieu par lui-même ? Qui a révélé
aux hommes la nature de Dieu ? C’est Dieu qui vient à l’homme et non pas le contraire. C’est Dieu
choisit de se révéler aux hommes.
Pour se révéler aux homme, Dieu a choisi d’apprendre la langue des hommes. Or la langue
des hommes, ce ne sont pas seulement des mots mais aussi et surtout sa chair. Toute notre existence
est un langage. Nous parlons bien au-delà des seuls mots que nous disons. Pour parler aux hommes,
Dieu a adopté la langue des hommes : la chair. En quelque sorte, il s’est mis à hauteur d’homme. Le
Verbe de Dieu s’est fait chair. Comment pouvait-il en être autrement ?
Au matin de Noël nous entendons ces versets de la lettre aux hébreux :
À bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les
prophètes ; mais à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils (Hb 1, 1-2)
Cet enfant nouveau-né qui ne prononce pas un mot, c’est déjà Dieu qui nous parle. Par sa
seule présence, par sa chair, Dieu nous parle en cet enfant et nous dit : « Je suis là, présent, je te
rejoins dans la fragilité humaine, je suis Dieu avec toi »
3. Un abaissement qui vèle la grandeur de Dieu
Pour d’autres religions, parler d’incarnation de Dieu est simplement un scandale impossible ;
un blasphème. Comment Dieu pourrait-il se faire homme sans perdre du même coup sa divinité, sans
être réduit à néant ? L’Islam notamment, reproche souvent au christianisme de blasphémer : le
mystère de l’incarnation porterait atteinte à la grandeur de Dieu, rabaisserait Dieu au rang de
créature. Un Dieu qui a faim, qui pleure, qui se met à genoux et qui meurt misérablement sur une
croix… L’Islam considère Jésus comme un grand prophète mais affirme que Jésus n’est pas mort sur
la croix : c’est un autre qui serait mort à sa place. Car même un prophète ne peut pas mourir ainsi.
Alors Dieu, vous imaginez…
A cette contradiction nous pouvons répondre par cette question ; mais qu’est-ce qu’être
grand ? Qu’est ce que l’infini de Dieu. Nous pouvons répondre qu’enfermer Dieu dans une certaine
idée de l’infini, c’est peut-être cela justement qui porte atteinte à l’infini de Dieu. Qu’à vouloir
cantonner Dieu dans l’infiniment grand, nous décidons peut-être à sa place ce que signifie réellement
l’infini. Nous croyons, nous, que Dieu est tellement grand qu’il ne se laisse pas enfermer dans
l’absolument grand, mais qu’il peut, par amour, choisir de s’enfermer lui-même dans l’absolument
petit.
Ne pas être enfermé dans ce qu’il y a de plus grand, se laisser enfermer dans ce qu’il y a de plus
petit : voilà qui est divin. Formule d’un jésuite anonyme du XVIème siècle
Ce que l’on éprouve en découvrant Jésus qui assume tous les aléas de l’existence, c’est que
Dieu est allé jusque-, jusqu’à éprouver la soif, la fatigue, la peur, le sentiment d’abandon. Dieu me
rejoint jusque-. Voilà une compréhension de la grandeur de Dieu qui me dépasse complétement et
qui détruit complétement nos catégories trop humaines de la grandeur et de la toute puissance.
4. Mieux connaître l’homme pour mieux connaître Dieu
Une autre contradiction souvent rencontrée est : Pourquoi cet homme- ? Pourquoi à ce moment là
de l’histoire ? Pourquoi pas ailleurs ? Dans un autre temps ? Dieu ne peut-il pas s’incarner en d’autres
lieux et d’autres temps ? Cette contradiction n’est pas nouvelle. Elle est même déjà inscrite dans
l’Evangile. Cf. Luc 4, 22 : « N’est-il pas le fils de Joseph, le charpentier ? »
Et il est vrai que nous pensons spontanément que, dans la mesure où il est reconnu en un
homme particulier, Dieu perdrait sa dimension universelle. Au point que certains estiment que Dieu
devrait pouvoir se réincarner en plusieurs personnes et plusieurs endroits… sur tous les continents…
Mais l’Eglise dans son credo continue d’affirmer que Dieu a pris chair en cet homme Jésus et
uniquement en lui.
Dieu a assumé en Jésus de Nazareth les caractéristiques propres de la nature humaine, y compris
l'appartenance nécessaire de l'homme à un peuple déterminé et à une terre déterminée.(Jean Paul II)
Si Dieu s’incarnait à sa guise en plusieurs temps et plusieurs lieux, aurait-il réellement rejoint
l’homme. S’il n’avait consenti à assumer leslimites spatio-temporelles de toute vie humaine, cela
signifierait que Dieu n’est pas réellement entré dans la fragilité d’une vie humaine unique. Au fond,
notre difficulté est toujours la même : accepter que Dieu se fasse homme, avec toute la fragilité que
cela suppose ; accepter que Dieu rejoigne l’homme, réellement. C’est là le scandale que beaucoup
refusent.
Mais nous croyons que Dieu n’a pas fait semblant de rejoindre l’homme ; nous croyons qu’il a
réellement rejoint notre condition. Nous croyons que, pour cela, il a assumé aussi le fait que cette
incarnation soit marquée par la limite du temps et de l’espace.
Cela donne tout son sens à la démarche du pèlerin qui part en Terre Sainte : il s’agit de
découvrir cette terre-là sur laquelle Dieu a choisi de venir jusqu’à nous. De connaître cette religion
juive dans laquelle Jésus est né ; cette culture-là dans laquelle il a grandi. Il s’agit au fond de mieux
connaître l’homme pour mieux connaître Dieu. Lorsqu’on aime une personne on cherche à la
connaître ; à connaître sa vie, ses habitudes, ses relations. Mieux connaître l’homme Jésus, son pays,
sa culture, sa vie, c’est mieux connaître Dieu.
P. Pierre Alain LEJEUNE
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