Finances & Développement / Septembre 1999 45
Dans ces conditions, la crise financière, une fois déclen-
chée, a été difficile à arrêter. La débandade des investisseurs
nationaux et étrangers a créé un cercle vicieux : la dépré-
ciation des monnaies nationales a rendu un nombre croissant
d’institutions insolvables, réduisant encore les chances de
remboursement des créanciers et accélérant l’hémorragie de
capitaux. En outre, de nombreux facteurs défavorables sont
venus aggraver la situation après la mise en place des pro-
grammes appuyés par le FMI : les événements politiques et le
peu d’empressement des autorités à appliquer les mesures
convenues ont semé le doute quant à leur volonté de réforme;
des chiffres inquiétants (à propos surtout du bas niveau des
réserves internationales), jusque-là occultés, ont été dévoilés
au plus fort de la crise; en Indonésie, les indispensables ferme-
tures des banques insolvables n’ont été assorties que de ga-
ranties limitées pour les déposants sans assurance claire quant
à leur protection dans l’éventualité d’autres fermetures; en
outre, l’incertitude régnait quant au montant des concours
financiers qui serait effectivement disponible.
Gestion de la crise
La riposte, au travers des programmes appuyés par le FMI,
s’est organisée sur trois fronts : de vastes plans officiels de fi-
nancement, assortis de mesures visant à contenir l’exode des
capitaux privés; un ensemble sans précédent de réformes
structurelles; et des politiques macroéconomiques visant à
lutter directement contre la crise. La substance des pro-
grammes est étudiée de façon plus approfondie dans d’autres
articles (voir, par exemple, Lane et al., 1999), mais nous en dé-
crivons ci-dessous certains des aspects principaux.
Financement. Impressionnants à première vue, les montages
financiers élaborés pour venir en aide aux pays asiatiques
frappés par la crise (36 milliards de dollars pour l’Indonésie,
58 milliards pour la Corée et 17 milliards pour la Thaïlande)
ne l’étaient plus autant en comparaison des flux potentiels de
capitaux privés. De plus, ces sommes n’étaient pas entièrement
disponibles — du moins au départ — pour contrer les ten-
sions du marché. D’abord, les concours du FMI étaient dé-
caissables par tranches réparties sur la durée prévue des pro-
grammes, selon une formule habituelle qui doit inciter les
autorités des pays bénéficiaires à ne pas dévier des politiques
d’ajustement convenues, mais qui les a en fait empêchées de
contrer immédiatement les pressions du marché. En outre, une
partie de l’aide bilatérale promise à la Corée et à l’Indonésie —
la «seconde ligne de défense» — n’a jamais été décaissée.
Par ailleurs, les programmes ne pouvaient se déployer
comme prévu que si un montant substantiel de capitaux
privés demeurait sur place. L’objectif initial était de rassurer
les marchés pour que les investisseurs décident d’eux-mêmes
de ne pas retirer leurs capitaux. Seule la Thaïlande a cherché
d’entrée de jeu à conclure un accord implicite avec ses créan-
ciers. La Corée, qui a subi une sortie massive de capitaux
privés au cours des trois premières semaines de l’application
de son programme de réforme, n’a évité le défaut de
paiement que grâce à une entente de dernière minute con-
clue avec ses principaux créanciers bancaires en vue de la
reconduction de ses lignes de crédit, suivie d’un accord de
rééchelonnement de sa dette à court terme. En Indonésie, un
moratoire de fait a été imposé, et les discussions avec les
créanciers ont été entamées en février 1998. La restructura-
tion a été compliquée par le fait que près de la moitié de la
dette extérieure totale avait été contractée par des entre-
prises, et non des banques.
Il y a lieu de se demander s’il n’y aurait pas eu moyen
d’agir plus tôt et plus vigoureusement pour associer les
créanciers privés aux opérations de sauvetage, c’est-à-dire
de les obliger à maintenir leur niveau de financement net
dans les pays débiteurs — par la restructuration de la dette
et la régulation des sorties de capitaux. Cette idée est inté-
ressante : elle permet de briser le cercle vicieux sorties de
capitaux–dépréciation–insolvabilité, et de faire comprendre
aux créanciers privés que les concours financiers officiels ne
suffiront pas nécessairement à leur sauver la mise. Cepen-
dant, il n’est pas aisé, en pleine crise, de convaincre les inves-
tisseurs privés de prendre part au tour de table. Une inter-
vention musclée aurait presque certainement exacerbé la
contagion et risqué au total de causer un exode, et non un
afflux, des capitaux privés dans les pays touchés. La réflexion
de fond qui a suivi la crise a donc principalement porté sur
la mise en place de dispositifs préventifs pour maintenir
l’exposition du secteur privé, plutôt que sur l’adoption de
mesures radicales après coup.
Réformes structurelles. Les réformes structurelles ont été
d’emblée au coeur des programmes nationaux conçus pour
s’attaquer aux causes et aux conséquences de la crise, et créer
des conditions propices à la croissance à moyen terme. Les dé-
tails de ces réformes, qui sortaient en général du champ de
compétences du FMI, ont, dans bien des cas, été mis au point
en collaboration avec la Banque mondiale et la Banque asia-
tique de développement.
Les réformes structurelles visaient essentiellement le
secteur financier et les entreprises, avec un double objectif :
1) réparer les dégâts causés par la crise (fermeture des institu-
tions insolvables et renforcement de celles jugées viables; mise
en place de mesures visant à limiter les risques de ruée sur les
guichets des banques et l’expansion incontrôlée des liqui-
dités); 2) remettre le système sur une assise solide — no-
tamment en améliorant le contrôle et la réglementation du
secteur financier — afin de réduire les risques de nouveaux
problèmes. Ces deux volets étaient interdépendants. Il aurait
été vain de remettre sur pied des institutions faibles pour
qu’elles poursuivent leurs activités dans un système mal régle-
menté, et il y aurait eu très peu d’avantages à mettre en place
un système moderne de réglementation pour des institutions
insolvables ou au bord de la faillite.
Les réformes structurelles englobaient beaucoup d’autres
domaines. En vue d’améliorer la gestion des affaires publiques
et la concurrence, des efforts ont été engagés pour réformer les
monopoles et les cartels d’État, renforcer les lois sur la concur-
rence et accroître la transparence des données économiques et
financières. Les réformes du commerce international visaient
principalement à favoriser la poursuite de la libéralisation, afin
d’éviter un retour à la politique du chacun pour soi.
Les réformes du secteur social, destinées à consolider et à
élargir les dispositifs de protection sociale existants, ont été es-
sentielles, au vu des préoccupations suscitées par les effets de la
crise sur les populations pauvres et vulnérables. Elles visaient à
favoriser les transferts de revenus, à lutter contre le chômage au