146
C’est aujourd’hui presque un lieu commun que d’affirmer que la culture
siamoise, comme d’ailleurs la composition de la population de l’actuelle Thaïlande, est
le produit d’un long métissage qui se poursuit encore de nos jours. En dehors du seul
domaine littéraire, encore que les deux points ne soient pas étrangers l’un à l’autre, nous
pouvons évoquer l’exemple de la langue elle-même qui a assimilé, depuis des siècles,
de nombreux éléments étrangers, ne serait-ce que pour rendre compte de son adhésion
au bouddhisme (Saengphalasit, 1981: 96-139) ou du choix de ses monarques d’une
idéologie monarchique empruntée au Cambodge angkorien (Khanittanan, 2004: 375) ou
bien encore les domaines de l’architecture et de la statuaire (Gosling, 2006: 170-183).
Dans le domaine littéraire, les emprunts sont eux aussi la règle, qu’il s’agisse de thèmes
indiens, bouddhistes issus des jâtakas (Delouche, 2011: 85-107) et même malais
(Delouche, 1990: 81-100).
Lorsque le Siam, sous le règne du roi Mongkut (1851-1868) et, plus encore, sous
celui du roi Chulalongkorn (1868-1910), s’est vu confronté à la montée des appétits
colonialistes des Britanniques et des Français, ses monarques ont décidé de tenter
d’assimiler les techniques et les modes de pensée des Occidentaux, afin de mieux les
contrer ; pour cela, ils ont envoyé des étudiants, issus de la famille royale ou de la haute
noblesse administrative, faire des études en Europe, essentiellement en Grande
Bretagne. Ceux-ci ont alors été en contact avec des genres littéraires qu’ils ont, à leur
retour, fait connaître au Siam : nous pouvons évoquer ainsi le premier roman siamois,
La vengeance, qui date de 1902 (Fels, 1993: 117-123) et les premières adaptations de
pièces du théâtre parlé par le roi Vajiravudh (Inthano, 2007: 75-105). Ces textes
étrangers, ainsi introduits au Siam, n’étaient pas de pures traductions, mais tentaient de
placer actions et thèmes dans un cadre plus spécifiquement siamois, se plaçant ainsi
dans la tradition que nous avons évoquée plus haut1.
1 Jacqueline de Fels se pose la question de la manière dont il conviendrait de qualifier les œuvres
étrangères ainsi importées au Siam à la fin du XIXe et au début du XXe siècle : « Traitant des ouvrages
nés de romans occidentaux, nous nous sommes résignée parfois à écrire qu’ils avaient été traduits,
préférant les termes adaptation, tiré de, d’après, n’osant pas aller jusqu’à contrefaçon de. Le mot qui
conviendrait le mieux serait arrangement, comme c’est le cas pour une œuvre musicale, si arrangement
exprimait pour un ouvrage littéraire le contraire d’une composition originale. » (Fels, 1993: 240).