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TOUT LE MONDE EST OCCUPE
NOTE D’INTENTION
Christian Bobin apporte un regard étonnant dans la littérature contemporaine, et
absolument unique dans le paysage du théâtre contemporain. Un regard plein d’une joie
profonde, à la recherche de la grâce. Un regard qui s’empare des choses les plus simples du
quotidien et les élève, les sublime.
Dans Tout le monde est occupé son écriture poétique –poésie vivante, incarnée- amène le
récit vers le conte. C‘est léger et cruel, comme le sont les contes.
L’histoire en elle-même est simple, c’est une succession de scènes quotidiennes, presque banales –
et c’est de ce banal que sans cesse nait la magie, l’extraordinaire, comme une incapacité à tolérer le
réel.
C’est une écriture que je qualifierai d’anti-événementielle : pas de héros, pas d’acte
historique, beaucoup de vide et de silence. Mais c’est justement dans ce vide que s’opèrent
les glissements oniriques, à partir de cette apparente quotidienneté que naissent les rêves
et les fantasmes.
Ici plusieurs réalités coexistent sans jamais se choquer. Christian Bobin met en lumière ce
que l’ordinaire contient d’extraordinaire. Comme s’il voyait le monde en étant de l’autre
coté du miroir.
Et il nous y amène avec lui.
Et l’on entre dans ce monde où tout est possible, où les morts se relèvent, où les amoureux
volent et où les animaux parlent comme l’on entrerait en soi même, pour redécouvrir cette
capacité de s’émerveiller que nous avons tous.
C’est, je crois, ce qui a été si fort dans ma rencontre avec ce texte.
J’y ai reconnu cette chose directe, crue et foudroyante : cette lucidité cruelle qu’ont les
enfants ; un trouble où se côtoient bonheur et tristesse, angoisse et plaisir, où l’on passe
dans la même seconde du rire aux larmes. Cette sensation de saisir le monde entier d’un
regard, de le transpercer, et d’être soi même transpercé par lui.
« Blessure et lumière vous arrivent en même temps, on ne peut faire le tri, on ne peut
demander un temps de réflexion, une pause, un répit. » C. Bobin
J’y ai reconnu aussi la force que l’on peut déployer pour s’accrocher à cet état d’enfance,
cette certitude que dans l’enfance se trouve le cœur battant du monde.
C’est à partir de cette sensation que je veux travailler, et avec la conviction que le regard que
l’on porte sur le monde peut le modifier.