Insuffisance cardiaque et diabète - Heart failure and diabetes mellitus

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Insuffisance cardiaque et diabète
Heart failure and diabetes mellitus
● C. Bauters*
Mots-clés : Diabète - Insuffisance cardiaque - Pronostic Ischémie.
Keywords: Diabetes mellitus - Heart failure - Prognosis Ischemia.
u fait de sa fréquence, de sa gravité et de la morbidité qu’elle entraîne, l’insuffisance cardiaque constitue un problème majeur de santé publique. Il en est
de même du diabète, en particulier du diabète de type 2, dont la
prévalence mondiale était estimée en 1995 à 4 %, avec une projection à 5,4 % pour 2025 (1). Le diabète est un facteur de risque
majeur de pathologie cardiaque. Bien que l’atteinte la plus communément décrite soit coronaire, la survenue de manifestations
d’insuffisance cardiaque est aussi liée à l’existence d’un diabète.
Environ 15 à 30 % des patients souffrant d’insuffisance cardiaque
par dysfonction systolique sont diabétiques (2-4), et il a été suggéré que le diabète pourrait jouer un rôle dans la physiopathologie ainsi que dans le pronostic et la réponse au traitement de l’insuffisance cardiaque. L’objectif de cette mise au point est de
résumer les données de la littérature sur ce sujet.
D
Prévalence du diabète (%)
Mots-clés
insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection inférieure à 30 %
avaient des antécédents de diabète (2). Globalement, la fréquence
du diabète dans des populations avec insuffisance cardiaque est
donc d’au moins 20 %, ce qui est beaucoup plus élevé que la prévalence de 4 à 6 % qui est observée dans des tranches d’âge comparables en l’absence d’insuffisance cardiaque (figure 1) (1, 5).
C’est l’analyse de données issues de l’étude de Framingham qui
a pour la première fois montré une très nette augmentation du
risque d’insuffisance cardiaque chez des patients diabétiques : le
risque relatif de survenue d’une insuffisance cardiaque en cas de
diabète était de 2,2 pour les hommes et de 5,37 pour les femmes
(5). De même, dans des populations diabétiques, une augmentation de l’HbA1c est associée à une augmentation du risque d’insuffisance cardiaque (6).
7
6
6,3
5
4,8
4
3,7
3
2
1
5,9
2,7
1,8
0
45-54
55-64
65-74
Âge
Homme
Femme
Figure 1. Prévalence du diabète dans la cohorte de Framingham [adapté
de la référence (5)].
DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES
L’analyse a posteriori de données issues de diverses études randomisées montrent la grande fréquence du diabète en cas d’insuffisance cardiaque systolique : 26 % dans SOLVD (3), 19 %
dans ATLAS (4). Il en est de même lorsque les données sont issues
de registres qui sont moins sujets aux biais de sélection : dans le
registre EPICAL, par exemple, 26 % des patients présentant une
* Service de cardiologie C, hôpital cardiologique, CHRU de Lille.
La Lettre du Cardiologue - n° 374 - avril 2004
LES MÉCANISMES DE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE
CHEZ LE DIABÉTIQUE
Les mécanismes de l’insuffisance cardiaque chez le patient diabétique sont débattus depuis plusieurs années ; ils sont complexes
et très vraisemblablement multiples.
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Le diabète est souvent associé à un certain nombre de comorbidités qui peuvent augmenter le risque d’insuffisance cardiaque.
Un facteur comme l’hypertension artérielle, souvent associée au
diabète, pourrait jouer un rôle important ; ainsi, dans l’étude
SOLVD, 54 % des diabétiques présentaient une hypertension artérielle, contre seulement 38 % des non-diabétiques (3, 7).
L’augmentation du risque d’athérosclérose peut aussi expliquer
la plus grande fréquence de l’insuffisance cardiaque en cas de
diabète. Près de deux tiers des insuffisances cardiaques sont en
effet d’origine ischémique (8). Dans l’étude de Haffner et al. (9),
le risque d’infarctus du myocarde à 7 ans était de 20,2 % chez les
diabétiques, contre 3,5 % chez les non-diabétiques.
L’insuffisance cardiaque du diabétique peut aussi être la conséquence d’une cardiomyopathie diabétique spécifique. Les mécanismes par lesquels le diabète induit une insuffisance cardiaque,
indépendamment de l’existence de lésions coronaires, pourraient
associer l’existence d’une microangiopathie (10, 11) [expliquant
la réduction de réserve coronaire fréquemment observée chez les
diabétiques (12)], de facteurs métaboliques (13) – en particulier
une augmentation du turnover des acides gras libres et d’une
fibrose myocardique (14, 15) – par dépôt de collagène et de produits de glycation.
figure 2. En pratique, il semble indispensable de connaître le statut ischémique-non ischémique de la dysfonction ventriculaire
gauche avant de pouvoir utiliser le statut diabétique-non diabétique comme facteur pronostique dans l’insuffisance cardiaque.
De Groote et al. (16)
Dries et al. (7)
Domanski et al. (17)
%
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20
10
0
- 10
- 20
- 30
- 40
IC ischémique
L’EXISTENCE D’UN DIABÈTE : UN FACTEUR PRONOSTIQUE DANS L’INSUFFISANCE CARDIAQUE ?
L’appréciation du pronostic de l’insuffisant cardiaque est une
étape importante dans la prise en charge, car elle permet d’optimiser les choix thérapeutiques. Une analyse de sous-groupes de
l’étude SOLVD, rapportée par Shindler et al. (3), a pour la première fois montré qu’en cas d’insuffisance cardiaque, la mortalité à trois ans était significativement plus élevée chez les diabétiques. Plus récemment, Dries et al. ont montré que l’impact
délétère du diabète ne s’observait que chez les patients présentant une insuffisance cardiaque ischémique (augmentation de 37 %
de la mortalité), alors qu’aucun effet n’était noté chez ceux présentant une insuffisance cardiaque non ischémique (7). Nous
avons pu confirmer ces résultats dans une population de
1 246 patients hospitalisés pour bilan pronostique d’une insuffisance cardiaque par dysfonction systolique (16). L’origine ischémique ou non ischémique de l’insuffisance cardiaque a été
déterminée par la réalisation systématique d’une coronarographie ;
les résultats ont pu être ajustés sur les paramètres pronostiques
classiques, comme la fonction ventriculaire gauche, ou les paramètres de l’épreuve d’effort métabolique (réalisée aussi systématiquement chez tous les patients). Lors du suivi clinique à long
terme, l’existence d’un diabète a été associée à une augmentation très significative (de 54 %) de la mortalité cardiovasculaire ;
par contre, le diabète n’était pas un facteur de risque d’évolution
défavorable en cas d’insuffisance cardiaque non ischémique. Une
analyse rétrospective des données de l’étude BEST (17) vient de
rapporter des résultats comparables avec, de nouveau, un effet
délétère du diabète qui ne se manifeste qu’en cas d’insuffisance
cardiaque ischémique. Cette interaction très forte entre le diabète
et l’étiologie de l’insuffisance cardiaque est résumée dans la
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IC non ischémique
Figure 2. Impact du diabète sur le risque de décès de patients avec insuffisance cardiaque.
En cas d’insuffisance cardiaque ischémique, l’existence d’un diabète
augmente la mortalité dans les trois études. À l’inverse, en cas d’insuffisance cardiaque non ischémique, le diabète n’a aucun effet délétère sur
le pronostic.
QUELLE STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE CHEZ
L’INSUFFISANT CARDIAQUE DIABÉTIQUE ?
Les analyses de sous-groupe ont montré que le bénéfice des traitements “classiques” de l’insuffisance cardiaque était maintenu
chez le patient diabétique. Les études SOLVD (18, 19) et ATLAS
(20) n’ont pas montré de différence en ce qui concerne l’effet des
inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine. L’étude
CIBIS n’a pas non plus montré de différence d’efficacité des bêtabloquants selon l’existence d’un diabète (21). Outre les traitements de l’insuffisance cardiaque, le sous-groupe des patients
diabétiques avec cardiomyopathie ischémique bénéficiera des
thérapeutiques de prévention secondaire visant à réduire le risque
d’accident athérothrombotique. L’utilisation d’antiagrégants plaquettaires a été associée à une amélioration de la survie chez les
patients avec dysfonction ventriculaire gauche symptomatique
ou non inclus dans les études SOLVD (22). Les statines sont bénéfiques chez les patients coronariens avec dysfonction ventriculaire gauche (23) ; de plus, dans l’étude 4S, le traitement par simvastatine réduit le risque de survenue d’une insuffisance cardiaque
(24).
En cas d’insuffisance cardiaque ischémique, un geste de revascularisation myocardique peut permettre une réduction des symptômes et une amélioration de la fonction ventriculaire gauche ;
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Bibliographie
Survie à 7 ans (%)
Pontage
Angioplastie
90
80
70
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60
50
40
30
20
10
0
Diabétiques
Non-diabétiques
Figure 3. Comparaison de la survie après traitement par angioplastie ou
pontage coronaire en fonction de l’existence ou non d’un diabète chez les
patients de l’étude BARI (25) avec dysfonction ventriculaire gauche.
cela est particulièrement vrai en cas de viabilité résiduelle du myocarde hypoperfusé. Le débat concernant la meilleure technique de
revascularisation myocardique pour le diabétique coronarien est
toujours d’actualité. En ce qui concerne plus spécifiquement le
diabétique coronarien avec dysfonction ventriculaire gauche, peu
de données sont disponibles. Dans l’étude BARI (25), l’évolution
des diabétiques avec dysfonction ventriculaire gauche traités par
pontage coronaire était meilleure que celle des patients traités par
angioplastie (figure 3). Ces résultats doivent toutefois être interprétés avec beaucoup de prudence. En effet, il s’agit d’études de
sous-groupes réalisées il y a de nombreuses années, et les progrès
récents des techniques de revascularisation (aussi bien chirurgicales
que par angioplastie-stent) pourraient bien les remettre en cause.
L’impact du traitement du diabète sur le pronostic de l’insuffisance
cardiaque doit aussi être évalué. Certaines études préliminaires
suggèrent qu’un équilibre très rigoureux du diabète pourrait permettre, dans une certaine mesure, de faire régresser les signes de
cardiomyopathie diabétique (26). Il semble très important de déterminer si un contrôle métabolique strict peut améliorer le pronostic de l’insuffisance cardiaque chez les patients diabétiques. L’interaction évidente entre le diabète et le caractère ischémique ou
non de la dysfonction ventriculaire gauche sur le pronostic imposera des études dans les deux sous-groupes de patients.
CONCLUSION
L’insuffisance cardiaque du patient diabétique est un important
problème de santé publique. Il est vraisemblable que sa fréquence
augmentera encore sensiblement au cours des prochaines années
du fait de l’augmentation de la prévalence du diabète. En cas de
diabète, l’histoire naturelle de l’insuffisance cardiaque apparaît différente, avec une plus forte mortalité, tout particulièrement s’il
s’agit d’une insuffisance cardiaque ischémique. Même si, à l’heure
actuelle, le bénéfice des thérapeutiques médicamenteuses de l’insuffisance cardiaque se révèle identique chez les diabétiques et les
non-diabétiques, des prises en charge spécifiques de l’insuffisance
cardiaque du diabétique pourraient voir le jour à l’avenir. ■
La Lettre du Cardiologue - n° 374 - avril 2004
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