Impact et enjeux des comorbidités psychiatriques dans les épilepsies

JFE 2007
JFE 2007
231 Épilepsies Vol. 19, n°4, octobre, novembre, décembre 2007
L’ÈRE DE LA PRISE EN CHARGE GLOBALE
ET DE LA QUALITÉ DE VIE
Impact et enjeux
des comorbidités
psychiatriques
dans les épilepsies
Bertrand de Toffol, Philippe Corcia, Julien Praline, Karl Mondon
Clinique Neurologique, CHU Bretonneau, 37044 Tours Cedex
Résumé. La comorbidité psychiatrique dans l’épilepsie correspond à une surreprésentation non fortuite de
troubles mentaux chez une personne épileptique. Malgré leur spécificité, ces troubles mentaux sont ignorés des
classifications internationales. Ce travail propose une revue descriptive des différents troubles mentaux observés
dans l’épilepsie, aussi bien en population générale que chez des patients atteints d’épilepsies réfractaires. La préva-
lence des troubles dépressifs est élevée : elle dépasse 30 % chez des patients vivant dans la communauté et est
comprise entre 20 et 70 % chez les patients dont l’épilepsie est sévère. Reconnaître et traiter précocement les trou-
bles dépressifs et anxieux est essentiel compte tenu de leur impact délétère sur la qualité de vie. La présentation
clinique, le diagnostic et la prise en charge des troubles de l’humeur, psychotiques et anxieux sont discutés.
Mots clés : épilepsie, comorbidité psychiatrique, qualité de vie, dépression, anxiété
Abstract. The burden of psychiatric comorbidity in epilepsy
Psychiatric comorbidity in epilepsy refers to the coexistence of mental disorders in people with epilepsy that is
more than coincidental. There is good clinical evidence suggesting that the psychiatric disorders of epilepsy are
clinically distinct but they do not find a place in the current classification systems in psychiatry. Current epidemio-
logical knowledge of psychiatric disorders in epilepsy has been reviewed both in the general population and in
populations with refractory epilepsy according to a descriptive approach. The prevalence of depressive disorders
is reported to be more than 30 % in community-based samples and 20-70 % in people with refractory epilepsy.
Adequate recognition and treatment of mood and anxiety disorders is essential for patient management because
of their burden in quality of life. Phenomenology, diagnosis and management of depressive, psychotic and anxiety
disorders in epilepsy are reviewed.
Key words : epilepsy, psychiatric comorbidity, quality of life, depressive disorders, anxiety, psychoses of epilepsy
Tirés à part :
B. de Toffol
jleepi00209_cor5.indd 231jleepi00209_cor5.indd 231 10/22/2007 8:14:37 PM10/22/2007 8:14:37 PM
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
232
Épilepsies Vol. 19, n°4, octobre, novembre, décembre 2007
JFE 2007
La comorbidité psychiatrique dans l’épilepsie correspond à une
surreprésentation non fortuite de troubles mentaux observée chez
une personne épileptique. Ces troubles précèdent, accompagnent
ou suivent les crises spontanées et peuvent être la conséquence de
trois types de facteurs plus ou moins intriqués : la gravité intrin-
sèque de l’épilepsie, les conséquences psychosociales de la maladie
ou répondre à un déterminisme biologique spécifique (Torta et
Keller, 1999). Pour étudier cette question complexe, deux appro-
ches sont possibles : dans la première, l’épilepsie est définie à partir
de la classification syndromique (Commission, 1989) et les trou-
bles mentaux sont repérés selon les critères descriptifs du DSM
(DSM-IV, 1994) sur les axes 1 (syndromes cliniques caractérisés) et
2 (troubles de la personnalité) en faisant abstraction du diagnostic
de l’épilepsie. Cette approche, qui présuppose que la présentation
des troubles mentaux n’est pas modifiée par l’existence d’une
épilepsie et que les critères du DSM sont valides, autrement dit, que
l’épilepsie et les troubles mentaux appartiennent à deux catégories
indépendantes de troubles, sera traitée dans le paragraphe suivant.
Une deuxième approche postule que l’épilepsie génère des troubles
mentaux spécifiques qui ne sont pas nécessairement repérés correc-
tement avec le DSM dont l’emploi pourrait apparaître inapproprié
(Kanner et Barry, 2001). Cette conception conduit à proposer une
classification spécifique des troubles mentaux dans l’épilepsie et sera
traitée dans un paragraphe séparé. Quelle que soit l’approche privi-
légiée, l’impact considérable de la comorbidité psychiatrique sur
la qualité de vie d’une personne épileptique détermine des enjeux
pratiques importants pour un clinicien qui doit savoir repérer et
diagnostiquer les troubles mentaux pour les traiter correctement
le plus précocement possible. Dans la dernière partie de ce travail,
nous insisterons sur la prise en charge pratique, diagnostique et
thérapeutique, de la dépression et des troubles anxieux.
Analyse de la comorbidité entre épilepsie
et troubles mentaux considérés de manière
indépendante
Le principe de base de cette approche consiste à repérer
l’existence de troubles mentaux à l’aide d’entretiens structurés et
d’échelles de mesures validées pour le diagnostic de syndromes
cliniques caractérisés (axe 1 du DSM) ou de troubles de la person-
nalité (axe 2) chez des patients épileptiques sans tenir compte
du diagnostic d’épilepsie. Le clinicien évalue la situation en
s’aidant d’outils standardisés qui définissent précisément les
signes élémentaires regroupés en syndromes dont la durée d’évo-
lution est spécifiée. Cette approche délibérément réductrice
est source de progrès. L’étude de la comorbidité psychiatrique
dans l’épilepsie avant l’approche critérielle descriptive s’est
heurtée à des difficultés méthodologiques insurmontables qui
ont été analysées dans la littérature classique par Vuilleumier et
Jallon (1998). Dans les travaux anciens, le diagnostic clinique
était purement subjectif et difficilement comparable d’une
étude à l’autre compte tenu de la variété des systèmes de clas-
sification et de la terminologie. À l’époque prémorphologique,
il était malaisé d’apprécier le rôle de la lésion dans la genèse
d’un trouble mental. Par ailleurs, des troubles cognitifs, parfois
subtils (Hommet et al., 2006) peuvent être à l’origine de trou-
bles du comportement, avec ou sans concomitant EEG (Autret
et al., 1997, Billard et al., 1990) et le traitement antiépileptique
peut induire des troubles mentaux. Il est donc nécessaire de
contrôler ces différents facteurs de confusion pour apprécier la
réalité d’un trouble mental. Une revue générale (Gaitatzis et al.,
2004) a récemment synthétisé les données établies à partir des
outils modernes. En résumé, 6 % des patients épileptiques issus
de la population générale ont des troubles mentaux caractérisés
contre 10 à 20 % de ceux atteints d’une épilepsie réfractaire et/ou
temporale. Les troubles de l’humeur sont les plus fréquents (24-
74 %), principalement les troubles dépressifs (30 %), suivis par les
troubles anxieux (10-25 %), les troubles psychotiques (2-7 %) et
les troubles de la personnalité (1-2 %). Trois travaux importants
rapportés en 2007 précisent ces données. Une étude canadienne
portant sur de grands effectifs (n = 36 984) menée en popu-
lation générale montre que les patients épileptiques comparés
à la population non épileptique ont significativement plus de
troubles anxieux (OR = 2,4 ; IC95 % [1,5-3,8]) et d’idées suici-
daires (OR = 2,2 ; IC95 % [1,4-3,3]) (Tellez-Zenteno et al., 2007).
Par ailleurs, la prévalence de l’anxiété évaluée par auto-ques-
tionnaires (Mensah et al., 2007) chez des personnes épileptiques
repérés par leur généraliste vivant dans la communauté (n = 515)
est estimée à 20,5 % (IC 95 % [16,9-24,1 %]. Les facteurs associés à
la présence de l’anxiété sont l’existence d’un trouble dépressif, la
perception d’effets indésirables du traitement, un niveau d’édu-
cation faible, le chômage, le sexe féminin. L’anxiété n’est pas liée
à la durée d’évolution de l’épilepsie. Cette forte prévalence de
l’anxiété dans l’épilepsie corrobore les connaissances classiques
(Robertson et al., 1987, Scicutella et al., 2002). Enfin, une étude
cas témoins en population générale de grande envergure concer-
nant le suicide chez les épileptiques vient également d’être
publiée (Christensen et al., 2007). Les registres de décès danois
entre 1981 et 1997 ont été exploités, permettant de repérer 21 169
suicides appariés avec 423 128 sujets contrôle (20 contrôles par
suicide appariés selon l’âge et le sexe, pour apprécier le rôle des
facteurs favorisants, données socio-économiques et existence de
troubles mentaux). Les épileptiques représentent 2,32 % de l’en-
semble des suicides (n = 492) avec un risque relatif multiplié par
3,17 par rapport à la population contrôle. Ce risque de suicide
chez les épileptiques reste significativement élevé (risque doublé)
en ajustant selon les données socio-économiques et en excluant
les sujets atteints d’une affection psychiatrique comorbide. Le
risque est le plus élevé dans les six mois suivant le diagnostic
d’épilepsie. La coexistence d’un trouble mental avéré et d’une
épilepsie multiplie le risque de suicide par 29,2 par rapport aux
sujets non épileptiques exempts de troubles mentaux dans les six
mois qui suivent le diagnostic. Un éditorial (Sell et Sander, 2007)
a insisté sur l’importance de ce travail, en regrettant qu’il n’y ait
pas eu d’évaluation spécifique du lien entre suicide et épilepsie
temporale. Une méta-analyse regroupant 29 cohortes publiées et
jleepi00209_cor5.indd 232jleepi00209_cor5.indd 232 10/22/2007 8:14:37 PM10/22/2007 8:14:37 PM
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
233 Épilepsies Vol. 19, n°4, octobre, novembre, décembre 2007
JFE 2007
portant sur 187 suicides chez 50 814 patients avait déjà insisté
sur l’augmentation globale du risque (Pompili et al. 2005).
Il est utile en pratique de distinguer deux situations très
différentes. Les sujets d’intelligence normale atteints d’une
épilepsie cryptogénique non réfractaire n’ont pas plus de trou-
bles mentaux que les sujets contrôles non épileptiques appariés
selon le niveau, l’âge et le sexe (Fiordelli et al., 1993). A l’op-
posé, les patients atteints d’une épilepsie partielle pharmacoré-
sistante (EPPR) ont une morbidité psychiatrique élevée. L’étude
prospective anglaise (Cockerell et al., 1996) évaluant la survenue
de troubles mentaux aigus diagnostiqués par les médecins géné-
ralistes chez les patients atteints d’une épilepsie active montre
que les quatre cinquièmes des cas surviennent chez des patients
porteurs d’une épilepsie partielle cryptogénique ou sympto-
matique réfractaire : « Cette étude confirme le fait que les patients
particulièrement à risque de troubles psychiatriques sont ceux atteints
d’une épilepsie partielle chronique réfractaire traités avec une polythé-
rapie et qui ont d’importantes difficultés psychosociales ». L’étude de
Manchanda et al. (1994) a utilisé les critères diagnostiques des
axes 1 et 2 du DSM chez 300 patients atteints d’une épilepsie
réfractaire étudiés consécutivement dans une perspective chirur-
gicale ou non (épilepsie temporale : n = 231 ; extra-temporale : n
= 43 ; généralisée : n = 26). La moitié environ des patients évalués
(142 patients, 47,3 %) ont des troubles mentaux caractérisés : 88
(29,3 %) ont un trouble repéré sur l’axe 1 et 54 (18 %) sur l’axe
2 (troubles de la personnalité) du DSM. Les diagnostics princi-
paux sur l’axe 1 sont l’anxiété, les troubles psychotiques et les
troubles de l’humeur. La comparaison des taux de prévalence
de différents troubles mentaux en population générale et au
sein de centres spécialisés illustre l’aggravation du risque en cas
d’épilepsie réfractaire. Dans une étude prospective portant sur
1 069 épileptiques, le taux de dépressions est estimé à 11,2 % [IC :
8,3-13,7] (Mensah et al, 2005) contre 22,1 % dans un groupe de
patients chirurgicaux (Devinsky et al, 2005). Globalement, l’es-
timation de l’incidence cumulative de l’ensemble des troubles
mentaux repérés sur les axes 1 et 2 du DSM au sein de popu-
lations d’épilepsies réfractaires évaluées de manière prospective
dans des centres pré chirurgicaux, est très élevée de manière
homogène, comprise entre 50 % et 80 % (revue in de Toffol,
2004c). Une dépression est observée chez 58 à 72 % des patients
évalués dans un contexte préchirurgical avec les critères du
DSM (revues in Lambert et Robertson, 1999, Hermann et al.,
2000) et le risque suicidaire y est particulièrement élevé (Blumer
et al., 2002). Le champ d’investigation s’est élargi aux troubles
bipolaires qui intéresseraient 12 % des patients épileptiques
(Ettinger et al., 2005) et aux troubles anxieux qui affecteraient
30 % des EPPR (Jones et al., 2005). Dans une étude contrôlée
prospective comparant un groupe de 48 patients atteints d’une
épilepsie temporale réfractaire traitée médicalement à un groupe
témoin non épileptique (n = 69) pendant une durée de 4 ans,
il y a plus de quatre fois plus de troubles repérés sur l’axe 1 du
DSM chez les épileptiques tout au long de la période d’étude
(Jones et al., 2007).
Les troubles mentaux spécifi ques
de l’épilepsie, non ou mal repérés par le DSM
Les classifications des syndromes épileptiques proposées
par la Ligue internationale contre l’épilepsie ou l’Organisation
mondiale de la Santé ne tiennent aucun compte des données
psychopathologiques. Il n’existe ainsi aucun consensus inter-
national pour le diagnostic des troubles mentaux pré-ictaux,
ictaux ou post-ictaux, ces derniers étant pourtant spécifiques
de l’épilepsie, pour celui des troubles mentaux d’origine médi-
camenteuse (liés aux antiépileptiques) ou pour les complications
psychiatriques des cortectomies destinées à guérir l’épilepsie. Les
psychoses alternantes et les psychoses chroniques de l’épilepsie
ne sont mentionnées dans aucune classification des troubles
mentaux. L’influence de l’épilepsie sur la sémiologie des trou-
bles de l’humeur qui pourrait rendre le DSM difficile à utiliser
dans le contexte de l’épilepsie est encore très débattue, et certains
cadres empiriques utiles aux cliniciens comme celui de trouble
dysphorique interictal ou de trouble spécifique de la personnalité
restent controversés. La récente suggestion de la commission de
psychobiologie de la Ligue internationale contre l’épilepsie pour
classer les troubles mentaux (Krishnamoorthy et al., 2007) repré-
sente à ce titre une avancée considérable dont les propositions
méritent d’être détaillées. Pour favoriser le diagnostic des trou-
bles mentaux d’origine critique, spécialement lors des états de
mal non convulsivants, les données de l’EEG doivent être préci-
sées. Le cadre des psychoses alternantes, avec ou sans normali-
sation forcée de l’EEG mérite d’être individualisé. Le concept
de psychose postictale, excluant les confusions post-critiques et
les états de mal non convulsivants à expression psychiatrique
nécessite d’être créé. Les troubles de l’humeur survenant chez un
épileptique, dès lors qu’ils créent un handicap ou une demande
d’aide médicale doivent être décrits quelle que soit leur durée
d’évolution et distingués des syndromes cliniques caractérisés du
DSM. Une phobie spécifique, la peur des crises, doit être ajoutée
au spectre des troubles anxieux. Enfin, le rôle éventuel des traite-
ments antiépileptiques doit être spécifié au moyen des catégories
suivantes : sevrage d’un médicament dans la semaine précédant
l’apparition des troubles mentaux, instauration d’un traitement
dans le mois précédent, instauration et sevrage simultanés, pas de
modification du traitement antiépileptique.
La description clinique des troubles mentaux spécifiques de
l’épilepsie est passée en revue ci-dessous, dans l’ordre suivant :
troubles post-ictaux, trouble dysphorique interictal, psychoses
interictales brèves, psychoses chroniques, troubles médicamen-
teux, troubles de la personnalité, troubles post-chirurgicaux.
Les troubles mentaux post-ictaux sont spéci ques
de l’épilepsie
Les troubles mentaux post-ictaux sont caractérisés par une
chronologie précise : survenue d’une crise ou d’une salve de
crises, confusion post-critique habituelle, retour à une conscience
normale, intervalle de complète lucidité, puis apparition soudaine
d’un trouble mental de durée brève (de quelques heures à une
jleepi00209_cor5.indd 233jleepi00209_cor5.indd 233 10/22/2007 8:14:38 PM10/22/2007 8:14:38 PM
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
234
Épilepsies Vol. 19, n°4, octobre, novembre, décembre 2007
JFE 2007
semaine) évoluant en pleine conscience ou avec une conscience
discrètement altérée. En pratique, ce cadre regroupe les psychoses
post-ictales et les symptômes dépressifs post-ictaux.
Psychoses post-ictales
Le syndrome psychose post-ictale (revue générale in de Toffol,
2001) représente 25 % de l’ensemble des troubles psychotiques
observés dans l’épilepsie et concerne les patients atteints d’une
épilepsie partielle réfractaire qui évolue depuis au moins 10 ans. Les
crises épileptiques habituelles comportent fréquemment une aura
caractérisée par une sensation de peur, un sentiment de dépersonna-
lisation ou des phénomènes dysmnésiques (Kanemoto et al., 1996a,
b). L’EEG de scalp montre des foyers bitemporaux indépendants
deux fois sur 3 en période intercritique (Devinsky et al., 1995). L’EEG
pendant la psychose est superposable au tracé pré psychotique : il
n’y a notamment ni anomalies critiques, ni normalisation de l’élec-
trogenèse. L’épilepsie est d’origine lésionnelle une fois sur 2 (la
lésion est visualisée sur l’IRM). L’existence d’une sclérose de l’hip-
pocampe est un facteur de risque spécifique chez les patients dont
l’IRM ne montre pas d’autres lésions morphologiques (Kanemoto et
al., 1996a). Le trouble psychotique survient après une série de crises
très rapprochées, typiquement sous la forme d’une salve de crises.
Le début est brutal, après un intervalle libre d’une durée de 2 à
120 heures à l’issue de la dernière crise. La conscience est préservée
ou très discrètement altérée pendant l’épisode délirant qui évolue
en moyenne pendant une semaine (48 heures à 2 semaines). Le
tableau psychiatrique est caractérisé par un délire aigu associant en
proportion variable : des troubles de l’humeur, souvent au premier
plan, des hallucinations auditives, des thématiques religieuses ou
de grandeur, une idéation paranoïaque. Les patients atteints ont
plus fréquemment des antécédents psychiatriques quand ils sont
comparés à des épileptiques appariés non psychotiques. L’évolution
est caractérisée par la fréquence des récidives sous la forme d’épi-
sodes identiques. Dans 10 à 15 % des cas, le délire peut évoluer sur
un mode chronique (Tarulli et al., 2001). La réascension des antiépi-
leptiques (quand ils ont été réduits pour favoriser l’enregistrement
des crises dans un contexte d’évaluation préchirurgicale), et la pres-
cription de faibles doses de neuroleptiques permettent un contrôle
rapide de la situation. La nosologie de ces tableaux est difficile à
préciser parce qu’il s’agit d’états aigus associant des troubles de l’hu-
meur, des hallucinations et une idéation persécutive. Une hyper-
trophie bilatérale des amygdales (études volumétriques en IRM) a
été observée chez des sujets atteints de psychoses post-ictales par
rapport aux épileptiques non psychotiques appariés (Tebartz van
Elst et al., 2002) et une hyperperfusion bifrontale et bitemporale
en SPECT lors de l’état psychotique par rapport à l’état non psycho-
tique (Leutmezer et al., 2003) plaident en faveur d’un mécanisme
neurobiologique spécifique.
Symptômes dépressifs postictaux
Ce concept a été rapporté par Kanner et al. (2004). Une
recherche systématique de symptômes dépressifs à partir d’une
liste standardisée a été effectuée au sein d’une cohorte de 100
patients consécutifs atteints d’une épilepsie partielle réfractaire
lors de la période post-ictale. Les symptômes observés devaient
correspondre au pattern habituel de plus de la moitié des crises
d’un sujet donné. Parmi les 100 patients, 43 ont eu en moyenne
4,8 ± 2,4 symptômes dépressifs post-ictaux (de 2 à 9 ; médiane : 5)
après un intervalle de complète lucidité. La durée médiane des deux
tiers des symptômes était de 24 heures. Treize des patients ont eu
7 symptômes dépressifs durant 24 heures ou plus. Des idées suici-
daires post-ictales ont été observées chez 13 patients. Dix de ces
treize patients avaient des antécédents de dépressions majeures ou
de troubles bipolaires. Les symptômes dépressifs, quand ils étaient
présents pendant la période interictale, étaient plus intenses dans
la période post-ictale chez 30 patients. Il existait enfin une corréla-
tion significative entre la présence de symptômes dépressifs post-
ictaux et l’existence d’une dépression interictale.
Les troubles de l’affectivité
et le syndrome dysphorique interictal
Les termes « troubles de l’affectivité » regroupent un large
éventail de troubles qui ne concernent ni la cognition, ni la
personnalité (modalité habituelle stable de perception et de réac-
tion à l’environnement, de conception de celui-ci et de sa propre
personne). Le concept de « Trouble dysphorique interictal » (TDI)
a été proposé par Blumer, 1991 pour rendre compte de tableaux
cliniques impossibles à classer adéquatement avec le DSM, rencon-
trés principalement dans les épilepsies partielles réfractaires. Les
symptômes sont fluctuants, durant de quelques heures à quelques
jours. Le TDI regroupe 8 symptômes rangés en 2 catégories princi-
pales avec en moyenne 5 symptômes par patient, rendant compte
de la diversité de la présentation clinique. La catégorie : troubles
dépressifs-somatoformes comprend l’humeur dépressive, le manque
d’énergie, les douleurs (céphalées, douleurs de topographie et d’in-
tensité variables), l’insomnie. Les troubles somatoformes peuvent
évoluer sans symptômes dépressifs associés. La catégorie : troubles
anxieux regroupe la peur, l’anxiété, l’euphorie et l’irritabilité. Les
troubles anxieux sont souvent épisodiques sous la forme d’atta-
ques de panique et de troubles phobiques (anxiété déclenchée par
l’exposition à un stimulus spécifié). L’irritabilité concerne environ
5 % des patients et correspond à la difficulté de se contenir avec
tendance impulsive aux accès de colère et de rage accompagnés
de comportements provocants, de violences verbales et beaucoup
plus rarement physiques. L’euphorie correspond à des troubles de
durée brève (quelques heures) avec une coloration subjectivement
positive et gaie de l’humeur.
Les psychoses interictales brèves
Des psychoses interictales brèves peuvent, très rarement,
survenir dans un contexte de réduction de la fréquence des crises
ou de disparition de celles-ci chez des patients atteints d’épilep-
sies temporales ou de syndromes généralisés évoluant depuis au
moins quinze ans. Une insomnie, de l’anxiété, un retrait des acti-
vités précèdent la survenue de tableaux variables dont la présen-
tation clinique est polymorphe mais qui prennent le plus souvent
l’aspect de psychoses paranoïaques évoluant en pleine conscience
associées à des hallucinations et des troubles de l’humeur. Deux
jleepi00209_cor5.indd 234jleepi00209_cor5.indd 234 10/22/2007 8:14:38 PM10/22/2007 8:14:38 PM
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
235 Épilepsies Vol. 19, n°4, octobre, novembre, décembre 2007
JFE 2007
conceptions originales (normalisation forcée de l’EEG, psychose
alternante) ont été développées pour rendre compte de certains
de ces états. La normalisation forcée est un concept EEG rapporté
par Landolt, 1958 caractérisé par le fait que l’état psychotique s’ac-
compagne d’une disparition des anomalies observées sur l’EEG
intercritique habituel au point que le tracé devient normal. Le
concept de psychose alternante (Tellenbach, 1965) est clinique et
décrit la relation inverse entre l’état mental (altéré) et le contrôle
des crises ou l’état mental (normal) et la présence de crises, indé-
pendamment de l’EEG. L’influence du traitement antiépileptique
dans la genèse des psychoses interictales brèves est mal comprise :
le développement d’un trouble psychotique en cas de contrôle
brutal des crises n’est pas simplement lié à la molécule utilisée
(Trimble, 1998).
Les psychoses interictales chroniques
La présentation clinique des troubles psychotiques interictaux
chroniques chez l’épileptique est évocatrice (Slater et al., 1963,
Toone et al., 1982). Il s’agit de schizophrénies de type paranoïde,
avec des nuances sémiologiques : dans les psychoses épileptiques,
une indifférence affective et un retrait des activités sont rarement
rencontrés, alors que les fluctuations rapides de l’humeur sont
fréquentes. Les thématiques délirantes sont assez souvent mysti-
ques, alimentées par des hallucinations auditives et par des hallu-
cinations visuelles inhabituelles. Les troubles négatifs sont rares.
L’épilepsie débute avant l’âge de 10 ans et un intervalle d’environ
14 ans sépare le début de l’épilepsie de la psychose. Il n’y a pas
de personnalité prémorbide de type schizoïde ni d’antécédents
familiaux de schizophrénie. L’existence d’une épilepsie tempo-
rale est considérée comme le facteur de risque principal, indépen-
damment de la gravité intrinsèque de l’épilepsie mesurée par la
fréquence des crises. Enfin, l’évolution des psychoses épileptiques
paraît moins déficitaire que celle des schizophrénies endogènes.
Blumer et al. (2000) considèrent que ces psychoses sont une exten-
sion du trouble dysphorique interictal et que leur prise en charge
nécessite l’association d’antidépresseurs à fortes doses.
Les troubles mentaux d’origine médicamenteuse
Cockerell et al. (1996) ont rapporté, dans leur étude prospec-
tive destinée à mesurer l’incidence des troubles psychiatriques
aigus chez les épileptiques en Angleterre, la survenue de 64 cas
de troubles psychiatriques observés au sein d’une cohorte de
473 épileptiques inclus en une année dont 19 troubles psychia-
triques considérés comme étant d’origine médicamenteuse. Dix
observations correspondent à des troubles psychotiques et cinq
à des troubles de l’humeur ou à une anxiété. La durée moyenne
des troubles est de 14 jours. À l’occasion d’une psychose médica-
menteuse, la fréquence des crises peut rester stable, augmenter, ou
diminuer. Les crises peuvent même disparaître, mais les tableaux
cliniques ne sont ni des psychoses postictales ni des psychoses
alternantes. Le délai d’apparition de la psychose est variable, de
quelques heures à plusieurs semaines. Le rôle des interactions
médicamenteuses est mal compris et difficile à évaluer. Le fonc-
tionnement global du patient doit être soigneusement évalué,
l’existence d’antécédents psychiatriques personnels ou familiaux
étant observée dans les deux tiers des cas (Trimble et al., 2000).
Certains facteurs de risque sont liés à l’épilepsie : présence de crises
partielles complexes avec généralisations secondaires, anoma-
lies bilatérales sur l’EEG, polythérapies (Trimble et al., 2000). Les
tableaux cliniques échappent à toute systématisation simple :
délire aigu polymorphe avec ou sans confusion associée, épisode
délirant de durée brève avec hallucinations et troubles de l’humeur
associés en proportion variable, états paranoïaques avec ou sans
hallucinations auditives. Leur durée varie de quelques jours à deux
ou trois mois. Des observations isolées de troubles de l’humeur et
de troubles psychotiques ont été rapportées avec tous les anciens
antiépileptiques : le phénobarbital, la phénytoïne, la primidone
(Trimble, 1997). Plusieurs études prospectives portant sur de
grands effectifs de patients traités sont disponibles pour le lévétira-
cétam, le topiramate et la tiagabine (Mula et al., 2003a, b, Sackel-
lares et al., 2002) et un travail rétrospectif récent est disponible
pour la lamotrigine (Brandt et al., 2007). Les mécanismes en cause
sont mal connus et probablement multifactoriels, ce qui nécessite
une évaluation longitudinale très soigneuse de l’ensemble de la
situation électro-clinique, incluant une analyse de la condition
épileptique, de la fréquence et de la chronologie des crises, de la
sémiologie des troubles mentaux, de leur évolution au cours du
temps, des interactions médicamenteuses potentielles, et de la
situation psychosociale. Toutes les interprétations des mécanismes
supposés des troubles doivent tenir compte du fait que la plupart
des antiépileptiques ont des effets thérapeutiques intrinsèques sur
les troubles psychotiques ou les troubles de l’humeur (Ketter et
al., 1999, revue in Ettinger 2006) et qu’ils peuvent en modifier la
sémiologie. Les antiépileptiques peuvent ainsi vraisemblablement
non seulement induire des troubles mentaux mais également
influencer leur présentation clinique, ce qui subordonne une
bonne compréhension des phénomènes observés à une évaluation
multidimensionnelle soigneuse. La prise en charge des troubles
psychiatriques d’origine médicamenteuse peut être résumée de la
manière suivante : le rôle possible du traitement doit être suspecté
devant tout trouble psychiatrique survenant chez un épileptique,
quels que soient les symptômes. L’imputabilité de chaque molé-
cule doit être analysée à partir d’une analyse rigoureuse de la chro-
nologie de prescription, portant sur l’efficacité et la tolérance ; le
fonctionnement global du patient sera évalué à la recherche d’une
modification récente et insidieuse du comportement.
La personnalité épileptique temporale
Le concept de personnalité épileptique a une origine ancienne
et a été proposé dans un contexte historique spécifique, chez des
patients très sévèrement atteints, non traités, qui n’ont plus rien en
commun avec ceux d’aujourd’hui, à une époque où le diagnostic
d’épilepsie n’était qu’un diagnostic de probabilité clinique à la
fiabilité très incertaine (de Toffol, 2004, a, b). Le développement
de l’EEG a conduit, pour des raisons conceptuelles et pratiques,
à définir dans les années 1950 un cadre nosologique aux limites
très mal précisées à la lumière des progrès actuels : l’épilepsie
temporale. La rencontre de ces deux cadres conceptuels a conduit
jleepi00209_cor5.indd 235jleepi00209_cor5.indd 235 10/22/2007 8:14:38 PM10/22/2007 8:14:38 PM
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
1 / 11 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans l'interface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer l'interface utilisateur de StudyLib ? N'hésitez pas à envoyer vos suggestions. C'est très important pour nous!