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Dialogue social : l’âge de raison ?
Performance économique
et dialogue social :
l’entreprise en première ligne
FréDeric Monlouis-Félicité
Délégué général de l’Institut de l’entreprise
roMain lucazeau
Chargé de mission à l’Institut de l’entreprise
Le dialogue social constitue un levier essentiel de la performance des entreprises.
C’est en améliorant son fonctionnement et sa qualité au plus près du terrain qu’on
peut espérer parvenir à sortir les relations sociales françaises de leur situation de
blocage permanent. Plutôt que de proposer des pistes de réformes institutionnelles,
la priorité, pour l’Institut de l’entreprise, est donc au rétablissement de la confiance
dans l’entreprise ainsi qu’à la revivification du fonctionnement des instances
représentatives du personnel.
L’Institut de l’entreprise a souligné, dans son rapport de janvier 2012,
Pour un choc de compétitivité en France, limportance du dialogue social
comme levier de compétitivité. La mauvaise qualité des relations sociales,
le manque d’autonomie des acteurs et leur faible capacité à formuler des
compromis expliquent en partie à la difficulté de la France à se réformer pour
répondre au contexte économique difficile. Lexemple allemand, qui avait inspiré
notre promotion des « accords compétitivité-emploi », illustre à merveille à quel
point les capacités de résistance et d’adaptation d’un système économique sont
tributaires de la confiance que s’accordent réciproquement les partenaires sociaux.
Parallèlement, la compétitivité au niveau national, et donc la pérennité de notre
modèle économique et social, réside dans la performance des entreprises.
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Performance économique et dialogue social : l’entreprise en première ligne
Un rapport de plus sur le dialogue social ?
Pour autant, les récentes et difficiles négociations sur la sécurisation des parcours
professionnels illustrent, malheureusement, les défauts d’un système déresponsabi-
lisant, où l’État garde in fine la main sur les thèmes et l’agenda de la négociation.
A contrario, si lon ne peut que se féliciter de la promesse faite par le président de la
République de constitutionnaliser l’autonomie des partenaires sociaux – c’est-à-dire,
dans la continuité de la loi Larcher, dite « de modernisation du dialogue social », de
sanctuariser l’accord issu des négociations sociales en le faisant primer sur la loi –,
il nest pas sûr qu’à elle seule cette disposition de nature juridique suffise à transfor-
mer un climat de défiance et un habitus conflictuel, profondément enracinés dans
l’histoire de ce pays. En témoigne le nombre impressionnant de rapports produits
sur la question : nous en avons compté 17 depuis 2005, soit une moyenne de 2,4
par an, issus de toutes les parties prenantes de la société – État, partenaires sociaux,
politiques, think tanks, institutions internationales, etc. Malgré le diagnostic qui s’en
dégage, la qualité du dialogue social laisse toujours à désirer en France.
Si la baisse de la conflictualité traditionnelle (jours de grève/an) est un phé-
nomène patent, du moins jusqu’en 2005, il cache l’accentuation d’un certain
nombre d’indicateurs montrant une dégradation de la qualité du climat social.
Les comparaisons internationales indiquent que la France est néanmoins un
des pays en Europe, avec la Belgique, l’Espagne et la Finlande, où le nombre
de jours non travaillés est le plus élevé, avec une moyenne annuelle supérieure
à 60 ‰. Les formes moins traditionnelles de conflictualité ont, parallèlement,
eu tendance à progresser, comme le révèlent les enquêtes de la Dares (via des
indicateurs tels que les actions collectives sans arrêt de travail ou les sanctions
disciplinaires, qui concernent ~ 75 % des entreprises contre 66 % en 1998, ou
le recours aux prudhommes, qui concerne 42 % des entreprises contre 36 % il
y a vingt ans). Cette dimension de micro-conflictualité s’exprime également
dans la perception quont les salariés eux-mêmes, comme le fait apparaître
par exemple l’enquête Cegos 2012 : seuls 47 % des salariés (public et privé)
se disent satisfaits de leur entreprise et ont confiance dans l’avenir de celle-ci ;
44 % considèrent que leur management est équitable avec eux ; 35 % que leur
management régule les tensions au sein de leur équipe de travail.
Cette problématique est corrélée, au-delà de la dégradation conjoncturelle du
climat liée à la crise, à des facteurs structurels exprimant la perte de légitimité
du dialogue social lui-même : comme le montrent les statistiques de la Dares
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Dialogue social : l’âge de raison ?
(cf. la note de synthèse 16.1 d’avril 2008), le taux de syndicalisation, au global,
ne dépasse pas 7 %, avec des pointes autour de 10 % dans quelques secteurs
(banque-assurance, éducation-santé, industrie, transports ; les autres services,
plus dynamiques en termes de création demplois, constituent des déserts syn-
dicaux). La part des entreprises dans lesquelles une organisation syndicale est
implantée ne dépasse pas 25 %. Ce chiffre ne dépasse 50 % que dans les entre-
prises de plus de 100 salariés. Parmi les syndiqués, les professions intermé-
diaires, les CDI prédominent, de même que les hommes âgés de plus de 45 ans.
Ces différents éléments représentent, de ce fait, des signaux que ne com-
pense pas l’apparent dynamisme des négociations au niveau des branches.
Comme l’a démontré le « Rapport sur la négociation collective et les branches
professionnelles » de M. Jean-Frédéric Poisson, 50 % des branches peuvent
être considérées comme « moribondes » ou « éteintes » en termes d’activité.
Le taux de couverture élevé par la négociation collective (90 % des salariés
hors secteur agricole) est en réalité lié à l’extension par voie administrative des
négociations.
La perspective adoptée par l’Institut de l’entreprise s’est voulue l’inverse de celle
communément admise, et ce dès le point de départ de notre travail 1 :
• Plutôt que de nous concentrer sur les problèmes du dialogue social interpro-
fessionnel, nous avons souhaité partir de l’entreprise, car cest au niveau de
cette brique élémentaire de l’économie et des relations sociales que s’enracine le
sentiment de défiance ou de confiance.
• Au lieu de nous engager exclusivement dans un diagnostic du fonctionnement
juridique et légal des instances de représentation du personnel, nous avons pris
en compte, dans une démarche prospective, la réalité des relations au sein de
l’entreprise, largement conditionnées par l’évolution des modalités du travail et
des organisations.
• En lieu et place de propositions législatives et réglementaires, adressées avant
tout à la puissance publique, nous avons choisi comme point de départ les
actions qui peuvent être engagées par les entreprises elles-mêmes, et plus lar-
gement par les partenaires sociaux sur le terrain.
1. La présidence de l’Observatoire de prospective sociale de l’Institut de l’entreprise est assurée, au sein de l’Institut
de l’entreprise, par M. Jacques Gounon, président-directeur général d’Eurotunnel Group. M. Hubert Landier, expert
en relations sociales, assure le pilotage opérationnel du rapport « Performance et dialogue social ». Le groupe de
travail est constitué de praticiens des relations sociales au sein des entreprises et d’experts, universitaires et consul-
tants. Les propositions du rapport ont également été soumises à la discussion d’un ensemble d’acteurs (syndicalistes)
et d’experts (juristes, sociologues du travail, DRH) de la question, sous la forme de groupes miroirs et d’entretiens
bilatéraux.
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Performance économique et dialogue social : l’entreprise en première ligne
Ces différents axes méthodologiques découlent,
en effet, d’une même intuition : le manque d’au-
tonomie des partenaires sociaux, cest-à-dire la
constante intervention de l’État dans le champ des
relations sociales, traduit l’existence d’un climat
de défiance. En améliorant la qualité des relations
sociales, en établissant une culture de la confiance,
les acteurs de la négociation collective seront à
même de limiter cette tendance à appeler l’État à
la rescousse ou à se défausser de leurs responsabi-
lités sur lui.
Repenser la définition du dialogue social
dans la perspective de l’entreprise
Mener à bien un tel projet implique de repenser le dialogue social au sein de
l’entreprise. Ce dernier englobe les éléments issus du droit du travail, cest-à-dire
la construction juridique assurant les droits à l’information, la concertation et
la négociation des salariés, mais il ne s’y limite pas. Il s’étend bien au-delà de
sa dimension légale et réglementaire. Il constitue un mode de transmission de
l’information et dorganisation du groupe social qu’est l’entreprise, et répond donc
à son objectif de performance. Cette dernière est globale. Elle comprend la dimen-
sion actionnariale, mais également la performance sociale et environnementale.
Les bénéfices que chacun tire de cette aventure commune dépendent en effet de la
réussite de l’ensemble. Plutôt donc qu’une relation binaire et conflictuelle, héritée
de l’histoire sociale mouvementée de la France, il nous a paru important de sou-
ligner que le dialogue social constitue un échange entre tous pour répondre à des
besoins communs :
• Constituer le projet collectif et alimenter le sentiment d’appartenance à len-
treprise. Cest là la condition pour assurer la mobilisation de tous autour des
objectifs communs.
• Asseoir, sur la base du projet collectif, l’anticipation de l’avenir et la capacité
d’adaptation de l’entreprise à son contexte présent et futur.
• Permettre, dans la même veine, une gestion efficace des conflits qui peuvent
surgir.
le manque
d’autonomie
des partenaires
sociaux, c’est-à-
dire la constante
intervention de
l’État dans le
champ des relations
sociales, traduit
l’existence d’un
climat de défiance
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Dialogue social : l’âge de raison ?
Une telle perspective permet de saisir pourquoi
il est urgent de faire évoluer le dialogue social au
niveau de l’entreprise. Lorganisation de celle-ci a
changé, et avec elle les modes dinteraction et de
transmission de l’information. Les instances de
représentation du personnel sont adaptées à des
acteurs économiques structurés selon les principes
de l’organisation scientifique du travail, de l’indus-
trie taylorienne. Lentreprise y était pyramidale,
étroitement hiérarchisée, constituée de collabo-
rateurs aux fonctions stables et étroitement défi-
nies. La séparation entre niveaux de conception et
dexécution y était parfaitement établie. L’information y était rare, sa transmission
coûteuse, car elle impliquait lentretien d’une bureaucratie solidement charpentée et
de procédures clairement affichées.
Le monde du travail a évolué, sous l’effet de plusieurs facteurs, dont, au premier chef,
les technologies de l’information. Lentreprise, aujourd’hui, est davantage plate, lean
2, décentralisée, avec une forte autonomie des parties les unes par rapport aux autres.
Linformation y circule à la vitesse des photons dans les fibres optiques. L’activité
elle-même a muté, sous l’effet de la dématérialisation croissante des processus et des
produits. Une grande part des échanges marchands
ne se joue plus uniquement dans la cession d’un
produit manufacturé et concret, mais dans la pres-
tation d’un service complexe, souvent hybride de
technologie et d’adaptation aux besoins du client.
Lengagement de chacun des collaborateurs, dans
un contexte ouvert à une plus grande concurrence
internationale, devient une condition de la perfor-
mance, alors même que l’agencement du travail
implique plus d’autonomie, d’adaptation et de
contenu cognitif – voire, dans certains cas, créatif.
2. Méthode de management visant à l’amélioration de la performance par élimination continue du gaspillage. Ces
pratiques trouvent leur origine au Japon, en particulier dans le célèbre Toyota Production System.
Bien au-delà de sa
dimension légale
et glementaire,
le dialogue social
constitue un mode
de transmission de
l’information et
d’organisation du
groupe social qu’est
l’entreprise
Lengagement
de chacun des
collaborateurs,
dans un contexte
ouvert à une plus
grande concurrence
internationale,
devient une
condition de la
performance
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