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26 Novembre 2014
SOUS EMBARGO JUSQU’AU 1ER DECEMBRE 2014
16:00 HEURE DE LONDRES / 17:00 CET
Une expérience de pensée d’Einstein-Bohr réalisée à l’échelle moléculaire
Pour la première fois, des équipes française, suédoise et japonaise ont réussi à réaliser une expérience de
photoionisation illustrant une expérience de pensée imaginée par Albert Einstein et Niels Bohr lors de leurs
âpres discussions sur la nature du monde qui nous entoure, et en particulier sur la double nature des particules élémentaires, ondes et particules à la fois. Défiant la compréhension de la physique quantique, cette
expérience originale s’inscrit dans un des plus riches débats de l’histoire des Sciences, ayant déjà conduit à
plusieurs prix Nobel, dont celui décerné en 2012 à Serge Haroche. Les résultats sont publiés en ligne dans la
revue Nature Photonics le 1er Décembre 2014.
Figure 1 : Représentation schématique de l’expérience de
pensée à double fente née du débat entre Einstein et Bohr,
avec des fentes massives couplées (a) et découplées (c). De
même, la matérialisation schématique de cette expérience de
pensée basée sur le processus de photoionisation moléculaire
où les deux fentes sont remplacées par deux atomes d’oxygènes couplés (b) et découplés (d).
La naissance de la mécanique quantique au début du XXe siècle a bouleversé la vision des scientifiques sur le monde
qui les entourait. Cette révolution a engendré des discussions scientifiques et philosophiques passionnées entre eux,
discussions toujours vives aujourd’hui. L’une des plus importantes, portant sur le principe de complémentarité (la
dualité onde-corpuscule des objets quantiques), a impliqué deux scientifiques de renom: Albert Einstein et Niels Bohr.
Einstein, aux premiers instants de la mécanique quantique, a défié le principe de complémentarité en suggérant une
expérience de pensée avec un dispositif à double fente doté d’une fente macroscopique mobile. La célèbre expérience
des fentes d’Young illustre la nature ondulatoire de la lumière, avec un phénomène d’interférence observable sur un
écran placé derrière deux fentes éclairées par une source lumineuse. Une expérience de pensée est une expérience
idéale, imaginée pour tester des hypothèses et théories et évaluer leurs conséquences. Cependant il peut être impossible de réaliser physiquement une telle expérience. Dans leurs discussions animées, cette expérience conceptuelle
a évolué jusqu’à devenir la célèbre « expérience de pensée à double fente mobile d’Einstein-Bohr », dans laquelle le
transfert de quantité de mouvement entre une particule (un photon) et une fente mobile permet d’identifier la fente
par laquelle le photon est passé avant d’atteindre l’écran, éliminant ainsi le phénomène d’interférences. Malheureusement, le poids d’une fente macroscopique massive rend une telle mesure impossible.
80 ans plus tard, des équipes française (ligne de lumière PLEIADES au Synchrotron SOLEIL) et suédoise (Royal Institute
of Technology), avec la participation d’un chercheur japonais (Tohoku University), ont réalisé cette expérience de
pensée au niveau moléculaire. Ils ont remplacé la double fente par une molécule de dioxygène, dans laquelle chaque
atome joue le rôle d’une fente. Dans l’expérience, la molécule neutre est excitée à l’aide de rayons X mous issus du
rayonnement synchrotron, vers un état électronique instable où la molécule se dissocie en deux atomes qui s’éloignent
rapidement l’un de l’autre. La relaxation du système se traduit par l’émission d’un électron rapide (Auger). Grace à
un dispositif extrêmement performant de détection en coïncidence des électrons et des ions, les scientifiques ont
été capables de mesurer directement la quantité de mouvement transférée par l’électron Auger émis à la molécule
ou l’atome ionisé, jouant ici le rôle de fentes microscopiques ultra légères. Deux cas de figure se présentent. Dans le
premier, l’électron est éjecté immédiatement après excitation, avant que la molécule n’ait le temps de se dissocier,
c’est à dire lorsque la liaison entre les deux atomes d’oxygène est encore forte. La quantité de mouvement transférée
sera donc identique pour les deux atomes (les deux fentes sont liées), rendant impossible la détermination de l’origine
atomique de l’électron éjecté. Des franges d’interférence sont ainsi observées. Dans le second cas, l’électron Auger est
éjecté plus tard, quand la molécule a entamé sa dissociation. L’électron transfère donc la quantité de mouvement à
un seul des deux atomes d’oxygène (voir figures). Ce transfert asymétrique discrimine le « chemin » (de quelle fente
l’électron est issu), et vient ainsi « détruire » le phénomène d’interférence.
Au final, les scientifiques ont réussi pour la première fois à matérialiser l’expérience de pensée à fente mobile proposée
initialement 80 ans plus tôt lors d’un débat entre Einstein et Bohr, à l’aide de la photoémission X de la molécule d’oxygène. Bien que leurs résultats soient en accord avec la vision de Niels Bohr, ils montrent également qu’Einstein avait
raison lorsqu’il disait : « L’imagination est plus importante que la connaissance. La connaissance est limitée alors que
l’imagination englobe le monde entier [...] ».
Figure 2 : Résultats expérimentaux (à gauche) et simulation théorique (à droite) de la matérialisation au niveau moléculaire de
l’expérience de pensée à double fente mobile. Un phénomène
d’interférence similaire à celui observé avec la célèbre expérience
d’optique des fentes d’Young est visible lorsque l’origine (la fente)
de l’électron émis n’est pas identifiable, alors que ce phénomène
disparaît totalement lorsque le transfert de quantité de mouvement asymétrique (déplacement Doppler) entre l’électron émis
et l’ion d’oxygène résiduel permet l’identification de l’origine de
l’émission électronique.
Référence de la publication
«Einstein–Bohr recoiling double-slit gedanken experiment performed at the molecular level»
Xiao-Jing Liu, QuanMiao, Faris Gel’mukhanov, Minna Patanen, Oksana Travnikova, Christophe Nicolas, Hans Ågren,
Kiyoshi Ueda and Catalin Miron.
Nature Photonics 2014, X, Published online, 1st Déc. 2014
DOI: 10.1038/NPHOTON.2014.289
Contacts
Synchrotron SOLEIL, France - Catalin MIRON : [email protected], +33 6 73 43 05 14
KTH, Suède - Faris GEL’MUKHANOV : [email protected]
Tohoku University, Japon - Kiyoshi UEDA : [email protected]
Ce travail a bénéficié d’une aide Investissements d’Avenir du LabEx PALM (ANR-10-LABX-0039-PALM)
Qu’est-ce que SOLEIL ?
SOLEIL, source nationale de rayonnement synchrotron, est un centre de recherche implanté sur le Plateau de Saclay à Saint Aubin
(Essonne). Plus concrètement, c’est un accélérateur de particules (des électrons) qui produit le rayonnement synchrotron, lumière extrêmement puissante (10000 fois plus intense que la lumière solaire) qui permet d’explorer la matière inerte ou vivante.
En recherche fondamentale, SOLEIL couvre des besoins en physique, chimie et en sciences des matériaux, en sciences du vivant,
en sciences de la terre et de l’atmosphère. Il offre l’utilisation d’une large gamme de méthodes spectroscopiques depuis l’infrarouge jusqu’aux rayons X, et de méthodes structurales en diffraction et diffusion X. En recherche appliquée, SOLEIL trouve des
applications dans des domaines très différents tels que la pharmacie, le médical, la chimie et la pétrochimie, l’environnement, le
nucléaire, l’industrie automobile, mais aussi les nanotechnologies, la micromécanique et la microélectronique, etc.
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