1
POLITIQUES PUBLIQUES DE DEVELOPPEMENT VERSUS CROISSANCE
PRO-PAUVRES AU MAROC : UNE EXPLORATION EMPIRIQUE EN
EQUILIBRE GENERAL CALCULABLE
Ouail OULMAKKI*, Ayache KHELLAF**
Résumé- Ce papier s’intéresse à l’analyse de la pauvreté au Maroc à travers l’évaluation
des politiques publiques en matière de lutte contre la pauvreté. Nous orientons notre analyse
empirique de deux manières. D’une part, nous mettons en évidence à travers une analyse en
équilibre général calculable l’impact d’un certain nombre de réformes sur la pauvreté et sur
la croissance inclusive pro-pauvres. D’autre part, nous effectuons une série de simulations
afin d’analyser les effets de transmission et les gains potentiels de la politique agricole en
matière de réduction de pauvreté vu l’importance du secteur agricole dans l’économie du
pays. Enfin, nous introduisons une dimension spatiale à notre analyse afin mettre l’accent sur
la contribution des infrastructures de transport à l’amélioration de l’accessibilité et de la
mobilité des facteurs en milieu rural
Mots clés- croissance, pauvreté, politiques publiques, modèles d’équilibre général
Classification JEL- C68, O11, O13, P36
* Université de Montpellier LAMETA, mail : oulma[email protected]
** Directeur de la prévision et de la prospective HCP (Maroc), mail : [email protected]
2
1. INTRODUCTION
A l’instar des pays en développement (PED), le Maroc s’est engagé depuis le début des
années 2000 dans des réformes économiques et sociales en vue de moderniser d’une part, les
structures de son économie, et d’autre part, d’impliquer d’avantage les différentes catégories
de la population dans le processus de développement et de lutte contre la pauvreté. Au sein de
la zone MENA
1
, l’étude de Hakimian (2013) permet de caractériser les disparités en matière
de croissance inclusive au sein d’un panel de pays dont le Maroc. Cette étude mobilise des
données de panel illustrant l’évolution de l’Indicateur du Développement Humain (IDH)
2
dans une approche permettant de désagréger ses différentes composantes afin de mieux
appréhender la problématique de la croissance inclusive. Le Maroc affiche un retard
considérable en matière de développement humain par rapport aux autre pays de la zone
MENA notamment en matière d’éducation. Selon les données du PNUD (2012), le Maroc
occupe le 130ème rang mondial en matière d’IDH et le 147ème rang en matière d’éducation.
En ce sens, l’engagement du Maroc dans le programme des Objectifs du Millénaire pour le
Développement (OMD), et par la suite, dans les Objectifs du Développement Durable (ODD)
qui en constituent la suite chronologique, témoigne de la volonté des pouvoirs publics
de marquer une rupture par rapport aux politiques de développement menées antérieurement
en impliquant d’avantage les catégories pauvres de la population dans le calcul économique
public et dans les stratégies redistributives qui en découlent.
La distribution spatiale de la pauvreté au Maroc présente des disparités plus ou moins
accentuées entre le milieu urbain et le milieu rural. Ce dernier se présente comme étant le plus
touché par le phénomène de pauvreté. Dans cette perspective, les décideurs publics ont mis en
place depuis le milieu des années 2000 le programme intitulé « Maroc Vert »
3
destiné à
promouvoir le secteur agricole et à améliorer sa productivité. D’autres programmes sectoriels
sont en cours notamment, dans le cadre de la politique des grands chantiers autour des
infrastructures de transport permettant d’améliorer l’accessibilité territoriale et de favoriser la
mobilité des facteurs.
1
Moyen Orient et Afrique du Nord.
2
Cet indicateur a été introduit par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) en 1990.
3
Il s’agit d’un programme sectoriel focalisé sur l’amélioration de la productivité du secteur agricole an matière d’agriculure
intensive et d’agriculture familiale. Les agriculteurs pauvres bénéficient d’un accompagnement par le ministère de tutelle
représenté par les agences régionales de promotion agricole. Ils accèdent également à des sources de financement
spécifiquement crées pour cette catégorie d’agriculteurs.
3
L’intérêt et l’originalité du présent papier, réside dans notre ambition d’évaluer l’impact des
réformes économiques et sociales sur la réduction de la pauvreté au Maroc et des inégalités de
revenus qui en découlent. Du point de vue empirique, nous n’avons recensé aucune étude
ayant explorée la croissance pro-pauvres au Maroc en ayant recours au modèles d’équilibre
général calculable (MEGC)
4
.
Dans ce sens, ce papier tente d’explorer deux questions essentielles. La première renvoie à
l’analyse de l’impact des politiques publiques sur le développement humain au Maroc dans
une approche macro-économique autour des MEGC. Quant à la seconde question, elle tente
d’estimer l’impact de politiques sectorielles agricoles sur l’amélioration du revenu de la
population rurale. Nous nous interrogeons également sur la complémentarité qui peut exister
entre ces réformes économiques et des réformes à dimension spatiale notamment le
programme national des routes rurales mis en place dans le cadre de la politique des grands
chantiers.
Ce papier se présente en quatre parties. Nous présentons dans la première partie le cadre
théorique et conceptuel sur lequel se fonde notre analyse en justifiant nos choix
méthodologiques. Dans la deuxième partie, nous exposons clairement notre stratégie
empirique autour des modèles d’équilibre nérale calculables ainsi que la méthode
d’évaluation de la pauvreté et de la croissance pro-pauvres dans le modèle utilisé. La
troisième partie présente les résultats de nos estimations. La quatrième partie présente et
interprète les résultats obtenus des différentes simulations réalisées. En conclusion, nous
proposons quelques recommandations en matière de politique économique sur la base des
résultats obtenus.
2. CADRE THEORIQUE D’ANALYSE DE LA CROISSANCE PRO-PAUVRES
2.1. Définitions
Au sens économique et purement quantitatif, la croissance économique représente
l’accroissement de la richesse produite et son accumulation dans le temps au sein d’un espace
géographique donné. An sens inclusif, la croissance économique est un concept plus large car
4
Ce sont des modèles qui permettent de représenter les interactions et les effets de retroaction lies aux changement de
politique économique. Ils permettent également de simuler l’impact de certaines réformes. Ces modèles se basent sur
l’équilibre walrasien et trouvent leur fondement dans la théorie du bien-être. Leur mise en oeuvre nécessite plusieurs étapes,
des choix d’hypothèses appropriées et la calibration des élasticités en fonction du modèle choisi et de la problématique
étudiée.
4
prend en considération d’autres variables ne relavant pas du champ économique stricto
sensus, mais qu’on peut monétariser grâce à des méthodes économétriques et sous certaines
hypothèses. Ce champ de recherche est étroitement lié à la théorie du bien-être autour de
l’analyse des inégalités et du développement humain de manière générale.
De cette constatation, découle différentes définitions établies par des institutions
internationales du concept de croissance inclusive. Le tableau suivant en présente les
principales définitions :
Tableau. 1 Définitions de la croissance inclusive selon les organismes internationaux
Institution
Définition
OCDE
Concept multidimensionnel (pauvreté, inégalités et bien-être) ;
Augmentation constatée du niveau de vie multidimensionnel d’une catégorie cible
de la population (ménage représentatif).
Banque Mondiale
Touchant un large éventail de la population ;
Spatialement répartie ;
Egalité des chances (accès aux marchés, aux ressources) ;
Emploi productif ;
Interdépendance de plusieurs variables.
Banque Asiatique de
Développement
Egalité des chances, accès à l’emploi et aux ressources ;
Participation de toute la société, notamment les pauvres ;
Réduction des inégalités ;
Education, santé et nutrition.
PNUD
La croissance inclusive est processus qui se construit à long terme ;
D’avantage de participation citoyenne ;
Partage équilibré des ressources et des avantages monétaires de la croissance
économique.
Source : auteurs d’après les définitions des instances internationales
Selon l’OCDE (2014) « Les politiques de croissance peuvent améliorer les conditions de vie
matérielles de l’ensemble des citoyens, générer des ressources sur lesquelles s’appuyer pour
atteindre les objectifs définis au niveau social, et garantir une croissance pérenne. Il s’agit de
déterminer le juste dosage de mesures et le cadre institutionnel adapté pour améliorer les
performances et le potentiel de production à long terme des économie, en tenant compte des
besoins et du contexte de chaque pays, notamment en termes de niveau de développement et
de capacités institutionnelles ».
5
De cette définition des politiques de croissance, découle une définition multidimensionnelle
des politiques de croissance inclusives qualifiées de pro-pauvres. La figure suivante illustre
cinq éléments pouvant constituer de telles politiques :
Figure. 1 Champ d’action des politiques publiques inclusives
GG
Source : auteurs
La croissance inclusive comporte en effet des variables de nature différente permettant de
caractériser l’évolution des revenus, des inégalités dans une approche spatio-temporelle. Elle
permet à cet égard d’estimer l’évolution du bien-être sous l’effet des politiques économiques
pro-pauvres.
A la suite de Bourguignon (2003), Kakwani et Son (2002) et Kakwani et Pernia (2000), nous
pouvons dire que les politiques économiques de lutte contre la pauvreté doivent s’inscrire
dans une stratégie de développement économique volontariste en agissant sur deux
composantes de la croissance. D’une part, « une croissance absolue » permettant d’augmenter
significativement le revenu des catégories pauvres de la population. D’autre part, « une
croissance relative » agissant sur la réduction des inégalités au sens où les pauvres bénéficient
plus que les autres du processus de croissance économique et des politiques publiques de
manière générale. En effet, jusqu’à présent les travaux empiriques s’intéressant aux
problématiques de pauvreté sont quasi unanimes sur le fait que la croissance économique
réduit la pauvreté tout en accentuant les inégalités. Les travaux de Chemli et Smida (2013)
s’intéressant à un panel de huit pays de la zone MENA entre 1990 et 2009 démontrent que la
croissance économique de ces pays accentue les inégalités dans la distribution des revenus.
Bien que ces pays soient sur une trajectoire de croissance tout au long de la période
Politiques Publiques de
Croissance
Générer des ressources + Fonctions
redistributives
Croissance à long
terme
Evolution des
revenus
Diminution des
inégalités
Croissance inclusive
1 / 27 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans l'interface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer l'interface utilisateur de StudyLib ? N'hésitez pas à envoyer vos suggestions. C'est très important pour nous!