François Jacob = Genèse et actualité de la théorie de l`év…

La Recherche, N° 296 | MARS 1997
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FRANÇOIS JACOB ET ANDRÉ LANGANEY
DIALOGUENT SUR L'HISTOIRE DE L'HISTOIRE
DE LA VIE
L'idée que le monde vivant a une histoire a émergé au XVIIIe
siècle, avec Buffon, puis Lamarck. L'idée de la sélection naturelle
comme moteur du changement remonte à Darwin et à Wallace. Elle
s'est imposée non sans mal, intégrant au passage la découverte des
gènes (Mendel), puis celle du code génétique... La théorie moderne de
l'évolution a ses problèmes et ses limites, mais sa cohérence est
profonde.
André Langaney
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: L'histoire de la vie et l'évolution des espèces
vous tiennent à coeur. Si je dis «histoire de la vie», c'est parce
qu'en dehors du monde de la biologie que nous pratiquons on
voit parfois s'exprimer des doutes ou des refus de l'évolution.
C'est pourtant la théorie unificatrice de la biologie et je ne
connais pas de théorie scientifique qui puisse la remplacer. Pour
comprendre les réticences du public, il faut comparer l'évolution
et les théories d'autres disciplines, en physique par exemple.
Pourquoi est-elle moins bien acceptée?
François Jacob
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: Les théories de la physique sont des théories
compliquées que les profanes suivent mal parce qu'il est très difficile d'en
traduire les raisonnements mathématiques en mots de tous les jours. Et
néanmoins les gens les acceptent. La théorie de l'évolution est beaucoup
plus simple à comprendre. Si bien que les gens croient l'avoir comprise
alors que bien des éléments leur échappent! C'est une théorie qui, comme la
relativité, heurte notre intuition. Notre cerveau a été sélectionné sur des
centaines de millions d'années. Il est adapté à la vie courante, à des niveaux
moyens de taille, d'espace, de temps, qui ont permis à nos ancêtres de vivre,
de sortir de la forêt et de se promener dans la savane. Certains concepts de
1
ANDRÉ LANGANEY, est professeur au Muséum (musée de l'Homme) et à
l'université de Genève.
la théorie de l'évolution ne sont pas en accord avec notre quotidien. Elle
concerne des centaines de millions d'années, alors que nous avons
l'habitude de penser le temps en décennies: nos grands-parents, nos arrière-
grands-parents. Quand on va plus loin, cela devient de l'histoire et c'est déjà
plus flou. D'autre part, le concept de hasard fait que les gens croient que
tout est sorti de rien. Alors que ce n'est pas du tout ça! L'idée de hasard
aussi est compliquée. Enfin, nous fonctionnons par intentions, par desseins:
nous projetons de faire telle ou telle chose. Quand nous regardons une
pendule, nous savons que quelqu'un a décidé de la construire, a fait des
plans après avoir choisi tel modèle. Il nous paraît donc normal de
considérer que les animaux que nous rencontrons, ou les humains, sont
aussi le résultat d'un projet et d'une intention. C'est cette idée qu'a démolie
la théorie de l'évolution. C'est en cela qu'elle s'accorde mal avec notre façon
habituelle de penser.
A. Langaney: Vous parlez de « la » théorie de l'évolution, comme
si nous, biologistes, avions une théorie consensuelle. Il y a
quand même de nombreuses varian-tes. Ensuite, vous avez
prononcé le mot histoire. J'avais commencé par l'« histoire de la
vie », parce que nous, êtres vivants, savons que nos ancêtres
ont eu une histoire. Avant de théoriser, il y a tout simplement
des faits. C'est par que la découverte de l'évolution a
commencé. Avant la grande synthèse et les idées sur les
mécanismes, il a fallu avoir une histoire avec une échelle de
temps, puis mesurer cette échelle de temps qui s'est vélée
contradictoire avec ce que l'on pensait avant. Puis il a fallu
découvrir des parentés entre les êtres vivants, qui laissaient
penser que le paradigme d'alors, la création indépendante des
espèces, devait être remis en question.
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FRANÇOIS JACOB (Institut Pasteur) est prix Nobel de médecine.
F. Jacob: Jusqu'au XVIIIe siècle, il était admis que les êtres vivants
étaient les produits d'une création particulière de chaque type d'organismes,
l'espèce humaine étant une création indépendante des autres. C'est alors que
l'idée de l'histoire du monde vivant a émergé. Ce qui a commencé, c'est la
Terre, ainsi que l'a décrit Buffon. Or les dates de l'histoire de la Terre ne
correspondaient pas du tout avec celles que lui attribuait la Bible. Il est
apparu aussi que le monde vivant n'était pas stable, créé une fois pour
toutes. On trouvait des fossiles dans différentes strates de la Terre qui ne
correspondaient pas aux mêmes dates d'origine. De vient l'histoire du
monde vivant et de ses transformations. L'idée s'est amplifiée à la fin du
XVIIIe siècle, grâce à une série de philosophes et de naturalistes, pour
culminer avec Lamarck, qui a proposé, le premier, que tout le monde vivant
provenait d'une transformation progressive, allant du simple au compliqué.
A. Langaney: L'établissement de l'échelle de temps doit
beaucoup à un principe philosophique, le «principe des causes
actuelles»
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de Buffon. Le dilemme, à l'époque, était d'expliquer
des sédiments manifestement marins déposés dans des zones
très éloignées des mers. Ces dépôts font des kilomètres
d'épaisseur et, au rythme actuel de sédimentation au fond des
océans, ils avaient requis des durées bien supérieures aux six
mille ans que la Bible accordait à la Terre pour les déposer. Ou
bien l'on croyait que la dimentation avait duré beaucoup plus
que les six mille ans bibliques, ou bien il fallait imaginer des
mécanismes de dépôt très différents dans le passé. Buffon, grâce
au principe des causes actuelles, a proposé une échelle de temps
beaucoup plus longue, encore loin de la vérité puisque, dans Les
Epoques de la nature (1779) , il parlait seulement de soixante-
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LE PRINCIPE DES CAUSES ACTUELLES veut que l'explication de l'état du monde
dix mille ans et, ailleurs, de milliers de siècles.
F. Jacob: La difficulté était de trouver un mécanisme, parce que,
dans cette histoire, les animaux se transformaient les uns en les autres.
Chez Lamarck, il y avait une sorte de poussée générale du simple vers le
complexe, qui était une propriété des êtres vivants, mais pas de mécanisme.
A. Langaney: Je reviens sur un point antérieur à Lamarck: la
parenté. La première idée qui a permis de parler de
transformation des espèces a été d'envisager que des espèces se
ressemblant aient une origine commune. C'est le fameux
chapitre de l'âne et du cheval dans l'Histoire naturelle de Buffon:
les deux animaux se ressemblent par tellement de caractères
qu'il est difficile de ne pas imaginer qu'ils ont eu un ancêtre
commun. S'ils ont eu un ancêtre commun, il a fallu des
transformations entre cet ancêtre commun et les deux
descendants. Buffon pose le problème pendant une longue page,
puis l'élude: la page finit en affirmant que les choses ne se sont
pas passées ainsi et que l'Ane et le Cheval ont été créés
indépendamment. A son époque, la Révolution française n'était
pas encore passée et on ne contestait guère la création
indépendante des espèces. Lamarck, après la Révolution, a
développé ce schéma qu'il avait déjà proposé avant pour les
plantes, au prix de beaucoup d'ennuis... Dans ma lecture de
Lamarck, je ne vous suis pas sur l'importance du rôle donné à la
« poussée » du simple vers le complexe. Ce n'était qu'une façon
de parler de ce qu'il ne comprenait pas. Je crois que Lamarck,
malgré ce qu'on lui reproche, n'avait pas de théorie sur les
mécanismes.
ne fasse pas appel à des phénomènes inobservables ou invérifiés.
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