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étudier l’ensemble de normes et coutumes qui s’articulent dans leurs activités. Ces normes
permettent aux acteurs de jouer sur la frontière des réglementations économiques et politiques.
Les règles du business sont des éléments de contrôle social et de protection, elles régulent et
ordonnent en imposant leurs propres hiérarchies. La manière la plus évidente d’observer le
commerce informel dans la ville de Mexico est de décrire les « organisations du commerce
informel ». Ces organisations ont une longue histoire dans l’organisation du commerce. Elles ont
commencé leurs négociations directes avec les autorités de la ville dans les années 1990. Elles se
sont multipliées à partir de l’augmentation du commerce informel, des échanges économiques du
pays et de l’entrée du Parti révolutionnaire démocratique (PRD) – la nouvelle gauche
bureaucratique, qui a rompu avec le PRI et domine le gouvernement de la ville de Mexico – au
pouvoir en 1997. Auparavant, elles étaient des organisations corporatistes liées au Parti
révolutionnaire institutionnel (PRI) – le parti traditionnel au pouvoir, depuis la révolution
mexicaine (1910-1920) jusqu’en 1994, année où le candidat du parti conservateur, le Parti
d’action nationale (PAN), gagna les élections présidentielles.
Les organisations du commerce informel : le contrôle et la solidarité
Les organisations du commerce informel sont diverses, tant par leurs nombres d’adhérents que
par les types de leadership que développent leurs représentants. Le fonctionnement des
leaderships, leurs liens avec les partis politiques mexicains, le développement de certaines forces
de contrôle social et parfois économiques dans quelques zones importantes de vente en gros et de
marchandises étrangères, leurs accords avec les polices, la confrontation permanente avec les
commerçants établis ou formels à propos de sujets comme le respect de l’espace public et la
concurrence, toutes ces questions ont engendré un discours négatif, dont l’impact est démultiplié
par les medias mexicains, qui ont jugé que ces organisations étaient mafieuses3.
En suivant la définition de la mafia sicilienne donnée par Anton Blok (1972), selon laquelle un
pouvoir mafieux réunit le contrôle des modes de production et le contrôle de la violence, il est en
effet possible d’apporter des éléments intéressants pour analyser de notre cas. Des organisations
de commerce ont le contrôle de la violence de la rue. Le leader et ses groupes (gardes du corps du
leader et hommes chargés de la sécurité de la rue) connaissent les habitants du quartier, y compris
les délinquants (dealers, voleurs, kidnappeurs). Selon un de nos informateurs, en charge de la
sécurité des rues des ambulants : « Nous ne pouvons pas empêcher le délit mais on peut
demander aux délinquants de ne pas exercer leurs activités dans notre quartier et dans notre
rue ». Les groupes qui contrôlent le marché et ceux qui contrôlent la violence doivent donc agir
ensemble.
Un élément de l’analyse de Blok qu’on peut étendre à notre cas est l’emploi de pratiques, de
valeurs et de normes de la sphère privée, en usage au sein de l’organisation étudiée, qui sont
incrustées dans les relations sociales de la sphère publique. Les constructions idéologiques du
système de parenté et du barrio4 structurent les relations dans la sphère publique informelle des
organisations du commerce et leurs relations informelles avec les autorités du gouvernement de la
ville. Ces structures sont compatibles avec la tradition personnaliste et les tendances corporatives
3 Les medias mettent notamment en avant l’opinion de l’informalité des présidents des commerçants établis : de La
Unión Centro Histórico (Victor Cisneros Taj), et du groupe Empresarios y Comerciantes Unidos Para la Protección
del Centro Histórico (Guillermo Gazal).
4 Au Mexique, « barrio » a une connotation de marginalité : « ser bien barrio » signifie l’appartenance à une localité
marginalisée de la ville. Il existe une géographie de la marginalité, un stigmate de dangerosité et d’illégalité partagé
par les barrios du centre historique et ceux des périphéries pauvres.