Apports théoriques Recherche Action SVT 1- L’évaluation 1-1-Evaluer/contrôler Pour J. Ardoino (1991), l’évaluation est « dans quatre-vingt-dix pour cent des cas, n’est que du contrôle déguisé ». Nos observations en classe nous permettent de dire qu’il n’en est plus ainsi aujourd’hui. Toutefois il convient de poser la distinction entre évaluation et contrôle. J. Ardoino et G. Berger (1989) définissent le contrôle comme étant, tout à la fois, «un système, un dispositif et une méthodologie, constitués par un ensemble de procédures, ayant pour objet (et visée) d’établir la conformité (ou la non-conformité), si ce n’est l’identité, entre une norme, un gabarit, un modèle, et les phénomènes ou les objets qu’on y compare, ou, à défaut de l’établissement de cette conformité ou de cette identité, la mesure des écarts ». Les deux auteurs insistent notamment sur le fait que le contrôle s’effectue à partir d’un modèle de référence qui est toujours construit de manière extérieure et antérieure à l’opération de contrôle proprement dite. Il existe donc un « référent » défini préalablement et qui, s’agissant de l’apprentissage, représente un ensemble d’objectifs parfaitement définis. Dès lors, contrôler consiste à comparer les résultats obtenus, « les produits finis » aux objectifs poursuivis qui ont été définis préalablement sans prendre en compte le processus d’apprentissage lui-même. La subjectivité du contrôle n’intervient pas (ou peu…) puisqu’il s’agit de confronter des résultats obtenus à des résultats attendus inventoriés avec précision. Le contrôle s’intéresse à l’existence d’une série de connaissances répertoriées sans se préoccuper de l’usage que peut en faire l’élève, de l’attitude de l’élève face à elle, du processus qui a présidé à ces constructions. Toutefois, dans la pratique, l’évaluation et le contrôle sont difficilement dissociables. En effet, lorsqu’on contrôle, on ne dispose pas de la totalité des référentiels et dans cette situation on en construit. A l’inverse, il ne peut y avoir d’évaluation sans outils de contrôle : si on souhaite évaluer la compétence d’un élève à résoudre des problèmes centrés sur l’addition des nombres décimaux, on ne peut que passer par le contrôle de l’exactitude des opérations faites et de leur enchaînement logique. Pour illustrer l’ensemble de ces propos, nous proposons un tableau récapitulatif des différences que l’on peut faire entre les notions de contrôle et d’évaluation à la suite des travaux de J. Ardoino et G. Berger (1989), C. Hadji (1992), R. Bobichon, G. Gauzente et J.P. Rocquet (1994), L. Talbot (1997) et M. Vial (2001). 1 CONTROLE Processus qui relève plutôt de l’objet : processus plutôt objectif Constat d’écart entre un référé et un référent extérieur au système enseignement-apprentissage servant d’étalon, de norme. Les contrôleurs sont interchangeables de part leur situation d’extériorité Simple mise en conformité par rapport à la norme Feed-back négatifs (sanction). Le contrôle est souvent destiné à la hiérarchie. Le processus est sanctionnant et clôturant. Se limite à la performance Il utilise des dispositifs construits et transparents. C’est une approche monoréférentielle, le référent est externe et posé d’emblée. Aspatial, universel. La conception du processus est antérieure à celui-ci, il y a atemporalité. Ponctuel. Il apporte une appréciation conclusive qui annule toute émergence d’un dynamisme potentiel. Quantitatif Approche expérimentale Faute Rigidité EVALUATION Processus qui relève plutôt du sujet : processus plutôt subjectif La référentialisation (élaboration du référent) est intégrée au processus d’enseignementapprentissage Elle a une fonction : -diagnostique ou de départ - régulatrice ou formative - terminale ou sommative (validation, certification). La norme (le référent) est intérieure au système enseignement-apprentissage Il y a implication de l’évaluateur, ce qui suppose que celui-ci élucide sa propre position institutionnelle et sa place dans le système de part sa situation d’intériorité. Interrogation sur les valeurs (valeurs morales, esthétiques, philosophiques, politiques, existentielles). Feed-back positifs (évaluation). L’évaluation, en tant que processus, est partagée par le groupe. Elle pose la question de sa divulgation : à qui et à quoi sert-elle, qui en profite ? Vise l’activité de l’acteur Les dispositifs (les référents) ne sont pas donnés a priori : il s’agit d’élaborer des systèmes d’interprétation, à partir d’indicateurs, d’analyseurs. C’est une approche multiréférentielle. Ici et maintenant (hic et nunc), local, contextualisée. Elle est simultanée au processus, consubstantielle à celui-ci. S’inscrit dans la durée. Le processus accompagne l’action, il a une visée prospective. Qualitatif Approche clinique Erreur Souplesse, adaptation, négociation 2 1-2-Evaluation diagnostique/formative/sommative Les finalités de l’évaluation scolaire sont multiples. A partir des travaux de J.-M. de Ketele (1986) et de J. Vogler (1996), nous pouvons dresser le tableau synoptique suivant qui regroupe les grandes modalités que peut adopter en classe cette régulation qu’est l’évaluation. Elles sont au nombre de trois : l’évaluation diagnostique, formative et sommative. Celle qui est la plus proche de la régulation, de la médiation et de l’aide aux difficultés d’apprentissage est l’évaluation formative. 3 Fonction Intérêt tourné vers… Moment de passation Décisions à prendre Type de comparaisons effectuées Finalités EVALUATION EVALUATION EVALUATION DIAGNOSTIQUE FORMATIVE SOMMATIVE Fournir des Fournir des Fournir des informations informations relatives informations relatives relatives aux aux compétences et aux compétences et compétences et aux aux connaissances aux connaissances connaissances au terme d’ores et déjà en construction à d’une unité construites par les l’évalué et à d’enseignementapprenants l’évaluateur apprentissage L’aval (réussite L’amont (progrès L’aval (certification, ultérieure) réalisés, difficultés admission) rencontrées) Au tout début, avant Au cours de l’unité Au terme de l’unité d’introduire une d’enseignementd’enseignementnouvelle unité de apprentissage apprentissage cursus Adaptation du Adaptation, Certification, admission programme, régulation, au palier suivant, orientation et amélioration des conclusion admission des activités institutionnalisée (à ne apprenants d’enseignementpas confondre toutefois apprentissage, avec le contrôle) remédiation Inter-élèves Intra élève Plutôt pédagogiques et didactiques, adapter l’enseignement, orienter, faire un pronostic Pédagogiques et didactiques, améliorer le processus d’apprentissage et donc d’enseignement, diagnostiquer les réussites futures Qualités métriques prédominantes Validité pronostique Destinataires Le professeur Enseignement pratiqué Plutôt collectif Fréquences Questionnement Haute Quelles sont les connaissances d’ores et déjà construites ? Sontelles suffisantes ? Quelles sont les Validité des contenus et des constructions Le professeur et l’élève Inter-élèves Plutôt sociales, améliorer le résultat, orienter, faire un bilan Fidélité aux enseignements effectués Le professeur, le conseil de classe, l’institution globale, les parents Plutôt individualisé et Plutôt collectif, modes de individualisant, prise présentation constants en compte des styles et des stratégies d’apprentissage Haute Basse Comment s’effectue l’apprentissage des Quel est le niveau ? élèves ? Quelles Quels sont les sont les difficultés résultats d’apprentissage rencontrées en cours construit ? d’apprentissage ? 4 Objets représentations Quelles initiales ? Les modifications dans objectifs prévus sont- l’enseignement sontils les plus adaptés ? elles nécessaires Les représentations L’élève, ses d’ores et déjà connaissances, ses construites sur démarches, sa lesquelles pourront motivation, ses s’appuyer les difficultés, le apprentissages et les processus enseignements d’apprentissage nouveaux. dans sa globalité La performance indicatrice d’un niveau atteint, le produit final 1-3-Les finalités de l’évaluation Nous utilisons le pluriel car les finalités ne sont pas uniques puisqu'elles dépendent des perspectives et des objectifs poursuivis par les maîtres. Ce point est essentiel. Une distinction que l’on peut faire entre l’enseignement et l’animation par exemple est liée à l’évaluation. A la question : faut-il évaluer quand on enseigne? La réponse est assurément positive. Il n’y a pas d’enseignement sans possibilité d’évaluation, nous l’avons dit. Un premier élément de réponse à cette question est donc que les pratiques d’évaluation sont caractéristiques des pratiques d’enseignement. Si enseigner c’est mettre en place des conditions qui vont permettre l’apprentissage, enseigner est donc aussi évaluer. Faut-il tout évaluer ? Sûrement pas, trop d’évaluation risque de tuer l’évaluation. Globalement l’évaluation est un moyen pour l’enseignant de le conforter dans ses choix pédagogiques et didactiques, de réguler ses pratiques d’enseignement éventuellement, de les valoriser aussi. Elle a pour but de rendre intelligible l’apprentissage des élèves, de valider et de réguler l’action des acteurs (enseignants et élèves). Un deuxième élément nous est donné par J. Daniau (1989) qui distingue deux fonctions essentielles de l’évaluation, une fonction sociale et une fonction plus pédagogique. 1-3-1- L’évaluation est une pratique sociale L’évaluation a pour fonction de communiquer, de donner des informations. Dans ce cadre, l’évaluation peut permettre d’apprécier si les investissements engagés en matière de personnels, bâtiments, crédits de fonctionnement sont à la mesure des objectifs fixés. Elle peut viser à déterminer le degré de satisfaction des usagers de l’éducation nationale considéré comme service public qui sont les élèves, les parents ou de l’opinion publique. 5 Dans les moyens mis en œuvre pour conduire cette évaluation, on trouve les inspections administratives et pédagogiques, les rapports d’étude ou de recherche, les sondages d’opinions, les enquêtes à visée statistique. Les commanditaires sont divers : le ministère, les organes de presse, la recherche en éducation, les associations de parents d’élèves… A partir des informations recueillies, ce type d’évaluation permet d’engager des mécanismes de régulation (modification des structures existantes, ajustement, diffusion de directives particulières à caractère pédagogique ou relatives à l’organisation de l’enseignement, mesure en matière de gestion ou de formation des personnels). Les évaluations nationales CE 1 et CM 2 mises en place par la Direction Générale de l’’Enseignement Scolaire (DGESCO) sont dans cette logique. Ce type d’évaluation n’est pas directement lié aux pratiques d’évaluation des enseignants dans leur classe. Le point suivant l’est plus. L’évaluation peut en effet aussi avoir pour fonction de mettre en relation, avec la meilleure adéquation possible, le système de formation des élèves et les besoins de la société. Là encore, l’évaluation est destinée à l’institution. La mission formatrice du système éducatif doit aussi répondre aux exigences sociales, notamment sur le plan économique. Si les objectifs de l’Ecole jusqu’à la fin du collège sont essentiellement de trois ordres : instruire, socialiser et personnaliser, une quatrième mission apparaît à la fin de la troisième au collège, parfois avant, celle de l’orientation. Les procédures d’orientation sont mises en place pour à partir essentiellement des performances scolaires des élèves et des résultats à leurs évaluations. Tous les examens, les concours retournent de cette même logique, celle d’orientation et de certification. On peut enfin remarquer que les pratiques évaluatives des professeurs en classe lorsqu’elles sont sommatives ou s’apparentent plutôt à des pratiques de contrôle peuvent également détenir une fonction sociale. En effet, le carnet de notes, le bulletin scolaire, le livret scolaire permettent aux parents d’être informés du travail de leur enfant. Ils servent d’outils de communication et de mémoire des cheminements des élèves. Tandis que dans l’enseignement secondaire, les évaluations sommatives et les contrôles sont communiqués sous la forme de bulletins, l’école primaire assure cette communication sous la forme de livrets scolaires qui sont d’ailleurs obligatoires (à actualiser avec outils socle). Ce dernier point fait le lien avec la fonction pédagogique (médiation avec l’élève) ou didactique (relative au contenu d’enseignement et d’apprentissage) de l’évaluation. 6 1-3-2- L’évaluation est une pratique pédagogique et didactique Dans ce cadre on peut différencier trois situations correspondant à des destinataires différents. Tout d’abord, les pratiques d’évaluation renseignent le maître lui-même. Elles ont pour rôle d’auto-évaluer ses pratiques pédagogiques et didactiques. L’enseignant mesure les performances de ses élèves dans le but de réguler ses pratiques d’enseignement en fonctions des apprentissages repérés. L’objectif est de déceler les erreurs, les difficultés d’apprentissage afin de mettre en place des actions de régulation pour rendre les pratiques d’enseignement plus efficaces. Comme dans la fonction sociale, l’évaluation des résultats scolaires des élèves a aussi pour but d’informer les parents sur l’avancement des progrès d’apprentissage. Cette information peut avoir pour objectif d’associer les parents à l’éducation scolaire de leur enfants considérés d’ailleurs comme éducateurs à part entière par l’Ecole (loi d’orientation de 1989). Ainsi, ils peuvent s’informer sur le contenu des activités faites en classe, sur les résultats obtenus par de leur enfant et participer, sous des formes diverses, à l’amélioration des apprentissages. Enfin, et surtout, l’évaluation s’intéresse aux élèves eux-mêmes. Toutefois cette situation d’évaluation est plus souvent négligée par les acteurs. Or, on peut considérer qu’il s’agit là d’une dimension essentielle pour améliorer les apprentissages car, dans une perspective socioconstructiviste, on peut admettre que les élèves doivent savoir où ils en sont dans leur processus d’apprentissage pour pouvoir progresser. Dans ce cadre, l’évaluation sera plutôt formative 2 -Théories de l’apprentissage Les formes traditionnelles de l'enseignement et de la formation, et donc une certaine vision de l'apprentissage, ont subi les critiques des théoriciens et pédagogues novateurs depuis les écrits de J. J. Rousseau (1712-1778) essentiellement. En parallèle du développement du courant d'innovations pédagogiques avec notamment le mouvement de l'Ecole Nouvelle et l'émergence des méthodes actives à la fin du XIXe siècle et au tout début du XX e siècle, trois principaux courants se sont intéressés à l'étude des apprentissages au cours de ce même 1 Nous précisons cette notion dans les paragraphes suivants. 7 période. La présentation suivante ne tiendra pas compte de la porosité occasionnelle des frontières entre ces différentes orientations. Elle s’appuie sur une classification proposée par L. Not (1979). Le premier courant accorde la priorité à l'environnement (facteurs externes) de l'apprenant. L’auteur le nomme l'hétérostructuration. Cet hétérostructuralisme s'oppose traditionnellement au développementalisme qui met au premier plan le développement interne (facteurs internes) de l'individu : l’autostructuration. Enfin, L. Not dans une troisième approche, l’interstructuration, classe les théories qui privilégient les interactions entre les facteurs d’apprentissage internes et externes à l’élève. 2-1-L’hétérostrucruration Concernant les théories de l’hétérostructuration, on peut prendre deux exemples qui ne prétendent pas, bien sûr, à une présentation exhaustive de ce premier courant. 2-1-1- Le behaviorisme Le behaviorisme tout d’abord (comportementalisme en français), courant dominant dans la première moitié du XXe siècle, postule que l'apprentissage est une modification du comportement provoqué par un stimulus provenant de l'environnement. Le cerveau est vu comme un vaste réseau de neurones équivalents, l'apprentissage (et donc l'intelligence) reposant uniquement sur des associations. C'est I. P. Pavlov (1849-1936) qui le premier à la fin du XIXe siècle fournira une base expérimentale à la notion d'association en tentant de montrer qu'il n'y a pas associations entre des idées mais entre des indices appartenant à l'environnement (stimuli) et des comportements. Sa célèbre expérimentation réalisée avec un chien montre que ces animaux conditionnés par certains stimuli pressentent la présence prochaine de nourriture. Cette première découverte fut à l’origine, aux U.S.A., d’un vaste mouvement de recherche expérimentale sur l’apprentissage. Mouvement conduit, entre autres, par E. L. Thorndike (1874-1949), qui se fera connaître pour ces travaux sur l’apprentissage par essais et erreurs de chats affamés, et également par J. B. Watson (1878-1938), spécialiste de psychologie animale qui théorisa la question dès 1913. Ces travaux marquent le début du behaviorisme contemporain, dont l’influence sur la pédagogie américaine d’abord, puis, à travers elle, sur celle des autres pays sera énorme tout au long du XX e siècle. Ces deux psychologues démontrent l’existence d’une association entre le stimulus et la réponse dans les processus d’apprentissage et l’importance de l’effet de la réponse pour la suite du comportement, en quoi ils annoncent directement B. F. Skinner (1904-1990). La première période du behaviorisme est ainsi ouverte. Son approche traduit le scientisme exacerbé dans ce début 8 du XXe siècle et s'articule autour de la théorie du conditionnement fondée sur le concept de réflexe et sur la croyance que l'individu apprend en retenant des associations. Concrètement, B. F. Skinner, en conclut dans le champ éducatif à la mise en place d'encouragements ou de renforcements positifs (ou négatifs). Il s’est intéressé à l’effet des stimuli présentés après la réalisation d’une action (les rats qui dans une cage ont le choix d’appuyer sur deux pédales : l’une fournit de la nourriture, le seconde une décharge électrique…). Il en déduit donc que lorsque certains de ces stimuli sont présents après une action, l’individu répétait cette action plus fréquemment (le rat a tôt fait d’appuyer uniquement sur la première pédale). Il nomma alors ces stimuli des « renforçateurs », et le fait de présenter ces renforçateurs de façon systématique, le renforcement. Selon B. F. Skinner, l’interaction entre l’environnement (facteurs externes) et le comportement est réciproque. C’est à dire que l’environnement est changé par le comportement, qui à son tour est changé par l’environnement. Le renforcement est une technique qui a pour but d’augmenter la fréquence d’un comportement, comportement jugé adéquat pour l’apprentissage. On distingue alors le renforcement positif, où l’on ajoute un élément positif à l’environnement, du renforcement négatif, où l’on soustrait un élément aversif de l’environnement ou l’on rajoute un élément négatif à l’environnement. Le professeur qui fait un sourire à l’élève ayant donné une bonne réponse est un exemple de renforcement positif (facilitateur) ; par contre, le professeur qui prive ses élèves de récréation parce qu’ils n’ont pas terminé leur exercice est un exemple de renforcement négatif (inhibiteur). Le véritable régulateur de l'apprentissage est donc extérieur à l'enfant. L'apprentissage est structuré par des renforcements différenciés. On ne renforce que les apprentissages que l'on souhaite voir s'installer. Pour ces auteurs, tout comportement complexe se décompose en éléments simples correspondant chacun à une liaison triviale de type stimuli-réponse. Pour B. F. Skinner (1971), l'apprentissage devient donc une suite de comportements organisés en séquences plus ou moins longues. L'élève n'aborde l'étape suivante que si la précédente est maîtrisée. Poussant le raisonnement à son paroxysme, B. F. Skinner utilisa des machines à enseigner (des ordinateurs) dans des objectifs d'apprentissage avec pour objectif de remplacer les enseignants. A chaque fois que l'apprenant émettait une bonne réponse, la machine lui fournissait un renforcement positif (un message du type "c'est bien, exact, continuez... "). Tout ce qui se passe à « l'intérieur » de l'apprenant, son inconscient, ce qu'il vit, ce qu’il conçoit et ressent subjectivement n'est pas pris en compte. Seules les réactions extérieures méritent d'être observées. B. F.Skinner en 1985 dans le British journal of Psychology n'écrivait-il pas à la manière du manifeste d'E. Zola dans l'Aurore (1898): « J'accuse les 9 cognitivistes de se livrer à des spéculations sur les processus internes pour lesquels ils n'ont pas de moyens d'observation appropriés. J'accuse ... » Le behaviorisme qui privilégie les facteurs externes à l’élève dans ses apprentissages, nous l’avons compris, a favorisé l'émergence de la pédagogie par objectifs (P.P.O.). Elle est essentiellement centrée sur le comportement et l'activité observables de l'apprenant. C’est B. Bloom qui a développé les principes de la P.P.O. en proposant une taxonomie (liste) d’objectifs visant à développer des comportements cognitifs et affectifs. Ces objectifs permettaient de déterminer une activité précise de l’élève (par exemple « être capable de communiquer par un schéma») et de préciser les critères qui serviront à l’évaluation. La P.P.O., centrée sur l’élève, remet en cause les formes traditionnelles de l’enseignement et de l’évaluation (centrée essentiellement sur le maître) tout en s’orientant entièrement sur la réussite des élèves (évaluation plus formative). Ce type de pédagogie a connu une vogue exceptionnelle dans les années 1970. Pour revenir plus directement au behaviorisme, B. F. Skinner pense que l'enseignement programmé doit éviter aux élèves de se démotiver à la suite d’échecs trop fréquents. Les punitions morales ou corporelles (interdites en France depuis quelques années) ou le manque d’encouragements participent de ce phénomène. Pour le chercheur américain, tout est (relativement) simple. Des stimuli extérieurs, tels des activités, des récompenses ou des encouragements, sont à rechercher pour déclencher une irrésistible envie d’apprendre et mobiliser l’énergie ad hoc. Enseigner est donc dans cette théorie l’art d’identifier les facteurs déclenchants. Par la suite, des renforcements seront mis en place pour prolonger l’effet. Il s’agit d’apprendre contre récompense : le postulat qui sous-tend l’approche béhavioriste découpe donc le savoir en miettes, on laisse infuser et on vérifie que l'élève a bien appris (évaluation sommative). Si oui, on décerne un bon point. Sinon, on continue et on refait éventuellement. Cette démarche, utilisée beaucoup plus dans les écoles anglo-saxonnes, et finalement peu en France, peut être efficace pour certains apprentissages de notions techniques. Moins pour la philosophie par exemple. De fait, trois critiques fondamentales visent cette approche behavioriste : - un manque de globalité dans la présentation des programmes d'apprentissage et donc d’enseignement. La «complexité» des apprentissages est conçue à partir d'une longue chaîne d'éléments simples. Il y a illusion de performance d'une démarche qui part du simple pour aller au compliqué et/ou au complexe, à partir d'un modèle de type additif. Chaque étape est une brique supplémentaire. Souvent, cette démarche ne conçoit pas la restructuration avec les étapes précédentes. 10 - une ignorance totale des représentations, des conduites motivationnelles, des projets et de l'action des élèves en situation d'apprentissage. On considère les enfants comme des sujets épistémiques. Leur affectivité propre n'est pas prise en compte. - les travaux de E. C. Tolman (1886-1959) sur l’apprentissage latent ont prouvé de façon exemplaire le bien-fondé de la distinction entre compétence et performance en même temps qu’ils ont battu en brèche la conception behavioriste classique de l’apprentissage. Résumons brièvement l’une des expériences de l’auteur (Tolman & Honzik, 1930). On place des rats dans un labyrinthe. Certains, qui reçoivent systématiquement de la nourriture (renforcement positif) à la sortie du labyrinthe, améliorent leurs performances de jour en jour. D’autres, qui n’en reçoivent pas (renforcement négatif), font très peu de progrès. Mais au bout d’une dizaine de jours, on récompense tous les rats. On constate alors que le niveau de performance s’égalise. Les rats non récompensés avaient donc appris le labyrinthe de façon latente, mais ne le manifestaient pas. Cette expérience montre qu’il n’est pas toujours possible d’évaluer adéquatement les compétences sur la base des seules performances. Durant cette même période en France, une autre approche prend son essor tout en expliquant l’apprentissage essentiellement par des phénomènes externes à l’individu : la sociologie de l’éducation. 2-1-2- La sociologie de l’éducation Dans une optique fort différente, la sociologie de l'éducation s'attache à étudier les effets des contextes (caractéristiques familiales, socioculturelles ...) sur les performances cognitives des individus. Elle montre à quel point les enfants sont soumis à des apprentissages "implicites" et différents selon les milieux sociaux. B. Bernstein (1924-2000) sociologue britannique, spécialiste de la sociolinguistique, a montré comment deux codes linguistiques ("code restreint" ou "code élaboré" ) fonctionnent inégalement selon le milieu social d'appartenance (Berstein, 1975). Sa théorie du déficit linguistique postule que la réussite scolaire notamment (mais également sociale, économique, culturelle …) est socialement déterminée par la maîtrise par la « classe dominante » des instruments d’expression symbolique. Les élèves favorisés auraient accès à une très grande variété des langages selon le statut social et culturel de l’interlocuteur, tandis que les élèves issus des couches populaires défavorisées souffriraient d’un déficit linguistique qui les cantonnerait dans un statut de dominés 11 Plus près de nous, J. Lautrey (1980) a classé les pratiques éducatives des familles en trois catégories : milieu faiblement structuré (absences de règles sociales explicites), milieu souplement structuré (règles contextualisées) et milieu rigidement structuré (règles appliquées quel que soit le contexte). Il prend l’exemple des règles familiales qui organisent l’usage de la télévision par l’enfant chez lui : - structuration "faible" : aucune règle ne permet à l'enfant de savoir s'il pourra ou non regarder la télévision. Il se peut qu'il puisse la regarder jusqu'à une heure avancée, où qu'il ne puisse la mettre en marche. - structuration "souple" : certaines limites sont fixées (une heure à ne pas dépasser par exemple), mais sont modulées par des considérations plus "périphériques", plus contextuelles. Par exemple le fait que le lendemain soit un jour avec ou sans école peut modifier la règle, de même cette même règle pouvant même subir des exceptions si une émission a un rapport avec le programme scolaire de l'enfant par exemple… - structuration "rigide" : les conditions dans lesquelles l'enfant peut regarder la télévision ont été fixées une fois pour toutes. Ce peut être une heure limite, ou une liste d'émissions. Il n'y a pas de dérogation à ce règlement en fonction des circonstances, en fonction du contexte. La connaissance des pratiques relatives à l'usage de la télévision n’est bien sûr pas suffisante et J. Lautrey se garde bien de tirer des conclusions. Par contre, les travaux du spécialiste de la cognition et du développement, montre que si l’on observe le même type de structuration dans un grand nombre de circonstances pour une famille donnée, il devient alors possible de dire qu'elle fournit à l'enfant un environnement structuré de façon "faible", "souple", ou "rigide" et qu’il n’est pas sans liens avec les performances scolaires de l’élève. J. Lautrey démontre une corrélation (qui n’est pas un lien de cause à effet) forte entre l'éducation familiale souplement structurée et une meilleure réussite des enfants à des épreuves cognitives. « Les enfants élevés dans des milieux souplement structurés ont de meilleures performances intellectuelles que ceux élevés dans des milieux faiblement ou rigidement structurés. Cette différence de réussite paraît explicable par une différence d’attitude face aux perturbations cognitives : les sujets élevés dans un environnement souplement structuré auraient moins de résistance à prendre en compte les perturbations cognitives en considération et seraient ainsi plus fréquemment conduits à la construction de structures nouvelles ». 12 Des travaux beaucoup plus connus, comme ceux de P. Bourdieu et J.-C. Passeron (1964, 1970) ou ceux de Ch. Baudelot et R. Establet (1972, 1975) soulignent également l'influence des milieux familiaux et socioculturels sur le devenir des élèves et des étudiants. Leur célèbre théorie de la reproduction exercera une influence considérable sur la manière d’envisager le problème de l’inégalité devant l’Ecole : l’accès de la masse des élèves aux savoirs scolaires non seulement n’entraverait pas le phénomène de reproduction de la domination sociale mais au contraire le favoriserait. C’est parce que la sélection scolaire s’effectuerait selon les critères de performance et d’excellence définis par les classes dirigeantes que les enfants issus des milieux populaires seraient par avance voués à l’échec car ils auraient construit un habitus2 éloigné de celui favorisé dans le système scolaire. L’Ecole et les enseignants s’avéraient donc être, selon cette théorie, les vecteurs très souvent inconscients de la reproduction des inégalités sociales. Ce discours sociologique rencontra un écho très large, bien au-delà des frontières disciplinaires et universitaires. Une certaine hégémonie de ces perspectives à une époque (années 70 et début des années 80) a peut-être contribué à démobiliser les enseignants, tant elles paraissaient stériliser leurs propres actions. Chez les sociologues marxistes ou néomarxistes, les maîtres se trouvaient accusés de participer à leur insu, et souvent même au nom de l’école libératrice, à la reproduction de la division sociale. Il y eut toutefois, à la même période, une explication concurrente proposée par R. Boudon (1973). Elle faisait apparaître un lien faible entre le niveau d’instruction et la mobilité sociale. Dans ce modèle de l’individualisme méthodologique défendu par l’auteur, la marge d’action de l’individu est théoriquement plus grande. A la différence des thèses de P. Bourdieu, J.-C. Passeron, Ch. Baudelot et R. Establet, l’Ecole n’est pas décrite comme une machine à reproduire les inégalités sociales. L’’inégalité des chances résulterait en fait, de stratégies individuelles (par le choix des options et des projets d’orientation par exemple) s’expliquant elles-mêmes par l’origine sociale. Ainsi, les causes de l’apprentissage sont d’un point de vue sociologique externalistes avec deux visions que l’on oppose souvent bien que l’on puisse les considérer comme complémentaire. L’une est « déterministe », c’est la vision partagée par P. Bourdieu, l’autre 2 L’habitus est la façon dont les structures sociales influencent nos manières d'être, de penser, de percevoir et d’agir dans le monde. Ces tendances à certaines conduites sont communes à plusieurs personnes de même origine sociale. Elles sont issues de l'incorporation inconsciente des normes et pratiques véhiculées par le groupe d'appartenance. L’habitus est une construction sociale, en rien un destin qui serait génétique. Il s’agit d’intériorisation de l’extériorité. Ces dispositions, ces représentations, ces comportements sont incorporées de façon durable. Selon P. Bourdieu, c'est l'habitus qui explique la reproduction, à l'insu des acteurs eux-mêmes, des rapports sociaux. 13 est plus « actionniste » : l’acteur est considéré comme ayant des marges de manœuvre plus importantes grâce à son action, sa volonté et ses choix personnels. Cet hétérostructuralisme s'oppose traditionnellement à l’autostructuration qui met au premier plan les facteurs internes de l'individu dans l’apprentissage 2-2-L’autostructuration 2-2-1-L’innéisme L'innéisme, est une théorie proche de celle de l’aptitude (La Borderie, 1998) selon laquelle, les capacités d’apprentissage des élèves seraient innées. On parle également d’une théorie des dons. Cette croyance est présente dès l'antiquité grecque puisque Platon disait qu'apprendre consistait à se remémorer des idées contemplées en d'autres vies, Aristote développait l’idée selon laquelle certains sont nés pour être esclaves et d’autres pour gouverner… Plus loin, A. Binet, au début du XX e siècle expliquait le phénomène de l’échec scolaire persistant par des « incapacités naturelles». Cette vision des choses se retrouve également dans les écrits de N. Chomsky. Pour lui, les règles linguistiques (et donc une certaine forme de l'intelligence) sont générées de l'intérieur : elles sont relatives à l'espèce, invariantes selon les individus, indépendantes des contextes. Il les compare aux programmes innés des animaux qui sont inscrits dans leurs comportements. Pour N .Chomsky, le cerveau humain possède une disposition innée à acquérir un langage dans des environnements radicalement différents. Dans un célèbre débat avec J. Piaget, l'américain ne nie pas le rôle essentiel que joue l'environnement dans le développement général de l'individu mais il affirme qu'il ne peut y avoir d'essor initial que grâce à une organisation propre à l'homme, organisation génétique, donc innée (ce qu'il nomme le noyau fixe) : « Organes mentaux et organes physiques sont les uns comme les autres déterminés par des propriétés propres à l'espèce et génétiquement déterminés, bien que dans les deux cas l'interaction avec l'environnement soit nécessaire pour déclencher le développement... » Les tests d’aptitude intellectuelle qui sont nés dans les premières décennies du XX e siècle exercent une influence énorme sur le monde de l’éducation et, malheureusement, elle sera, dans bien des cas, nocive. Comme F. Galton, C. L. Burt, K. Pearson, A. Binet (dans une certaine mesure), L. W. Terman et tant d’autres intellectuels du début du XX e siècle croient profondément au caractère héréditaire de l’intelligence ; c’est pourquoi ils accordent tant d’importance au placement « correct » des élèves dans les classes de niveau. Le tri ainsi 14 pratiqué dès le jeune âge se révéla, par la suite, injuste dans bien des cas et peu favorable à l’épanouissement des élèves, notamment les plus faibles. Non seulement il priva nombre d’individus de leurs vraies chances de développement, mais il fut mis au service d’un ordre social où, par son équipement génétique, la majorité était censée faite pour servir une minorité. Le fait que les jeunes gens noirs aux U.S.A. réussirent beaucoup moins bien les Army Tests que les blancs ne manqua pas de renforcer la croyance de l’époque en la supériorité intellectuelle de ces derniers… Les idées de L. W. Terman permettent probablement le mieux de percevoir comment les effets nocifs purent se produire. R. M. Travers (1983) relève les considérations suivantes dans l’introduction de L. W. Terman à son adaptation américaine de l’échelle de Binet-Simon (The Measurement of intelligence, 1916) : « Terman insiste sur l’héritabilité de l’intelligence et il cite des preuves typiques pour l’époque. Il discute aussi de la relation entre criminalité et les faiblesses intellectuelles. Il pense que les tests d’intelligence devraient être utilisés pour placer les élèves dans une année d’études déterminée et semble préconiser que les classes soient composées d’élèves de même âge mental et non de même âge civil. Il propose aussi d’utiliser les tests pour discerner des autres les déficients mentaux inéducables (…). Il voit aussi dans les tests d’intelligence le moyen de découvrir les mieux doués afin de leur donner une éducation appropriée. Il pense que les tests d’intelligence permettraient d’apporter la réponse à des controverses sociales telles que « Les races réputées inférieures le sontelles vraiment ? » ou « Les classes inférieures dans le complexe social et industriel le sontelles à cause de leur équipement mental inné ? » L. W.Terman déclare clairement « A l’exception du caractère moral, rien n’est plus important pour l’avenir d’un enfant que son degré d’intelligence. » L.W.Terman est donc logique avec lui-même quand, en 1922, il propose que, dans les écoles fréquentées par peu d’élèves, on crée au moins une classe forte et une classe faible pour chaque année d’études ; pour les écoles à forte population, il suggère jusqu’à cinq groupes de niveau intellectuel, allant des « surdoués » aux « spéciaux » Cette théorie, en déclin en Europe depuis la seconde guerre mondiale, trouve de nouveaux défenseurs ces derniers temps, notamment aux Etats-Unis avec le courant créationniste. Très récemment, en 2006, le professeur irlandais R. Lynn développe une enquête sur le quotient intellectuel des européens (étude publiée dans le Times, mars 2006). Cette étude affirme doctement que les Allemands seraient le peuple le plus intelligent en Europe. Et ce loin devant les Britanniques et de très loin devant les espagnols (15 e) ou les français (19e) : le quotient intellectuel (Q.I.) moyen serait de 107 pour les Allemands qui devancent d’un souffle les Néerlandais (106), les Polonais (105), Suédois (104) et Italiens (102), Les Britanniques (100), Espagnol (98) et les Français (94) qui ne devancent que la Bulgarie, La 15 Roumanie, la Turquie et la Serbie. Cet auteur, avait déjà fait beaucoup parler de lui en 2005, en affirmant que les hommes avaient en moyenne un Q.I. supérieur de 5 points à celui des femmes. Toujours selon ce chercheur, la différence de Q.I. entre les Français et les Britanniques serait en fait une des raisons des nombreuses victoires militaires de la GrandeBretagne sur la France au cours des siècles. Selon ce même professeur « C’est une loi non reconnue de l’histoire que le camp doté du plus grand Q.I. l’emporte en général, sauf s’il présente une réelle infériorité numérique, comme ce fut le cas des Allemands après 1942. » Toujours selon R. Lynn, ces différences de Q.I. seraient dues au fait que les populations soumises à des climats plus froids dans le nord de l’Europe auraient développé des cerveaux plus volumineux. Selon les calculs de l’Université de l’Ulster, la taille moyenne du cerveau humain en Europe du Nord et Europe centrale est de 1320 cm3, contre 1312 cm3 en Europe du Sud-Est… Devant ces thèses qui postulent que l’individu n’est que le produit de ses gènes, la marge de manœuvre pour l’enseignant est faible… L’évaluation qu’il pratique n’a qu’un seul objectif : repérer les individus doués et les sélectionner, repérer les faibles pour les écarter. Aucun aspect formatif ne peut être envisagé et dans cette perspective, l’évaluation formative n’a pas lieu d’être. 4-2-2-Le maturationnisme L'autre sous-courant privilégiant l'autostructuration est celui du maturationnisme qui stipule que le développement des individus est déterminé par des modifications successives d’ordre biologique. Ainsi, pour A. Gesell (dans les années 1930-1940), tous les caractères des êtres vivants existent dans l'organisme dès leur naissance. Leur développement ne peut se dérouler que dans un ordre immuable, celui de la maturation nerveuse notamment (pour la marche par exemple). La maturation nerveuse tient pour une large place à la rapidité de la propagation de l’influx nerveux. Le nombre de réseaux neuroniques mis en œuvre est alors plus grand. La vitesse de propagation augmente quand les fibres nerveuses sont recouvertes d’une fine couche de lipides : la gaine de myéline. Le processus de myélinisation permet l’acquisition de la coordination, et donc pour le jeune enfant de la marche et du langage. Pour ce courant dénommé également "développementaliste", le contexte n'a aucune influence sur le développement cognitif, au contraire du behaviorisme. Paradoxalement, ces deux approches se rejoignent dans la vision qu'ils ont de l'élève. Le sujet demeure "passif" face au contexte : dans un cas, il doit attendre d'être "mûr" (et on peut l’aider à attendre en le 16 faisant redoubler…) pour pouvoir se développer, dans l'autre, il est soumis aux contraintes externes, aux stimuli. La troisième approche est celle de la psychologie du développement dont la figure emblématique est J. Piaget. Elle montre que le tout-génétique et que le tout-social sont impasse. 4-3- L’interstructuration L’interstructuration démontre que les facteurs d'apprentissage ne sont ni exclusivement externes, ni exclusivement internes à l'individu mais que c’est la tension entre ces deux types de facteurs qui optimise le processus d'apprentissage. La principale rupture avec l'approche de l’hétérostructuration et le behaviorisme notamment est un militantisme contre un apprentissage par émission-réception qui privilégiait le processus enseigner au détriment du processus apprendre. Il se démarque également du développementalisme en accordant un rôle essentiel au contexte en soulignant le primat de l'action de l’élève vis-à-vis du contexte. 4-3-1- Le constructivisme La théorie piagétienne, le constructivisme, est probablement la plus élaborée de tous les modèles du développement cognitif. Elle a généré de nombreuses recherches et interventions dans le domaine de l'éducation et de la formation. Elle est désormais indispensable à la compréhension du processus d'apprentissage et donc d'enseignement. Son originalité est de constituer une grille d'analyse des difficultés des apprenants en terme d'opérations intellectuelles et non plus simplement en termes de connaissances ou des performances. Apparaissent alors les potentialités des individus propices à une définition d'une dynamique formative, et donc liées à des pratiques d’évaluation formative de la part des enseignants, l’objet central de l’ouvrage. J. Piaget (1896-1980) a substitué à la question de savoir comment la connaissance est possible, la question de savoir comment et pourquoi elle est toujours possible et toujours en progrès. La théorie piagétienne de l'intelligence se démarque des modèles cumulatifs qui conçoivent le développement comme une accumulation progressive des connaissances d'une manière quasiment linéaire grâce à la maturation (maturationnisme) ou à l'environnement (behaviorisme). Dans ces optiques-là, nous l’avons vu, l'apprentissage est essentiellement 17 fonction de la répétition, de la force de l'habitude. J. Piaget s'oppose délibérément au behaviorisme mais également à l'innéisme : « Cinquante années d'expériences, nous ont appris qu'il n'existe pas de connaissances résultant d'un simple enregistrement d'observations, sans une structuration due aux activités du sujet. Mais il n'existe pas non plus (chez l'homme) de structures cognitives a priori innées : seul le fonctionnement de l'intelligence est héréditaire et il n'engendre des structures que par une organisation d'actions successives exercées sur des objets. » Dans la théorie opératoire de J. Piaget, le développement ne s'opère pas sous l'effet d'une accumulation stratifiée d'informations mais plutôt comme un perpétuel mouvement de déstructuration puis de restructuration dû aux interactions entre le sujet et son milieu. « ... Mon but qui était de découvrir une sorte d'embryologie de l'intelligence était adapté à ma formation biologique; dès les débuts de mes réflexions théoriques, j'étais convaincu que le problème des relations entre organisme et milieu se posait aussi dans le domaine de la connaissance, apparaissant alors comme le problème des relations entre le sujet agissant et pensant et les objets de son expérience... » Nous n'allons pas exposer ici les théories de J. Piaget in extenso qui sont maintenant fort connues. Toutefois, on peut rappeler que ses thèses s'orientent sur quatre grands axes. Les deux premiers ne font pas l’unanimité aujourd’hui et sont parfois critiqués, les deux suivants constituent encore aujourd’hui des points fondamentaux pour comprendre les mécanismes d’apprentissage. Ils sont partagés par la quasi unanimité de la communauté scientifique. Le premier axe est un certain ancrage dans la biologie (cf. la citation ci-dessus). J. Piaget, soutint une thèse en 1921 en zoologie (dont le titre était "Introduction à la malacologie valaisane"). Pour l’auteur, il y a continuité entre le développement biologique et le développement cognitif (nous sommes proche là des thèses maturationnistes). Cette importance attribuée au fonctionnement biologique a conduit L.S. Vygotsky (1896-1934) à classer le modèle piagétien parmi ceux qu'il appelle avec dérision les modèles « botaniques ». Il s'agit de modèles privilégiant la maturation nerveuse pour expliquer le développement. Le deuxième point déterminant de la théorie piagétienne est la stadologie rythmant le développement de l'enfant. J. Piaget a divisé en plusieurs stades le processus d'acquisition des capacités mentales de l'enfant. La notion de stade ne lui est pas propre. Elle a cependant un statut et une fonction bien précise dans sa théorie du développement. La 18 description des stades observables et leur formalisation ne sont pas le but mais l'instrument de l'étude du développement qui vise en dernier ressort à expliquer le processus d'évolution. Dans le modèle proposé en 1957, l'idée centrale est que toute structure opératoire nouvelle est rendue possible grâce aux résultats acquis de la précédente. Chaque stade est subdivisé en deux niveaux et chaque niveau en sous-stades. A chaque étape (stade, niveau ou sousstades), les connaissances nouvelles sont organisées, nous l'avons vu, et non pas simplement accumulées d'une manière linéaire. Il convient de préciser également que l'accès à chaque étape nouvelle est préparée par l'étape antérieure, d'où le nom de modèle « constructiviste ». Ces différents paliers sont hiérarchisés les uns par rapport aux autres, les structures constitutives d'un stade inférieur servant de base et devenant partie intégrante du stade suivant, de telle manière qu'il ne peut être question de « manquer » ou de « sauter » l'un de ces stades. C'est un des deux points (avec l’ancrage dans le biologique) qui sont parfois remis en question : il est constaté que des sujets qui ont atteint des niveaux d'abstraction très développés peuvent néanmoins raisonner, dans certaines circonstances, comme de jeunes enfants… Le troisième élément majeur du modèle piagétien est l'importance de l'action. Les rapports entre l’action et la connaissance sont au centre de sa théorie. Ils sont abordés dans cinq ouvrages essentiels (1936, 1937, 1946, 1974a et 1974b). C’est dans ce dernier livre que l’on trouve l’exposé le plus clair des thèses piagétiennes. Dans la conclusion, l’auteur rappelle les hypothèses principales défendues au travers les multiples expériences menées avec des enfants d’âges divers : « l’action constitue une connaissance (« un savoir faire ») autonome, dont la conceptualisation ne s’effectue que par prises de conscience ultérieures ; (…) celles-ci procèdent selon une loi de succession conduisant de la périphérie au centre, c’est à dire partant des zones d’accommodation à l’objet pour aboutir aux coordinations internes des actions ». L'activité de l'enfant est donc déterminante dans son propre développement. Il sera un « fabricant de schèmes » et ses actions sur son environnement alimenteront sa connaissance du monde qui l'entoure, en la renforçant, en la questionnant, en la modifiant, en la remplaçant... Les schèmes sont en fait l'organisation et la structure de l'action. Lorsqu'ils sont construits, ils peuvent être transférés d'une situation à une autre, généralisés ou coordonnés avec d'autres structures déjà mises en place et donner ainsi naissance à des schèmes nouveaux. C'est parce que l'individu est actif dans ses apprentissages qu'il pourra s'adapter, structurer et organiser son environnement. Dans un tel modèle, apprendre revient donc à appliquer et coordonner des schèmes d'action, c'est à dire finalement à agir. C'est en ce sens que l'on peut classer le modèle piagétien dans les modèles interactifs en l'opposant 19 aux modèles cumulatifs. C’est en forgeant qu’on devient forgeron… C’est en lisant qu’on apprend à lire, comme c’est en nageant qu’on apprend à nager. Le quatrième et dernier axe est l'importance de l'adaptation et de l'organisation dans le processus d'apprentissage. L'organisation cognitive est alimentée par les actions adaptatives de l'enfant. Cette dynamique entre adaptation (externe) et organisation (interne), sera le moteur du développement. Les actions vont introduire des perturbations, des conflits dans l'organisation cognitive. L'enfant va répondre à ces perturbations par une autorégulation que J. Piaget nomme "régulation". Les équilibres pourront s'établir sur une base plus large que les équilibres précédents, on parlera alors de (ré)équilibration majorante (équilibration et non équilibre car il s'agit d'un élan, un jaillissement perpétuel sans début ni fin absolus). Ce processus d'adaptation procédera par la conjonction de deux processus : l'assimilation et l'accommodation. assimilation Sujet Objet accommodation Schéma n°1-1 L’équilibration majorante de J. Piaget Par assimilation, J. Piaget entend l'appropriation par le sujet d'un élément extérieur (objet, événement, etc.). L'individu assimile les informations en provenance de l'environnement , du contexte. Toute action (et toute opération) en se répétant se généralise et permet au sujet d'incorporer des éléments nouveaux. On apprend et donc on connaît que dans la mesure où on s'approprie l'objet en lui imposant ses structures (assimilation), lesquelles dépendent du niveau d'organisation du sujet pour se confronter au monde. J. Piaget a défini l'assimilation comme « l'intégration à des structures préalables qui peuvent demeurer inchangées ou sont plus ou moins modifiées par cette intégration même, mais sans discontinuité avec l'état précédent, c'est à dire sans être détruites et en s'accommodant tout simplement à la nouvelle situation . » Ainsi, toute assimilation est une restructuration et une réinvention. 20 Par l’accommodation l'apprenant intègre les particularités de l'élément, de sa spécificité. Le sujet accommode ces structures préexistantes (schèmes) en fonction des informations nouvelles qu'il perçoit. L'accommodation est donc l'envers de l'assimilation et non pas un processus distinct et de sens contraire. Pour J. Piaget l'accommodation est « toute modification des schèmes d'assimilation sous l'influence des situations extérieures auxquelles ils s'appliquent. » Toute information nouvelle est donc assimilée et accommodée par le sujet qui construit ainsi une nouvelle connaissance qui n'est en aucun cas un ajout aux connaissances antérieures. Il y a véritablement construction et organisation de structures. Tout schème, quel qu'il soit, lorsqu'il s'applique à un objet quelconque du milieu, doit s'accommoder aux particularités de l'objet qu'il assimile pour pouvoir se généraliser. Sous l'effet de ces facteurs externes, l'organisation (la structure) interne de l'individu se modifie donc jusqu'à se déséquilibrer. Pour rétablir un équilibre (plus confortable), le sujet va développer une activité structurante, une sorte d'autorégulation; c'est le processus de rééquilibration. J. Piaget la nomme « rééquilibration majorante » car elle s'opère dans le sens d'un développement positif, elle assure à la fois progrès et stabilité. Il s'agit là du concept central de l'explication piagétienne. Cette approche constructivisme, malgré son « charabia » techniciste que nous avons abordé (en partie) ci-dessus a le mérite de déplacer la problématique sur l’élève. Apprendre, donc, ce n'est pas se contenter de recevoir, c'est construire ses propres connaissances. On n'assimile bien que si l'on se pose des questions, si on résout des problèmes, si on est actif. L'élève sélectionne les données qui lui sont proposées et les digère. Cette théorie a pris son essor à partir de la fin du XIX e siècle, puis s’est développée au XX e avec O. Decroly (18711932), J. Dewey (1859-1952), C. Freinet (1896-1966), M. Montessori (1870-1952) E. Claparède (1873-1940), R. Cousinet (1881-1973), O. Decroly (1871-1932), F. Deligny (19131996), J. Dewey (1859-1952), C. Freinet (1896-1966), P. Freire (1921-1997), A. S. Makarenko (1888-1939), M. Montessori (1870-1952), F. Oury (1920-1998), J. H. Pestalozzi (1746-1827) pour ne citer que les plus connus. Elle a inspiré les pédagogies actives (ou nouvelles) et donc a été théorisée, nous l’avons vu, par J. Piaget. Il s’agit d’apprendre par l'action, mettre «la main à la pâte» pour reprendre une expression popularisée par l’E.N. et impulsée par le Prix Nobel G. Charpak à partir du mois de septembre 1996. Cette opération de rénovation de l’enseignement des sciences et de la technologie à l’Ecole, toujours d’actualité (20 % des classes de l’école maternelle et élémentaire en France l’appliquent aujourd’hui), est destinée à sensibiliser les élèves aux sciences expérimentales et à faire en sorte que de véritables pratiques constructivistes se mettent en place au sein des classes. Les enseignants volontaires sont invités à atteindre les objectifs nationaux dans le domaine en mettant en œuvre des pratiques d’enseignement dans lesquelles les élèves, accompagné 21 par le maître, se comportent en véritable apprentis chercheurs en développant la démarche expérimentale « O.H.E.R.I.C. 3» qui sera évaluée de manière formative. Mais le constructivisme a aussi ses limites. Trois critiques sont souvent formulées par les professionnels ou par la communauté scientifique: - le manque de structure que peut générer ce type de démarche. Il faut permettre à l’enfant d’établir un cadre, de poser des jalons. Et donc en passer, aussi, par du « solfège », comme le par-cœur par exemple. En matière de mémoire, comme dans d’autres domaines, il faut sûrement jouer sur les deux registres, par-cœur et compréhension. Dans le domaine de l’apprentissage et de l’enseignement de la lecture, par exemple, la polémique récente nous a permis de bien comprendre que les deux approches (directe ou globale et indirecte ou syllabique) étaient, non pas à opposer, mais bien à développer de façon complémentaire. Les exercices répétitifs ont ainsi aussi leur intérêt et peuvent rassurer des élèves en manque de repères. - développer des pratiques constructives est chronophage : il faut beaucoup de temps, élément qui manque souvent aux enseignants qui ont du mal à boucler le programme… - cette théorie est parfois considérée comme quelque peu frustre car elle ne dit pratiquement rien sur le contexte social ou culturel des apprentissages. Le socio-constructivisme reprend les thèses piagétiennes en grande partie tout en soulignant un élément fondamental : l’importance de la médiation sociale dans les apprentissages. 4-3-2-Le socio-constructivisme J. Piaget a mis en évidence le rôle fondamental de l’activité propre de l’enfant dans la construction de ses connaissances. Des recherches complémentaires (Bandura, 1976 ; Bruner, 1983 ; Doise & Mugny, 1981 ; Perret-Clermont, 1979 ; Vygostky, 1934) prolongent cette perspective en montrant, par une série d’expériences auprès de petits groupes d’enfants, comment l’individu est en fait « co-auteur » de son développement intellectuel. Qui sont ses partenaires dans cette élaboration cognitive ? Des adultes certes (les parents, les professeurs …), mais aussi des pairs (les autres élèves de la classe). La richesse des interactions sociales avec un adulte ou avec des élèves est mise en valeur pour le développement de l’intelligence dans le courant du socio- 3 O.H.E.R.I.C. : Observation, Hypothèse, Expérimentation, Résultat, Interprétation, Conclusion. 22 constructivisme. La qualité des guidages, des médiations que l'apprenant va recevoir sera déterminante. Pour reprendre le schéma n°1-1 décrit par J. Piaget, le processus d’équilibration majorante ne pourra s’opérer sans médiation sociale : médiation assimilation Sujet Objet accommodation médiation Schéma n°1-2 Le rôle de la médiation dans le processus d’équilibration majorante Ces approches ont en commun de fixer l'origine du développement de la pensée dans la médiation sociale. Tout être humain est composé d'un capital intellectuel pour apprendre et ce sont les interactions (sociales) et donc la médiation (sociale) qui permettront les processus d'apprentissage. En cela ces modèles s'éloignent du behaviorisme et du constructivisme piagétien. Par rapport au behaviorisme, ils tentent de prendre en compte la « boîte noire » en étudiant l'activité cognitive des sujets et en ne se contentant pas d’observer le comportement de l’élève. Par rapport au constructivisme, ils dépassent une simple caractérisation physique de l'environnement en posant que l'environnement du sujet est d'abord social (W. Doise et G. Mugny ) voire même culturel (L. S. Vygotsky, J. Bruner). A. Bandura (le comportement vicariant4), W. Doise, G. Mugny, A.-N. Perret-Clermont (le développement social de l'intelligence, le conflit socio-cognitif5), L.S. Vygotsky (la zone 4 A. Bandura (1976) défend l’idée selon laquelle l’imitation permet d’apprendre pour peu qu’elle soit active. Ce modelage par l’action d’autrui requiert qu’autrui soit perçu comme une ressource potentielle pour l’apprenant. 23 proximale de développement), J. Bruner (les fonctions d'étayage), ont établi les principaux repères du modèle socioconstructiviste. Nous nous attarderons quelques peu sur une présentation des modèles de l’apprentissage des deux derniers auteurs. L.S. Vygotsky (1896-1934), psychologue biélorusse peut être considéré comme le père du courant socio-constructiviste. Il complète la théorie constructiviste en accordant au social une attention que J. Piaget ne lui accorde sans doute pas assez. Il fait remarquer (dès 1931) que la représentation du monde et de la causalité de l'enfant européen contemporain ne peut être assimilée de manière statique à la conception du monde d'un enfant de « l'âge de pierre ». Dans cette perspective, le développement de la pensée est à rapporter à l'histoire de ses contextes d'émergence. L. S. Vygotsky écrivait à ce propos : « le développement des fonctions psychiques supérieures de l'Homme, ne peut être abordé en dehors du contexte social et culturel, de la conception du monde et de la représentation causale qui lui sont propres. » Pour lui, il est clair qu'il existe des relations causales entre le social et le cognitif comme dans l'apprentissage de la lecture pour reprendre cet exemple qui consiste à s'approprier des pratiques culturelles de l'écrit. Cet auteur dénonce le fait que trop souvent le développement psychique est considéré comme un processus indépendant réglé par des forces intérieures et soumis à sa propre logique (notamment dans l’approche constructiviste piagétienne). Le Biélorusse s'oppose à une conception statique (stadologie piagétienne) en rejetant l'idée que les possibilités d'apprentissages soient directement dépendantes de l'état actuel du développement intellectuel. L'idée de la zone proximale de développement (Z.P.D.), zone de développement proche ou zone de développement potentiel, selon les traductions, est probablement la plus fructueuse en pédagogie de tout l'apport de L. S. Vygotsky. La définition qu'il en donne est la suivante : « C'est la distance entre le niveau de développement actuel tel qu'on peut le déterminer à travers la façon dont l'enfant résout des problèmes seul et le niveau de développement 5 Par conflit socio-cognitif, il faut entendre la libre confrontation à l'intérieur du groupe de formation (travail en petits groupes d’élèves), et des solutions apportées par les différents participants à un même problème. Cette confrontation entraîne une nouvelle progression car chacun s'efforce d'avoir raison sur l'autre. D'après G. Mugny et W. Doise, le conflit socio-cognitif intègre deux conflits d'une part un conflit social engendré par l'opposition de réponse au problème posé, d'une autre part un conflit de nature cognitive puisque l'apprenant va être amené à douter de ses réponses. 24 potentiel tel qu'on peut le déterminer à travers la façon dont l'enfant résout des problèmes lorsqu'il est assisté par l'adulte ou collabore avec d'autres enfants plus avancés. » Ainsi, la zone proximale marque ce qui peut constituer la prochaine étape du développement actuel du sujet pour peu qu'une médiation de tutelle (adulte ou pair(s) plus avancé(s)) soit initiée. La Z.P.D. est un espace potentiel de progrès. Le médiateur (et donc l’enseignant) doit situer son intervention dans la Z.P.D. pour permettre à l'enfant de dépasser ses compétences actuelles. Il s'agit donc pour le formateur de cadrer les possibilités intellectuelles, actuelles ou potentielles, dans le périmètre d'une zone la plus proche de développement. Il s'agit bien pour lui d'une aide et non d'une substitution à l'activité propre de l'apprenant : « En collaboration, sous la direction ou avec l'aide de quelqu'un, l'enfant peut toujours faire plus et résoudre des problèmes plus difficiles que lorsqu'il est tout seul (...).Mais nous devons ajouter : pas infiniment plus, seulement dans certaines limites, étroitement définies par l'état de son développement et de ses possibilités intellectuelles. » Zone Proximale de Développement (Z.P.D) Compétences Compétences intrapsychiques x interpsychiques 6 x+17 Schéma n° 1-3 Zone Proximale de Développement (Z.P.D) de L. S. Vygotsky Pour L. S. Vygotsky apprendre (x+1 devient x) est donc anticiper le développement. Cet élément représente une inversion complète des perspectives piagétiennes pour qui c'est avant tout le niveau de développement (notamment à travers les stades et la maturation biologique) qui détermine les possibilités d'apprentissage. Autrement dit, pour L S. Vygotsky, 6 Compétences intrapsychiques (x ) : ce qu’est capable de faire l’élève seul. 7 Compétences interpsychiques (x + 1) : ce qu’est capable de faire l’élève assisté d’un adulte ou d’enfants plus avancés. 25 c’est l’apprentissage qui permet le développement, et pour J. Piaget, c’est l’inverse, c’est le développement qui permet l’apprentissage. Ainsi, dans l’approche socio-constructiviste vygotskyenne, l'enseignement doit précéder le développement pour pouvoir le stimuler, notamment à travers des pratiques d’évaluation formative. L'apprentissage des savoirs complexes n'est plus avant tout lié au sort du développement des structures opératoires abstraites et générales (J. Piaget). Selon L. S. Vygotsky, les compétences intrapsychiques sont ce que l'on appelle dans le langage courant des compétences (tout court), c'est ce que l'on sait faire seul : par exemple le niveau x. Mais il fait remarquer que ce que sait faire un enfant seul est un mauvais indicateur de son étape de développement. Les compétences interpsychiques sont celles que l'on va être capable de mettre en œuvre avec quelqu'un (médiateur culturel), le niveau x+1 (avec x+1>x)8. L'idée de ce concept est simple, il consiste à dire que nous disposons, en tant qu'êtres humains, de deux systèmes de compétences. Le premier système de compétences renvoie à tout ce que nous sommes capables de faire isolément. Le second système, à tout ce que nous sommes capables de faire avec l'aide d'autrui. Contrairement à des habitudes bien installées, on ne doit pas considérer seulement ce qu'une personne est capable déjà de faire seule, mais encore ce qu'elle est capable de faire lorsqu'elle est aidée. La pensée de L. S. Vygotsky, peut se résumer par l'idée suivante : un sujet est capable de résoudre seul certains problèmes de type A mais il peut résoudre des problèmes plus complexes de type B avec l'aide d'autrui et c’est cette différence entre les deux situations B et A qui est la Z.P.D. « Les relations interpersonnelles sont structurantes dès l'origine, et l'intrapersonnel vient de l'interpersonnel. Chaque fonction psychique supérieure apparaît deux fois au cours de l'histoire d'un sujet : d'abord comme fonction interpsychique, puis la deuxième fois comme activité individuelle, comme propriété intérieure de la pensée de l'enfant, comme fonction intrapsychique. » Le formateur, l’enseignant devrait donc alterner des séquences de travail en groupe ou en tutorat (positionnées dans la zone proximale de développement, fonction interpsychique) et des séquences de travail individuel visant à la consolidation individuelle des acquis (fonction intrapsychique). Mais ce travail n’est pas aisé, pour au moins deux raisons : - il est difficile pour l’enseignant de repérer la Z.P.D. du groupe d’élèves, - cette Z.P.D. varie selon les apprenants, tous les enseignants savent combien les classe sont hétérogènes d’où la nécessité de développer des pratiques d’évaluation formative individualisées… 8 Voir schéma n°1-3 ci-dessus. 26 Dans ce même courant socio-constructiviste, J. S. Bruner, psychologue américain, reprend de façon très proche le concept de Z.P.D. en proposant le concept d'étayage. A l'instar de L. S. Vygotsky, la médiation sociale est pour J. Bruner (né en 1915) le vecteur primordial du développement cognitif du jeune enfant. Celle-ci intervient dès la naissance, elle est constituée de l'entourage familial tout d'abord puis social au sens plus large ensuite. J. S. Bruner a décrit de façon précise la manière dont la mère s'y prend pour engager le bébé dans l'action, étayer ses tentatives. D'une manière plus large, on lui doit incontestablement une grande partie de la réflexion sur le rôle des interactions adulte-enfant. Pour lui, comme pour L. S. Vygotsky, il n'y a pas de développement cognitif possible sans socialisation (qui passe nécessairement par le langage). Toutefois, J. S. Bruner souligne l'importance d'une interaction de tutelle (la médiation de l'adulte) alors que L. S. Vygotsky insistait lui davantage sur les interactions sociales (donc également entre pairs). Il attire l'attention sur le rôle spécifique de ces échanges qui mettent en scène des interactions d'étayage (son concept fondamental) et amènent l'enfant à agir, à signifier, à réguler des situations complexes. L'observation que J. S. Bruner a pu réaliser de ces échanges ritualisés qui se jouent très précocement entre la mère et l'enfant et qui se poursuivront de manière plus formelle entre les éducateurs et les élèves, permet d'accéder à une compréhension des effets spécifiques de la médiation introduite par l'adulte. Les données obtenues autorisent à penser que la mise en place des outils de l'intelligence ne s'effectue pas sous la seule pression de processus internes mais résulte des interactions médiatisées dont l'enfant est l'objet. Par interactions médiatisées, il faut entendre les interactions sujet <-------> contexte (physique et social). Porté par la reconnaissance de compétences que l'adulte lui prête, l'enfant est confronté à des tâches complexes qui lui permettent de fonctionner au-delà de ses compétences actuelles : guidé par l'étayage du médiateur, l’élève construit des représentations de la situation, élabore des stratégies, etc... Ce qui est essentiel dans l'élaboration des savoir-faire, c'est donc l'occasion donnée à l'enfant d'agir et de fonctionner en avance sur ces possibilités d'exécution à la condition toutefois qu'un étayage lui en donne les moyens (on est très proche ici du concept de Z.P.D. de L.S. Vygotsky). Ainsi, pour J. S. Bruner il est vain de vouloir apprécier le fonctionnement cognitif indépendamment du contexte social, ethnologique, affectif dans lequel il se manifeste. J. S. Bruner (1983) distingue six fonctions d'étayage. C’est avec cet auteur que l’on trouve les éléments les plus concrets de la médiation et de l'interaction de tutelle. Autant d’informations précieuses pour l’enseignant ou le formateur. Les six caractéristiques fondamentales de la tutelle sont : 27 - l'enrôlement : la première tâche du tuteur (l’enseignant, le formateur, l’éducateur) est d'engager l'intérêt, l'adhésion de l'apprenant envers les exigences de la tâche afin d'éveiller l'intérêt de l'enfant, le motiver, et le faire adhérer au travail demandé. On ne peut apprendre sous la contrainte et il est proposé à l’enseignant d’essayer de susciter le désir d’apprendre. - la réduction des degrés de liberté : il s’agit pour le tuteur de simplifier la tâche par réduction du nombre des actes constitutifs requis pour résoudre le problème. Il s'agit pour l’étayeur de permettre à l’élève de dégager une certaine structure, faire apparaître un début et une fin dans la résolution de la tâche pour rendre le but plus accessible à l’élève. - le maintien de l'orientation : l’enseignant doit maintenir l'apprenant à la poursuite d'un objectif préalablement défini et explicite. Afin d’éviter la routine, il doit entraîner l'élève plus loin en lui demandant un certain effort afin d'éviter la dérive vers d'autres activités inadaptées. Apprendre, c’est persévérer et l’enseignant doit tenter d’ aider à cette persévérance. - la signalisation des caractéristiques déterminantes : un tuteur signale de multiples façons les éléments pertinents pour résoudre la tâche. - le contrôle de la frustration : la résolution de problème devrait être moins périlleuse pour l'apprenant avec un tuteur que sans lui. Le professeur devra "sauver la face" de l’élève à propos des erreurs qu'il commet, jouer sur le désir de l'apprenant de plaire au tuteur, aider l’enfant à faire le point, en valorisant ce qui a déjà été réalisé, en créant un climat positif. - la démonstration : il peut s’agir de présentation de modèles de solution pour une tâche. Il convient d'achever, de justifier le travail accompli, de démontrer, d’observer les essais de chacun et les représenter sous une forme stylisée à l'élève. On le poussera à imiter le modèle ainsi proposé, modèle qui correspond à ce qu'il sait faire. Selon le psychologue américain, le guidage de tutelle, est un moment intense de renseignements mutuels entre l’élève et le tuteur, d'échanges de savoirs. Le langage est 28 décrit comme un outil de médiation car la connaissance du potentiel d'apprentissage d'un sujet ne peut se réaliser sans dialogues cognitifs. Cette connaissance du potentiel passera par des moments d’évaluation, d’évaluation diagnostique (enrôlement), formative (maintien de l’orientation, signalisation des caractéristiques déterminantes) et sommative (démonstration). Nous aurons l’occasion de revenir très précisément sur ces points dans le chapitre 2 suivant. Il apparaît maintenant évident que les connaissances ne sont pas des programmes stockés tels quels en mémoire et activables sur simple demande; même si des travaux de plus en plus nombreux visent à réhabiliter en quelque sorte le rôle de la mémoire dans les apprentissages (A. Lieury en France, F. Y. Doré au Québec). Pour résumer, le modèle socio-constructiviste auquel nous nous référerons désormais est fondé sur quatre idées forces : Tout d'abord sur l'idée empruntée à J. Piaget et aux psychogénéticiens d'une nécessaire action dans l'apprentissage : « C’est en agissant qu'on apprend ». Deuxièmement, s'inspirant toujours du modèle piagétien, l'idée de l'équilibration majorante (Piaget, 1970) : « La connaissance passe d'un état d'équilibre à un autre par des phases transitoires au cours desquelles les connaissances antérieures sont mises en défaut. Si ce moment de déséquilibre est surmonté, c'est qu'il y a réorganisation des connaissances, au cours de laquelle les nouveaux acquis sont intégrés au savoir ancien. » La construction de connaissances proviendrait donc d'une activité cognitive de la part de l'apprenant mettant en relation les nouvelles informations perçues dans le contexte (assimilation) et ses connaissances remobilisées (accommodation). Cette activation va produire de nouvelles connaissances plus aptes à répondre à ses nouveaux questionnements. Une troisième idée émanant de G. Bachelard (1970) est celle de « déjà-là », nous avons peu insisté sur ce point : « Quel que soit son âge, l'esprit n'est jamais vierge, table rase ou cire sans empreinte, les représentations se constituent en obstacles à la connaissance scientifique. » Enfin, la dernière idée force provient de la psychologie sociale. Elle insiste sur le conflit socio-cognitif (Doise & Mugny, 1981; Perret-Clermont, 1979) à la suite des travaux sur le 29 conflit cognitif (Inhelder, Sinclair & Bovet, M., 1974) et met l'accent sur le rôle prépondérant des interactions sociales dans la construction des connaissances. 3-Compétences/connaissance/savoir/attitude/capacité C'est à J. Legroux (1981) que l'on doit la distinction première entre information, connaissance et savoir. Il s'inspira des travaux de J. Dewey qui distinguait les informations externes à l'individu aux connaissances consubstantielles à celui-ci. J. Legroux ajouta un troisième domaine à cette bipolarité : celui du "savoir". L'information qui est d'essence pragmatique et sert à vivre et non à savoir, sa vérité se réduit à son utilité. Elle est également extérieure au sujet. Elle appartient aux autres. Elle est d'ordre social. Elle est facilement transmissible. J. P. Astolfi (1992) complétera la définition en précisant que l'information est objective, de l'ordre de l'objet. Elle est stockable, quantifiable sous des formes diversifiées ce qui rend donc possible sa circulation interpersonnelle. Elle se caractérise donc par sa position d'extériorité par rapport au milieu de la personne qui l'appréhende. Au contraire de la connaissance, elle participe au contexte. Ainsi, une information aiderait à la construction d'une connaissance tout en étant distincte de celle-ci. Toutefois, l'information étant le support de la connaissance, il est difficile de trancher entre ces deux concepts comme il est difficile de disjoindre le signe et la signification, le signifié et le signifiant. Concernant la connaissance, J. Legroux (1981) nous précise que « la connaissance est intégrée au sujet au point qu'elle se confond avec lui. Elle n'appartient qu'à soi.. Elle est d'ordre personnel. Elle n'est pas transmissible. » La connaissance est donc de nature fondamentalement subjective, de l'ordre du sujet (Astolfi, 1992). Elle est consubstantielle à l'individu, à son histoire; elle est donc le résultat d'un processus d'intériorisation. Elle fait donc partie de son milieu et reste donc globalement intransmissible. Les connaissances ne sont pas toutes verbalisables et explicables par le sujet qui les possède, même s'il est expert en un domaine. Ce dernier point est fondamental car révèle un grand nombre d'abus de langage à ce sujet : on confond trop souvent évaluation de connaissances et évaluation de performances, nous le verrons plus avant. Ce qui transparaît de manière récurrent, c'est le caractère « hypothétique » et « conjectural » de la connaissance, c'est à dire le fait qu'elle soit contextualisée. Connaître, c'est percevoir et agir, c'est la prise en compte de l'information. Se dégage donc dans l'idée de connaissance, l'idée également d'action et d'adaptation (constructivisme piagétien). Les sciences cognitives distinguent parfois les connaissances déclaratives des connaissances procédurales. Ces deux termes (« procédural » et « déclaratif ») proviennent 30 de l'informatique. Cette opposition recouvre la différenciation qui est faite entre savoir et savoir-faire. Les connaissances déclaratives sont assez éloignées de l'action concrète, elles portent plutôt sur des propriétés, des déclarations, le contenu, des attributs d'un objet donné, des faits verbalisables. Construire une phrase par exemple présuppose que l'on connaisse et des mots et leur sens. Savoir que Charlemagne fut couronné en l’an 800 constitue une connaissance déclarative qui peut se construire dans une démarche d’enseignement magistrale. Les connaissances procédurales sont, au contraire, plus proche de l'action concrète et demandent beaucoup plus de situations problèmes posant des obstacles cognitifs pour pouvoir être construites. Elles portent plutôt sur ce qui est mis en jeu dans l'utilisation d'objets physiques, symboliques, conceptuels. Le raisonnement procédural désigne l'ensemble des règles à suivre pour atteindre un objectif donné. Par exemple, les règles de grammaire régissant une phrase. Si les concepts d'information et de connaissance sont relativement faciles à définir, il n'en est pas de même pour le savoir. Il est difficile de dire exactement ce qu'en sont les objets, les enjeux, les lieux, les limites car c'est une notion protéiforme. Pour J. Legroux, le savoir est l'interface entre la connaissance et l'information. Il le pose en termes de transformations. Le savoir n'est ni de l'information, ni de la connaissance mais un peu des deux : « Tel le dieu Janus à double visage, considéré comme démon de passage, le savoir peut faciliter le passage de multiples informations disséminées à la connaissance à condition toutefois qu'il soit vécu authentiquement par la personne. » Le savoir n'est à proprement parler ni objectif comme l'information, ni subjectif comme la connaissance. Il relève selon J. P. Astolfi (1992) d'un processus d'objectivation, fruit d'une construction intellectuelle dans un cadre théorique. En fait, le savoir est une connaissance partagée par une communauté (scientifique ou non). Dans cette optique, il est social et rendu public tandis que la connaissance est de l'ordre du sujet, de l'ordre du privé en quelque sorte : « (...) les savoirs sont socialement construits à l'image des champs dans lesquels ils ont été produits : savoirs disciplinaires, savoirs scientifiques, savoirs académiques ou savoirs technologiques (...). » (Barbier, 1996). A la question « qu'est-ce qu'apprendre? » O. Reboul (1988) met en évidence trois réponses : c'est « apprendre à », c'est « apprendre que » et enfin c'est « apprendre » (dans le sens de « comprendre »). J. Daniau (1989) part de cette analyse pour aboutir à une typologie qui articule les savoirs en cinq catégories : - les savoirs conceptuels : ce sont les invariants que l'apprenant perçoit au travers de situations multiformes. O. Reboul les nomme "les savoirs purs" en ce sens qu'ils relèvent du 31 degré le plus élevé de la connaissance, il s'agit « d'apprendre » (au sens de « comprendre »). Ces savoirs sont désintéressés (ils ont pour but qu'eux-même), réversibles (ils vont de l'effet à la cause), abstraits (ils transcendent la réalité concrète), ils sont structurants et systématiques. -les savoirs factuels : ce type de savoir relève de ce que O. Reboul désigne par « apprendre que ». Ce sont des faits acceptés et enregistrés tels quels. Il s'agit du degré le plus élémentaire opposé au « savoir pur ». On est là dans une démarche de mémoire verbale et de répétition. Les trois dimensions suivantes du savoir recouvrent ce que O. Reboul appelle « apprendre à » (troisième forme de l'apprentissage). - les savoir-faire qui sont opératoires, ils débouchent sur l'action. Ce sont généralement des enchaînements d'actions élémentaires simples. Il s'agit « d'apprendre à faire », là aussi, la répétition et la mémoire sont des points d'appuis importants. - les savoirs méthodologiques sont pour reprendre la terminologie d'O. Reboul des savoir-faire "intelligents" qui se caractérisent par des enchaînements d'actions dans le but de résoudre un problème. Ces savoirs sont rarement simples, ils ne sont pas prédéterminés. La résolution des problèmes mathématiques, l'expression écrite, la lecture de texte sont des savoirs méthodologiques. -les savoir-être sont composés, selon J. Daniau, de trois composantes : une dimension mentale (prolongements des savoirs méthodologiques : savoir classer, coder, mettre en relation...), les comportements individuels (qui apparaissent dans le domaine de la communication, de l'expression...) et enfin les comportements individuels de portée sociale qui se construisent obligatoirement dans des situations de relations aux autres (l'aptitude à tenir compte de l'opinion d'autrui, savoir défendre son point de vue en argumentant de façon précise...). Ces savoir-être sont probablement les objectifs les plus difficiles à atteindre pour les enseignants de part leur globalité notamment, et donc les plus difficiles à évaluer également. L'information, le savoir et la connaissance engendrent des capacités, des compétences et des performances. Il convient de bien distinguer ces trois derniers concepts pour clarifier notre discours. 32 Les capacités peuvent être considérées comme la manifestation d’aptitudes construites dans un ou plusieurs domaines. Elles ne sont pas mesurables en tant que telle, mais induisent des compétences, qui, elles, sont évaluables. On peut les définir comme des potentialités précises intériorisées. La performance est la mise en œuvre d’une connaissance dans une situation concrète (par exemple une évaluation). Cette mise en œuvre n'engage pas forcément la totalité des connaissances pour des raisons de l'ordre du cognitif mais également de l'ordre de l'affectif (personnalité, émotivité, sentiment d’efficacité personnel, image de soi, etc.) ou du social. La performance, la partie la plus visible de l'activité intellectuelle, ne peut rendre compte en totalité des compétences existantes liées à une connaissance construite (potentialités invisibles, intérieures et personnelles). Elle n'englobe jamais la totalité des connaissances. Il existe un écart entre ce que l'on sait et ce que l'on fait. Enfin, concernant la notion de compétence, chacun est en mesure de constater l’usage inflationniste de la notion, fortement associée aux notions de performance et d’efficacité dans la sphère éducative et dans celle du travail. Elle tend à se substituer ou à juxtaposer à celle de savoirs et connaissances dans la sphère éducative ou à celle de qualification dans la sphère du travail. Nous proposons le cadrage suivant de ce mot « valise » (Bru & Talbot, 2007) : - une compétence est délimitée à un domaine, - une compétence s’accomplit dans l’action, - une compétence mobilise des ressources cognitives et affectives, - une compétence permet d’être efficace, - une compétence est contextualisée. - Une compétence est complexe. En pratique, la compétence est identifiée aux descriptions et mesures qui en sont faites dans les évaluations. En fait la notion de compétence est une notion intermédiaire entre le travail et les connaissances détenues par un individu. La difficulté pour l'enseignant est que ces compétences ne sont pas directement accessibles, observables et les performances produites ne les reflètent qu'imparfaitement. Elles correspondent à la mobilisation coordonnée d'un certain nombre de connaissances dans une activité donnée. . J. Daniau (1989) développe lui l'idée d'intériorité et d'extériorité en soulignant que les performances sont des compétences qui s'extériorisent « en termes d'action dans une situation-problème donnée à laquelle se trouve être confrontée un élève ». 33 Mais la difficulté d’évaluer les connaissances et les compétences des élèves est la même dans les procédures d’évaluation des enseignants. 4-Métacognition Cognition : faculté de connaître, acte intellectuel en relation avec la construction de connaissance, opération relative à la connaissance Méta : du grec méta : au delà de ; après ; qui indique le changement, la postérité, la supériorité, le dépassement. On retrouve généralement dans l'ensemble de ces méthodes un recours aux apprentissages métacognitifs9. Il s'agit de permettre aux apprenants de mieux gérer leurs ressources intellectuelles et surtout la connaissance qu'il en ont en exerçant un certain contrôle sur leur propre système cognitif. La métacognition consiste à prendre conscience des modes de pensée qu'on met en jeu au cours de l'activité intellectuelle. Seymour Papert 10 parle lui de "mathétique" pour désigner l'art qui consiste pour celui qui apprend à se forger ses propres capacités et ses méthodes pour construire des connaissances. Pour définir le concept, on peut s'aider de Bernadette Noèl (1991, p.5) qui cite la définition de la métacognition que donnait John Flavell11, pionnier dans le domaine, en 1976 : "La métacognition se rapporte à la connaissance qu'on a de ses propres processus cognitifs, de leurs produits et de tout ce qui y touche, par exemple, les propriétés pertinentes pour l'apprentissage d'information ou de données... la métacognition se rapporte entre autres choses, à l'évaluation active, à la régulation et à l'organisation de ces processus en fonction des objets cognitifs ou des données sur lesquelles ils portent, habituellement pour servir un but ou un objectif concret." Deux phénomènes se dégagent : la connaissance de ses propres processus mentaux, du produit de ces processus et la régulation que l'on opère sur ces processus. La métacognition connut une vogue telle que l'on assista à partir de cette époque à une véritable explosion du préfixe "méta" (métamémoire, métacompréhension, métalangage, métalinguistique, métacommunication, ...). Ces mots ont été employés d'une manière très extensible et l'on ne sait plus parfois "ce qui distingue les connaissances méta des connaissances tout court." 12 9 Voir notamment Noël, B., 1995, La métacognition, l'art d'évaluer ses performances, in Sciences Humaines n°56, décembre 1995, pp.23-25. et Noël, B., 1991, La Métacognition, De Boeck Université, Bruxelles. 10 Papert, S., 1995, L'Enfant et la machine à connaître. Repenser l'école à l'ère de l'ordinateur, Dunod, Paris. 11 Les premières recherches de Flavell sur la métacognition concernaient la mémoire. dans les années 1970. 12 Nguyen-Xuan, A., Richard, J.F.& Hoc, J.M., 1990, Le contrôle de l'activité in Richard, J.F., Bonnet, C. & Ghiglione, R. (dir.), Traité de psychologie cognitive tome 2, le traitement de l'information, Dunod, Paris, p. 212. 34 B. Noël (1995, p.25) distingue trois étapes de la métacognition. Tout d'abord le processus métacognitif lorsque l'individu prend effectivement conscience des activités cognitives qu'il effectue et de leur produit. Ensuite le sujet peut exprimer un jugement sur sa propre activité cognitive ou sur le produit mental qu'il en résulte. C'est l'étape du jugement métacognitif, une sorte d'auto-évaluation. Vient enfin l'étape de la décision métacognitive lorsque le sujet prend la décision (ou non) de modifier ses activités cognitives en fonction de l'étape précédente. "La métacognition peut se limiter à la première étape et n'aboutir à aucun jugement si le sujet n'essaie pas d'évaluer ses activités cognitives ou leur(s) produit(s). Elle peut aussi se limiter à la deuxième étape si le sujet se contente d'un jugement et ne prend aucune décision à partir de ce jugement . Enfin, la métacognition peut comprendre les trois étapes : le processus, le jugement et la décision. On peut alors parler de métacognition régulatrice". Nguyen-Xuan et ses collaborateurs13 distinguent deux écoles qui sans être antagonistes ont une approche différente de la métacognition. Celle de Flavell qui propose une analyse des processus métacognitifs en termes de variables et celle de Brown qui met plutôt l'accent sur le processus de contrôle des activités. Flavell distingue trois types de connaissances métacognitives : celles relatives aux personnes (ses propres connaissances ou celles des personnes de notre entourage), aux tâches (planification des entreprises cognitives) et aux stratégies (pilotage des méthodes de résolution). Selon Flavell, les connaissances métacognitives sont innées et on peut les distinguer des connaissances tout court en ce sens qu'elles concernent souvent l'entreprise cognitive en court de déroulement.14 A. Brown ainsi que les chercheurs qui s'inspirent de l'approche du traitement de l'information reprennent plusieurs idées de Flavell, notamment celles concernant des stratégies métacognitives. Leur problématique est cependant ciblée autour de la régulation et du contrôle métacognitifs qui peut se résumer à quatre activités : classer, vérifier, évaluer et anticiper. La régulation consiste à prendre en compte les informations générées par les quatre activités du contrôle pour prendre des décisions concernant l'effort, la vitesse, l'attention, etc. 13 Nguyen-Xuan, A., Richard, J.F.& Hoc, J.M., 1990, op.cité, pp. 207-245. 14 Nguyen-Xuan et al. prennent l'exemple de la lecture. Lorsqu'on lit un texte on ne se regarde pas constamment en train de lire. Mais il peut arriver que l'on soit soudainement conscient que l'on est en train de lire ... ce qui a pour effet que l'on ne comprend plus ce que l'on lit. 35 En fait, pratiquer la métacognition permet à l'apprenant de prendre conscience de trois choses : . de l'existence d'états mentaux internes différents des actes ou des événements externes, . de l'existence de processus mentaux différents, . du fait que, malgré leur diversité, ces processus mentaux sont reliés entre eux d'une manière ou d'une autre. L’une des questions majeures qui se pose aujourd’hui, à tout niveau du système d’enseignement, c’est de parvenir à améliorer et à étendre la réussite des élèves. Il s’agit de faire en sorte que plus d’élèves réalisent, à l’école, des apprentissages plus efficaces, plus durables et plus profonds. Derrière le terme technique de métacognition, on peut retrouver l’injonction de Socrate : “Connais-toi toi-même !”, soulignant que la connaissance de soi est un facteur essentiel du développement de la personne et de ses possibilités d’apprendre. La métacognition désigne la réflexion que fait une personne sur les opérations mentales qu’elle a utilisées lors d’une activité d’apprentissage (mémorisation, raisonnement, observation, résolution de problème...). Le préfixe méta indique qu’il s’agit d’opérations mentales exercées sur des opérations mentales. La métacognition consiste à faire prendre conscience à l’élève de son activité mentale. En décrivant le cheminement suivi, le sujet fait sortir son activité mentale de l’implicite et peut donc trouver des moyens de l’améliorer. La pratique pédagogique de la métacognition relève d’une des grandes finalités possibles de l’éducation, mener l’élève à l’autonomie. En faisant analyser aussi bien les raisons de l’échec que celles d’une réussite, l’enseignant permet à l’élève de ne plus s’en remettre au hasard, mais, en prenant conscience des procédures utilisées, de s’approprier les savoir-faire mis en œuvre qui permettent de réussir l’activité d’apprentissage. Il ne s’agit surtout pas de conseils de méthode donnés de l’extérieur dont l’efficacité se révèle souvent très limitée. 5-L’approche par compétences La compétence peut être définie comme l’aptitude qu’a un élève à utiliser ce qu’il a appris dans de nouvelles circonstances (Carette, 2008). Les textes officiels de l’éducation nationale nous rappellent qu’elle est constituée de trois dimensions liées aux connaissances (savoirs), capacités (savoir-faire) et attitudes (savoir être). On peut compléter cette première définition avec Bru et Talbot (2007), nous l’avons vu : la notion de compétence renvoie à six dimensions principales, la compétence - est délimitée à un domaine, à un champ d’application, 36 - s’accomplit dans l’action, la compétence est inférée à partir de ce que fait l’individu, - est connaissance, la compétence st donc singulière, elle appartient en propre à un individu, - est efficacité, - est contextualisée, - est complexe. Ainsi l’approche par compétences ou l’enseignement par compétences peuvent se caractériser par trois éléments fondamentaux (Carette, 2008): 1- Le premier élément est de proposer aux élèves des tâches complexes (au sens de Le Moigne ou Morin). Ces tâches peuvent être disciplinaires ou s’inscrire de manière plus transversales dans la vie de tous les jours. 2- Ces situations complexes peuvent être inédites pour éviter que les élèves développent uniquement des pratiques applicationnistes. 3- Toutefois, les situations complexes qui doivent être résolues par les élèves nécessitent la mobilisation de procédures que ces derniers sont censés avoir préalablement construites. 6-Bibliographie Bru, M., & Talbot, L., (Eds.). (2007). Des compétences pour enseigner, Entre objets sociaux et objets de recherche. Rennes : PUR. Carette, V. (2008). Les caractéristiques des enseignants efficaces en question. Revue Française de Pédagogie, 162, 81-93. Talbot, L. (2009). L’évaluation formative. Comment évaluer pour remédier aux difficultés d’apprentissage ? Paris : Armand Colin. 37