Étude des relations entre les troubles de mémoire et de conscience

Journal Identification = PNV Article Identification = 0403 Date: June 10, 2013 Time: 3:53 pm
Synthèse
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2013 ; 11 (2) : 187-96
Étude des relations entre les troubles
de mémoire et de conscience de soi
dans la maladie d’Alzheimer
Relationship between memory disorders
and self-consciousness in Alzheimer’s disease
Sandrine Kalenzaga1,2
David Clarys3
1Laboratoire mémoire et cognition,
Université Paris Descartes,
Boulogne-Billancourt, France
2Centre de psychiatrie et
neurosciences, Inserm UMR S894,
Université Paris Descartes, Paris, France
3UMR-CNRS 7295, Centre
de recherches sur la cognition
et l’apprentissage,
Université de Poitiers, France
Tir´
es `
a part :
S. Kalenzaga
Résumé. Le symptôme majeur de la maladie d’Alzheimer réside en des troubles massifs
de la mémoire épisodique dont le retentissement sur la vie des patients est important.
L’objectif de cette synthèse est d’apporter une interprétation de ces troubles au travers
de l’étude des relations qu’entretiennent le soi et la mémoire. En nous appuyant sur une
revue de la littérature et sur nos propres travaux, nous montrons que l’association d’une
interprétation d’ordre affectif à l’approche cognitive de la genèse des troubles de mémoire
épisodique constitue un apport intéressant pour la compréhension du fonctionnement des
patients Alzheimer dans leur entièreté.
Mots clés : maladie d’Alzheimer, mémoire épisodique, concept de soi, effet de référence
à soi, anosognosie
Abstract. Episodic memory deficits are almost always the first cognitive impairment in
Alzheimer disease (AD). AD is also characterized by a loss of self-awareness. The aim
of this article is to give an interpretation of AD patients’ episodic impairments through
the study of the relationship between memory and the self. Using the Remember/Know
paradigm associated with the self-reference effect and emotional valence, we showed that
this relationship may be impaired in AD. On the one hand, this could explain AD patients’
difficulty accessing autonoetic consciousness, that is to say mentally bring back events of
the past. On the other hand, the difficulty to precisely relive previous events may be in
turn at the root of AD patients’ loss of self-awareness, namely anosognosia. Thus, based
on the previous studies in the field of self-referential processing and on our findings, we
proposed that the combination of an emotion analysis and a cognitive approach of AD
patients’ episodic memory impairments is an interesting way to better understand the
complete functioning of AD patients.
Key words: Alzheimer disease, episodic memory, self-concept, self-reference effect, ano-
sognosia
Les troubles de mémoire occupent une place
centrale dans la symptomatologie de la maladie
d’Alzheimer. Ces déficits mnésiques concernent ini-
tialement le système de mémoire épisodique qui se définit
comme étant la mémoire des évènements et des faits
personnellement vécus dans un contexte spatio-temporel
donné. Ainsi, la récupération en mémoire épisodique
implique de pouvoir voyager mentalement dans le temps
pour revivre les évènements passés. Selon Tulving [1],
ce voyage mental nécessite la conjonction de trois élé-
ments : la conscience d’un temps subjectif s’étendant
du passé au futur, la conscience de sa propre identité
(«le soi ») dans ce temps subjectif (conscience autonoé-
tique), et enfin un soi qui fait office de voyageur en tant
qu’entité distincte du reste du monde. Tulving [2] défi-
nit la conscience autonoétique comme étant l’acte par
lequel l’individu prend conscience de son identité et de
son inscription dans un temps subjectif s’étendant du
passé au futur [3], par opposition à la conscience noétique
qui correspond, elle, à la conscience des connaissan-
ces décontextualisées, caractérisant en cela la mémoire
sémantique.
doi:10.1684/pnv.2013.0403
Pour citer cet article : Kalenzaga S, Clarys D. Étude des relations entre les troubles de mémoire et de conscience de soi dans la maladie d’Alzheimer.
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2013; 11(2) :187-96 doi:10.1684/pnv.2013.0403 187
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Journal Identification = PNV Article Identification = 0403 Date: June 10, 2013 Time: 3:53 pm
S. Kalenzaga, D. Clarys
Un des symptômes inauguraux
de la maladie d’Alzheimer :
un dysfonctionnement
de la mémoire épisodique
Les troubles de la mémoire épisodique dont souffrent
les patients Alzheimer se distinguent du déclin de la
mémoire observé dans le vieillissement non pathologique,
tant par leur ampleur que par leur nature. En effet, dans la
maladie d’Alzheimer, toutes les étapes du processus mné-
sique (encodage, stockage et récupération) sont touchées
[4].
Ces troubles de mémoire épisodique ont été rappro-
chés d’une atteinte du lobe temporal médian, en particulier
de l’hippocampe, qui sous-tend précisément l’encodage
et la récupération d’une information accompagnée de son
contexte spatio-temporel d’acquisition (pour revue voir [5]).
Or, cette région cérébrale est la première à être affectée par
les lésions neuropathologiques caractéristiques de la mala-
die d’Alzheimer [6]. Ainsi, plusieurs études ont rapporté des
corrélations significatives entre la diminution de l’activité
du lobe temporal médian et le degré de dégradation de la
mémoire épisodique chez des patients Alzheimer (voir [7]
pour une méta-analyse).
Par ailleurs, les études expérimentales montrent que
les patients Alzheimer présentent spécifiquement des dif-
ficultés pour voyager mentalement dans le passé afin de
retrouver les détails du contexte d’acquisition des informa-
tions. En effet, la conscience autonoétique des malades
apparaît déficitaire dès le stade débutant de la patho-
logie. Ceci a été montré sur des tâches de laboratoire
[8-10], mais également sur des tâches plus écologiques
de mémoire autobiographique [11, 12]. La grande majorité
de ces études ont utilisé le paradigme Remember/Know
[13, 14] pour étudier les états de conscience autonoétique
et noétique chez les patients Alzheimer. Cette procédure
expérimentale consiste à demander aux participants de
préciser l’état de conscience qui accompagne le souvenir
qu’ils ont d’un évènement ou d’un item vu précédem-
ment. Ainsi, ils doivent produire une réponse Remember
(«Je revis ») si le souvenir qu’ils récupèrent est enrichi
des détails du contexte d’acquisition de l’information. À
l’inverse, une réponse Know («Je sais ») signifie que le sou-
venir leur semble simplement familier et qu’ils n’ont accès
à aucun des détails du contexte d’encodage. Les auteurs
[13, 14] ont fait le postulat que les réponses Remember
reflétaient l’accès à la conscience autonoétique lors du
souvenir de l’information, alors que les réponses Know
sous-tendaient l’accès à la conscience noétique. Le pro-
fil des performances mnésiques classiquement observé
dans la maladie d’Alzheimer avec cette procédure expé-
rimentale se caractérise par une diminution du nombre
de réponses Remember associée à une préservation du
nombre de réponses Know par rapport au profil observé
dans le vieillissement non pathologique.
Un autre symptôme de la maladie
d’Alzheimer : une altération
de la conscience de soi
Selon certains auteurs, les troubles de mémoire épiso-
dique dont souffrent les patients Alzheimer les conduiraient
à développer un autre symptôme caractéristique de ce
type de maladie : l’altération de la conscience de soi (pour
revue, voir [15]). L’hypothèse défendue par ces auteurs
est que la mémoire jouerait un rôle central dans la mise
à jour des connaissances sur soi. Or, le profil du déficit
mnésique observé chez les patients Alzheimer suit un gra-
dient temporel de type loi de Ribot qui se caractérise par
une meilleure préservation des souvenirs anciens, majori-
tairement sémantisés [16] au détriment des souvenirs plus
récents et souvent plus épisodiques. Par conséquent, la
conscience que les patients Alzheimer ont d’eux-mêmes
serait basée sur des connaissances personnelles séman-
tiques anciennes, et non sur des souvenirs épisodiques
permettant l’actualisation de ces informations personnelles
[17]. Cependant, il faut souligner que si certaines études
ont montré l’existence de liens entre les performances
de mémoire épisodique et les troubles de conscience de
soi dans la maladie d’Alzheimer [18], d’autres travaux sug-
gèrent que ces troubles ne peuvent s’expliquer par la seule
présence d’un déficit de mémoire épisodique (pour revue,
voir [19]).
Ainsi, un nombre important de patients Alzheimer (entre
23 % et 75 % selon les études, [20]) présentent une ano-
sognosie qui se définit comme étant une altération de la
capacité à reconnaître la présence ou à apprécier la sévé-
rité des déficits dans le fonctionnement sensoriel, perceptif,
moteur, affectif ou cognitif [21]. Par ailleurs, réalisant une
revue de littérature qui inclut 33 études, Caddell et Clare
[22] ont rapporté que les patients Alzheimer présentent
un sentiment d’identité affaibli [23], de plus en plus de
difficultés pour se reconnaître à mesure que la maladie pro-
gresse [24], et une incapacité à évaluer de fac¸on précise
leurs traits de personnalité [17, 25, 26]. Enfin, il apparaît que
les récits de vie de ces patients sont désorganisés chro-
nologiquement [27]. Or, comme le soulignent ces auteurs,
les récits de vie nous conduisent à intégrer nos différentes
188 Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 11, n 2, juin 2013
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Journal Identification = PNV Article Identification = 0403 Date: June 10, 2013 Time: 3:53 pm
Relations entre les troubles de mémoire et de conscience de soi
expériences personnelles au sein d’une suite chronologique
d’évènements qui constitue notre histoire de vie, nous
permettant par-là de définir et de mettre à jour notre soi
régulièrement [28].
Ceci confirme donc que mémoire et soi seraient inex-
tricablement liés afin de former un ensemble cohérent
comprenant, selon Conway et al. [29-31], à la fois des
éléments phénoménologiques, le «Je »et des éléments
conceptuels, le «Moi », correspondant à la base de connais-
sances autobiographiques du «Je ». Ainsi, un modèle
cognitif, le système de mémoire de soi (self-memory sys-
tem ou SMS), élaboré récemment par ces auteurs [29-33]
illustre parfaitement les relations qu’entretiennent le soi et
la mémoire.
Un modèle explicatif des relations
entre la mémoire et le soi :
le système de mémoire de soi
Le SMS est un modèle explicatif de la construction des
souvenirs autobiographiques impliquant, d’une part, une
base de connaissances autobiographiques qui représente
un ensemble de connaissances personnelles organisées
hiérarchiquement, et d’autre part un soi cognitif (ou wor-
king self) qui contrôle les trois étapes de la reconstruction
du souvenir (l’encodage, le stockage, et la récupération).
Ce dernier se compose de processus exécutifs apparen-
tés à l’administrateur central de la mémoire de travail [34],
et d’un soi conceptuel qui représente un ensemble de
connaissances abstraites telles que les images de soi, les
attitudes, les valeurs personnelles. Le fondement de la théo-
rie de Conway est que les buts personnels de l’individu et
les croyances qu’il a à l’égard de lui-même jouent un rôle
majeur dans la formation, l’accès et la construction de sou-
venirs spécifiques [35]. Lors de la récupération active en
mémoire, le processus de reconstruction du souvenir met
en jeu un système de contrôle exécutif, géré par le soi cog-
nitif, qui initie et module les opérations mnésiques à partir
des connaissances stockées dans la mémoire à long terme.
L’expérience du souvenir émerge alors de la cohérence du
soi actuel avec le soi passé, ce qui permet de revivre les
détails perceptivo-sensoriels et phénoménologiques.
Ce processus de reconstruction du souvenir est régi par
deux principes : les principes de cohérence et de corres-
pondance. Le principe de cohérence est une importante
propriété de la mémoire humaine qui intervient à l’encodage
et à la récupération pour moduler l’accessibilité des souve-
nirs et de leur contenu. Ce processus rend alors le souvenir
cohérent avec les buts actuels du sujet, ses croyances, et
les images qu’il a de lui-même [35]. Le principe de cor-
respondance a été développé par Conway et al. [33]. Ces
auteurs suggèrent que, d’un point de vue évolutionniste,
un individu dont le système de mémoire serait incapable
de maintenir des représentations liées à la gestion et à
l’accomplissement des buts, serait incapable de survivre.
Dans ce sens, la mémoire doit également correspondre, de
fac¸on précise, à des expériences que le sujet vit réellement.
Ainsi Conway suggère que le principe de cohérence prédo-
minerait dans les souvenirs à long terme, majoritairement
sémantisés, puisque leur ancienneté et l’affaiblissement
de la trace mnésique qui en découle offriraient au soi
l’opportunité de modifier ces souvenirs. À l’inverse, dans les
souvenirs à plus court terme à plus haut niveau d’épisodicité
selon Conway, ce serait plutôt le principe de correspon-
dance qui prédominerait.
Par conséquent, la mémoire et le soi interagissent en
permanence pour former un système cohérent au sein
duquel, chez un individu exempt de toute pathologie men-
tale, les connaissances sur soi sont fondées sur des
souvenirs d’expériences spécifiques. Cette interaction forte
entre la mémoire et le soi constitue le fondement d’un para-
digme cognitif qui a vu le jour il y a une trentaine d’années et
qui connaît actuellement un essor important : le paradigme
de la référence à soi.
Un paradigme illustrant
les relations entre la mémoire
et le soi : le paradigme
de la référence à soi
Le paradigme de la référence à soi est issu de la
conception des «niveaux de traitement »[36] qui pos-
tule que le traitement d’une information peut s’effectuer
de fac¸on «superficielle »(par exemple lorsque l’on ana-
lyse les caractéristiques physiques d’un stimulus), ou de
fac¸on «profonde »(lorsque l’on traite les caractéristiques
sémantiques du matériel), et que la force de la trace mné-
sique est directement reliée à la profondeur (ou au degré
d’analyse sémantique) du traitement effectué sur les sti-
muli à apprendre. Dès cette époque, plusieurs auteurs
soutiennent l’idée que le soi possède des propriétés mné-
siques particulières. Selon eux, d’une part, le soi facilite
l’élaboration et l’organisation du matériel, et d’autre part,
les informations liées à soi sont récupérées plus souvent
[37]. Rogers et al. [38] vont alors étendre le paradigme des
niveaux de traitement de Craik et Lockart [36], au traitement
des informations en référence à soi. Ainsi, aux tradition-
nelles questions proposées aux sujets («Ce mot rime-t-il
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 11, n 2, juin 2013 189
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Journal Identification = PNV Article Identification = 0403 Date: June 10, 2013 Time: 3:53 pm
S. Kalenzaga, D. Clarys
avec tel autre ? »ou bien «Quelle est la signification de
ce mot ? »), ces auteurs ont ajouté la question suivante :
«Ce mot vous décrit-il ? ». Rogers et al. [38] montrent ainsi
que les performances en rappel sont meilleures pour les
adjectifs qui ont été encodés en référence à soi par rapport
aux scores de mémoire obtenus au moyen d’autres formes
d’encodage : structurale, phonémique ou sémantique.
Plus récemment, il a été montré que l’encodage en
référence à soi influenc¸ait également la qualité de la trace
mnésique. En effet, les résultats de plusieurs travaux font
état d’une amélioration de la conscience autonoétique pour
les items traités en référence à soi par rapport aux items trai-
tés sémantiquement [39, 40] ou traités en référence à autrui
[41-43]. À l’inverse, ce type de traitement n’a pas d’effet sur
la conscience noétique. Conway et al. [42] suggèrent que
l’effet de référence à soi sur la remémoration consciente
(the self reference recollection effect) illustre l’association
entre une condition d’encodage qui fait appel à la dimension
personnelle et la récupération ultérieure des informations
encodées sous la forme d’une expérience subjective de
reviviscence de leur contexte d’encodage. Les auteurs sou-
lignent que cette association est inhérente au processus de
reviviscence des évènements selon une dimension subjec-
tive, puisque la conscience autonoétique se caractérise par
la prise de conscience du soi dans le passé [13, 30].
L’effet de référence à soi illustre donc parfaitement les
relations entre le soi et la mémoire qui sont modélisées
par le SMS. En effet, dans la conception du modèle de
Conway, le soi cognitif pourrait agir de fac¸on à réduire ou
à favoriser l’accessibilité de certains souvenirs, en accord
avec le principe de cohérence du soi [33]. Par conséquent,
il a été proposé que le soi cognitif soit impliqué dans l’effet
de référence à soi car il déterminerait, de fac¸on explicite
ou implicite, quelles sont les informations encodées, puis
récupérées, en référence à ce principe de cohérence du soi
[44].
Du fait que la maladie d’Alzheimer perturbe à la fois la
mémoire et le soi, il nous a semblé particulièrement inté-
ressant d’explorer les relations qui les unissent, et ceci à la
lumière des deux principes qui régissent ces relations : les
principes de correspondance et de cohérence. Nous avons
donc mené une série d’études chez des patients Alzheimer
et des personnes âgées non démentes vivant en institu-
tion. Le fonctionnement du soi cognitif des participants
selon ces deux principes a été évalué, d’une part, par des
tâches mettant en œuvre le paradigme de la référence à soi
associé au paradigme Remember/Know pour le principe de
correspondance et, d’autre part, par des tâches mesurant le
degré d’anosognosie des patients pour le principe de cohé-
rence. Il s’agissait donc, pour la première fois, de mettre
en lien l’effet de référence avec le degré d’anosognosie
des patients Alzheimer. De plus, nous avons ajouté une
connotation émotionnelle à certaines de ces tâches puisque
l’importance de la dimension affective - notamment positive
- dans le traitement de l’information personnelle est un phé-
nomène largement reconnu en psychologie sociale [45], et
que les patients Alzheimer demeurent capables de traiter
l’information émotionnelle, notamment lorsque celle-ci est
importante pour le soi. En effet, certains souvenirs épiso-
diques peuvent persister chez le patient Alzheimer et cette
persistance semble liée à la valeur émotionnelle du souvenir
[46] et à son importance dans la construction de l’identité
du patient [47].
Étude des relations entre
la mémoire et le soi dans
la maladie d’Alzheimer
Dans une première étude [48], des patients Alzheimer
et des participants âgés contrôles étaient soumis à un
encodage d’une liste d’adjectifs de personnalité, positifs,
négatifs, et neutres, selon deux conditions. La moitié de ces
items faisait l’objet d’un encodage sémantique, le partici-
pant ayant pour consigne de proposer une courte définition
du mot, alors que l’autre moitié était encodée en réfé-
rence à soi. Le participant était alors invité à préciser dans
quelle mesure les traits de personnalité lui correspondaient
sur une échelle en quatre points. Ensuite, les participants
étaient soumis à une tâche de reconnaissance de type
Remember/Know.
Les résultats de cette étude confirment un déficit
de conscience autonoétique chez les patients Alzheimer.
De plus, il apparaît que la référence à soi améliorait la
conscience autonoétique des participants contrôles pour
le souvenir des adjectifs positifs et neutres et celle des
patients Alzheimer pour le souvenir des adjectifs négatifs et
de fac¸on marginale pour le souvenir des adjectifs positifs.
Ainsi, seule l’information personnelle connotée affective-
ment semble permettre la mise en jeu des propriétés
du self chez les patients. Ceci confirme l’importance des
informations personnelles émotionnelles pour les patients
Alzheimer [46, 49], vraisemblablement du fait de leur
rôle dans la construction de l’identité du patient [47].
Cependant, cette étude indique que, contrairement au fonc-
tionnement du self cognitif des participants contrôles, celui
des patients Alzheimer semble favoriser particulièrement
l’enregistrement et la reviviscence des informations per-
sonnelles négatives. Ceci est contraire à la théorie de la
sélectivité socio-émotionnelle [50], qui postule que les indi-
vidus âgés ont tendance à privilégier l’information positive
190 Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 11, n 2, juin 2013
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Journal Identification = PNV Article Identification = 0403 Date: June 10, 2013 Time: 3:53 pm
Relations entre les troubles de mémoire et de conscience de soi
et à rejeter l’information négative, ce qui pourrait être égale-
ment le cas des patients Alzheimer [51]. En outre, la menace
que représente la maladie d’Alzheimer pour le self conduit
fréquemment celui-ci à mettre en place des mécanismes
de défense qui prennent la forme d’une anosognosie pour
les aspects négatifs de la pathologie [52]. Par conséquent,
cette recherche de cohérence au sein de la structure du self
aurait dû se traduire par un désinvestissement du self cogni-
tif des patients du principe de correspondance permettant la
reviviscence de l’information personnelle connotée négati-
vement. Ceci nous conduit à envisager ce biais émotionnel,
négatif en particulier, à la lumière des théories psychoso-
ciales sur la maladie d’Alzheimer. En effet, nombreux sont
les auteurs à souligner les conséquences, sur le psychisme
des patients, de la vision négative que porte la société sur
la maladie d’Alzheimer (pour revue, voir [53]). L’information
négative pourrait donc occuper une place importante
dans la construction de l’identité des patients du fait
des représentations sociales globalement négatives sur la
démence.
Afin d’explorer cette hypothèse, nous avons décidé
de réaliser une étude mettant en jeu la relation à autrui,
d’une part, en étudiant l’effet de la comparaison entre le
traitement d’informations émotionnelles personnelles avec
celles relatives à autrui et, d’autre part, en recueillant une
évaluation du jugement affectif que l’entourage social des
patients Alzheimer porte sur eux. Par ailleurs, nous avons
mené une deuxième étude dont l’objectif était d’observer
l’impact de la comparaison à autrui sur les capacités de
reviviscence de l’information personnelle non connotée
émotionnellement chez les patients Alzheimer [54]. Nous
avons cherché à évaluer dans quelle mesure le soi cog-
nitif des patients exerc¸ait un biais envers le principe de
cohérence, conduisant à une anosognosie chez les patients
pour les aspects du self lié à la maladie. D’autre part, nous
avons émis l’hypothèse que cette priorité donnée au prin-
cipe de cohérence induirait un désinvestissement du soi
cognitif du principe de correspondance, se traduisant par
une difficulté à revivre précisément des évènements liés
à l’information personnelle, d’autant plus si celle-ci était
comparée à des représentations d’autrui. Par conséquent, à
la différence de la première étude, la condition d’encodage
en référence à soi était cette fois contrastée avec une
condition d’encodage en référence à autrui, les participants
ayant pour consigne de décider dans quelle mesure les
adjectifs présentés correspondaient à un personnage public
(Jacques Chirac). La liste d’apprentissage était composée
d’adjectifs uniquement neutres de fac¸on à tester spécifi-
quement l’effet de la condition d’encodage, sans interaction
avec la connotation émotionnelle. Ensuite, une tâche de
reconnaissance Remember/Know était proposée aux par-
ticipants. Nous avons évalué le degré d’anosognosie des
participants en explorant deux domaines de la conscience
de soi : la connaissance de ses traits de personnalité et la
conscience de ses difficultés dans la vie quotidienne. Pour la
première, le participant devait préciser dans quelle mesure
une série de traits de personnalité correspondait à sa per-
sonnalité actuelle. Le degré de conscience du participant
concernant ses difficultés quotidiennes a été apprécié au
moyen de l’échelle d’évaluation des activités de la vie quo-
tidienne (IADL, [55]). Ces deux évaluations ont également
été recueillies auprès d’un membre de l’équipe soignante.
Outre le fait que nos résultats confirment de nouveau
un déficit spécifique de conscience autonoétique chez les
patients, ils indiquent également que ceux-ci, à la différence
des participants contrôles, présentaient une perte de leurs
connaissances concernant les aspects actuels de leur per-
sonnalité et les difficultés quotidiennes engendrées par la
maladie. Il semble donc que le soi cognitif des patients Alz-
heimer exerce un biais de contrôle envers le principe de
cohérence, dont le corollaire se traduit par un désinves-
tissement du principe de correspondance. En effet, à la
différence de ce qui se passe chez les participants contrôles,
la référence à soi n’a pas d’effet chez les patients Alzhei-
mer lorsqu’elle est comparée à la référence à autrui. Ainsi,
cet accent mis sur la dimension personnelle au moment
de la phase d’encodage ne favorise pas la reviviscence de
ce type d’informations, ce qui traduit donc une absence
d’émergence des propriétés du soi des patients Alzhei-
mer dans cette relation. Cela rejoint les travaux réalisés en
neuro-imagerie qui, d’une part, rapportent une implication
du cortex préfrontal médian dans le processus de différen-
ciation d’avec autrui (voir [56]) et, d’autre part, montrent que
cette structure cérébrale est particulièrement touchée dans
la maladie d’Alzheimer [57]. Il apparaît donc que, plus le soi
cognitif des patients accorde d’importance au principe de
cohérence, moins il offre un enregistrement et un accès pré-
cis à l’information personnelle. Ainsi, cette deuxième étude
indique que, dans le cas d’un biais pathologique exercé
par le soi cognitif pour maintenir sa cohérence, comme le
suggère l’évaluation du degré d’anosognosie des patients,
celui-ci pourrait se désinvestir totalement du principe de cor-
respondance, en présentant un dysfonctionnement dans
la capacité de reviviscence des expériences personnelles
récentes, notamment dans le contexte d’une comparaison
à autrui.
Par conséquent, l’objectif de notre troisième étude [58]
était d’observer l’effet de la conjonction entre la compa-
raison à autrui et la connotation affective de l’information
personnelle sur le fonctionnement du soi cognitif des
patients, et ceci, à la lumière du jugement affectif d’autrui
sur les patients. La dimension émotionnelle et la relation
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 11, n 2, juin 2013 191
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
1 / 10 100%

Étude des relations entre les troubles de mémoire et de conscience

La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !