Troubles affectifs : évolution des modèles nosographiques S179
Historique : de l’antiquité au DSM
L’histoire des tentatives de catégorisation des troubles
mentaux remonte à l’antiquité, période au cours de laquelle
furent posées les fondations de la pensée médicale occi-
dentale. Mais ces premières nosographies étaient plus sou-
vent une collection de réexions et d’observations qu’une
articulation conceptuelle et les troubles mentaux n’y
tenaient qu’une place modeste. C’est seulement à partir
de la deuxième partie du x v i i i e siècle, époque inuencée par
les travaux du naturaliste Carl Von Linné [29], que les clas-
sications des maladies se basent sur une description clini-
que méthodique. Ces classications, dont le genre fut
inauguré par François Boissier de Sauvage [9], séparent
rapidement les folies des autres maladies et proposent une
nomenclature qui leur est spécique. Ainsi, l’écossais
Cullen utilise le terme « vésanies » pour désigner toutes les
espèces de dérangement des fonctions intellectuelles, au
sein desquelles il distingue trois genres, la manie, la mélan-
colie et la démence [15]. Cette classication sera reprise
et remaniée par Pinel [27] à l’issue d’une réexion sur la
maladie mentale qui servira de socle fondateur à la psy-
chiatrie en France. Dès lors, nombre de tableaux nosogra-
phiques des maladies mentales seront proposés, avec une
richesse grandissante au cours du x i x e siècle, et dans les-
quels seront décrites, plus particulièrement pour les trou-
bles affectifs, la « folie circulaire » de Jean-Pierre Falret
[18] et la « folie à double forme » de Jules Baillarger [8].
Ces dernières, chacune réunissant au sein d’une même
entité nosographique deux états cliniques distincts et sépa-
rés dans le temps, sont probablement à l’origine d’une
vision moderne des troubles mentaux, qui vise à distinguer
les maladies mentales sur la base de leurs caractéristiques
évolutives [20]. La prise en compte rigoureuse de ces carac-
téristiques aboutira avec Kraepelin [23] à démanteler la
folie en deux groupes, celui de la démence précoce d’un
côté, et celui de la folie maniaco-dépressive de l’autre. Ce
mode de catégorisation a traversé sans véritable remise en
question tout le vingtième siècle, jusqu’au début des
années 1980. À cette date, l’école américaine, au travers
du manuel diagnostique et statistique des troubles men-
taux (DSM), apporte une vision nouvelle des classications
de la maladie mentale qui s’imposera jusqu’à nos jours.
Les troubles affectifs au sein du DSM
La version III du DSM [2], dont la diffusion fût mondiale,
propose de partager les troubles affectifs en deux catégo-
ries, la psychose maniaco-dépressive bipolaire d’une part,
et la psychose maniaco-dépressive unipolaire d’autre part.
Ces deux entités seront dénommées respectivement trou-
ble bipolaire et dépressions récurrentes dans les versions
suivantes du DSM. La distinction bipolaire-unipolaire
repose sur la base d’études épidémiologiques, menées par
des équipes indépendantes [4, 24, 25, 30], qui ont montré
que les troubles dépressifs sans épisodes maniaques pré-
sentent des caractéristiques distinctes de celles des trou-
bles dépressifs avec épisodes maniaques. En particulier,
ces derniers débutent plus tôt, aboutissent à un plus grand
nombre d’épisodes, ont une prévalence similaire dans les
deux sexes contrairement aux troubles dépressifs unipolai-
res qui sont nettement plus fréquents chez les femmes,
surviennent plus fréquemment en post-partum, et sont
plus souvent associés à une histoire familiale de trouble
affectif.
L’utilisation d’une approche rigoureuse, de type statisti-
que, pour distinguer les pathologies et les classier a certai-
nement contribué au succès du DSM. Un autre facteur
pouvant expliquer l’intérêt suscité par cette classication
est son caractère opératoire. En effet, le DSM dénit cha-
que diagnostic à l’aide d’un ensemble de critères précis,
que le clinicien peut rechercher lorsqu’il est confronté à un
tableau clinique donné. De façon générale, pour ce qui
concerne les troubles affectifs tels que dénis actuellement
dans le DSM, le clinicien identie dans un premier temps les
caractéristiques de l’épisode en cours, en tant qu’épisode
dépressif, maniaque, hypomaniaque ou mixte. Puis, il pré-
cise le type du trouble selon l’occurrence, la nature et la
gravité des épisodes rapportés par le patient ou son entou-
rage, et après avoir exclu les diagnostics différentiels. Dans
le cas d’épisodes uniquement dépressifs, les patients sont
considérés comme ayant un trouble dépressif ou dysthymi-
que, alors que l’existence d’épisodes maniaques ou hypo-
maniaques permet de porter respectivement les diagnostics
de trouble bipolaire de type I ou II. Il est intéressant de
noter que, outre ces diagnostics majeurs, existent d’autres
diagnostics comme le trouble cyclothymique, et que le cli-
nicien a la possibilité de ne pas spécier le type du trouble
de façon précise, du fait par exemple du manque d’informa-
tion ou de l’insufsance de certains critères.
Un autre intérêt majeur du DSM est son caractère évolu-
tif. Plutôt qu’une perception gée de la nosographie, le
DSM se conçoit comme une vision des maladies mentales qui
se veut en accord avec les connaissances les plus actuelles
sur ces maladies. Ainsi, depuis le DSM-III, ont été éditées
trois autres versions, en l’occurrence le DSM-III-R, le DSM-IV,
et le DSM-IV-TR. Les modications successives ont porté
essentiellement sur la réorganisation des catégories dia-
gnostiques et de leurs critères, mais celles représentatives
des troubles affectifs sont restées largement stables. L’issue
de la prochaine révision, le DSM-V, programmée en 2013,
reste incertaine, même si les groupes de travail impliqués
dans cette révision ont déjà formulé plusieurs propositions
de changements concernant les troubles affectifs.
De prime abord, il apparaît que les révisions proposées
pour les troubles affectifs restent globalement assez
conservatrices puisque ces derniers resteraient inchangés
en tant que catégories diagnostiques. Néanmoins, certai-
nes modalités de dénition des épisodes affectifs subiraient
des modications qui ne sont pas sans conséquences sur le
plan des concepts qui sous-tendent les diagnostics. Ainsi, il
n’y aurait plus d’épisode mixte mais uniquement des carac-
téristiques mixtes. Ces caractéristiques seront attribuées
aux épisodes maniaques ou dépressifs en présence de symp-
tômes de polarité opposée à la polarité dominante. En
outre, lorsque coexistent les critères des deux types d’épi-
sodes, maniaque et dépressif, on évoquera uniquement le