© L’Encéphale, Paris, 2010. Tous droits réservés.
L’Encéphale (2010) Supplément 6, S178–S182
Disponible en lignesur www.sciencedirect.com
journalhomepage: www.elsevier.com/locate/encep
Troubles affectifs : évolution
des modèles nosographiques
Affective disorders: Evolution of nosographic models
A. Kaladjian(a)*, J.-M. Azorin(b), M. Adida(b), E. Fakra(b), D. Da Fonseca(c),
D. Pringuey(c)
(a) Service de Psychiatrie des Adultes, CHU Robert Debré, Avenue du Général Koenig, 51092 Reims c e d e x , France
(b) Pôle Universitaire de Psychiatrie, Hôpital Sainte Marguerite, 270 bd Sainte Marguerite, 13274 Marseille c e d e x 09, France
(c) Service de Pédopsychiatrie, Hôpital Ste Marguerite, 270 bd de Ste Marguerite, 13274 Marseille c e d e x 09, France
(d) Clinique de Psychiatrie et de Psychologie Médicale, Abbaye de St Pons, Pôle de Neurosciences Cliniques, CHU Pasteur,
Nice, France
Résumé Dans l’histoire des nosographies en psychiatrie, les troubles affectifs se sont progressivement
distingués des autres catégories de maladies mentales, jusqu’à former des entités propres, comme celle
que Kraepelin nomme folie maniaco-dépressive à la fin du x i x e siècle. Cette dernière sera ensuite découpée
en deux grandes catégories, le trouble bipolaire d’une part et les dépressions récurrentes d’autre part,
découpage encore actuel et qui s’est imposé par le biais du manuel diagnostique et statistiques des
troubles mentaux (DSM). Ce manuel, dont les révisions déterminent largement l’évolution des modèles
nosographiques contemporains, repose principalement sur une approche catégorielle des troubles
mentaux. La prochaine révision pérennisera probablement ce type d’approche, même si l’utilisation de
composantes dimensionnelles pourrait être également développée. Dans le futur, de réelles innovations
nosographiques peuvent être attendues des études d’épidémiologie clinique, comme celles qui ont permis
récemment de mettre en évidence différents sous-types de troubles affectifs sur la base de caractéristiques
cliniques, biographiques ou tempéramentales. Les approches étiologiques, centrées sur la physiopathologie
des troubles affectifs, devraient également permettre dans une perspective plus lointaine d’élaborer des
modèles nosographiques sur la base de connaissances objectives de ces maladies.
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* Auteur correspondant.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conit d’intérêts.
MOTS CLÉS
Trouble affectif ;
Trouble bipolaire ;
Dépression ;
Nosographie
KEYWORDS
Affective disorder;
Bipolar disorder;
Depression;
Nosography
Abstract In the history of the nosographies in psychiatry, the affective disorders were gradually
distinguished from the other categories of mental disorders, until being considered as separate illness
entities, such as what Kraepelin named manic-depressive insanity at the end of the 19th century. The
latter will be subsequently divided in two main categories, the bipolar disorder on the one hand and
recurrent depression on the other hand, this separation being still current, and extensively diffused by the
mean of the Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM). The DSM, whose revisions largely
determine the evolution of the contemporary nosographic models, mainly relies on a categorical approach
of the mental disorders. The next revision will probably continue to follow this kind of approach, even if
the use of dimensional components could also be developed. In the future, true nosographic advances can
be waited from clinical epidemiology studies, as those which recently made it possible to highlight various
sub-types of affective disorders on the basis of clinical, biographical or temperamental characteristics.
Etiological approaches, centered on the pathophysiology of the affective disorders, could also contribute
to build nosographic models on the basis of an objective knowledge on these diseases.
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Troubles affectifs : évolution des modèles nosographiques S179
Historique : de l’antiquité au DSM
L’histoire des tentatives de catégorisation des troubles
mentaux remonte à l’antiquité, période au cours de laquelle
furent posées les fondations de la pensée médicale occi-
dentale. Mais ces premières nosographies étaient plus sou-
vent une collection de réexions et d’observations qu’une
articulation conceptuelle et les troubles mentaux n’y
tenaient qu’une place modeste. C’est seulement à partir
de la deuxième partie du x v i i i e siècle, époque inuencée par
les travaux du naturaliste Carl Von Linné [29], que les clas-
sications des maladies se basent sur une description clini-
que méthodique. Ces classications, dont le genre fut
inauguré par François Boissier de Sauvage [9], séparent
rapidement les folies des autres maladies et proposent une
nomenclature qui leur est spécique. Ainsi, l’écossais
Cullen utilise le terme « vésanies » pour désigner toutes les
espèces de dérangement des fonctions intellectuelles, au
sein desquelles il distingue trois genres, la manie, la mélan-
colie et la démence [15]. Cette classication sera reprise
et remaniée par Pinel [27] à l’issue d’une réexion sur la
maladie mentale qui servira de socle fondateur à la psy-
chiatrie en France. Dès lors, nombre de tableaux nosogra-
phiques des maladies mentales seront proposés, avec une
richesse grandissante au cours du x i x e siècle, et dans les-
quels seront décrites, plus particulièrement pour les trou-
bles affectifs, la « folie circulaire » de Jean-Pierre Falret
[18] et la « folie à double forme » de Jules Baillarger [8].
Ces dernières, chacune réunissant au sein d’une même
entité nosographique deux états cliniques distincts et sépa-
rés dans le temps, sont probablement à l’origine d’une
vision moderne des troubles mentaux, qui vise à distinguer
les maladies mentales sur la base de leurs caractéristiques
évolutives [20]. La prise en compte rigoureuse de ces carac-
téristiques aboutira avec Kraepelin [23] à démanteler la
folie en deux groupes, celui de la démence précoce d’un
côté, et celui de la folie maniaco-dépressive de l’autre. Ce
mode de catégorisation a traversé sans véritable remise en
question tout le vingtième siècle, jusqu’au début des
années 1980. À cette date, l’école américaine, au travers
du manuel diagnostique et statistique des troubles men-
taux (DSM), apporte une vision nouvelle des classications
de la maladie mentale qui s’imposera jusqu’à nos jours.
Les troubles affectifs au sein du DSM
La version III du DSM [2], dont la diffusion fût mondiale,
propose de partager les troubles affectifs en deux catégo-
ries, la psychose maniaco-dépressive bipolaire d’une part,
et la psychose maniaco-dépressive unipolaire d’autre part.
Ces deux entités seront dénommées respectivement trou-
ble bipolaire et dépressions récurrentes dans les versions
suivantes du DSM. La distinction bipolaire-unipolaire
repose sur la base d’études épidémiologiques, menées par
des équipes indépendantes [4, 24, 25, 30], qui ont montré
que les troubles dépressifs sans épisodes maniaques pré-
sentent des caractéristiques distinctes de celles des trou-
bles dépressifs avec épisodes maniaques. En particulier,
ces derniers débutent plus tôt, aboutissent à un plus grand
nombre d’épisodes, ont une prévalence similaire dans les
deux sexes contrairement aux troubles dépressifs unipolai-
res qui sont nettement plus fréquents chez les femmes,
surviennent plus fréquemment en post-partum, et sont
plus souvent associés à une histoire familiale de trouble
affectif.
L’utilisation d’une approche rigoureuse, de type statisti-
que, pour distinguer les pathologies et les classier a certai-
nement contribué au succès du DSM. Un autre facteur
pouvant expliquer l’intérêt suscité par cette classication
est son caractère opératoire. En effet, le DSM dénit cha-
que diagnostic à l’aide d’un ensemble de critères précis,
que le clinicien peut rechercher lorsqu’il est confronté à un
tableau clinique donné. De façon générale, pour ce qui
concerne les troubles affectifs tels que dénis actuellement
dans le DSM, le clinicien identie dans un premier temps les
caractéristiques de l’épisode en cours, en tant qu’épisode
dépressif, maniaque, hypomaniaque ou mixte. Puis, il pré-
cise le type du trouble selon l’occurrence, la nature et la
gravité des épisodes rapportés par le patient ou son entou-
rage, et après avoir exclu les diagnostics différentiels. Dans
le cas d’épisodes uniquement dépressifs, les patients sont
considérés comme ayant un trouble dépressif ou dysthymi-
que, alors que l’existence d’épisodes maniaques ou hypo-
maniaques permet de porter respectivement les diagnostics
de trouble bipolaire de type I ou II. Il est intéressant de
noter que, outre ces diagnostics majeurs, existent d’autres
diagnostics comme le trouble cyclothymique, et que le cli-
nicien a la possibilité de ne pas spécier le type du trouble
de façon précise, du fait par exemple du manque d’informa-
tion ou de l’insufsance de certains critères.
Un autre intérêt majeur du DSM est son caractère évolu-
tif. Plutôt qu’une perception gée de la nosographie, le
DSM se conçoit comme une vision des maladies mentales qui
se veut en accord avec les connaissances les plus actuelles
sur ces maladies. Ainsi, depuis le DSM-III, ont été éditées
trois autres versions, en l’occurrence le DSM-III-R, le DSM-IV,
et le DSM-IV-TR. Les modications successives ont porté
essentiellement sur la réorganisation des catégories dia-
gnostiques et de leurs critères, mais celles représentatives
des troubles affectifs sont restées largement stables. L’issue
de la prochaine révision, le DSM-V, programmée en 2013,
reste incertaine, même si les groupes de travail impliqués
dans cette révision ont déjà formulé plusieurs propositions
de changements concernant les troubles affectifs.
De prime abord, il apparaît que les révisions proposées
pour les troubles affectifs restent globalement assez
conservatrices puisque ces derniers resteraient inchangés
en tant que catégories diagnostiques. Néanmoins, certai-
nes modalités de dénition des épisodes affectifs subiraient
des modications qui ne sont pas sans conséquences sur le
plan des concepts qui sous-tendent les diagnostics. Ainsi, il
n’y aurait plus d’épisode mixte mais uniquement des carac-
téristiques mixtes. Ces caractéristiques seront attribuées
aux épisodes maniaques ou dépressifs en présence de symp-
tômes de polarité opposée à la polarité dominante. En
outre, lorsque coexistent les critères des deux types d’épi-
sodes, maniaque et dépressif, on évoquera uniquement le
A. Kaladjian et al.S180
diagnostic d’épisode maniaque avec caractéristiques mix-
tes, privilégiant dans ce cas la composante maniaque plu-
tôt que la composante dépressive, en raison d’une sévérité
clinique et d’effets délétères considérés comme plus
importants pour la première. Il est également proposé de
remplacer dans le DSM-V les troubles dépressifs non spéci-
és ailleurs par des conditions dépressives non classées
ailleurs, le terme « condition » offrant l’avantage d’intro-
duire la notion d’état clinique qui ne représente par un
trouble en tant que tel, tout en nécessitant une prise en
charge clinique et un traitement. C’est par exemple le cas
lorsque sont réunis les critères diagnostiques pour évoquer
un épisode dépressif majeur mais avec une absence de cer-
titude sur l’origine primaire du diagnostic, faute d’avoir pu
éliminer une origine somatique ou médicamenteuse. C’est
aussi le cas lorsque les informations relatives aux diagnos-
tics sont insufsantes, ou en présence de difcultés de
communication, ou lorsque la dépression est subsyndro-
male, ou encore en présence d’un tableau dépressif atypi-
que ou qui se superpose à un trouble psychotique. D’autres
modications sont aussi proposées dans le DSM-V, qui relè-
vent plutôt d’ajustements que de changements majeurs
dans la manière de dénir les troubles affectifs.
En contraste, une approche assez novatrice proposée
dans la future version du DSM est l’approche dimensionnelle.
Parmi les recommandations émises par les groupes de travail
impliqués dans la révision de ce manuel, l’une propose de
surajouter l’approche dimensionnelle à l’approche catégo-
rielle. Ainsi, une échelle de sévérité permettrait de préciser
la gravité de certaines dimensions comme le suicide ou l’an-
xiété chez les patients souffrant de l’une ou l’autre des
catégories de troubles affectifs référencées dans le DSM.
Mais, de façon remarquable, une approche dimensionnelle
pure, c’est-à-dire indépendante de l’approche catégorielle,
semble également se dessiner dans la future version du DSM.
Les dimensions pourraient alors être sélectionnées de façon
à pouvoir appréhender dans une démarche globale la plu-
part des tableaux cliniques rencontrés en psychiatrie, ou de
façon peut être plus pertinente, elles pourraient émerger de
façon empirique à partir d’informations issues des patients
eux-mêmes. Cette dernière approche, qui se veut centrée
sur les préoccupations exprimées par les patients, consiste-
rait initialement à leur faire préciser à l’aide d’auto-ques-
tionnaires les difcultés qu’ils rencontrent dans des domaines
particuliers (par exemple le manque d’intérêt ou de plaisir
à faire les choses), la conjonction de ces difcultés permet-
tant d’identier les dimensions cliniques les plus perturbées
(dépression, anxiété, troubles du sommeil). Dans un second
temps, chacune de ces dimensions pourrait être spécique-
ment évaluée à l’aide d’outils comme celui dévelopà
l’initiative du NIH par le réseau Patient-Reported Outcome
Measurement Information System (PROMIS) [11].
En résumé, plutôt que le remplacement des catégories
diagnostiques par une approche dimensionnelle, ce qui
représenterait un changement radical de paradigme dans
la manière de conceptualiser les maladies mentales, il est
probable que ce soit une évolution itérative et assez conser-
vatrice qui ait lieu au sein du DSM. L’utilisation d’évalua-
tions dimensionnelles serait simplement plus marquée. Les
raisons principales en sont que les avantages du modèle
dimensionnel ne sont pas évidents, plus théoriques que
pratiques, ce modèle étant en tout cas insufsamment
testé à l’heure actuelle [22]. En outre, malgré les critiques
exprimées sur l’approche catégorielle du DSM, le modèle
nosographique que celui-ci propose est calqué sur le modèle
médical classique, dont le mode opératoire consiste à clas-
sier au cours du processus d’élaboration diagnostique. Il
reste le plus économe en termes de ressources intellectuel-
les mises en œuvre, du fait que la formation des cliniciens
est la plupart du temps conforme à ce modèle.
Typologies au sein des troubles affectifs
S’ils ne remettent pas véritablement en cause l’approche
catégorielle classique, les travaux d’épidémiologie clinique
qui se sont intéressés aux troubles affectifs ont ouvert des
perspectives nosographiques originales. Ces travaux ont
permis de sortir de la dichotomie unipolaire bipolaire en
introduisant l’idée que nombre de patients considérés
comme uniquement dépressifs présentent en réalité un
trouble bipolaire atténué. L’élargissement de la notion de
bipolarité est due initialement à la description de l’épisode
hypomaniaque [17], ce qui a permis de dénir le trouble
bipolaire de type II, puis à celles d’autres formes de bipo-
larité, comme celles dénies par la présence d’états mania-
ques pharmaco-induits, d’une vulnérabilité familiale, ou
d’oscillations marquées de l’humeur. Cela a abouti au
concept de spectre bipolaire [1] et plus récemment de
spectre de l’humeur [10]. Outre l’intérêt de souligner la
richesse des tableaux cliniques et de leurs caractéristiques
évolutives, une telle typologie des troubles affectifs per-
met de représenter les troubles affectifs sous la forme d’un
continuum entre sous-types diagnostiques. La prise en
compte d’intrications entre ces différents sous-types per-
met un abord nosographique moins rigide que ne le propo-
sent les classications dont l’objet est de segmenter les
entités morbides en catégories diagnostiques.
À la suite de ces travaux, il a été montré que c’est pro-
bablement un ensemble de caractéristiques cliniques, évo-
lutives, biographiques et tempéramentales qui permet de
dénir les sous-types d’une même catégorie de trouble
affectif. Par exemple, au sein des troubles bipolaires, il
apparaît que ceux dont l’âge de début est précoce, compa-
rativement à ceux d’apparition tardive, sont associés à
moins d’intervalles libres entre les épisodes, un plus grand
nombre d’épisodes thymiques et de tentatives de suicide,
et une plus grande fréquence de tempérament cyclothymi-
que ou irritable, ainsi que de comorbidité anxieuse [7]. Le
mode d’entrée dans la maladie serait également un facteur
déterminant du type de trouble affectif [12, 16, 19, 26].
Ainsi, un premier épisode maniaque est associé à une plus
grande précocité du premier épisode, une plus grande fré-
quence de tempérament hyperthymique et d’abus de subs-
tance, des formes plus souvent pures des épisodes, ainsi que
des intervalles libres plus marqués [5]. En revanche, un pre-
mier épisode dépressif est associé à une plus grande fré-
quence de tempérament dépressif, de cycles rapides et de
Troubles affectifs : évolution des modèles nosographiques S181
tentatives de suicide, et affecte plus souvent le sexe fémi-
nin. La prise en compte de ces différentes caractéristiques
typologiques au sein d’une même entité nosographique per-
mettra certainement d’optimiser les stratégies thérapeuti-
ques, et de mettre en place des mesures préventives,
comme celles qui ciblent le suicide pour les patients identi-
és comme les plus à risque [6]. Seront aussi possibles de
nouvelles perspectives pour comprendre les mécanismes en
jeu dans l’installation de la maladie. En particulier, il res-
sort de ces études que certains traits tempéramentaux
joueraient un rôle majeur dans le déterminisme de la forme
clinique et évolutive des troubles affectifs. Ces tempéra-
ments pourraient être considérés comme des marqueurs de
vulnérabilité pour certains sous-types affectifs, ouvrant la
voie à des approches génétiques non plus centrées sur les
maladies elles-mêmes, mais sur le terrain du fonctionne-
ment psychique sur lequel ces maladies s’installent.
Intérêt des approches étiologiques pour
la nosographie des troubles affectifs
Une des approches qui semblent les plus prometteuses pour
remplacer les classications descriptives actuelles des
maladies mentales est celle basée sur leur étiologie. En
effet, les modèles explicatifs des maladies mentales, sur la
base de mécanismes neurobiologiques ou moléculaires,
sont considérés par nombre d’auteurs comme les plus à
même de dégager des caractéristiques objectives qui dé-
nissent et distinguent les pathologies mentales entre elles.
Mais malgré l’accumulation de résultats qui montrent que
nombre de troubles mentaux, et en particulier les troubles
affectifs, sont associés à des modications neurobiologi-
ques, l’approche étiologique n’a pas été opérante pour
dénir ces troubles. Aux limitations des méthodes d’inves-
tigation actuelles qui font penser que nous n’avons pas
encore bénécié de sauts dans les connaissances qui puis-
sent permettre de trouver l’origine des maladies, s’ajou-
tent d’autres facteurs qui entravent le développement des
modèles étiologiques des troubles affectifs. Un de ces fac-
teurs est la difculté à identier des causes simples et
homogènes pouvant expliquer et subdiviser le vaste ensem-
ble de symptômes rencontrés dans les troubles affectifs.
Un domaine de recherche qui a été confronté de façon
illustrative à ce problème est celui de la psychiatrie géné-
tique [21]. Malgré des avancées majeures dans ce domaine,
peu d’arguments permettant actuellement d’associer don-
nées cliniques et gènes ou groupes de gènes spéciques.
S’il a été proposé que certaines régions chromosomiques ou
même certains gènes, comme ceux codant le BDNF ou le
DAOA, sont associés aux troubles de l’humeur [13, 14], les
bases génétiques de ces troubles restent encore trop peu
connus pour pouvoir contribuer à une quelconque nosogra-
phie. Il en de même en imagerie cérébrale. Nombre de tra-
vaux montrent des altérations cérébrales structurales et
fonctionnelles chez les patients souffrant de trouble bipo-
laire ou de dépression, mais sans pouvoir dégager d’anoma-
lie véritablement caractéristique de ces troubles. Malgré la
mise en évidence de différences neurofonctionnelles entre
patients bipolaires et unipolaires [3], la complexité des
mécanismes cérébraux impliqués dans ces maladies limite
considérablement la possibilité d’élaborer un modèle ana-
tomo-fonctionnel qui leur soit spécique. De nouvelles
perspectives issues d’approches innovantes en neuroscien-
ces devraient néanmoins permettre des progrès rapides
dans ce domaine.
Conclusion
Il est fort probable que les prochaines classications des
troubles affectifs persistent à suivre une approche catégo-
rielle. Les changements prévisibles au cours des prochaines
années, notamment au sein du DSM-V, consisteront pour
l’essentiel en des ajustements de type incrémental des
catégories diagnostiques existantes, de façon à suivre
l’évolution des connaissances sur ces troubles. Cette appro-
che sera néanmoins vraisemblablement modulée par une
utilisation plus marquée de composantes dimensionnelles
et par une meilleure caractérisation des différents sous-
types cliniques formant ces différentes catégories diagnos-
tiques. Les classications basées sur une approche
étiologique restent encore illusoires, bien que prometteu-
ses. La volonté de distinguer les troubles affectifs entre
eux, ou par rapport aux autres troubles mentaux, sur la
base de différences au regard de leurs mécanismes répond
aux exigences du modèle biomédical. Faute de connaissan-
ces sufsantes sur ces mécanismes, cette approche est
pour l’heure loin d’être opérante. La démarche expérimen-
tale qui sous-tend l’acquisition de ces connaissances en fait
néanmoins tout l’intérêt, car elle permettra à terme
d’étayer de façon objective la validité d’un modèle noso-
graphique donné. Selon Karl Popper [28], une théorie ne
peut être conservée que si elle résiste aux tentatives de
réfutation de cette théorie, or c’est le propre des appro-
ches nosographiques axées sur la physiopathologie, contrai-
rement à celles centrées sur le phénomène clinique, de se
présenter sous forme de théories accessibles aux expéri-
mentations visant à les inrmer ou conrmer.
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