De la prise en charge à la prise en compte…

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« De la prise en charge à la prise en compte...
quelques dégagements en matière de travail social »
Par Saül Karsz
Des mutations d’envergure sont actuellement en cours à presque tous les niveaux de
l’existence individuelle et collective. Des modalités supposées intangibles du vivre-ensemble
sont interrogées, des principes imaginés intouchables vacillent. Le travail social en est à la
fois le résultat, le témoin et l’indicateur. D’où le choix, le seul choix que ses praticiens et ses
responsables ont à assumer : subir les mutations en cours ou bien tenter, pour partie au
moins, d’y peser, - ce, au cœur des pratiques professionnelles concrètes, en deçà et au-delà
des grandes déclarations de principes.
1. Des situations en trompe-l'œil
11. Vivons-nous aujourd'hui encore, des «dysfonctionnements sociaux» ?
Réponse affirmative, si on se fie à des leitmotivs qu’on retrouve dans maints écrits,
discours, réunions de synthèse et colloques de tout acabit. En attestent «l’ascenseur social en
panne» et «la fracture sociale», en passant par «les exclusions» et «la parentalité défaillante»,
sans oublier «l’absence de repères». La catégorie de crise tient lieu de signifiant-maître pour
comprendre la situation contemporaine...
A l’examiner de près, quelques bémols s’imposent cependant. Car chacun de ces leitmotivs
est construit en trompe-l'œil. C’est ce que je voudrais indiquer : il s’agit de représentations
paresseuses, qui en ajoutent aux difficultés de la pratique et à la démobilisation des
praticiens.
Ascenseur social en panne ? Même quand l’engin fonctionne normalement, il permet de
changer d’étage, de monter et de descendre, sans pour autant quitter le bâtiment ni, moins
encore, d’en interroger l’organisation et la distribution des places allouées aux occupants.
Après tout, un ascenseur n’est pas une fusée intersidérale ! Est-ce l’ascenseur qui est en
panne ou plutôt la représentation d’après laquelle jadis il aurait permis de changer de place,
de destin, de condition, de société ?
Fracture sociale ? Certainement, à tous les niveaux de l'existence individuelle et sociale,
déclinée en outre sous forme de fracture numérique, fracture bancaire, fracture scolaire...
Or, si la fracture sociale s’amplifie et ses déclinaisons se développent, il n’en reste pas
moins qu’elle n’est pas née d’hier, ni d’avant hier. Loin s’en faut ! La fracture sociale, les
fractures sociales font partie à part entière des structures de fonctionnement des sociétés
capitalistes, elles sont parfaitement normales, je veux dire indispensables à la reproduction
de ces sociétés. On peut s’en désoler, se révolter, trouver cela scandaleux ou au contraire
naturel et salutaire : dans tous les cas, il s’agit d’un fait, têtu comme d’usage. La nouveauté comme pour l'ascenseur en panne et les exclusions - est que de nos jours tout cela est
relativement apparent, manifeste, largement moins enrobé que par le passé. Il s’agit d’une dé
- couverte, pas d’une nouveauté radicale. C’est ce qui peut rendre ces phénomènes plus
difficiles à supporter...
Parentalité défaillante ? Vaste sujet, qui me préoccupe actuellement. Pour armer quelque
peu les professionnels confrontés aux questions de parentalité, il semble indispensable,
vitale même, d’interroger la pertinence de cette catégorie, ses présupposes et ses visées, ce
qu’elle permet de comprendre, ce qu’elle obscurcit. Pour le moment, je signale ceci : ce
qu’englobe l'appellation (à contrôler !) «parentalité» (fonction parentale, fonction paternelle,
rôle maternant...) n’a jamais été une affaire simple, aucun parent n’a jamais - je dis bien
«jamais» - exercé la dite parentalité sans accrocs, malentendus, souffrances diverses, pour
eux et-ou pour leur progéniture. Tout au plus, certains s’arrangent pour être le moins
possible au courant... Autant dire que les familles suivies par les travailleurs sociaux ne
détiennent certainement pas le monopole des difficultés. Et s’il ne s’agit bien entendu pas
d’excuser quoi que soit, il s’agit aussi, et au premier chef de tâcher de ne pas les juger (il y a
des professions pour ce faire !).
Perte des repères ? Une bonne partie des émissions TV transmettent des repères hélas on
ne peut plus solides : le culte de l’argent, le chacun pour soi, les historiettes sentimentales
présentées comme des histoires d’amour, les escroqueries en tous genres décrites comme
des habilités, l'arrogance de nombre de capitaines d’industrie, les violences pas toujours
provoquées par les «jeunes des cités»... Bref, ce n’est pas de repères dont les jeunes et les
moins jeunes manquent, c’est plutôt la surabondance d’un certain nombre de repères
singulièrement connotés qui devrait nous alerter...
Tout cela pour signaler que si crise il y a, celle-ci concerne au premier degré les
représentations qu’on se fait de la société dans laquelle nous imaginions ou croyons vivre.
Non pas qu’en réalité tout va pour le mieux, l'existence même du travail social prouve qu’il
n’en est rien ! L’enjeu est autre : à force de se tromper de diagnostic, on redouble les
difficultés de la pratique. Aujourd’hui plus que jamais, un effort de lucidité et de rigueur
s’avère, en matière sociale, absolument indispensable.
12. Chez les publics de l’action sociale : situations à forte complexité quantitative et
qualitative
Il est habituel de remarquer que les publics dont s’occupent les travailleurs sociaux sont pris
dans des situations subjectives et objectives complexes, difficiles, dramatiques. Processus
indubitable qui, en principe, ira en s’amplifiant. Et je n’apprends rien à personne en
soulignant que ce n’est guère le pouvoir, ni les compétences des travailleurs sociaux qui sont
capables d’enrayer ce processus planétaire (c’est là une des facettes de la globalisation).
Pour tenter de se frayer une voie dans cette problématique, deux indications peuvent s’avérer
utiles. D’une part, la situation des individus et des groupes dont s’occupe le travail social n’a
jamais été simple, ni aisée. La complexité, l’interaction de multiples dimensions psychiques,
idéologiques, politiques ,économiques, a été toujours été à l'œuvre. C’est d’ailleurs pour cela
que le travail social existe, qu’il a un public relativement ciblé, c’est pour cela qu’il constitue
la condition de survie de maints populations. Je dis souvent qu’un cas simple, un cas pas
complexe n’est finalement pas un cas, - mais juste un commérage de salle d’attente. D’autre
part, cette complexité aujourd'hui manifeste peut être une chance pour ceux des travailleurs
sociaux et des dirigeants soucieux de penser ou de repenser leurs pratiques respectives, les
limites, certes, mais également l’efficacité à mes yeux réelle des pratiques sociales.
13. Chez les intervenants : incertitudes et malaises
Confrontés à des situations explicitement complexes et tenus souvent par des politiques du
rendement à courte vue, les professionnels connaissent des incertitudes, difficultés, malaises,
- les unes et les autres ne se cantonnant pas au seul registre professionnel. Attitude qui, sans
être massive, définit bien une tendance forte chez les praticiens, tous métiers confondus.
Moralité : les publics n’ont donc pas le monopole des difficultés, ou des malaises, ni même
des souffrances, - rappel qui devrait aider à abaisser les taux éventuels de moralisme avec
lesquels des professionnels envisageraient leur travail.
Quelles stratégies développer à ce propos ? Sans détenir aucune recette, dressons quelques
portraits-types. Nous avons ceux des professionnels qui naviguent dans une sorte de
béatitude plus ou moins cynique, pour qui il n’y a rien de nouveau sous le soleil, se font des
allocataires une vision tantôt angélique («des bons sauvages qui n’ont pas eu de chance»),
tantôt satanique («des feignants», voire «des escrocs à la petite semaine»). Nous avons
également des professionnels qui se disent réalistes, plus ou moins désabusés, et qui
entendent faire leur travail à peu près convenablement sans trop se poser des questions, pour
lesquelles il n’y a pas - pensent-ils - de réponse possible. Entre les uns et les autres, il y a
lieu cependant de donner une place positive à l’inquiétude, au questionnement, donc au
doute. Car l'innovation suppose de prendre des risques de diverses sortes, dont le risque de
se tromper de fond en comble ! Interdictions et censures ne s’originent pas toujours et par
définition, des instances dirigeantes, mais plus d’une fois des praticiens de terrain, de leur
surmoi... Se confronter à des difficultés ne met pas forcément en question les compétences
professionnelles, mais juste la dose de toute-puissance avec laquelle on entend parfois
exercer ces compétences. Il s’agit donc de donner une place à la recherche, au travail critique
sur le travail qu’on fait, à l’aventure qui consiste à imaginer quel autre travail social chacun
pourrait inventer. Tout en sachant que la bonne volonté ne suffit pas, ni non plus les seules
qualités du cœur. Encore faut-il se munir de concepts, d’argumentaires, et supporter des
confrontations pas forcément raisonnables mais aussi raisonnées que possible.
2. Questionnements
2.1. Qui veut du mal au travail social ?
Accélération des mesures dites de rationalisation budgétaire, contrôle accru des allocataires,
complexité croissante des situations des personnes et des familles sans que les praticiens
disposent de moyens à leurs yeux adéquats pour faire face, développement de politiques à
orientation nettement sécuritaire, non-reconnaissance dont de nombreux travailleurs sociaux
se sentent tributaires... Certes, cet inventaire à la Prévert met ensemble des éléments qui ne
relèvent pas tous de la même logique, ni ne sont également fondés. Mais il motive une
crainte récurrente : quid de l’avenir du travail social et de ses possibilités réelles de rester à
l’écoute des populations, d’offrir des alternatives au renferment asilaire ou carcéral ?
La question mérite d’être posée. Le travail social se trouve effectivement à une croisée de
chemins, dans une conjoncture qu’il faut bien appeler de refondation globale, de redéfinition
généralisée des tâches et fonctions. Ce qui n’implique nullement que son avenir soit bouché
!
En effet, le fonctionnement objectif de nos sociétés et le sort fait à de nombreuses
populations rend les interventions sociales toujours nécessaires, sinon incontournables. Ce
n’est nullement le travail social dans son ensemble qui est aujourd'hui en jeu. Il s’agit de
certaines de ses orientations, de ses manières de faire, de se positionner. Revient sur le
devant de la scène cette idée que le travail social ne va pas de soi, qu’il a à justifier ses actes
et à évaluer ses pratiques. Le travail social redevient enjeu de divergences et de
convergences, d’alliances et d’oppositions.
2.2. Une décision radicale : les populations sont-elles prises dans des ZUP ?
Dans la suite des passages ci-dessus, je voudrais m’arrêter, trop brièvement sans doute, sur
une représentation relativement courante, qui consiste à voir chez les publics du travail social
des problématiques psychiques, seulement ou fondamentalement. C’est cette tendance qui
consiste à expliquer l’ensemble de la problématique des personnes par cette seule dimension.
Dimension bien entendu incontournable, qu’on ne saurait à aucun titre esquiver, ni chez les
populations, ni bien entendu non plus chez les praticiens. Cela concerne les investissements
conscients et inconscients de chaque sujet, les raisons plus ou moins connues de lui pour
faire ce qu’il fait, pour pratiquer son métier d’une certaine manière, etc. etc.
Mais, comme son nom l’indique, la dimension psychique est bien une dimension
particulière, aussi limitée que tout autre et, comme les dimensions culturelles ou
économiques, incapable d’épuiser l’ensemble des problématiques des populations et celles
des praticiens. D’où ma question : les populations sont-elles prises dans des ZUP, des zones
uniquement psychiques ?
Le moment historique que nous vivons rend l’approche unilatéralement psychique
encombrante, et finalement dérisoire face à la complexité des problèmes à traiter. Après tout,
ce n’est pas leur problématique psychique qui interdit aux gens de trouver un emploi, ou de
pouvoir vivre de l’emploi qu’ils ont pu trouver. De même, l’échec scolaire ne s’explique pas
par les seules perturbations subjectives des gamins, ni exclusivement par leur situation
familiale, - mais aussi par le fonctionnement objectif de l’appareil scolaire et les
comportements et les (in)compétences d’un certain nombre d’enseignants... Les cas de
figure s’avèrent particulièrement nombreux. Sur le terrain professionnel, la pratique
quotidienne montre la forte déstabilisation, pas du tout du travail social, mais juste d’un
travail social exclusivement fondé sur la dimension psychique et qui, par là même, fait du
psychisme une explication totalisante, autrement dit théologique....
3. Dégagements
Dégagements, en effet, car le travail social ne peut cesser de fonctionner, ni ses praticiens de
s’activer, ni ses pratiques de se dérouler. Il convient maintenant de suggérer des voies de
désencombrement s’ajoutant à celles ponctuées précédemment, favoriser des mises en
perspective, bref proposer des bouffées d’air frais. Objectif : contribuer à mettre en relief
une partie au moins des richesses des pratiques sociales.
3.1. Dégagement éthique
La référence à l’éthique est une constante des pratiques sociales, c’est également le cas dans
bien d’autres domaines. Heureusement, d’ailleurs. Ressourcement de première importance
pour les professionnels, qui s’en inspirent pour défendre certaines manières de faire contre
d’autres, pour s’opposer à telle ou telle décision administrative ou politique, pour ne pas
céder quant à ce qu’ils considèrent comme fondamental.
Cela suppose une certaine clarification. Quant aux termes, tout d’abord : il faut savoir que,
trop souvent, «éthique», «morale» et enfin «déontologie» sont utilisées en manière de
synonymes relativement ou complètement interchangeables. Morale et éthique, notamment,
se succèdent dans la même phrase sans que cela semble poser question. C’est dommage, car
les termes ainsi confondus finissent par perdre de leur puissance explicative. C’est vrai
qu’en ce domaine, les appellations restent toujours instables, jamais très précises ni
précisées.
On peut cependant soutenir ceci : la morale désigne un corpus déjà établi, avec des préceptes
consolidés, des commandements imposés, des directions à suivre. D’où une certaine
abondance de lieux communs, de phrases toutes faites (c’est le cas de le dire !). Des
interprétations diverses sont possibles, mais rarement contradictoires les unes vis-à-vis des
autres. Un bon exemple est celui des Tables de la Loi que Moise prend, déjà écrites, des
mains de Dieu, à charge pour lui de redescendre sur terre afin de les faire appliquer. La
morale, en effet, s’applique. La déontologie aussi s’applique, car c’est la morale d’une
profession (code déontologique de l’Association nationale des assistants de service social,
code médical, code des psychologues).
Ce n’est peut-être pas trop cavalier de dire que la morale et la déontologie fonctionnent
comme des livres de recettes. Ceci n’est pas forcément un inconvénient : surtout pour ceux
qui ne veulent pas ou n’osent pas prendre trop de risques, culinaires ou autres. Disposer de
quelques repères apparemment solides quant aux gestes à poser et aux gestes à éviter, voire
quant aux pensées convenables, politiquement correctes, et d’autres qu’il convient de ne pas
avoir, ou tout au moins de ne pas avouer, ce n’est nullement négligeable. Les institutions, les
services, les pratiques, fonctionnent aussi avec ce que La Boétie appelait, déjà en 1574, la
servitude volontaire...
L’éthique est autre chose, surtout si on tient à la séparer quelque peu de la morale et de la
déontologie. A la différence de l’une et de l’autre, dans son principe l’éthique ne constitue
pas une garantie établie une fois pour toutes et vers laquelle il suffirait de se retourner pour
être certain d’avoir indéfectiblement raison. Nullement fondement éternel, mais référence à
refondre sans cesse, à réactualiser au fil d’enjeux chaque fois inédits. Inédits comme chaque
situation professionnelle, comme chaque famille, comme chaque allocataire. Comme chaque
rencontre plus ou moins ratée et-ou plus ou moins réussie.
Telle est la dialectique proposée ici. Il s’agit de tenir compte des règlements et des
réglementations, des missions et des mandats... et il s’agit aussi de prendre des risques
parce qu’on pense que dans telle ou telle situation il convient de ne pas rester dans le rituel
administratif, ni même dans le code déontologique dans ses interprétations les plus courues
et les plus courantes, parce qu’on pense qu’il convient de s’autoriser quelques écarts. Il n’y
a d’éthique que de l'aventure raisonnée, du pari aussi lucide que possible, ou a contrario du
réalisme plus ou moins conforme. Il y a éthique parce qu’il y a des options, que chacun
assume comme il peut, avec ses paniques et ses hardiesses.
En d’autres termes, je suggère d’appeler «éthique» l’interprétation qu’à ses risques et périls
chacun fait de la morale ambiante et de la déontologie existante.
3.2. Dégagement professionnel
En matière d’intervention sociale, il est aujourd'hui indispensable de faire un pas de côté visà-vis de certaines évidences, qui fonctionnent en réalité comme des aveuglements.
Ce pas de côté implique, en premier lieu, le rôle stratégique du travail clinique, couramment
appelé «analyse de la pratique» ou «supervision». Plusieurs facteurs rendent ce travail
clinique indispensable : la complexité accrue de la situation des allocataires, les
questionnements que les professionnels se posent à ce sujet, la pression de contraintes
administratives dont l’évidence ne saute pas toujours aux yeux, éventuellement la souffrance
au travail chez les professionnels... Clinique transdisciplinaire, en fait : aucunement limitée à
la seule dimension psychique, capable d’articuler des registres culturels, des questions de
travail et de chômage, des rapports de genre, d’adhésions religieuses et communautaires...
Un deuxième pas de côté concerne le rôle, lui aussi stratégique, de la formation, notamment
de celle qui, plus que «continue», je qualifierais d’ininterrompue. Justement parce que les
situations des allocataires sont complexes et que les compétences professionnelles ne sont
bien entendu jamais suffisantes, leur actualisation par la formation me parait une
indispensable condition de ressourcement professionnel et personnel des praticiens. Ce,
dans l’intérêt même du service, de l'institution, et de la qualité sociale des prestations servies.
Deux minima sont sans doute à respecter en la matière. Le premier, en termes de programme
: si cette formation doit être sensible aux prescriptions légales et administratives, si elle doit
prendre en considération l’évolution des droits et devoirs des allocataires autant que des
services et des professionnels, elle ne saurait pourtant s’y cantonner. Surtout dans le
domaine du travail social, les formations étroitement instrumentales et «pratico-pratiques»
sont souvent vécues comme de pures nécessités administratives et finissent par dévitaliser le
travail quotidien. L’ouverture à d’autres savoirs s’impose : sociologiques, psychologiques,
historiques. Sans oublier d’interroger des catégories quelque peu galvaudées : quelles
différences résultent du traitement des populations en termes d’individu o bien de sujet ?
Qu’entend-on par action individuelle et par action collective : sont-elles, comme on dit
souvent, effectivement opposées ; ne seraient-elles pas largement plus complémentaires que
ce qu’on croit ? L'intervention sociale se rapporte-t-elle à des cas ou bien à des situations :
quelles en seraient les implications et les conséquences en termes éthiques, professionnelles,
en termes d’action concrète ?
Contrairement à un curieux préjugé, les soucis
épistémologiques et philosophiques revêtent un caractère éminemment pratique, utile,
utilisable...
Un second minima concerne les professionnels. Partir en formation suppose de prendre de
la distance vis-à-vis des pratiques quotidiennes, de s’en dégager, surtout pas pour les
oublier, mais pour les mettre en perspective : pour, en plus de les vivre, en penser les
logiques et les rectifications possibles. La réussite de ce genre de formation ininterrompue et
transdisciplinaire dépend pour beaucoup de l’acceptation par les participants du
questionnement d’une partie de leurs pratiques, de l’interrogation également partielle de
certaines de leurs convictions professionnelles. Se déprendre de la pratique est une condition
sine qua non pour la comprendre, et éventuellement la rectifier.
Le dégagement proposé ici prend la forme d’un mouvement. Il s’agit - pour chaque
praticien, pour chaque équipe - non pas d’un acte instantané, sorte de conversion subite qui
aurait finalement de quoi inquiéter, mais bien d’un processus, plus ou moins lent, semé
d'embûches, et également de paliers franchis et de points de non retour. Il s’agit bien d’une
création collective individuellement portée.
Dégagement qui se condense dans la transition entre deux modalités de travail : la prise en
charge, ensemble de démarches mises en place par un professionnel à peu près convaincu
de savoir ce qui bon pour autrui, et par ailleurs la prise en compte, démanches conduites par
un professionnel et par un ou plusieurs allocataires, dans un rapport fait de coopération et de
mise à distance critique. Le professionnel ne sait pas mieux que le ou les allocataires ce qui
leur arrive et pourquoi, il sait différemment, et il sait d’autres choses. La prise en charge
consiste à faire pour autrui, la prise en compte consiste à faire avec autrui. S’agissant de
populations prises dans des problématiques de plus explicitement complexes, cette transition
de la prise en charge à la prise en compte définit une des conditions essentielles pour que les
pratiques professionnelles fassent l’objet d’une refondation, aujourd'hui indispensable à la
remotivation des professionnels et à la pertinence des services qu’ils ont à rendre.
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