Vers une stratégie de réindustrialisation ?

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Vers une stratégie
de réindustrialisation ?
Laurent Daniel
Chargé d’études à l’OCDE
Laurence Pico
Docteur en géographie de l’université Paris-Sorbonne
La politique française de réindustrialisation correspond à des objectifs de pérennisation
à long terme de l’emploi industriel et d’augmentation significative de la production
industrielle1. Il s’agit de rompre avec la tendance actuelle à la désindustrialisation, qui
recouvre une double évolution ; en premier lieu, la diminution de l’emploi industriel,
et en second lieu, la réduction de la part de l’industrie dans la valeur ajoutée. La
désindustrialisation fait l’objet de commentaires contradictoires. Pour certains, elle
traduirait une augmentation de la productivité dans l’industrie, une focalisation sur
certaines tâches à forte valeur ajoutée, notamment la recherche et développement, et
une économie davantage orientée vers les services. Pour d’autres, la désindustrialisation
est un mal absolu conduisant au déclin de l’économie française.
L
a part de l’industrie manufacturière française dans la valeur ajoutée totale
se réduit depuis les années 1960 pour atteindre 12,6 % en 2010, selon les
données de l’Insee. Ce mouvement s’est accéléré à partir des années 1980
et surtout dans la décennie 2000. La valeur ajoutée de l’industrie française
s’est même réduite, en euros courants, en 2008 et 2009, et malgré un rebond en 2010,
elle était encore inférieure de 10 % à son niveau de 2007.
1. Objectif de croissance de la production industrielle de 25 % en volume entre 2010 et 2015. Source : www.elysee.
fr/president/les-dossiers/economie/politique-industrielle/industrie/marignane-4-mars-2010/conclusion-des-etatsgeneraux-de-l-industrie.7992.html.
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La désindustrialisation s’accélère
L’emploi industriel suit une tendance baissière depuis 1975, passant d’après l’Insee
de 5,7 millions emplois fin 1974 à 3,3 millions fin 2011, soit une baisse de 42 %.
En moyenne, l’emploi industriel a diminué de 65 000 personnes par an au cours des
trente-sept dernières années. Ce déclin a été accentué par la crise de la fin des années
2000 qui a conduit à une perte de 174 000 emplois industriels sur la seule année
2009. Sur la période 2009-2011, 880 fermetures de sites industriels en France ont
été annoncées2, contre 494 ouvertures, soit 386 usines de moins en trois ans.
D’après le « Rapport final des États généraux de l’industrie3 », la part de l’industrie
manufacturière française dans la valeur ajoutée était de 16 % en 2008 contre 22,4 %
en moyenne dans la zone euro et 30 % en Allemagne. Le solde des échanges de produits manufacturés était négatif en France4, alors que
celui de l’Allemagne était en forte progression5.
La part de
l’industrie
manufacturière
française dans
la valeur ajoutée
était de 16 %
en 2008 contre
22,4 % en moyenne
dans la zone
euro et 30 % en
Allemagne.
Les débats des États généraux de l’industrie6 indiquent
que l’industrie représente 78 % des exportations françaises et 84 % des dépenses de R&D privées. Comme
le montre le graphique ci-dessous, il existe une forte
corrélation entre les variations annuelles de la production manufacturière et celles du PIB en données
trimestrielles. La dynamique de l’industrie manufacturière est ainsi le principal moteur de l’activité de
l’ensemble de l’économie française.
2. Source : www.lesechos.fr/journal20111228/lec2_industrie/0201809350658-desindustrialisation-pres-de900-usines-francaises-ont-ete-fermees-en-trois-ans-268452.php.
3. États généraux de l’industrie (EGI), « Rapport final des États généraux de l’industrie », février 2010.
4. – 21 milliards d’euros en 2008 contre + 11 milliards d’euros en 1995.
5. + 274 milliards d’euros en 2008 contre + 91 milliards d’euros en 1995.
6. Groupe des fédérations industrielles, « Livre blanc du GFI. 2010-2020 : l’industrie au cœur de la croissance
durable, 2010 ».
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Comment renforcer la réindustrialisation ?
L’industrie manufacturière, moteur de l’économie
Croissances annuelles du PIB
et de la production manufacturière en France
5
10
4
5
3
2
0
1
-5
0
1980
1985
1990
1995
2000
2005
2010
-1
-10
-2
-3
-4
-15
Croissance annuelle du PIB, %, échelle gauche
Croissance annuelle de la production manufacturière,
%, échelle droite
-20
Source : Insee
Par ailleurs, comme le notent Patrick Artus et Marie-Paule Virard7 : « La désindustrialisation prend sa part dans le glissement progressif de la société française vers une
société plus fragile, plus inégalitaire », car les emplois peu qualifiés créés dans
les services sont moins bien payés et plus précaires que
les emplois détruits dans l’industrie.
Le déclin de l’emploi industriel est la conjonction de
trois phénomènes : d’abord le recours croissant à l’externalisation, ensuite les gains de productivité et la déformation de la demande au profit des services, enfin la
perte de parts de marché. La Direction générale du
Trésor8 estime les contributions9, entre 1980 et 2007,
Les emplois peu
qualifiés créés
dans les services
sont moins bien
payés et plus
précaires que les
emplois détruits
dans l’industrie.
7. Patrick Artus, Marie-Paule Virard, La France sans ses usines, Fayard, 2011.
8. Direction générale du Trésor, « Le recul de l’emploi industriel en France de 1980 à 2007 : quelle est la réalité ? »,
Trésor-Éco, n° 77, septembre 2010.
9. Les trois contributions n’égalent pas 100 % car celles-ci ne sont pas considérées comme exhaustives ni comme
indépendantes dans l’étude de la DGT.
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Réindustrialiser la France ?
de chacune de ces trois composantes à la désindustrialisation. Un quart de la
baisse de l’emploi dans l’industrie tiendrait à l’augmentation de l’externalisation.
L’externalisation correspondrait à 860 000 emplois en 2007, soit 25 % des emplois
industriels contre 9 % en 1980. 30 % des pertes d’emplois industriels seraient liés à la
déformation de la demande au profit des services et aux gains de productivité. Selon
une approche utilisant le contenu en emploi des échanges, 13 % de la destruction des
effectifs industriels entre 1980 et 2007 viendraient de la concurrence internationale,
tandis que selon une approche économétrique ce seraient 39 % des emplois perdus
qui seraient liés à la concurrence internationale. Les deux approches montrent en
tout cas une accentuation de ce phénomène entre 2000 et 2007.
Certaines composantes de la désindustrialisation, l’accroissement de l’externalisation
vers les services et l’augmentation de la productivité, répondent à une volonté d’optimisation. Ces tendances sont justifiées par la nécessité de maintenir la rentabilité
des entreprises ; elles n’appellent pas de réponse. La politique de réindustrialisation
doit se concentrer sur les moyens d’aider à augmenter la part de marché, intérieure
et internationale, de l’industrie française.
Une industrie en déficit de compétitivité
D’après le « Rapport final des États généraux de l’industrie », l’industrie française supportait un ratio de prélèvements publics, composés des charges sociales
et des impôts sur la valeur ajoutée, de 14,5 % en France en 2008 contre 7,8 %
en Allemagne. En outre, le coût du travail, qui était 10 % plus faible en France
qu’en Allemagne en 2000, était seulement 1 % plus faible en 2008. À cela s’ajoute
une insuffisante compétitivité hors prix, du fait d’un
positionnement dans l’entrée et le milieu de gamme,
Les PME
pesant également sur le taux de marge de l’industrie
françaises sont
française qui était de 28,7 % en 2007 contre 34,9 %
insuffisamment
en Allemagne et 41 % en Italie. Cette faible profitabiprésentes sur
les marchés
lité conduit à un déficit d’investissement, notamment
étrangers.
en termes de dépenses en R&D. L’OCDE10 indique
que les dépenses de recherche et développement des
10. OCDE, Mesurer l’innovation, un nouveau regard, mai 2010.
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entreprises privées, dont l’essentiel est assuré par l’industrie, étaient de 1,3 % du
PIB en France en 2008, contre 1,65 % en moyenne dans l’OCDE, 1,85 % en
Allemagne et 2 % aux États-Unis.
La France compte un nombre élevé de grandes entreprises performantes au niveau
international avec trente-cinq groupes parmi les cinq cents plus grandes entreprises
mondiales, soit la deuxième place après les États-Unis. Mais la France comptait
seulement 4 928 entreprises de taille intermédiaire (ETI)11 en 2007 contre 8 841 en
Allemagne. En outre, les ETI françaises ont un chiffre d’affaires moyen environ deux
fois inférieur aux ETI allemandes et britanniques. D’après la Direction générale des
douanes et droits indirects (DGDDI), il y avait 94 803 entreprises exportatrices
françaises en 2010, soit trois fois moins qu’en Allemagne et deux fois moins qu’en
Italie. Les PME françaises sont insuffisamment présentes sur les marchés étrangers.
Cette prise de conscience a conduit à la mise en œuvre de nombreux dispositifs
en faveur de l’industrie. On peut citer, entre autres, plusieurs mesures en faveur de
l’innovation :
• le crédit impôt recherche (CIR)12, créé en 1983, renforcé en 2003 et 2006, permet aux entreprises d’alléger le coût de leur R&D. L’industrie manufacturière
bénéficie de 68 % des dépenses du CIR ;
• les pôles de compétitivité13 permettent le financement de 4 milliards d’euros de
projets dont 30 % sont pris en charge par l’État et les collectivités locales ;
• sur les 34,6 milliards d’euros des « investissements d’avenir14 », 18,1 milliards
d’euros de crédits, soit 52 %, bénéficient directement ou indirectement à l’industrie. 6,5 milliards d’euros soutiennent directement l’industrie et visent à
consolider plusieurs filières – automobile, aéronautique, PME innovantes.
11. D’après l’Insee, une ETI est une entreprise qui emploie entre 250 et 4 999 salariés, et a soit un chiffre d’affaires
n’excédant pas 1,5 milliard d’euros, soit un total de bilan n’excédant pas 2 milliards d’euros. Une entreprise qui a
moins de 250 salariés mais plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires et plus de 43 millions d’euros de total de
bilan est aussi considérée comme une ETI.
12. Depuis le 1er janvier 2008, le CIR consiste en un crédit d’impôt de 40 % la première année, 35 % la seconde
année, puis 30 % des dépenses de R&D jusqu’à 100 millions d’euros et 5 % au-delà de ce montant. Source : www.
industrie.gouv.fr/enjeux/innovation/credit-impot-recherche.php.
13. Un pôle de compétitivité rassemble sur un territoire donné des entreprises, des laboratoires de recherche et
des établissements de formation pour développer des synergies et des coopérations. Source : competitivite.gouv.fr/.
14. Les investissements d’avenir sont pilotés par le Commissariat général à l’investissement (CGI) qui prépare les
décisions relatives aux contrats passés entre l’État et les organismes chargés de la gestion des fonds – dont Oseo,
l’Agence nationale pour la recherche…
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Certaines institutions apportent parallèlement un soutien financier aux PME :
• Oseo exerce trois métiers au bénéfice des PME : l’aide à l’innovation, la garantie des concours bancaires et des investisseurs en fonds propres, le financement
en partenariat. Le capital social d’Oseo est d’environ 2 milliards d’euros, mais
sa contribution au financement des PME est beaucoup plus importante car
Oseo intervient en supplément et en garantie à d’autres financements ;
• le Fonds stratégique d’investissement (FSI) intervient en fonds propres dans
des entreprises françaises via des participations minoritaires seul ou en coinvestissement. Le FSI a été doté de 20 milliards d’euros de fonds propres. À
fin février 2012, il avait investi 2,8 milliards d’euros. Depuis sa création, fin
2008, une PME sur deux voit son augmentation de capital en fonds propres
réalisée par le FSI ou par un des fonds qu’il alimente15 ;
• au niveau européen, le programme-cadre pour la compétitivité et l’innovation
(CIP) pour la période 2007-2013 dispose d’un budget de 1 milliard d’euros
pour faciliter l’accès aux prêts et aux fonds propres pour les PME.
Les EGI ont conduit à la création d’un nouveau dispositif en faveur de la réindustrialisation16 doté de 200 millions d’euros.
Une politique publique prioritaire
L’ensemble des initiatives en faveur de l’industrie n’a pas pour le moment réussi
à enclencher un processus de réindustrialisation. Celle-ci mériterait d’être érigée
en politique publique prioritaire, l’industrie étant un moteur essentiel de la croissance. Afin de gagner en lisibilité et en efficacité, le pilotage et les outils de la
politique de réindustrialisation devraient être clarifiés.
Comme l’indique Jean-Louis Beffa17, jusque dans les années 1970 prévalait en France
ce qu’il nomme un modèle commercial-industriel caractérisé par une action volontariste de l’État en faveur de l’innovation industrielle, une stabilité actionnariale et
15. Interview d’Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts, « BFM Business », 2 mars 2012.
Source : www.bfmbusiness.com/programmes-replay/emission/politique-co.
16. Ce dispositif s’ajoute à l’aide à la réindustrialisation d’Oseo qui a aussi la forme d’une avance remboursable.
Source : www.oseo.fr/votre_projet/croissance/aides_et_financements/financements_bancaires/aide_a_la_reindus
trialisation_ari.
17. Jean-Louis Beffa, La France doit choisir, Seuil, 2012.
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des relations sociales coopératives. À partir des années
L’ensemble
1970, la politique industrielle de la plupart des pays riches
des initiatives
en faveur de
a basculé progressivement vers des politiques neutres et
l’industrie
n’a
horizontales visant à améliorer le climat des affaires et à
pas pour le
laisser faire le marché. Ce mouvement a été renforcé dans
moment réussi
l’Union européenne par l’importance de la politique de la
à enclencher
un processus
concurrence. En outre, comme le note Jean-Louis Beffa18,
de réindusla France s’est tournée vers un modèle libéral-financier,
trialisation.
qui consacre la suprématie de l’actionnaire. Un rapport19
du Conseil d’analyse économique a mis en avant la nécessité de repenser le concept de politique industrielle en l’orientant vers des interventions
ciblées dans des secteurs où la concurrence et l’innovation jouent un rôle essentiel.
Jean-Louis Beffa20 propose un retour au modèle commercial-industriel, ce qui implique
selon lui de stabiliser l’actionnariat des entreprises industrielles, de renforcer le rôle de
l’État dans le processus d’innovation, mais aussi de redéfinir les relations entre les pouvoirs publics et les organisations syndicales et professionnelles. Un rapport de COERexecode21 de 2011 propose un « pacte de compétitivité industrielle » qui serait adopté
par l’ensemble des parties prenantes citées ci-dessus. Il impliquerait de mettre en cohérence les autres politiques, notamment en prenant en compte l’impératif de compétitivité dans toute réforme de la fiscalité et d’axer l’effort de formation et de recherche sur
le couplage recherche-industrie. La coordination entre politique industrielle et politique de développement durable devrait être accentuée car la transition vers une économie verte constitue une opportunité en termes de croissance22, notamment au travers du
développement des éco-industries23. En outre, selon l’« hypothèse de Porter24 », les nouvelles normes environnementales pour les entreprises industrielles peuvent les conduire
à être plus économes en ressources, donc à réduire leurs coûts et à être plus compétitives.
18. Ibid.
19. Conseil d’analyse économique, Philippe Aghion, Gilbert Cette, Élie Cohen, Mathilde Lemoine, « Crise et
croissance : une stratégie pour la France », juin 2011.
20. Jean-Louis Beffa, op. cit.
21. Centre d’observation économique et de recherche pour l’expansion de l’économie et le développement des
entreprises (COE-Rexecode), « Mettre un terme à la divergence de compétitivité entre la France et l’Allemagne »,
janvier 2011.
22. OCDE, Vers une croissance verte, 2011.
23. Boston Consulting Group, « Développer les éco-industries en France », 2008.
24. Michael E. Porter et Claas van der Linde, « Toward a New Conception of the Environment-Competitiveness
Relationship », The Journal of Economic Perspectives, vol. 9, n° 4, 1995.
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Comme le propose un rapport de l’Assemblée nationale25, la politique de réindustrialisation gagnerait en lisibilité et en efficacité si elle était pilotée par un réel ministère de l’industrie ayant compétence sur tous les secteurs industriels échappant à son
périmètre actuel26. L’existence d’un unique ministère dédié à l’industrie favoriserait
la traçabilité des circuits financiers en faveur de l’industrie. Il aurait une vision d’ensemble et pourrait plus facilement élaborer une stratégie industrielle. Il assurerait
également l’évaluation de toutes les actions en faveur de l’industrie.
Le rapport de l’Assemblée nationale27 donne des pistes pour améliorer les outils existants. Il propose de renforcer l’aspect prospectif des investissements d’avenir et non
plus uniquement de valoriser les forces scientifiques existantes. Le FSI pourrait développer une politique davantage fondée sur une approche de long terme. Il pourrait
également se rapprocher de l’Agence des participations de l’État. Le rapport suggère
par ailleurs que la cohérence des actions d’Oseo en termes de soutien financier et
d’aide à l’innovation soit renforcée. La création, début 2012, d’une banque de l’industrie, filiale d’Oseo, contribuera à augmenter la capacité de financement d’Oseo en
faveur de l’industrie.
Les compagnies
d’assurances
pourraient
financer
davantage
l’industrie en
orientant vers
elle une partie
des provisions
réglementaires et
de l’assurance-vie.
Le développement des financements privés en faveur
de l’industrie serait également souhaitable. Ainsi, les
compagnies d’assurances pourraient financer davantage
l’industrie en orientant vers elle une partie des provisions
réglementaires et de l’assurance-vie, sous condition de
compatibilité avec les règles prudentielles.
Le rapport du CAE « Crise et croissance » montre que
la politique industrielle est plus efficace quand l’échelon local est impliqué. Chaque territoire doit chercher
à attirer des maillons de la chaîne de production des
entreprises, sous l’impulsion de la région qui est la collectivité territoriale ayant les
compétences économiques les plus importantes. Cette approche nécessite de développer des avantages comparatifs : infrastructures, main-d’œuvre compétente, outils de
formation, présence de partenaires publics et privés…
25. Assemblée nationale, « Rapport d’information de la Commission des affaires européennes sur la politique
industrielle », juin 2011.
26. Par exemple agroalimentaire, industrie pharmaceutique, aérospatiale.
27. Document cité.
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Un état davantage stratège
L’État doit avoir un rôle stratégique en orientant les collectivités vers la demande
escomptée d’implantation et en favorisant les approches collaboratives entre collectivités. La Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (Datar) est l’institution idoine pour mettre en œuvre cette politique.
Elle participe d’ores et déjà à l’élaboration des « Stratégies nationales d’attractivité
économique et de compétitivité des territoires » – développement des pôles de compétitivité, des grappes d’entreprises, élaboration d’une réflexion prospective et stratégique sur les métropoles françaises… Cependant, elle gagnerait à avoir compétence
en termes d’innovation pour prendre en compte un des paramètres essentiels des
décisions d’implantation de centres de production. Elle pourrait également prendre
en compte l’exposition aux risques environnementaux.
Michel Didier, président de COE-Rexecode, indiquait lors de son audition par la
Mission d’information du Sénat sur la désindustrialisation28 que « chaque maillon
de la chaîne de production est soumis à une compétition mondiale. Aujourd’hui, les
entreprises mondiales gèrent d’une part un portefeuille d’activités, d’autre part un
portefeuille de territoires : les unités d’entreprise, qu’il s’agisse d’une usine ou d’un
centre de gestion des brevets, sont implantées dans le territoire le plus efficace. Le
sujet n’est pas la compétitivité de nos produits ou de nos patrons, mais bien celle de
nos territoires ! ».
Les indicateurs de la base de données Stan de l’OCDE
montrent la mondialisation de la chaîne de valeur29.
Le sujet n’est pas
Le ratio des intrants importés par rapport aux intrants
la compétitivité
de nos produits
domestiques des secteurs économiques a progressé en
ou
de nos patrons,
France de 15,8 % en 1995 à 17,9 % en 2005, mais reste
mais bien celle de
inférieur aux 21,6 % en Allemagne en 2005. De plus,
nos territoires.
l’Allemagne parvient à maintenir davantage de maillons
à forte valeur ajoutée de la chaîne de valeur industrielle.
La France gagnerait à être mieux intégrée quantitativement et qualitativement dans la chaîne de valeur internationale.
28. Sénat, « Mission d’information sénatoriale sur "La désindustrialisation des territoires" », avril 2011.
29. OCDE, « Statistiques de l’OCDE : Mesurer la mondialisation », 2010.
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La démarche par filières se justifie par l’existence de contraintes de crédit. Suite aux
EGI, des « comités stratégiques de filières » ont été créés pour remédier au déficit
de structuration et de pilotage des filières industrielles. Ils publieront une feuille de
route incluant une vision de moyen terme, les actions préconisées en termes d’innovation, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et les relations
intra-filière régionale. L’État a lancé un appel à projets pour soutenir des actions
et projets structurants de ces filières. La création d’unités industrielles partagées
– usines pilotes, unités de production, centres d’essais… – est prévue avec la participation d’une « tête de filière » régionale ou nationale. Une intervention publique
réservée aux secteurs les plus innovants n’est pas suffisante, car, selon les résultats
d’une étude du McKinsey Global Institute30, ceux-ci ne peuvent à eux seuls engendrer croissance et emploi. De plus, une étude31 a montré que les interventions en
faveur de l’industrie doivent viser en priorité les secteurs où il existe une plus forte
concurrence ou ceux où la concurrence peut être renforcée. De plus, cette étude
indique que des aides dispersées sont plus efficaces que des aides concentrées.
Franck Lirzin32 indique que le fonctionnement de la zone euro favorise une concentration des activités industrielles au centre et des services en périphérie. Afin de rééquilibrer cette dynamique, il propose la création de Centres européens d’innovation
et d’industrie (CEII), rassemblant des outils favorisant l’innovation et le développement des entreprises, dans des zones frontières entre pays de la zone euro.
Le retour à un modèle commercial-industriel caractérisé par un rôle important de
l’État dans le processus d’innovation, une stabilité actionnariale et l’élaboration de
compromis entre salariés et employeurs est déterminant pour enclencher un processus
de réindustrialisation. Dans ce cadre, la politique de réindustrialisation serait pilotée
par un ministère de l’Industrie à part entière. L’échelon régional devrait être impliqué
dans la mise en œuvre de cette politique. L’action en faveur de l’industrie devrait éviter
une trop grande concentration des soutiens et viser en priorité les secteurs les plus
concurrentiels.
30. McKinsey Global Institute, « How to compete and grow : a sector guide to policy », mars 2010.
31. Philippe Aghion, Mathias Dewatripont, L. Du, Ann Harrison et Patrick Legros, « Industrial Policy and
Competition », GRASP Working Paper, 17, juin 2011.
32. Franck Lirzin, « Pour des centres européens d’innovation et d’industrie », Question d’Europe, n° 230, Fondation
Robert Schuman, février 2012.
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Cette politique de réindustrialisation serait un élément essentiel d’une politique de
croissance. Comme l’indiquait dans une récente intervention Philippe Aghion33, la
politique de croissance ne constitue qu’un des sommets, avec la discipline budgétaire
et la cohésion sociale, de ce qu’il a nommé le « Triangle de Monti », en référence
au programme du président du Conseil italien présenté lors de son discours devant
le Sénat à Rome le 17 novembre 2011. Réussir à conjuguer ces trois objectifs est
clairement une clé de la réussite économique.
33. Présentation au symposium sur la nouvelle géographie de l’innovation, OCDE, Institut de la Banque
mondiale, The Growth Dialogue. Source : www.oecd.org/document/37/0,3746,en_2649_37417_49364453
_1_1_1_37417,00&&en-USS_01DBC.html.
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