Neuro1:Neuro 27/05/09 Page 52 EN ... NEUROLOGIE Coordonné par Jean-Pierre Bleton INTÉRÊT DE LA KINÉSITHÉRAPIE POUR LE PATIENT ATTEINT DE LA MALADIE DE PARKINSON (1ÈRE PARTIE) Thierry PERON-MAGNAN Kinésithérapeute libéral, Paris Consultant au Centre national de référence (CNR) maladie de Wilson Lariboisière, Paris 1. Introduction Depuis les années 90, la médecine et la kinésithérapie sont soumises à “l’Evidence base medicine” (EBM), c’est-à-dire à la médecine par la preuve. On ne peut donc, en principe, évoquer une pathologie et son traitement sans se référer aux résultats des études sur le sujet, réalisées avec la rigueur méthodologique en vigueur. Malheureusement, la rééducation en kinésithérapie pour la maladie de parkinson (MP) manque d’étude avec un niveau de preuve suffisant pour valider un protocole de rééducation standardisé. Nous utilisons donc actuellement les résultats des recommandations de la réunion de consensus qui a eu lieu en 2000 rédigée par la Haute autorité de santé (HAS) [1]. i Classiquement, la posture ou le rôle du kinésithérapeute est de jouer l’interface entre le malade et le médecin. C’est de cette place que je vais développer mon exposé, j’espère donc être compréhensible par les uns et par les autres !... Je vais évoquer à la fois ce qui est actuellement recommandé par l’HAS et l’illustrer par ma pratique de terrain auprès des patients. Il s’agit d’un article de vulgarisation. Il est difficile de parler d’une maladie, comme la maladie de parkinson (MP), à un public généraliste. Les patients posent souvent, après une durée variable, des questions précises, il est souhaitable de leur répondre aussi honnêtement et documenté que possible. Chacun “entre en maladie” à son rythme et il est nécessaire de respecter les questions que ne se posent pas les patients. n° 500 juin 2009 52 KS Ce qui suit est conçu pour aider les patients, les aidants, les praticiens qui sont confrontés à la MP, à mieux comprendre cette maladie et à mieux y faire face de façon raisonnée, pour ne pas dire raisonnable (la kinésithérapie a aussi ses limites !). Même si le traitement médical est un allié essentiel, l’exercice physique participe très largement au maintien de la qualité de vie des patients. Il est plébiscité par tous les patients qui le pratiquent de façon adaptée et régulièrement. La MP évolue lentement tout au long de la vie. Bien que la nosologie soit précise, il faut savoir qu’il existe des variantes dans l’expression clinique de la maladie. Tous les malades n’évoluent pas exactement à la même vitesse ni avec exactement les mêmes symptômes. Je ne fais pas allusion aux syndromes parkinsoniens, car s’ils ont évidement de grandes similitudes avec la MP, ils diffèrent néanmoins par nombre de points que je ne détaillerai pas ici. Mais, même au cœur de la MP, la variabilité des présentations cliniques et leur importance ainsi que leur évolution existent. On parlera de MP “sage” ou au contraire de maladie “sévère” à évolution plus rapide. Entre ces extrêmes, vous l’avez compris, existe un large spectre symptomatique. Quoi qu’il en soit, la kinésithérapie peut pour chaque profil de la maladie, apporter un “plus” significatif pour le patient. Classiquement, on décrit trois phases qui débutent après le diagnostic. La période de diagnostic, qui est toujours vécue difficilement, demande une approche particulière par les soignants (l’annonce d’une maladie grave) : – la phase dite de lune de miel où les symptômes, bien que présents, sont discrets et n’engendrent pas d’ajustements trop lourds dans la vie du patient ; – la phase d’installation où la maladie est bien contrôlée par le traitement mais où ses effets secondaires sont souvent gênants ; – et la phase dite de déclin lorsque les traitements contrôlent moins efficacement celleci. La durée des phases est variable d’un patient à l’autre, mais on peut dire qu’autour de 5 à 8 ans, après l’annonce du diagnostic, il est nécessaire d’apprendre à composer avec la maladie dans sa vie quotidienne. La kinésithérapie est indispensable à ce stade. Encore un élément avant de terminer cette introduction : il est maintenant de plus en plus admis que la MP ne provoque pas, au cours de son évolution, seulement une perturbation de la motricité, mais également qu’elle a une influence sur “l’humeur” et sur les aptitudes à “organiser ses actions” (motrices et cognitives, en particulier la concentration). Il faut parler d’une atteinte des comportements plus que d’une seule atteinte de la motricité. La MP est une maladie chronique neurodégénérative qui, par l’atteinte d’un système de régulation perturbe, à des degrés divers, plusieurs fonctions neurologiques : motrice, associative et limbique. Mais il reste légitime de dire que l’entrée dans la maladie est motrice et qu’elle peut ensuite atteindre les autres fonctions évoquées. Les proches et les soignants devront intégrer ces modifications comme partie intégrante de la maladie et adapter leurs propres comportements ou stratégies thérapeutiques à cette évolution. L’importance de la variable psychologique est donc essentielle à la compréhension du malade pour dispenser une aide efficace. La MP atteint la motricité automatique, mais celle-ci n’est que le relais d’une décision volontaire qui de fait se trouve perturbée. Je vous proposerai, pour commencer, un rappel théorique très succinct sur les mécanismes neurologiques des mouvements volontaires sur le modèle actuellement admis, un autre sur la physiopathologie de cette maladie (atteinte des mouvements automatiques). Ensuite, je vous présenterai des exercices pratiques de rééducation, ciblés sur les difficultés que rencontrent le plus souvent les patients parkinsoniens lors des premières difficultés motrices, notamment la marche. ✂ ✂ A CTUALITÉ 11:37 Neuro1:Neuro 27/05/09 11:37 Page 53 ✂ ✂ A CTUALITÉ EN ... NEUROLOGIE 2. L’élaboration des mouvements volontaires En effet, il est utile de comprendre comment se génère un mouvement volontaire pour mieux saisir ce qui caractérise cette maladie : la disparition progressive des comportements volontaires et leur automatisation. Ce sont aussi des connaissances utiles pour maintenir le plus longtemps possible une activité motrice normale et développer par la suite des stratégies de compensations efficaces. Lors du dernier congrès de neurologie de langue française (JNLF) qui a eu lieu à Lille du 1er au 3 avril dernier, il a été question à nouveau de cette modélisation du mouvement volontaire [2]. Je le répète, je simplifie à l’extrême, ce qui va suivre est “inexact, mais pas faux !” (“Ce qui est simple est toujours faux. Ce qui ne l’est pas est inutilisable” - Paul Valéry). Pour se représenter le cerveau [3], il faut imaginer trois niveaux fonctionnels répartis sur trois étages. La partie supérieure ou cortex serait le haut lieu des décisions, la partie moyenne ou ganglions de la base, serait le régulateur des actions élaborées plus haut et la partie basse ou tronc cérébral et moelle épinière, serait le point de départ des actions motrices. Les trois niveaux étant en interaction permanente. J’omets volontairement le rôle du cervelet, nous y reviendrons en abordant le contrôle balistique du geste dans les stratégies compensatrices de la marche avec le guidage externe. Dans la zone préfrontale du cortex (le front), il y a trois entités anatomiques qui permettent de “construire une action volontaire”. Pour qu’une action efficace ait lieu, il faut l’enchaînement harmonieux de quatre actions consécutives (fig. 1) [4] : – la motivation vers un but ; – la planification ordonnée des actions nécessaires pour atteindre celui-ci ; – l’exécution proprement dite de l’action ; – le contrôle ou la régulation de celle-ci par rapport à ce même but. La motivation est induite par un besoin, une envie. Par exemple : “J’ai soif, il faut que je me lève pour aller chercher un verre d’eau dans la cuisine”. La planification est l’agencement cohérent de la motricité à l’environnement pour un but ▲ Fig. 1 - Modélisation neuro-anatomique de la commande volontaire (cortex préfrontal) déterminé : il faut que j’organise mon parcours pour qu’il soit rapide et efficace par rapport à mon environnement. Par exemple : “Repousser la chaise sur laquelle je suis assis sans la renverser, me retourner, traverser le salon en contournant la table basse et les fauteuils sans les heurter. Rappeler au passage à ma fille qu’il faut qu’elle range son puzzle qui traîne sur le sol et qui pourrait faire tomber quelqu’un...”. L’exécution : l’activation des séquences motrices choisies pour que l’action soit économiquement rentable et stratégiquement pertinente. J’y reviendrai. Le contrôle : c’est la capacité à ajuster l’écart entre ce que j’ai voulu faire et ce que j’ai fait. C’est l’ajustement entre un modèle de déplacement, en mémoire, et le retour des informations sensorielles provoquées par la réalité de mon déplacement. Cette jolie roue décisionnelle a besoin, en permanence, de nombreuses informations pour tourner rondement. Elle sera alimentée par tout le cortex qui lui fournira, “en temps réel”, toutes les afférences nécessaires. La motivation sera alimentée par une envie endogène ou exogène (la soif, c’est endogène, il faut que j’aille travailler, c’est exogène !). La planification se nourrira des informations stockées en mémoire, comme le plan de mon appartement (hippocampe) et organisée dans ma mémoire de travail. L’exécution aura besoin des paternes moteurs élaborés et stockés dans les différentes aires motrices. Le contrôle sera étayé par les afférences sensorielles que renvoie l’action et par le programme moteur en mémoire. C’est plus complexe, mais justement cela concerne beaucoup l’étage du dessous. L’ensemble de ces informations est ensuite dirigé pour régulation dans une structure composée de quatre éléments qu’on appelle les ganglions de la base (ils sont à la base du cortex). i Cette structure complexe a une porte d’entrée (le striatum) et une de sortie (le palidum interne et le noyau sous-thalamique). Le traitement de l’information consiste ici à moduler de façon quantitative, c’est-à-dire “en plus ou en moins”, chacun des messages reçus. On retiendra qu’elle permet tout simplement d’augmenter ou de diminuer chacune des actions de la roue du mouvement volontaire. Le message en retour est redirigé vers le cortex (moteur pour la partie motrice) puis redescend à nouveau par une autre voie que l’on appelle cortico-spinale. Là ce sont les effecteurs, les muscles, qui vont exécuter le programme et me permettre d’aller chercher mon verre d’eau ! KS n° 500 juin 2009 53 Neuro1:Neuro 27/05/09 Page 54 ✂ A CTUALITÉ 11:37 EN ... NEUROLOGIE 3. Le dérèglement du contrôle moteur dans la maladie de Parkinson Le système de régulation des mouvements est sous le contrôle des ganglions de la base [5]. Ils permettent d’initier, d’ajuster le tonus et la durée des contractions musculaires d’un programme moteur, préalablement sélectionné par le cortex. Au repos, ils sont des inhibiteurs de l’action. Ce sont eux qui permettent “qu’on ne bouge pas” quand on est au repos ! Lorsqu’ils sont stimulés par les infos (motrices ici) en provenance du cortex, ils modulent celles-ci en positif ou négatif. La médiation s’effectue par des échanges chimiques via les neurotransmetteurs. Deux voies régulent les entrées, l’une directe (facilitatrice) et l’autre indirecte (inhibitrice). Un second système de régulation intervient pour affiner encore le premier, la substance noire compacte située dans le tronc cérébral libère de la dopamine dans le striatum (la porte d’entrée). Cette fameuse dopamine favorise la libération de l’information et donc du mouvement. Dans la MP, pour une raison inconnue, cette boucle que l’on appelle nigro-striée devient progressivement défectueuse et donc les mouvements de plus en plus difficiles. Donc, les ganglions de la base participent à la phase motivationnelle et décisionnelle de l’action, c’est leur contribution au mouvement volontaire. Ils régulent automatiquement en permanence les éléments moteurs permettant la réalisation proprement dite de l’action, comme la marche. Ce dispositif permet de marcher en parlant, tout en enfilant sa veste et en vérifiant que les clés de la voiture sont bien dans la poche. Autant de tâches simultanées qui deviennent difficiles avec l’évolution de la maladie. i Suite dans notre prochain numéro n° 500 juin 2009 54 KS Bibliographie [1] Haute autorité de santé (HAS). La maladie de Parkinson : critères diagnostiques et thérapeutiques. www.has-sante.fr/portail/ jcms/c_272069/la-maladie-de-parkinson-criteres-diagnostiques-et-therapeutiques [2] JNLF 2009 - Lille, 1er avril 2009. Comportements, cognition et émotion : fonctions et dysfonctions des ganglions de la base. www.snlf.net/programme%20SNLF-GRECO%2009.pdf [3] Le cerveau à tous les niveaux ! Le cortex moteur. http://lecerveau.mcgill.ca [4] Levy R, Dubois B (2006). Étapes nécessaires aux comportements volontaires dirigés vers un but. http://ccrn.unblog.fr/files/ 2008/07/10m2npsy07levy.pdf [5] Sauleau P (Service des explorations fonctionnelles - CHU de Rennes). Physiologie des ganglions de la base. www.medapod.univ-rennes1.fr/medcast3/wp-content/uploads/noyaux-gris-centraux-2008.ppt