Une expérience de pensée datant du congrès Solvay de 1927
Rappelons que l’expérience de pensée de la double fente dite d’Einstein-Bohr est présentée au début du
célèbre cours de Feynman sur la mécanique quantique ainsi que, bien que très partiellement, au début
aussi de celui de physique théorique de Lev Landau. Avec elle, Einstein pensait pouvoir prouver le
caractère contradictoire de l’interprétation dite de Copenhague de la mécanique quantique, plus
précisément, en violant une des inégalités de Heisenberg. Avec cette expérience d’interférence similaire à
celle des trous d’Young, mais avec des objets quantiques comme un quanta de lumière ou une onde de
matière associée à un corpuscule, électron ou molécule, la théorie quantique exige qu’il ne soit pas
possible de préciser la trajectoire de ces objets tout en maintenant la formation de franges d’interférence.
Einstein avait proposé de déterminer par quelle fente un de ces objets était passé en mesurant sa quantité
de mouvement longtemps après le passage de l’onde électromagnétique ou de l’onde de matière à travers
les deux fentes. Ce passage devait s’accompagner d’un transfert de quantité de mouvement animant le
dispositif percé de ces deux fentes, vers le haut ou vers le bas, selon la fente à travers laquelle était passé
le corpuscule associé à l’onde (voir le schéma C ci-dessous). Les deux fentes étant ouvertes, on devait
observer une figure d’interférence tout en pouvant préciser par quelle fente le corpuscule était passé, en
contradiction avec l’interprétation orthodoxe des équations de la mécanique quantique.
Les ubiquistes inégalités de Heisenberg
Mais Bohr avait répliqué qu’il ne fallait pas oublier que l’inégalité de Heisenberg interdisant de mesurer
avec précision une position et une quantité de mouvement simultanément avec un objet quantique devait
s’appliquer aussi au dispositif avec les deux fentes. Connaître précisément sa quantité de mouvement lors
de ce passage impliquait que sa position ne pouvait être définie, et donc celle des fentes non plus. Cela
provoquait la disparition des franges d’interférences et restaurait la cohérence de l’interprétation orthodoxe
de la théorie quantique.
Il n’avait jamais vraiment été possible jusqu’à présent de réaliser cette expérience en obtenant des
résultats clairs et solides. Mais les rayons X disponibles avec Pléiades ont permis à Catalin Miron et ses
collègues (dont certains avaient déjà travaillé avec lui sur la première observation de l’effet Doppler
rotationnel moléculaire) de réaliser enfin ce test des idées d’Einstein et de Bohr qui remontait au fameux
congrès Solvay de 1927.
Représentation schématique de l’expérience de pensée à double fente née du débat entre Einstein et Bohr,
avec des fentes massives couplées (a) et découplées (c). De même, la matérialisation schématique de
cette expérience de pensée basée sur le processus de photo-ionisation moléculaire où les deux fentes sont
remplacées par deux atomes d’oxygène couplés (b) et découplés (d) émettant des électrons Auger (voir les
explications ci-dessous). © Synchrotron Soleil
L’idée centrale était d’utiliser une molécule de dioxygène. Les deux atomes pouvaient être considérés
comme l’équivalent des deux fentes de l’expérience d’Einstein-Bohr. Sous l’action d’un faisceau de photons
dans le domaine des rayons X, la molécule devient excitée. Il peut alors se produire l’éjection d’un électron
rapide par effet Auger. Ce processus peut se faire de deux façons, soit avant que la molécule ne se
dissocie, soit après. Dans le second cas, la photo-ionisation s’accompagne d’un transfert de quantité de
mouvement entre l’électron Auger et l’un des atomes. En mesurant les caractéristiques des ions et des
électrons, il est alors possible de déterminer non seulement laquelle de ces éventualités s’est produite,