Apports théoriques - Académie de Toulouse

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Apports théoriques
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1- L’évaluation
1-1-Evaluer/contrôler
Pour J. Ardoino (1991), l’évaluation est « dans quatre-vingt-dix pour cent des cas, n’est que
du contrôle déguisé ». Nos observations en classe nous permettent de dire qu’il n’en est
plus ainsi aujourd’hui. Toutefois il convient de poser la distinction entre évaluation et
contrôle. J. Ardoino et G. Berger (1989) définissent le contrôle comme étant, tout à la
fois, «un système, un dispositif et une méthodologie, constitués par un ensemble de
procédures, ayant pour objet (et visée) d’établir la conformité (ou la non-conformité), si ce
n’est l’identité, entre une norme, un gabarit, un modèle, et les phénomènes ou les objets
qu’on y compare, ou, à défaut de l’établissement de cette conformité ou de cette identité, la
mesure des écarts ». Les deux auteurs insistent notamment sur le fait que le contrôle
s’effectue à partir d’un modèle de référence qui est toujours construit de manière extérieure
et antérieure à l’opération de contrôle proprement dite. Il existe donc un « référent » défini
préalablement et qui, s’agissant de l’apprentissage, représente un ensemble d’objectifs
parfaitement définis. Dès lors, contrôler consiste à comparer les résultats obtenus, « les
produits finis » aux objectifs poursuivis qui ont été définis préalablement sans prendre
en compte le processus d’apprentissage lui-même. La subjectivité du contrôle n’intervient
pas (ou peu…) puisqu’il s’agit de confronter des résultats obtenus à des résultats attendus
inventoriés avec précision. Le contrôle s’intéresse à l’existence d’une série de
connaissances répertoriées sans se préoccuper de l’usage que peut en faire l’élève, de
l’attitude de l’élève face à elle, du processus qui a présidé à ces constructions.
Toutefois, dans la pratique, l’évaluation et le contrôle sont difficilement dissociables. En effet,
lorsqu’on contrôle, on ne dispose pas de la totalité des référentiels et dans cette situation on
en construit. A l’inverse, il ne peut y avoir d’évaluation sans outils de contrôle : si on souhaite
évaluer la compétence d’un élève à résoudre des problèmes centrés sur l’addition des
nombres décimaux, on ne peut que passer par le contrôle de l’exactitude des opérations
faites et de leur enchaînement logique.
Pour illustrer l’ensemble de ces propos, nous proposons un tableau récapitulatif des
différences que l’on peut faire entre les notions de contrôle et d’évaluation à la suite des
travaux de J. Ardoino et G. Berger (1989), C. Hadji (1992), R. Bobichon, G. Gauzente et
J.P. Rocquet (1994), L. Talbot (1997) et M. Vial (2001).
1
CONTROLE
Processus qui relève plutôt de l’objet :
processus plutôt objectif
Constat d’écart entre un référé et un
référent
extérieur
au
système
enseignement-apprentissage
servant
d’étalon, de norme.
Les contrôleurs sont interchangeables de
part leur situation d’extériorité
Simple mise en conformité par rapport à la
norme
Feed-back négatifs (sanction).
Le contrôle est souvent destiné à la
hiérarchie.
Le processus est sanctionnant et clôturant.
Se limite à la performance
Il utilise des dispositifs construits et
transparents.
C’est
une
approche
monoréférentielle, le référent est externe et
posé d’emblée.
Aspatial, universel. La conception du
processus est antérieure à celui-ci, il y a
atemporalité.
Ponctuel. Il apporte une appréciation
conclusive qui annule toute émergence
d’un dynamisme potentiel.
Quantitatif
Approche expérimentale
Faute
Rigidité
EVALUATION
Processus qui relève plutôt du sujet :
processus plutôt subjectif
La référentialisation (élaboration du référent)
est intégrée au processus d’enseignementapprentissage
Elle a une fonction :
-diagnostique ou de départ
- régulatrice ou formative
- terminale ou sommative (validation,
certification).
La norme (le référent) est intérieure au
système enseignement-apprentissage
Il y a implication de l’évaluateur, ce qui
suppose que celui-ci élucide sa propre
position institutionnelle et sa place dans le
système de part sa situation d’intériorité.
Interrogation sur les valeurs (valeurs morales,
esthétiques,
philosophiques,
politiques,
existentielles).
Feed-back positifs (évaluation).
L’évaluation, en tant que processus, est
partagée par le groupe. Elle pose la question
de sa divulgation : à qui et à quoi sert-elle, qui
en profite ?
Vise l’activité de l’acteur
Les dispositifs (les référents) ne sont pas
donnés a priori : il s’agit d’élaborer des
systèmes
d’interprétation,
à
partir
d’indicateurs,
d’analyseurs.
C’est
une
approche multiréférentielle.
Ici et maintenant (hic et nunc), local,
contextualisée. Elle est simultanée au
processus, consubstantielle à celui-ci.
S’inscrit dans la durée. Le processus
accompagne l’action, il a une visée
prospective.
Qualitatif
Approche clinique
Erreur
Souplesse, adaptation, négociation
2
1-2-Evaluation diagnostique/formative/sommative
Les finalités de l’évaluation scolaire sont multiples. A partir des travaux de J.-M. de Ketele
(1986) et de J. Vogler (1996), nous pouvons dresser le tableau synoptique suivant qui
regroupe les grandes modalités que peut adopter en classe cette régulation qu’est
l’évaluation. Elles sont au nombre de trois : l’évaluation diagnostique, formative et
sommative. Celle qui est la plus proche de la régulation, de la médiation et de l’aide aux
difficultés d’apprentissage est l’évaluation formative.
3
Fonction
Intérêt tourné
vers…
Moment de
passation
Décisions à
prendre
Type de
comparaisons
effectuées
Finalités
EVALUATION
EVALUATION
EVALUATION
DIAGNOSTIQUE
FORMATIVE
SOMMATIVE
Fournir des
Fournir des
Fournir des informations
informations relatives informations relatives
relatives aux
aux compétences et aux compétences et
compétences et aux
aux connaissances
aux connaissances connaissances au terme
d’ores et déjà
en construction à
d’une unité
construites par les
l’évalué et à
d’enseignementapprenants
l’évaluateur
apprentissage
L’aval (réussite
L’amont (progrès
L’aval (certification,
ultérieure)
réalisés, difficultés
admission)
rencontrées)
Au tout début, avant
Au cours de l’unité
Au terme de l’unité
d’introduire une
d’enseignementd’enseignementnouvelle unité de
apprentissage
apprentissage
cursus
Adaptation du
Adaptation,
Certification, admission
programme,
régulation,
au palier suivant,
orientation et
amélioration des
conclusion
admission des
activités
institutionnalisée (à ne
apprenants
d’enseignementpas confondre toutefois
apprentissage,
avec le contrôle)
remédiation
Inter-élèves
Intra élève
Plutôt pédagogiques
et didactiques,
adapter
l’enseignement,
orienter, faire un
pronostic
Pédagogiques et
didactiques,
améliorer le
processus
d’apprentissage et
donc
d’enseignement,
diagnostiquer les
réussites futures
Qualités métriques
prédominantes
Validité pronostique
Destinataires
Le professeur
Enseignement
pratiqué
Plutôt collectif
Fréquences
Questionnement
Haute
Quelles sont les
connaissances
d’ores et déjà
construites ? Sontelles suffisantes ?
Quelles sont les
Validité des
contenus et des
constructions
Le professeur et
l’élève
Inter-élèves
Plutôt sociales,
améliorer le résultat,
orienter, faire un bilan
Fidélité aux
enseignements effectués
Le professeur, le conseil
de classe, l’institution
globale, les parents
Plutôt individualisé et Plutôt collectif, modes de
individualisant, prise présentation constants
en compte des styles
et des stratégies
d’apprentissage
Haute
Basse
Comment s’effectue
l’apprentissage des
Quel est le niveau ?
élèves ? Quelles
Quels sont les
sont les difficultés résultats d’apprentissage
rencontrées en cours
construit ?
d’apprentissage ?
4
Objets
représentations
Quelles
initiales ? Les
modifications dans
objectifs prévus sont- l’enseignement sontils les plus adaptés ?
elles nécessaires
Les représentations
L’élève, ses
d’ores et déjà
connaissances, ses
construites sur
démarches, sa
lesquelles pourront
motivation, ses
s’appuyer les
difficultés, le
apprentissages et les
processus
enseignements
d’apprentissage
nouveaux.
dans sa globalité
La performance
indicatrice d’un niveau
atteint, le produit final
1-3-Les finalités de l’évaluation
Nous utilisons le pluriel car les finalités ne sont pas uniques puisqu'elles dépendent des
perspectives et des objectifs poursuivis par les maîtres. Ce point est essentiel. Une
distinction que l’on peut faire entre l’enseignement et l’animation par exemple est liée à
l’évaluation. A la question : faut-il évaluer quand on enseigne? La réponse est assurément
positive. Il n’y a pas d’enseignement sans possibilité d’évaluation, nous l’avons dit. Un
premier élément de réponse à cette question est donc que les pratiques d’évaluation sont
caractéristiques des pratiques d’enseignement. Si enseigner c’est mettre en place des
conditions qui vont permettre l’apprentissage, enseigner est donc aussi évaluer. Faut-il tout
évaluer ? Sûrement pas, trop d’évaluation risque de tuer l’évaluation.
Globalement l’évaluation est un moyen pour l’enseignant de le conforter dans ses choix
pédagogiques et didactiques, de réguler ses pratiques d’enseignement éventuellement,
de les valoriser aussi. Elle a pour but de rendre intelligible l’apprentissage des élèves, de
valider et de réguler l’action des acteurs (enseignants et élèves).
Un deuxième élément nous est donné par J. Daniau (1989) qui distingue deux fonctions
essentielles de l’évaluation, une fonction sociale et une fonction plus pédagogique.
1-3-1- L’évaluation est une pratique sociale
L’évaluation a pour fonction de communiquer, de donner des informations. Dans ce cadre,
l’évaluation peut permettre d’apprécier si les investissements engagés en matière de
personnels, bâtiments, crédits de fonctionnement sont à la mesure des objectifs fixés. Elle
peut viser à déterminer le degré de satisfaction des usagers de l’éducation nationale
considéré comme service public qui sont les élèves, les parents ou de l’opinion publique.
5
Dans les moyens mis en œuvre pour conduire cette évaluation, on trouve les inspections
administratives et pédagogiques, les rapports d’étude ou de recherche, les sondages
d’opinions, les enquêtes à visée statistique. Les commanditaires sont divers : le ministère,
les organes de presse, la recherche en éducation, les associations de parents d’élèves… A
partir des informations recueillies, ce type d’évaluation permet d’engager des mécanismes
de régulation (modification des structures existantes, ajustement, diffusion de directives
particulières à caractère pédagogique ou relatives à l’organisation de l’enseignement,
mesure en matière de gestion ou de formation des personnels). Les évaluations nationales
CE 1 et CM 2 mises en place par la Direction Générale de l’’Enseignement Scolaire
(DGESCO) sont dans cette logique.
Ce type d’évaluation n’est pas directement lié aux pratiques d’évaluation des enseignants
dans leur classe. Le point suivant l’est plus.
L’évaluation peut en effet aussi avoir pour fonction de mettre en relation, avec la meilleure
adéquation possible, le système de formation des élèves et les besoins de la société. Là
encore, l’évaluation est destinée à l’institution. La mission formatrice du système éducatif doit
aussi répondre aux exigences sociales, notamment sur le plan économique. Si les objectifs
de l’Ecole jusqu’à la fin du collège sont essentiellement de trois ordres : instruire, socialiser
et personnaliser, une quatrième mission apparaît à la fin de la troisième au collège, parfois
avant, celle de l’orientation. Les procédures d’orientation sont mises en place pour à partir
essentiellement des performances scolaires des élèves et des résultats à leurs évaluations.
Tous les examens, les concours retournent de cette même logique, celle d’orientation et de
certification.
On peut enfin remarquer que les pratiques évaluatives des professeurs en classe
lorsqu’elles sont sommatives ou s’apparentent plutôt à des pratiques de contrôle peuvent
également détenir une fonction sociale. En effet, le carnet de notes, le bulletin scolaire, le
livret scolaire permettent aux parents d’être informés du travail de leur enfant. Ils servent
d’outils de communication et de mémoire des cheminements des élèves. Tandis que dans
l’enseignement secondaire, les évaluations sommatives et les contrôles sont communiqués
sous la forme de bulletins, l’école primaire assure cette communication sous la forme de
livrets scolaires qui sont d’ailleurs obligatoires (à actualiser avec outils socle).
Ce dernier point fait le lien avec la fonction pédagogique (médiation avec l’élève) ou
didactique (relative au contenu d’enseignement et d’apprentissage) de l’évaluation.
6
1-3-2- L’évaluation est une pratique pédagogique et didactique
Dans ce cadre on peut différencier trois situations correspondant à des destinataires
différents.
Tout d’abord, les pratiques d’évaluation renseignent le maître lui-même. Elles ont pour rôle
d’auto-évaluer ses pratiques pédagogiques et didactiques. L’enseignant mesure les
performances de ses élèves dans le but de réguler ses pratiques d’enseignement en
fonctions des apprentissages repérés. L’objectif est de déceler les erreurs, les difficultés
d’apprentissage afin de mettre en place des actions de régulation pour rendre les pratiques
d’enseignement plus efficaces.
Comme dans la fonction sociale, l’évaluation des résultats scolaires des élèves a aussi pour
but d’informer les parents sur l’avancement des progrès d’apprentissage. Cette information
peut avoir pour objectif d’associer les parents à l’éducation scolaire de leur enfants
considérés d’ailleurs comme éducateurs à part entière par l’Ecole (loi d’orientation de 1989).
Ainsi, ils peuvent s’informer sur le contenu des activités faites en classe, sur les résultats
obtenus par de leur enfant et participer, sous des formes diverses, à l’amélioration des
apprentissages.
Enfin, et surtout, l’évaluation s’intéresse aux élèves eux-mêmes. Toutefois cette situation
d’évaluation est plus souvent négligée par les acteurs. Or, on peut considérer qu’il s’agit là
d’une dimension essentielle pour améliorer les apprentissages car, dans une perspective
socioconstructiviste, on peut admettre que les élèves doivent savoir où ils en sont dans leur
processus d’apprentissage pour pouvoir progresser. Dans ce cadre, l’évaluation sera plutôt
formative
2 -Théories de l’apprentissage
Les formes traditionnelles de l'enseignement et de la formation, et donc une certaine vision
de l'apprentissage, ont subi les critiques des théoriciens et pédagogues novateurs depuis les
écrits de J. J. Rousseau (1712-1778) essentiellement. En parallèle du développement du
courant d'innovations pédagogiques avec notamment le mouvement de l'Ecole Nouvelle et
l'émergence des méthodes actives à la fin du XIXe siècle et au tout début du XX e siècle, trois
principaux courants se sont intéressés à l'étude des apprentissages au cours de ce même
1 Nous précisons cette notion dans les paragraphes suivants.
7
période. La présentation suivante ne tiendra pas compte de la porosité occasionnelle des
frontières entre ces différentes orientations. Elle s’appuie sur une classification proposée par
L. Not (1979). Le premier courant accorde la priorité à l'environnement (facteurs externes) de
l'apprenant. L’auteur le nomme l'hétérostructuration. Cet hétérostructuralisme s'oppose
traditionnellement au développementalisme qui met au premier plan le développement
interne (facteurs internes) de l'individu : l’autostructuration. Enfin, L. Not dans une troisième
approche, l’interstructuration, classe les théories qui privilégient les interactions entre les
facteurs d’apprentissage internes et externes à l’élève.
2-1-L’hétérostrucruration
Concernant les théories de l’hétérostructuration, on peut prendre deux exemples qui ne
prétendent pas, bien sûr, à une présentation exhaustive de ce premier courant.
2-1-1- Le behaviorisme
Le behaviorisme tout d’abord (comportementalisme en français), courant dominant dans la
première moitié du XXe siècle, postule que l'apprentissage est une modification du
comportement provoqué par un stimulus provenant de l'environnement. Le cerveau est vu
comme un vaste réseau de neurones équivalents, l'apprentissage (et donc l'intelligence)
reposant uniquement sur des associations. C'est I. P. Pavlov (1849-1936) qui le premier à la
fin du XIXe siècle fournira une base expérimentale à la notion d'association en tentant de
montrer qu'il n'y a pas associations entre des idées mais entre des indices appartenant à
l'environnement (stimuli) et des comportements. Sa célèbre expérimentation réalisée avec
un chien montre que ces animaux conditionnés par certains stimuli pressentent la présence
prochaine de nourriture.
Cette première découverte fut à l’origine, aux U.S.A., d’un vaste mouvement de recherche
expérimentale sur l’apprentissage. Mouvement conduit, entre autres, par E. L. Thorndike
(1874-1949), qui se fera connaître pour ces travaux sur l’apprentissage par essais et erreurs
de chats affamés, et également par J. B. Watson (1878-1938), spécialiste de psychologie
animale qui théorisa la question dès 1913. Ces travaux marquent le début du behaviorisme
contemporain, dont l’influence sur la pédagogie américaine d’abord, puis, à travers elle, sur
celle des autres pays sera énorme tout au long du XX e siècle. Ces deux psychologues
démontrent l’existence d’une association entre le stimulus et la réponse dans les processus
d’apprentissage et l’importance de l’effet de la réponse pour la suite du comportement, en
quoi ils annoncent directement B. F. Skinner (1904-1990). La première période du
behaviorisme est ainsi ouverte. Son approche traduit le scientisme exacerbé dans ce début
8
du XXe siècle et s'articule autour de la théorie du conditionnement fondée sur le concept de
réflexe et sur la croyance que l'individu apprend en retenant des associations.
Concrètement, B. F. Skinner, en conclut dans le champ éducatif à la mise en place
d'encouragements ou de renforcements positifs (ou négatifs). Il s’est intéressé à l’effet des
stimuli présentés après la réalisation d’une action (les rats qui dans une cage ont le choix
d’appuyer sur deux pédales : l’une fournit de la nourriture, le seconde une décharge
électrique…). Il en déduit donc que lorsque certains de ces stimuli sont présents après une
action, l’individu répétait cette action plus fréquemment (le rat a tôt fait d’appuyer uniquement
sur la première pédale). Il nomma alors ces stimuli des « renforçateurs », et le fait de
présenter ces renforçateurs de façon systématique, le renforcement. Selon B. F. Skinner,
l’interaction entre l’environnement (facteurs externes) et le comportement est réciproque.
C’est à dire que l’environnement est changé par le comportement, qui à son tour est changé
par l’environnement.
Le renforcement est une technique qui a pour but d’augmenter la fréquence d’un
comportement, comportement jugé adéquat pour l’apprentissage. On distingue alors le
renforcement positif, où l’on ajoute un élément positif à l’environnement, du renforcement
négatif, où l’on soustrait un élément aversif de l’environnement ou l’on rajoute un élément
négatif à l’environnement. Le professeur qui fait un sourire à l’élève ayant donné une bonne
réponse est un exemple de renforcement positif (facilitateur) ; par contre, le professeur qui
prive ses élèves de récréation parce qu’ils n’ont pas terminé leur exercice est un exemple de
renforcement négatif (inhibiteur). Le véritable régulateur de l'apprentissage est donc
extérieur à l'enfant. L'apprentissage est structuré par des renforcements différenciés. On ne
renforce que les apprentissages que l'on souhaite voir s'installer.
Pour ces auteurs, tout comportement complexe se décompose en éléments simples
correspondant chacun à une liaison triviale de type stimuli-réponse. Pour B. F. Skinner
(1971), l'apprentissage devient donc une suite de comportements organisés en séquences
plus ou moins longues. L'élève n'aborde l'étape suivante que si la précédente est maîtrisée.
Poussant le raisonnement à son paroxysme, B. F. Skinner utilisa des machines à enseigner
(des ordinateurs) dans des objectifs d'apprentissage avec pour objectif de remplacer les
enseignants. A chaque fois que l'apprenant émettait une bonne réponse, la machine lui
fournissait un renforcement positif (un message du type "c'est bien, exact, continuez... ").
Tout ce qui se passe à « l'intérieur » de l'apprenant, son inconscient, ce qu'il vit, ce qu’il
conçoit et ressent subjectivement n'est pas pris en compte. Seules les réactions extérieures
méritent d'être observées. B. F.Skinner en 1985 dans le British journal of Psychology
n'écrivait-il pas à la manière du manifeste d'E. Zola dans l'Aurore (1898): « J'accuse les
9
cognitivistes de se livrer à des spéculations sur les processus internes pour lesquels ils n'ont
pas de moyens d'observation appropriés. J'accuse ... »
Le behaviorisme qui privilégie les facteurs externes à l’élève dans ses apprentissages, nous
l’avons compris, a favorisé l'émergence de la pédagogie par objectifs (P.P.O.). Elle est
essentiellement centrée sur le comportement et l'activité observables de l'apprenant. C’est B.
Bloom qui a développé les principes de la P.P.O. en proposant une taxonomie (liste)
d’objectifs visant à développer des comportements cognitifs et affectifs. Ces objectifs
permettaient de déterminer une activité précise de l’élève (par exemple « être capable de
communiquer par un schéma») et de préciser les critères qui serviront à l’évaluation. La
P.P.O., centrée sur l’élève, remet en cause les formes traditionnelles de l’enseignement et
de l’évaluation (centrée essentiellement sur le maître) tout en s’orientant entièrement sur la
réussite des élèves (évaluation plus formative). Ce type de pédagogie a connu une vogue
exceptionnelle dans les années 1970.
Pour revenir plus directement au behaviorisme, B. F. Skinner pense que l'enseignement
programmé doit éviter aux élèves de se démotiver à la suite d’échecs trop fréquents. Les
punitions morales ou corporelles (interdites en France depuis quelques années) ou le
manque d’encouragements participent de ce phénomène. Pour le chercheur américain, tout
est (relativement) simple. Des stimuli extérieurs, tels des activités, des récompenses ou des
encouragements, sont à rechercher pour déclencher une irrésistible envie d’apprendre et
mobiliser l’énergie ad hoc. Enseigner est donc dans cette théorie l’art d’identifier les facteurs
déclenchants. Par la suite, des renforcements seront mis en place pour prolonger l’effet. Il
s’agit d’apprendre contre récompense : le postulat qui sous-tend l’approche béhavioriste
découpe donc le savoir en miettes, on laisse infuser et on vérifie que l'élève a bien appris
(évaluation sommative). Si oui, on décerne un bon point. Sinon, on continue et on refait
éventuellement. Cette démarche, utilisée beaucoup plus dans les écoles anglo-saxonnes, et
finalement peu en France, peut être efficace pour certains apprentissages de notions
techniques. Moins pour la philosophie par exemple. De fait, trois critiques fondamentales
visent cette approche behavioriste :
-
un manque de globalité dans la présentation des programmes d'apprentissage et
donc d’enseignement. La «complexité» des apprentissages est conçue à partir
d'une longue chaîne d'éléments simples. Il y a illusion de performance d'une
démarche qui part du simple pour aller au compliqué et/ou au complexe, à partir
d'un modèle de type additif. Chaque étape est une brique supplémentaire.
Souvent, cette démarche ne conçoit pas la restructuration avec les étapes
précédentes.
10
-
une ignorance totale des représentations, des conduites motivationnelles, des
projets et de l'action des élèves en situation d'apprentissage. On considère les
enfants comme des sujets épistémiques. Leur affectivité propre n'est pas prise en
compte.
-
les travaux de E. C. Tolman (1886-1959) sur l’apprentissage latent ont prouvé de
façon exemplaire le bien-fondé de la distinction entre compétence et performance
en même temps qu’ils ont battu en brèche la conception behavioriste classique de
l’apprentissage. Résumons brièvement l’une des expériences de l’auteur (Tolman
& Honzik, 1930). On place des rats dans un labyrinthe. Certains, qui reçoivent
systématiquement de la nourriture (renforcement positif) à la sortie du labyrinthe,
améliorent leurs performances de jour en jour. D’autres, qui n’en reçoivent pas
(renforcement négatif), font très peu de progrès. Mais au bout d’une dizaine de
jours, on récompense tous les rats. On constate alors que le niveau de
performance s’égalise. Les rats non récompensés avaient donc appris le
labyrinthe de façon latente, mais ne le manifestaient pas. Cette expérience
montre qu’il n’est pas toujours possible d’évaluer adéquatement les compétences
sur la base des seules performances.
Durant cette même période en France, une autre approche prend son essor tout en
expliquant l’apprentissage essentiellement par des phénomènes externes à l’individu : la
sociologie de l’éducation.
2-1-2- La sociologie de l’éducation
Dans une optique fort différente, la sociologie de l'éducation s'attache à étudier les effets des
contextes (caractéristiques familiales, socioculturelles ...) sur les performances cognitives
des individus. Elle montre à quel point les enfants sont soumis à des apprentissages
"implicites" et différents selon les milieux sociaux.
B. Bernstein (1924-2000) sociologue britannique, spécialiste de la sociolinguistique,
a
montré comment deux codes linguistiques ("code restreint" ou "code élaboré" ) fonctionnent
inégalement selon le milieu social d'appartenance (Berstein, 1975). Sa théorie du déficit
linguistique postule que la réussite scolaire notamment (mais également sociale,
économique, culturelle …) est socialement déterminée par la maîtrise par la « classe
dominante » des instruments d’expression symbolique. Les élèves favorisés auraient accès
à une très grande variété des langages selon le statut social et culturel de l’interlocuteur,
tandis que les élèves issus des couches populaires défavorisées souffriraient d’un déficit
linguistique qui les cantonnerait dans un statut de dominés
11
Plus près de nous, J. Lautrey (1980) a classé les pratiques éducatives des familles en trois
catégories : milieu faiblement structuré (absences de règles sociales explicites), milieu
souplement structuré (règles contextualisées) et milieu rigidement structuré (règles
appliquées quel que soit le contexte). Il prend l’exemple des règles familiales qui organisent
l’usage de la télévision par l’enfant chez lui :
-
structuration "faible" : aucune règle ne permet à l'enfant de savoir s'il pourra ou
non regarder la télévision. Il se peut qu'il puisse la regarder jusqu'à une heure
avancée, où qu'il ne puisse la mettre en marche.
-
structuration "souple" : certaines limites sont fixées (une heure à ne pas dépasser
par exemple), mais sont modulées par des considérations plus "périphériques",
plus contextuelles. Par exemple le fait que le lendemain soit un jour avec ou sans
école peut modifier la règle, de même cette même règle pouvant même subir des
exceptions si une émission a un rapport avec le programme scolaire de l'enfant
par exemple…
-
structuration "rigide" : les conditions dans lesquelles l'enfant peut regarder la
télévision ont été fixées une fois pour toutes. Ce peut être une heure limite, ou
une liste d'émissions. Il n'y a pas de dérogation à ce règlement en fonction des
circonstances, en fonction du contexte.
La connaissance des pratiques relatives à l'usage de la télévision n’est bien sûr pas
suffisante et J. Lautrey se garde bien de tirer des conclusions. Par contre, les travaux du
spécialiste de la cognition et du développement, montre que si l’on observe le même type de
structuration dans un grand nombre de circonstances pour une famille donnée, il devient
alors possible de dire qu'elle fournit à l'enfant un environnement structuré de façon "faible",
"souple", ou "rigide" et qu’il n’est pas sans liens avec les performances scolaires de l’élève.
J. Lautrey démontre une corrélation (qui n’est pas un lien de cause à effet) forte entre
l'éducation familiale souplement structurée et une meilleure réussite des enfants à des
épreuves cognitives. « Les enfants élevés dans des milieux souplement structurés ont de
meilleures performances intellectuelles que ceux élevés dans des milieux faiblement ou
rigidement structurés. Cette différence de réussite paraît explicable par une différence
d’attitude face aux perturbations cognitives : les sujets élevés dans un environnement
souplement structuré auraient moins de résistance à prendre en compte les perturbations
cognitives en considération et seraient ainsi plus fréquemment conduits à la construction de
structures nouvelles ».
12
Des travaux beaucoup plus connus, comme ceux de P. Bourdieu et J.-C. Passeron (1964,
1970) ou ceux de Ch. Baudelot et R. Establet (1972, 1975) soulignent également l'influence
des milieux familiaux et socioculturels sur le devenir des élèves et des étudiants. Leur
célèbre théorie de la reproduction exercera une influence considérable sur la manière
d’envisager le problème de l’inégalité devant l’Ecole : l’accès de la masse des élèves aux
savoirs scolaires non seulement n’entraverait pas le phénomène de reproduction de la
domination sociale mais au contraire le favoriserait. C’est parce que la sélection scolaire
s’effectuerait selon les critères de performance et d’excellence définis par les classes
dirigeantes que les enfants issus des milieux populaires seraient par avance voués à l’échec
car ils auraient construit un habitus2 éloigné de celui favorisé dans le système scolaire.
L’Ecole et les enseignants s’avéraient donc être, selon cette théorie, les vecteurs très
souvent inconscients de la reproduction des inégalités sociales.
Ce discours sociologique rencontra un écho très large, bien au-delà des frontières
disciplinaires et universitaires. Une certaine hégémonie de ces perspectives à une époque
(années 70 et début des années 80) a peut-être contribué à démobiliser les enseignants,
tant elles paraissaient stériliser leurs propres actions. Chez les sociologues marxistes ou
néomarxistes, les maîtres se trouvaient accusés de participer à leur insu, et souvent même
au nom de l’école libératrice, à la reproduction de la division sociale.
Il y eut toutefois, à la même période, une explication concurrente proposée par R. Boudon
(1973). Elle faisait apparaître un lien faible entre le niveau d’instruction et la mobilité sociale.
Dans ce modèle de l’individualisme méthodologique défendu par l’auteur, la marge d’action
de l’individu est théoriquement plus grande. A la différence des thèses de P. Bourdieu, J.-C.
Passeron, Ch. Baudelot et R. Establet, l’Ecole n’est pas décrite comme une machine à
reproduire les inégalités sociales. L’’inégalité des chances résulterait en fait, de stratégies
individuelles (par le choix des options et des projets d’orientation par exemple) s’expliquant
elles-mêmes par l’origine sociale.
Ainsi, les causes de l’apprentissage sont d’un point de vue sociologique externalistes avec
deux visions que l’on oppose souvent bien que l’on puisse les considérer comme
complémentaire. L’une est « déterministe », c’est la vision partagée par P. Bourdieu, l’autre
2
L’habitus est la façon dont les structures sociales influencent nos manières d'être, de penser, de percevoir et
d’agir dans le monde. Ces tendances à certaines conduites sont communes à plusieurs personnes de même
origine sociale. Elles sont issues de l'incorporation inconsciente des normes et pratiques véhiculées par le groupe
d'appartenance. L’habitus est une construction sociale, en rien un destin qui serait génétique. Il s’agit
d’intériorisation de l’extériorité. Ces dispositions, ces représentations, ces comportements sont incorporées de
façon durable. Selon P. Bourdieu, c'est l'habitus qui explique la reproduction, à l'insu des acteurs eux-mêmes,
des rapports sociaux.
13
est plus « actionniste » : l’acteur est considéré comme ayant des marges de manœuvre plus
importantes grâce à son action, sa volonté et ses choix personnels.
Cet hétérostructuralisme s'oppose traditionnellement à l’autostructuration qui met au premier
plan les facteurs internes de l'individu dans l’apprentissage
2-2-L’autostructuration
2-2-1-L’innéisme
L'innéisme, est une théorie proche de celle de l’aptitude (La Borderie, 1998) selon laquelle,
les capacités d’apprentissage des élèves seraient innées. On parle également d’une théorie
des dons. Cette croyance est présente dès l'antiquité grecque puisque Platon disait
qu'apprendre consistait à se remémorer des idées contemplées en d'autres vies, Aristote
développait l’idée selon laquelle certains sont nés pour être esclaves et d’autres pour
gouverner… Plus loin, A. Binet, au début du XX e siècle expliquait le phénomène de l’échec
scolaire persistant par des « incapacités naturelles».
Cette vision des choses se retrouve également dans les écrits de N. Chomsky. Pour lui, les
règles linguistiques (et donc une certaine forme de l'intelligence) sont générées de l'intérieur
: elles sont relatives à l'espèce, invariantes selon les individus, indépendantes des contextes.
Il les compare aux programmes innés des animaux qui sont inscrits dans leurs
comportements. Pour N .Chomsky, le cerveau humain possède une disposition innée à
acquérir un langage dans des environnements radicalement différents.
Dans un célèbre débat avec J. Piaget, l'américain ne nie pas le rôle essentiel que joue
l'environnement dans le développement général de l'individu mais il affirme qu'il ne peut y
avoir d'essor initial que grâce à une organisation propre à l'homme, organisation génétique,
donc innée (ce qu'il nomme le noyau fixe) :
« Organes mentaux et organes physiques sont les uns comme les autres déterminés par des
propriétés propres à l'espèce et génétiquement déterminés, bien que dans les deux cas
l'interaction avec l'environnement soit nécessaire pour déclencher le développement... »
Les tests d’aptitude intellectuelle qui sont nés dans les premières décennies du XX e siècle
exercent une influence énorme sur le monde de l’éducation et, malheureusement, elle sera,
dans bien des cas, nocive. Comme F. Galton, C. L. Burt, K. Pearson, A. Binet (dans une
certaine mesure), L. W. Terman et tant d’autres intellectuels du début du XX e siècle croient
profondément au caractère héréditaire de l’intelligence ; c’est pourquoi ils accordent tant
d’importance au placement « correct » des élèves dans les classes de niveau. Le tri ainsi
14
pratiqué dès le jeune âge se révéla, par la suite, injuste dans bien des cas et peu favorable à
l’épanouissement des élèves, notamment les plus faibles. Non seulement il priva nombre
d’individus de leurs vraies chances de développement, mais il fut mis au service d’un ordre
social où, par son équipement génétique, la majorité était censée faite pour servir une
minorité. Le fait que les jeunes gens noirs aux U.S.A. réussirent beaucoup moins bien les
Army Tests que les blancs ne manqua pas de renforcer la croyance de l’époque en la
supériorité intellectuelle de ces derniers…
Les idées de L. W. Terman permettent probablement le mieux de percevoir comment les
effets nocifs purent se produire. R. M. Travers (1983) relève les considérations suivantes
dans l’introduction de L. W. Terman à son adaptation américaine de l’échelle de Binet-Simon
(The Measurement of intelligence, 1916) : « Terman insiste sur l’héritabilité de l’intelligence
et il cite des preuves typiques pour l’époque. Il discute aussi de la relation entre criminalité et
les faiblesses intellectuelles. Il pense que les tests d’intelligence devraient être utilisés pour
placer les élèves dans une année d’études déterminée et semble préconiser que les classes
soient composées d’élèves de même âge mental et non de même âge civil. Il propose aussi
d’utiliser les tests pour discerner des autres les déficients mentaux inéducables (…). Il voit
aussi dans les tests d’intelligence le moyen de découvrir les mieux doués afin de leur donner
une éducation appropriée. Il pense que les tests d’intelligence permettraient d’apporter la
réponse à des controverses sociales telles que « Les races réputées inférieures le sontelles vraiment ? » ou « Les classes inférieures dans le complexe social et industriel le sontelles à cause de leur équipement mental inné ? » L. W.Terman déclare clairement « A
l’exception du caractère moral, rien n’est plus important pour l’avenir d’un enfant que son
degré d’intelligence. »
L.W.Terman est donc logique avec lui-même quand, en 1922, il propose que, dans les
écoles fréquentées par peu d’élèves, on crée au moins une classe forte et une classe faible
pour chaque année d’études ; pour les écoles à forte population, il suggère jusqu’à cinq
groupes de niveau intellectuel, allant des « surdoués » aux « spéciaux »
Cette théorie, en déclin en Europe depuis la seconde guerre mondiale, trouve de nouveaux
défenseurs ces derniers temps, notamment aux Etats-Unis avec le courant créationniste.
Très récemment, en 2006, le professeur irlandais R. Lynn développe une enquête sur le
quotient intellectuel des européens (étude publiée dans le Times, mars 2006). Cette étude
affirme doctement que les Allemands seraient le peuple le plus intelligent en Europe. Et ce
loin devant les Britanniques et de très loin devant les espagnols (15 e) ou les français (19e) :
le quotient intellectuel (Q.I.) moyen serait de 107 pour les Allemands qui devancent d’un
souffle les Néerlandais (106), les Polonais (105), Suédois (104) et Italiens (102), Les
Britanniques (100), Espagnol (98) et les Français (94) qui ne devancent que la Bulgarie, La
15
Roumanie, la Turquie et la Serbie. Cet auteur, avait déjà fait beaucoup parler de lui en 2005,
en affirmant que les hommes avaient en moyenne un Q.I. supérieur de 5 points à celui des
femmes. Toujours selon ce chercheur, la différence de Q.I. entre les Français et les
Britanniques serait en fait une des raisons des nombreuses victoires militaires de la GrandeBretagne sur la France au cours des siècles. Selon ce même professeur « C’est une loi non
reconnue de l’histoire que le camp doté du plus grand Q.I. l’emporte en général, sauf s’il
présente une réelle infériorité numérique, comme ce fut le cas des Allemands après 1942. »
Toujours selon R. Lynn, ces différences de Q.I. seraient dues au fait que les populations
soumises à des climats plus froids dans le nord de l’Europe auraient développé des
cerveaux plus volumineux. Selon les calculs de l’Université de l’Ulster, la taille moyenne du
cerveau humain en Europe du Nord et Europe centrale est de 1320 cm3, contre 1312 cm3
en Europe du Sud-Est…
Devant ces thèses qui postulent que l’individu n’est que le produit de ses gènes, la marge de
manœuvre pour l’enseignant est faible… L’évaluation qu’il pratique n’a qu’un seul objectif :
repérer les individus doués et les sélectionner, repérer les faibles pour les écarter. Aucun
aspect formatif ne peut être envisagé et dans cette perspective, l’évaluation formative n’a
pas lieu d’être.
4-2-2-Le maturationnisme
L'autre sous-courant privilégiant l'autostructuration est celui du maturationnisme qui stipule
que le développement des individus est déterminé par des modifications successives d’ordre
biologique.
Ainsi, pour A. Gesell (dans les années 1930-1940), tous les caractères des êtres vivants
existent dans l'organisme dès leur naissance. Leur développement ne peut se dérouler que
dans un ordre immuable, celui de la maturation nerveuse notamment (pour la marche par
exemple). La maturation nerveuse tient pour une large place à la rapidité de la propagation
de l’influx nerveux. Le nombre de réseaux neuroniques mis en œuvre est alors plus grand.
La vitesse de propagation augmente quand les fibres nerveuses sont recouvertes d’une fine
couche de lipides : la gaine de myéline. Le processus de myélinisation permet l’acquisition
de la coordination, et donc pour le jeune enfant de la marche et du langage.
Pour ce courant dénommé également "développementaliste", le contexte n'a aucune
influence sur le développement cognitif, au contraire du behaviorisme. Paradoxalement, ces
deux approches se rejoignent dans la vision qu'ils ont de l'élève. Le sujet demeure "passif"
face au contexte : dans un cas, il doit attendre d'être "mûr" (et on peut l’aider à attendre en le
16
faisant redoubler…) pour pouvoir se développer, dans l'autre, il est soumis aux contraintes
externes, aux stimuli.
La troisième approche est celle de la psychologie du développement dont la figure
emblématique est J. Piaget. Elle montre que le tout-génétique et que le tout-social sont
impasse.
4-3- L’interstructuration
L’interstructuration démontre que les facteurs d'apprentissage ne sont ni exclusivement
externes, ni exclusivement internes à l'individu mais que c’est la tension entre ces deux
types de facteurs qui optimise le processus d'apprentissage. La principale rupture avec
l'approche de l’hétérostructuration et le behaviorisme notamment est un militantisme contre
un apprentissage par émission-réception qui privilégiait le processus enseigner au détriment
du processus apprendre. Il se démarque également du développementalisme en accordant
un rôle essentiel au contexte en soulignant le primat de l'action de l’élève vis-à-vis du
contexte.
4-3-1- Le constructivisme
La théorie piagétienne, le constructivisme, est probablement la plus élaborée de tous les
modèles du développement cognitif. Elle a généré de nombreuses recherches et
interventions dans le domaine de l'éducation et de la formation. Elle est désormais
indispensable à la compréhension du processus d'apprentissage et donc d'enseignement.
Son originalité est de constituer une grille d'analyse des difficultés des apprenants en terme
d'opérations intellectuelles et non plus simplement en termes de connaissances ou des
performances. Apparaissent alors les potentialités des individus propices à une définition
d'une dynamique formative, et donc liées à des pratiques d’évaluation formative de la part
des enseignants, l’objet central de l’ouvrage. J. Piaget (1896-1980) a substitué à la question
de savoir comment la connaissance est possible, la question de savoir comment et pourquoi
elle est toujours possible et toujours en progrès.
La théorie piagétienne de l'intelligence se démarque des modèles cumulatifs qui conçoivent
le développement comme une accumulation progressive des connaissances d'une manière
quasiment linéaire grâce à la maturation (maturationnisme) ou à l'environnement
(behaviorisme). Dans ces optiques-là, nous l’avons vu, l'apprentissage est essentiellement
17
fonction de la répétition, de la force de l'habitude. J. Piaget s'oppose délibérément au
behaviorisme mais également à l'innéisme :
« Cinquante années d'expériences, nous ont appris qu'il n'existe pas de connaissances
résultant d'un simple enregistrement d'observations, sans une structuration due aux activités
du sujet. Mais il n'existe pas non plus (chez l'homme) de structures cognitives a priori innées
: seul le fonctionnement de l'intelligence est héréditaire et il n'engendre des structures que
par une organisation d'actions successives exercées sur des objets. »
Dans la théorie opératoire de J. Piaget, le développement ne s'opère pas sous l'effet d'une
accumulation stratifiée d'informations mais plutôt comme un perpétuel mouvement de
déstructuration puis de restructuration dû aux interactions entre le sujet et son milieu.
« ... Mon but qui était de découvrir une sorte d'embryologie de l'intelligence était adapté à ma
formation biologique; dès les débuts de mes réflexions théoriques, j'étais convaincu que le
problème des relations entre organisme et milieu se posait aussi dans le domaine de la
connaissance, apparaissant alors comme le problème des relations entre le sujet agissant et
pensant et les objets de son expérience... »
Nous n'allons pas exposer ici les théories de J. Piaget in extenso qui sont maintenant fort
connues. Toutefois, on peut rappeler que ses thèses s'orientent sur quatre grands axes. Les
deux premiers ne font pas l’unanimité aujourd’hui et sont parfois critiqués, les deux suivants
constituent encore aujourd’hui des points fondamentaux pour comprendre les mécanismes
d’apprentissage. Ils sont partagés par la quasi unanimité de la communauté scientifique.
Le premier axe est un certain ancrage dans la biologie (cf. la citation ci-dessus). J. Piaget,
soutint une thèse en 1921 en zoologie (dont le titre était "Introduction à la malacologie
valaisane"). Pour l’auteur, il y a continuité entre le développement biologique et le
développement cognitif (nous sommes proche là des thèses maturationnistes). Cette
importance attribuée au fonctionnement biologique a conduit L.S. Vygotsky (1896-1934) à
classer le modèle piagétien parmi ceux qu'il appelle avec dérision les modèles
« botaniques ». Il s'agit de modèles privilégiant la maturation nerveuse pour expliquer le
développement.
Le deuxième point déterminant de la théorie piagétienne est la stadologie rythmant le
développement de l'enfant. J. Piaget a divisé en plusieurs stades le processus d'acquisition
des capacités mentales de l'enfant. La notion de stade ne lui est pas propre. Elle a
cependant un statut et une fonction bien précise dans sa théorie du développement. La
18
description des stades observables et leur formalisation ne sont pas le but mais l'instrument
de l'étude du développement qui vise en dernier ressort à expliquer le processus d'évolution.
Dans le modèle proposé en 1957, l'idée centrale est que toute structure opératoire nouvelle
est rendue possible grâce aux résultats acquis de la précédente. Chaque stade est subdivisé
en deux niveaux et chaque niveau en sous-stades. A chaque étape (stade, niveau ou sousstades), les connaissances nouvelles sont organisées, nous l'avons vu, et non pas
simplement accumulées d'une manière linéaire. Il convient de préciser également que
l'accès à chaque étape nouvelle est préparée par l'étape antérieure, d'où le nom de modèle
« constructiviste ». Ces différents paliers sont hiérarchisés les uns par rapport aux autres, les
structures constitutives d'un stade inférieur servant de base et devenant partie intégrante du
stade suivant, de telle manière qu'il ne peut être question de « manquer » ou de « sauter »
l'un de ces stades. C'est un des deux points (avec l’ancrage dans le biologique) qui sont
parfois remis en question : il est constaté que des sujets qui ont atteint des niveaux
d'abstraction très développés peuvent néanmoins raisonner, dans certaines circonstances,
comme de jeunes enfants…
Le troisième élément majeur du modèle piagétien est l'importance de l'action. Les rapports
entre l’action et la connaissance sont au centre de sa théorie. Ils sont abordés dans cinq
ouvrages essentiels (1936, 1937, 1946, 1974a et 1974b). C’est dans ce dernier livre que l’on
trouve l’exposé le plus clair des thèses piagétiennes. Dans la conclusion, l’auteur rappelle
les hypothèses principales défendues au travers les multiples expériences menées avec des
enfants d’âges divers :
« l’action
constitue
une
connaissance
(« un
savoir
faire »)
autonome,
dont
la
conceptualisation ne s’effectue que par prises de conscience ultérieures ; (…) celles-ci
procèdent selon une loi de succession conduisant de la périphérie au centre, c’est à dire
partant des zones d’accommodation à l’objet pour aboutir aux coordinations internes des
actions ».
L'activité de l'enfant est donc déterminante dans son propre développement. Il sera un
« fabricant de schèmes » et ses actions sur son environnement alimenteront sa
connaissance du monde qui l'entoure, en la renforçant, en la questionnant, en la modifiant,
en la remplaçant... Les schèmes sont en fait l'organisation et la structure de l'action.
Lorsqu'ils sont construits, ils peuvent être transférés d'une situation à une autre, généralisés
ou coordonnés avec d'autres structures déjà mises en place et donner ainsi naissance à des
schèmes nouveaux. C'est parce que l'individu est actif dans ses apprentissages qu'il pourra
s'adapter, structurer et organiser son environnement. Dans un tel modèle, apprendre revient
donc à appliquer et coordonner des schèmes d'action, c'est à dire finalement à agir. C'est en
ce sens que l'on peut classer le modèle piagétien dans les modèles interactifs en l'opposant
19
aux modèles cumulatifs. C’est en forgeant qu’on devient forgeron… C’est en lisant qu’on
apprend à lire, comme c’est en nageant qu’on apprend à nager.
Le quatrième et dernier axe est l'importance de l'adaptation et de l'organisation dans le
processus d'apprentissage.
L'organisation cognitive est alimentée par les actions adaptatives de l'enfant. Cette
dynamique entre adaptation (externe) et organisation (interne), sera le moteur du
développement. Les actions vont introduire des perturbations, des conflits dans l'organisation
cognitive. L'enfant va répondre à ces perturbations par une autorégulation que J. Piaget
nomme "régulation". Les équilibres pourront s'établir sur une base plus large que les
équilibres précédents, on parlera alors de (ré)équilibration majorante (équilibration et non
équilibre car il s'agit d'un élan, un jaillissement perpétuel sans début ni fin absolus). Ce
processus d'adaptation procédera par la conjonction de deux processus : l'assimilation et
l'accommodation.
assimilation
Sujet
Objet
accommodation
Schéma n°1-1
L’équilibration majorante de J. Piaget
Par assimilation, J. Piaget entend l'appropriation par le sujet d'un élément extérieur (objet,
événement, etc.). L'individu assimile les informations en provenance de l'environnement , du
contexte. Toute action (et toute opération) en se répétant se généralise et permet au sujet
d'incorporer des éléments nouveaux. On apprend et donc on connaît que dans la mesure où
on s'approprie l'objet en lui imposant ses structures (assimilation), lesquelles dépendent du
niveau d'organisation du sujet pour se confronter au monde. J. Piaget a défini l'assimilation
comme « l'intégration à des structures préalables qui peuvent demeurer inchangées ou sont
plus ou moins modifiées par cette intégration même, mais sans discontinuité avec l'état
précédent, c'est à dire sans être détruites et en s'accommodant tout simplement à la
nouvelle situation . » Ainsi, toute assimilation est une restructuration et une réinvention.
20
Par l’accommodation l'apprenant intègre les particularités de l'élément, de sa spécificité. Le
sujet accommode ces structures préexistantes (schèmes) en fonction des informations
nouvelles qu'il perçoit. L'accommodation est donc l'envers de l'assimilation et non pas un
processus distinct et de sens contraire. Pour J. Piaget l'accommodation est « toute
modification des schèmes d'assimilation sous l'influence des situations extérieures
auxquelles ils s'appliquent. » Toute information nouvelle est donc assimilée et accommodée
par le sujet qui construit ainsi une nouvelle connaissance qui n'est en aucun cas un ajout aux
connaissances antérieures. Il y a véritablement construction et organisation de structures.
Tout schème, quel qu'il soit, lorsqu'il s'applique à un objet quelconque du milieu, doit
s'accommoder aux particularités de l'objet qu'il assimile pour pouvoir se généraliser. Sous
l'effet de ces facteurs externes, l'organisation (la structure) interne de l'individu se modifie
donc jusqu'à se déséquilibrer. Pour rétablir un équilibre (plus confortable), le sujet va
développer une activité structurante, une sorte d'autorégulation; c'est le processus de
rééquilibration. J. Piaget la nomme « rééquilibration majorante » car elle s'opère dans le
sens d'un développement positif, elle assure à la fois progrès et stabilité. Il s'agit là du
concept central de l'explication piagétienne.
Cette approche constructivisme, malgré son « charabia » techniciste que nous avons abordé
(en partie) ci-dessus a le mérite de déplacer la problématique sur l’élève. Apprendre, donc,
ce n'est pas se contenter de recevoir, c'est construire ses propres connaissances. On
n'assimile bien que si l'on se pose des questions, si on résout des problèmes, si on est actif.
L'élève sélectionne les données qui lui sont proposées et les digère. Cette théorie a pris son
essor à partir de la fin du XIX e siècle, puis s’est développée au XX e avec O. Decroly (18711932), J. Dewey (1859-1952),
C. Freinet (1896-1966), M. Montessori (1870-1952) E.
Claparède (1873-1940), R. Cousinet (1881-1973), O. Decroly (1871-1932), F. Deligny (19131996), J. Dewey (1859-1952),
C. Freinet (1896-1966), P. Freire (1921-1997), A. S.
Makarenko (1888-1939), M. Montessori (1870-1952), F. Oury (1920-1998), J. H. Pestalozzi
(1746-1827) pour ne citer que les plus connus. Elle a inspiré les pédagogies actives (ou
nouvelles) et donc a été théorisée, nous l’avons vu, par J. Piaget. Il s’agit d’apprendre par
l'action, mettre «la main à la pâte» pour reprendre une expression popularisée par l’E.N. et
impulsée par le Prix Nobel G. Charpak à partir du mois de septembre 1996. Cette opération
de rénovation de l’enseignement des sciences et de la technologie à l’Ecole, toujours
d’actualité (20 % des classes de l’école maternelle et élémentaire en France l’appliquent
aujourd’hui), est destinée à sensibiliser les élèves aux sciences expérimentales et à faire en
sorte que de véritables pratiques constructivistes se mettent en place au sein des classes.
Les enseignants volontaires sont invités à atteindre les objectifs nationaux dans le domaine
en mettant en œuvre des pratiques d’enseignement dans lesquelles les élèves, accompagné
21
par le maître, se comportent en véritable apprentis chercheurs en développant la démarche
expérimentale « O.H.E.R.I.C. 3» qui sera évaluée de manière formative.
Mais le constructivisme a aussi ses limites. Trois critiques sont souvent formulées par les
professionnels ou par la communauté scientifique:
- le manque de structure que peut générer ce type de démarche. Il faut permettre
à l’enfant d’établir un cadre, de poser des jalons. Et donc en passer, aussi, par
du « solfège », comme le par-cœur par exemple. En matière de mémoire, comme
dans d’autres domaines, il faut sûrement jouer sur les deux registres, par-cœur
et compréhension. Dans le domaine de l’apprentissage et de l’enseignement de
la lecture, par exemple, la polémique récente nous a permis de bien comprendre
que les deux approches (directe ou globale et indirecte ou syllabique) étaient, non
pas à opposer, mais bien à développer de façon complémentaire. Les exercices
répétitifs ont ainsi aussi leur intérêt et peuvent rassurer des élèves en manque de
repères.
-
développer des pratiques constructives est chronophage : il faut beaucoup de
temps, élément qui manque souvent aux enseignants qui ont du mal à boucler le
programme…
-
cette théorie est parfois considérée comme quelque peu frustre car elle ne dit
pratiquement rien sur le contexte social ou culturel des apprentissages.
Le socio-constructivisme reprend les thèses piagétiennes en grande partie tout en soulignant
un élément fondamental : l’importance de la médiation sociale dans les apprentissages.
4-3-2-Le socio-constructivisme
J. Piaget a mis en évidence le rôle fondamental de l’activité propre de l’enfant dans la
construction de ses connaissances. Des recherches complémentaires (Bandura, 1976 ;
Bruner, 1983 ; Doise & Mugny, 1981 ; Perret-Clermont, 1979 ; Vygostky, 1934) prolongent
cette perspective en montrant, par une série d’expériences auprès de petits groupes
d’enfants, comment l’individu est en fait « co-auteur » de son développement intellectuel.
Qui sont ses partenaires dans cette élaboration cognitive ?
Des adultes certes (les parents, les professeurs …), mais aussi des pairs (les autres élèves
de la classe). La richesse des interactions sociales avec un adulte ou avec des élèves est
mise en valeur pour le développement de l’intelligence dans le courant du socio-
3
O.H.E.R.I.C. : Observation, Hypothèse, Expérimentation, Résultat, Interprétation, Conclusion.
22
constructivisme. La qualité des guidages, des médiations que l'apprenant va recevoir sera
déterminante. Pour reprendre le schéma n°1-1 décrit par J. Piaget, le processus
d’équilibration majorante ne pourra s’opérer sans médiation sociale :
médiation
assimilation
Sujet
Objet
accommodation
médiation
Schéma n°1-2
Le rôle de la médiation dans le processus d’équilibration majorante
Ces approches ont en commun de fixer l'origine du développement de la pensée dans la
médiation sociale. Tout être humain est composé d'un capital intellectuel pour apprendre et
ce sont les interactions (sociales) et donc la médiation (sociale) qui permettront les
processus d'apprentissage.
En cela ces modèles s'éloignent du behaviorisme et du constructivisme piagétien. Par
rapport au behaviorisme, ils tentent de prendre en compte la « boîte noire » en étudiant
l'activité cognitive des sujets et en ne se contentant pas d’observer le comportement de
l’élève. Par rapport au constructivisme, ils dépassent une simple caractérisation physique de
l'environnement en posant que l'environnement du sujet est d'abord social (W. Doise et G.
Mugny ) voire même culturel (L. S. Vygotsky, J. Bruner).
A. Bandura (le comportement vicariant4), W. Doise, G. Mugny, A.-N. Perret-Clermont (le
développement social de l'intelligence, le conflit socio-cognitif5), L.S. Vygotsky (la zone
4
A. Bandura (1976) défend l’idée selon laquelle l’imitation permet d’apprendre pour peu qu’elle soit active. Ce
modelage par l’action d’autrui requiert qu’autrui soit perçu comme une ressource potentielle pour l’apprenant.
23
proximale de développement), J. Bruner (les fonctions d'étayage), ont établi les principaux
repères du modèle socioconstructiviste. Nous nous attarderons quelques peu sur une
présentation des modèles de l’apprentissage des deux derniers auteurs.
L.S. Vygotsky (1896-1934), psychologue biélorusse peut être considéré comme le père du
courant socio-constructiviste. Il complète la théorie constructiviste en accordant au social
une attention que J. Piaget ne lui accorde sans doute pas assez. Il fait remarquer (dès 1931)
que la représentation du monde et de la causalité de l'enfant européen contemporain ne peut
être assimilée de manière statique à la conception du monde d'un enfant de « l'âge de
pierre ». Dans cette perspective, le développement de la pensée est à rapporter à l'histoire
de ses contextes d'émergence. L. S. Vygotsky écrivait à ce propos :
« le développement des fonctions psychiques supérieures de l'Homme, ne peut être abordé
en dehors du contexte social et culturel, de la conception du monde et de la représentation
causale qui lui sont propres. »
Pour lui, il est clair qu'il existe des relations causales entre le social et le cognitif comme
dans l'apprentissage de la lecture pour reprendre cet exemple qui consiste à s'approprier
des pratiques culturelles de l'écrit. Cet auteur dénonce le fait que trop souvent le
développement psychique est considéré comme un processus indépendant réglé par des
forces intérieures et soumis à sa propre logique (notamment dans l’approche constructiviste
piagétienne). Le Biélorusse s'oppose à une conception statique (stadologie piagétienne) en
rejetant l'idée que les possibilités d'apprentissages soient directement dépendantes de l'état
actuel du développement intellectuel.
L'idée de la zone proximale de développement (Z.P.D.), zone de développement proche ou
zone de développement potentiel, selon les traductions, est probablement la plus fructueuse
en pédagogie de tout l'apport de L. S. Vygotsky. La définition qu'il en donne est la suivante :
« C'est la distance entre le niveau de développement actuel tel qu'on peut le déterminer à
travers la façon dont l'enfant résout des problèmes seul et le niveau de développement
5
Par conflit socio-cognitif, il faut entendre la libre confrontation à l'intérieur du groupe de formation (travail en
petits groupes d’élèves), et des solutions apportées par les différents participants à un même problème. Cette
confrontation entraîne une nouvelle progression car chacun s'efforce d'avoir raison sur l'autre.
D'après G. Mugny et W. Doise, le conflit socio-cognitif intègre deux conflits d'une part un conflit social engendré
par l'opposition de réponse au problème posé, d'une autre part un conflit de nature cognitive puisque l'apprenant
va être amené à douter de ses réponses.
24
potentiel tel qu'on peut le déterminer à travers la façon dont l'enfant résout des problèmes
lorsqu'il est assisté par l'adulte ou collabore avec d'autres enfants plus avancés. »
Ainsi, la zone proximale marque ce qui peut constituer la prochaine étape du développement
actuel du sujet pour peu qu'une médiation de tutelle (adulte ou pair(s) plus avancé(s)) soit
initiée. La Z.P.D. est un espace potentiel de progrès. Le médiateur (et donc l’enseignant) doit
situer son intervention dans la Z.P.D. pour permettre à l'enfant de dépasser ses
compétences actuelles. Il s'agit donc pour le formateur de cadrer les possibilités
intellectuelles, actuelles ou potentielles, dans le périmètre d'une zone la plus proche de
développement. Il s'agit bien pour lui d'une aide et non d'une substitution à l'activité propre
de l'apprenant :
« En collaboration, sous la direction ou avec l'aide de quelqu'un, l'enfant peut toujours faire
plus et résoudre des problèmes plus difficiles que lorsqu'il est tout seul (...).Mais nous
devons ajouter : pas infiniment plus, seulement dans certaines limites, étroitement définies
par l'état de son développement et de ses possibilités intellectuelles. »
Zone Proximale de Développement (Z.P.D)
Compétences
Compétences
intrapsychiques
x
interpsychiques
6
x+17
Schéma n° 1-3
Zone Proximale de Développement (Z.P.D) de L. S. Vygotsky
Pour L. S. Vygotsky apprendre (x+1 devient x) est donc anticiper le développement. Cet
élément représente une inversion complète des perspectives piagétiennes pour qui c'est
avant tout le niveau de développement (notamment à travers les stades et la maturation
biologique) qui détermine les possibilités d'apprentissage. Autrement dit, pour L S. Vygotsky,
6
Compétences intrapsychiques (x ) : ce qu’est capable de faire l’élève seul.
7
Compétences interpsychiques (x + 1) : ce qu’est capable de faire l’élève assisté d’un adulte ou d’enfants plus
avancés.
25
c’est l’apprentissage qui permet le développement, et pour J. Piaget, c’est l’inverse, c’est le
développement qui permet l’apprentissage.
Ainsi, dans l’approche socio-constructiviste vygotskyenne, l'enseignement doit précéder le
développement pour pouvoir le stimuler, notamment à travers des pratiques d’évaluation
formative. L'apprentissage des savoirs complexes n'est plus avant tout lié au sort du
développement des structures opératoires abstraites et générales (J. Piaget).
Selon L. S. Vygotsky, les compétences intrapsychiques sont ce que l'on appelle dans le
langage courant des compétences (tout court), c'est ce que l'on sait faire seul : par exemple
le niveau x. Mais il fait remarquer que ce que sait faire un enfant seul est un mauvais
indicateur de son étape de développement. Les compétences interpsychiques sont celles
que l'on va être capable de mettre en œuvre avec quelqu'un (médiateur culturel), le niveau
x+1 (avec x+1>x)8. L'idée de ce concept est simple, il consiste à dire que nous disposons, en
tant qu'êtres humains, de deux systèmes de compétences. Le premier système de
compétences renvoie à tout ce que nous sommes capables de faire isolément. Le second
système, à tout ce que nous sommes capables de faire avec l'aide d'autrui. Contrairement à
des habitudes bien installées, on ne doit pas considérer seulement ce qu'une personne est
capable déjà de faire seule, mais encore ce qu'elle est capable de faire lorsqu'elle est aidée.
La pensée de L. S. Vygotsky, peut se résumer par l'idée suivante : un sujet est capable de
résoudre seul certains problèmes de type A mais il peut résoudre des problèmes plus
complexes
de
type
B
avec
l'aide
d'autrui
et c’est cette différence entre les deux situations B et A qui est la Z.P.D.
« Les relations interpersonnelles sont structurantes dès l'origine, et l'intrapersonnel vient de
l'interpersonnel. Chaque fonction psychique supérieure apparaît deux fois au cours de
l'histoire d'un sujet : d'abord comme fonction interpsychique, puis la deuxième fois comme
activité individuelle, comme propriété intérieure de la pensée de l'enfant, comme fonction
intrapsychique. »
Le formateur, l’enseignant devrait donc alterner des séquences de travail en groupe ou en
tutorat (positionnées dans la zone proximale de développement, fonction interpsychique) et
des séquences de travail individuel visant à la consolidation individuelle des acquis (fonction
intrapsychique). Mais ce travail n’est pas aisé, pour au moins deux raisons :
-
il est difficile pour l’enseignant de repérer la Z.P.D. du groupe d’élèves,
-
cette Z.P.D. varie selon les apprenants, tous les enseignants savent combien les
classe sont hétérogènes d’où la nécessité de développer des pratiques
d’évaluation formative individualisées…
8
Voir schéma n°1-3 ci-dessus.
26
Dans ce même courant socio-constructiviste, J. S. Bruner, psychologue américain, reprend
de façon très proche le concept de Z.P.D. en proposant le concept d'étayage. A l'instar de L.
S. Vygotsky, la médiation sociale est pour J. Bruner (né en 1915) le vecteur primordial du
développement cognitif du jeune enfant. Celle-ci intervient dès la naissance, elle est
constituée de l'entourage familial tout d'abord puis social au sens plus large ensuite. J. S.
Bruner a décrit de façon précise la manière dont la mère s'y prend pour engager le bébé
dans l'action, étayer ses tentatives. D'une manière plus large, on lui doit incontestablement
une grande partie de la réflexion sur le rôle des interactions adulte-enfant. Pour lui, comme
pour L. S. Vygotsky, il n'y a pas de développement cognitif possible sans socialisation (qui
passe nécessairement par le langage).
Toutefois, J. S. Bruner souligne l'importance d'une interaction de tutelle (la médiation de
l'adulte) alors que L. S. Vygotsky insistait lui davantage sur les interactions sociales (donc
également entre pairs). Il attire l'attention sur le rôle spécifique de ces échanges qui mettent
en scène des interactions d'étayage (son concept fondamental) et amènent l'enfant à agir, à
signifier, à réguler des situations complexes. L'observation que J. S. Bruner a pu réaliser de
ces échanges ritualisés qui se jouent très précocement entre la mère et l'enfant et qui se
poursuivront de manière plus formelle entre les éducateurs et les élèves, permet d'accéder à
une compréhension des effets spécifiques de la médiation introduite par l'adulte. Les
données obtenues autorisent à penser que la mise en place des outils de l'intelligence ne
s'effectue pas sous la seule pression de processus internes mais résulte des interactions
médiatisées dont l'enfant est l'objet. Par interactions médiatisées, il faut entendre les
interactions sujet <-------> contexte (physique et social). Porté par la reconnaissance de
compétences que l'adulte lui prête, l'enfant est confronté à des tâches complexes qui lui
permettent de fonctionner au-delà de ses compétences actuelles : guidé par l'étayage du
médiateur, l’élève construit des représentations de la situation, élabore des stratégies, etc...
Ce qui est essentiel dans l'élaboration des savoir-faire, c'est donc l'occasion donnée à
l'enfant d'agir et de fonctionner en avance sur ces possibilités d'exécution à la condition
toutefois qu'un étayage lui en donne les moyens (on est très proche ici du concept de Z.P.D.
de L.S. Vygotsky). Ainsi, pour J. S. Bruner il est vain de vouloir apprécier le fonctionnement
cognitif indépendamment du contexte social, ethnologique, affectif dans lequel il se
manifeste.
J. S. Bruner (1983) distingue six fonctions d'étayage. C’est avec cet auteur que l’on trouve
les éléments les plus concrets de la médiation et de l'interaction de tutelle. Autant
d’informations précieuses pour l’enseignant ou le formateur. Les six caractéristiques
fondamentales de la tutelle sont :
27
-
l'enrôlement : la première tâche du tuteur (l’enseignant, le formateur, l’éducateur)
est d'engager l'intérêt, l'adhésion de l'apprenant envers les exigences de la tâche
afin d'éveiller l'intérêt de l'enfant, le motiver, et le faire adhérer au travail
demandé. On ne peut apprendre sous la contrainte et il est proposé à
l’enseignant d’essayer de susciter le désir d’apprendre.
-
la réduction des degrés de liberté : il s’agit pour le tuteur de simplifier la tâche par
réduction du nombre des actes constitutifs requis pour résoudre le problème. Il
s'agit pour l’étayeur de permettre à l’élève de dégager une certaine structure, faire
apparaître un début et une fin dans la résolution de la tâche pour rendre le but
plus accessible à l’élève.
-
le maintien de l'orientation : l’enseignant doit maintenir l'apprenant à la poursuite
d'un objectif préalablement défini et explicite. Afin d’éviter la routine, il doit
entraîner l'élève plus loin en lui demandant un certain effort afin d'éviter la dérive
vers d'autres activités inadaptées. Apprendre, c’est persévérer et l’enseignant doit
tenter d’ aider à cette persévérance.
-
la signalisation des caractéristiques déterminantes : un tuteur signale de multiples
façons les éléments pertinents pour résoudre la tâche.
-
le contrôle de la frustration : la résolution de problème devrait être moins
périlleuse pour l'apprenant avec un tuteur que sans lui. Le professeur devra
"sauver la face" de l’élève à propos des erreurs qu'il commet, jouer sur le désir de
l'apprenant de plaire au tuteur, aider l’enfant à faire le point, en valorisant ce qui a
déjà été réalisé, en créant un climat positif.
-
la démonstration : il peut s’agir de présentation de modèles de solution pour une
tâche. Il convient d'achever, de justifier le travail accompli, de démontrer,
d’observer les essais de chacun et les représenter sous une forme stylisée à
l'élève. On le poussera à imiter le modèle ainsi proposé, modèle qui correspond à
ce qu'il sait faire.
Selon le psychologue américain, le guidage de tutelle, est un moment intense de
renseignements mutuels entre l’élève et le tuteur, d'échanges de savoirs. Le langage est
28
décrit comme un outil de médiation car la connaissance du potentiel d'apprentissage d'un
sujet ne peut se réaliser sans dialogues cognitifs. Cette connaissance du potentiel passera
par des moments d’évaluation, d’évaluation diagnostique (enrôlement), formative (maintien de
l’orientation, signalisation des caractéristiques déterminantes) et sommative (démonstration).
Nous aurons l’occasion de revenir très précisément sur ces points dans le chapitre 2 suivant.
Il apparaît maintenant évident que les connaissances ne sont pas des programmes stockés
tels quels en mémoire et activables sur simple demande; même si des travaux de plus en
plus nombreux visent à réhabiliter en quelque sorte le rôle de la mémoire dans les
apprentissages (A. Lieury en France, F. Y. Doré au Québec).
Pour résumer, le modèle socio-constructiviste auquel nous nous référerons désormais est
fondé sur quatre idées forces :
Tout d'abord sur l'idée empruntée à J. Piaget et aux psychogénéticiens d'une nécessaire
action dans l'apprentissage : « C’est en agissant qu'on apprend ».
Deuxièmement, s'inspirant toujours du modèle piagétien, l'idée de l'équilibration majorante
(Piaget, 1970) :
« La connaissance passe d'un état d'équilibre à un autre par des phases transitoires au
cours desquelles les connaissances antérieures sont mises en défaut. Si ce moment de
déséquilibre est surmonté, c'est qu'il y a réorganisation des connaissances, au cours de
laquelle les nouveaux acquis sont intégrés au savoir ancien. »
La construction de connaissances proviendrait donc d'une activité cognitive de la part de
l'apprenant mettant en relation les nouvelles informations perçues dans le contexte
(assimilation) et ses connaissances remobilisées (accommodation). Cette activation va
produire
de
nouvelles
connaissances
plus aptes
à
répondre
à
ses
nouveaux
questionnements.
Une troisième idée émanant de G. Bachelard (1970) est celle de « déjà-là », nous avons peu
insisté sur ce point :
« Quel que soit son âge, l'esprit n'est jamais vierge, table rase ou cire sans empreinte, les
représentations se constituent en obstacles à la connaissance scientifique. »
Enfin, la dernière idée force provient de la psychologie sociale. Elle insiste sur le conflit
socio-cognitif (Doise & Mugny, 1981; Perret-Clermont, 1979) à la suite des travaux sur le
29
conflit cognitif (Inhelder, Sinclair & Bovet, M., 1974) et met l'accent sur le rôle prépondérant
des interactions sociales dans la construction des connaissances.
3-Compétences/connaissance/savoir/attitude/capacité
C'est à J. Legroux (1981) que l'on doit la distinction première entre information,
connaissance et savoir. Il s'inspira des travaux de J. Dewey qui distinguait les informations
externes à l'individu aux connaissances consubstantielles à celui-ci. J. Legroux ajouta un
troisième domaine à cette bipolarité : celui du "savoir".
L'information qui est d'essence pragmatique et sert à vivre et non à savoir, sa vérité se réduit
à son utilité. Elle est également extérieure au sujet. Elle appartient aux autres. Elle est
d'ordre social. Elle est facilement transmissible. J. P. Astolfi (1992) complétera la définition
en précisant que l'information est objective, de l'ordre de l'objet. Elle est stockable,
quantifiable sous des formes diversifiées ce qui rend donc possible sa circulation
interpersonnelle. Elle se caractérise donc par sa position d'extériorité par rapport au milieu
de la personne qui l'appréhende. Au contraire de la connaissance, elle participe au contexte.
Ainsi, une information aiderait à la construction d'une connaissance tout en étant distincte de
celle-ci. Toutefois, l'information étant le support de la connaissance,
il est difficile de
trancher entre ces deux concepts comme il est difficile de disjoindre le signe et la
signification, le signifié et le signifiant.
Concernant la connaissance, J. Legroux (1981) nous précise que « la connaissance est
intégrée au sujet au point qu'elle se confond avec lui. Elle n'appartient qu'à soi.. Elle est
d'ordre personnel. Elle n'est pas transmissible. » La connaissance est donc de nature
fondamentalement subjective, de l'ordre du sujet (Astolfi, 1992). Elle est consubstantielle à
l'individu, à son histoire; elle est donc le résultat d'un processus d'intériorisation. Elle fait
donc partie de son milieu et reste donc globalement intransmissible. Les connaissances ne
sont pas toutes verbalisables et explicables par le sujet qui les possède, même s'il est expert
en un domaine. Ce dernier point est fondamental car révèle un grand nombre d'abus de
langage à ce sujet : on confond trop souvent évaluation de connaissances et évaluation de
performances, nous le verrons plus avant. Ce qui transparaît de manière récurrent, c'est le
caractère « hypothétique » et « conjectural » de la connaissance, c'est à dire le fait qu'elle
soit contextualisée. Connaître, c'est percevoir et agir, c'est la prise en compte de
l'information. Se dégage donc dans l'idée de connaissance, l'idée également d'action et
d'adaptation (constructivisme piagétien).
Les
sciences
cognitives
distinguent
parfois
les
connaissances
déclaratives
des
connaissances procédurales. Ces deux termes (« procédural » et « déclaratif ») proviennent
30
de l'informatique. Cette opposition recouvre la différenciation qui est faite entre savoir et
savoir-faire.
Les connaissances déclaratives sont assez éloignées de l'action concrète, elles portent
plutôt sur des propriétés, des déclarations, le contenu, des attributs d'un objet donné, des
faits verbalisables. Construire une phrase par exemple présuppose que l'on connaisse et des
mots et leur sens. Savoir que Charlemagne fut couronné en l’an 800 constitue une
connaissance déclarative qui peut se construire dans une démarche d’enseignement
magistrale.
Les connaissances procédurales sont, au contraire, plus proche de l'action concrète et
demandent beaucoup plus de situations problèmes posant des obstacles cognitifs pour
pouvoir être construites. Elles portent plutôt sur ce qui est mis en jeu dans l'utilisation
d'objets physiques, symboliques, conceptuels. Le raisonnement procédural désigne
l'ensemble des règles à suivre pour atteindre un objectif donné. Par exemple, les règles de
grammaire régissant une phrase.
Si les concepts d'information et de connaissance sont relativement faciles à définir, il n'en est
pas de même pour le savoir. Il est difficile de dire exactement ce qu'en sont les objets, les
enjeux, les lieux, les limites car c'est une notion protéiforme.
Pour J. Legroux, le savoir est l'interface entre la connaissance et l'information. Il le pose en
termes de transformations. Le savoir n'est ni de l'information, ni de la connaissance mais un
peu des deux : « Tel le dieu Janus à double visage, considéré comme démon de passage, le
savoir peut faciliter le passage de multiples informations disséminées à la connaissance à
condition toutefois qu'il soit vécu authentiquement par la personne. »
Le savoir n'est à proprement parler ni objectif comme l'information, ni subjectif comme la
connaissance. Il relève selon J. P. Astolfi (1992) d'un processus d'objectivation, fruit d'une
construction intellectuelle dans un cadre théorique.
En fait, le savoir est une connaissance partagée par une communauté (scientifique ou non).
Dans cette optique, il est social et rendu public tandis que la connaissance est de l'ordre du
sujet, de l'ordre du privé en quelque sorte : « (...) les savoirs sont socialement construits à
l'image des champs dans lesquels ils ont été produits : savoirs disciplinaires, savoirs
scientifiques, savoirs académiques ou savoirs technologiques (...). » (Barbier, 1996).
A la question « qu'est-ce qu'apprendre? » O. Reboul (1988) met en évidence trois réponses :
c'est « apprendre à », c'est « apprendre que » et enfin c'est « apprendre » (dans le sens de
« comprendre »). J. Daniau (1989) part de cette analyse pour aboutir à une typologie qui
articule les savoirs en cinq catégories :
- les savoirs conceptuels : ce sont les invariants que l'apprenant perçoit au travers de
situations multiformes. O. Reboul les nomme "les savoirs purs" en ce sens qu'ils relèvent du
31
degré le plus élevé de la connaissance, il s'agit « d'apprendre » (au sens de
« comprendre »). Ces savoirs sont désintéressés (ils ont pour but qu'eux-même), réversibles
(ils vont de l'effet à la cause), abstraits (ils transcendent la réalité concrète), ils sont
structurants et systématiques.
-les savoirs factuels : ce type de savoir relève de ce que O. Reboul désigne par
« apprendre que ». Ce sont des faits acceptés et enregistrés tels quels. Il s'agit du degré le
plus élémentaire opposé au « savoir pur ». On est là dans une démarche de mémoire
verbale et de répétition.
Les trois dimensions suivantes du savoir recouvrent ce que O. Reboul appelle « apprendre
à » (troisième forme de l'apprentissage).
- les savoir-faire qui sont opératoires, ils débouchent sur l'action. Ce sont
généralement des enchaînements d'actions élémentaires simples. Il s'agit « d'apprendre à
faire », là aussi, la répétition et la mémoire sont des points d'appuis importants.
- les savoirs méthodologiques sont pour reprendre la terminologie d'O. Reboul des
savoir-faire "intelligents" qui se caractérisent par des enchaînements d'actions dans le but de
résoudre un problème. Ces savoirs sont rarement simples, ils ne sont pas prédéterminés. La
résolution des problèmes mathématiques, l'expression écrite, la lecture de texte sont des
savoirs méthodologiques.
-les savoir-être sont composés, selon J. Daniau, de trois composantes : une
dimension mentale (prolongements des savoirs méthodologiques : savoir classer, coder,
mettre en relation...), les comportements individuels (qui apparaissent dans le domaine de la
communication, de l'expression...) et enfin les comportements individuels de portée sociale
qui se construisent obligatoirement dans des situations de relations aux autres (l'aptitude à
tenir compte de l'opinion d'autrui, savoir défendre son point de vue en argumentant de façon
précise...). Ces savoir-être sont probablement les objectifs les plus difficiles à atteindre pour
les enseignants de part leur globalité notamment, et donc les plus difficiles à évaluer
également.
L'information, le savoir et la connaissance engendrent des capacités, des compétences et
des performances. Il convient de bien distinguer ces trois derniers concepts pour clarifier
notre discours.
32
Les capacités peuvent être considérées comme la manifestation d’aptitudes construites dans
un ou plusieurs domaines. Elles ne sont pas mesurables en tant que telle, mais induisent
des compétences, qui, elles, sont évaluables. On peut les définir comme des potentialités
précises intériorisées.
La performance est la mise en œuvre d’une connaissance dans une situation concrète (par
exemple une évaluation). Cette mise en œuvre n'engage pas forcément la totalité des
connaissances pour des raisons de l'ordre du cognitif mais également de l'ordre de l'affectif
(personnalité, émotivité, sentiment d’efficacité personnel, image de soi, etc.) ou du social. La
performance, la partie la plus visible de l'activité intellectuelle, ne peut rendre compte en
totalité des compétences existantes liées à une connaissance construite (potentialités
invisibles, intérieures et personnelles). Elle n'englobe jamais la totalité des connaissances. Il
existe un écart entre ce que l'on sait et ce que l'on fait.
Enfin, concernant la notion de compétence, chacun est en mesure de constater l’usage
inflationniste de la notion, fortement associée aux notions de performance et d’efficacité
dans la sphère éducative et dans celle du travail. Elle tend à se substituer ou à juxtaposer à
celle de savoirs et connaissances dans la sphère éducative ou à celle de qualification dans
la sphère du travail.
Nous proposons le cadrage suivant de ce mot « valise » (Bru & Talbot, 2007) :
-
une compétence est délimitée à un domaine,
-
une compétence s’accomplit dans l’action,
-
une compétence mobilise des ressources cognitives et affectives,
-
une compétence permet d’être efficace,
-
une compétence est contextualisée.
-
Une compétence est complexe.
En pratique, la compétence est identifiée aux descriptions et mesures qui en sont faites dans
les évaluations. En fait la notion de compétence est une notion intermédiaire entre le travail
et les connaissances détenues par un individu.
La difficulté pour l'enseignant est que ces compétences ne sont pas directement accessibles,
observables et les performances produites ne les reflètent qu'imparfaitement. Elles
correspondent à la mobilisation coordonnée d'un certain nombre de connaissances dans une
activité donnée. .
J. Daniau (1989) développe lui l'idée d'intériorité et d'extériorité en soulignant que les
performances sont des compétences qui s'extériorisent « en termes d'action dans une
situation-problème donnée à laquelle se trouve être confrontée un élève ».
33
Mais la difficulté d’évaluer les connaissances et les compétences des élèves est la même
dans les procédures d’évaluation des enseignants.
4-Métacognition
Cognition : faculté de connaître, acte intellectuel en relation avec la construction de
connaissance, opération relative à la connaissance
Méta : du grec méta : au delà de ; après ; qui indique le changement, la postérité, la
supériorité, le dépassement.
On retrouve généralement dans l'ensemble de ces méthodes un recours aux apprentissages
métacognitifs9. Il s'agit de permettre aux apprenants de mieux gérer leurs ressources
intellectuelles et surtout la connaissance qu'il en ont en exerçant un certain contrôle sur leur
propre système cognitif. La métacognition consiste à prendre conscience des modes de
pensée qu'on met en jeu au cours de l'activité intellectuelle. Seymour Papert 10 parle lui de
"mathétique" pour désigner l'art qui consiste pour celui qui apprend à se forger ses propres
capacités et ses méthodes pour construire des connaissances. Pour définir le concept, on
peut s'aider de Bernadette Noèl (1991, p.5) qui cite la définition de la métacognition que
donnait John Flavell11, pionnier dans le domaine, en 1976 :
"La métacognition se rapporte à la connaissance qu'on a de ses propres
processus cognitifs, de leurs produits et de tout ce qui y touche, par exemple, les
propriétés pertinentes pour l'apprentissage d'information ou de données... la
métacognition se rapporte entre autres choses, à l'évaluation active, à la
régulation et à l'organisation de ces processus en fonction des objets cognitifs ou
des données sur lesquelles ils portent, habituellement pour servir un but ou un
objectif concret."
Deux phénomènes se dégagent : la connaissance de ses propres processus mentaux, du
produit de ces processus et la régulation que l'on opère sur ces processus.
La métacognition connut une vogue telle que l'on assista à partir de cette époque à une
véritable explosion du préfixe "méta" (métamémoire, métacompréhension, métalangage,
métalinguistique, métacommunication, ...). Ces mots ont été employés d'une manière très
extensible et l'on ne sait plus parfois "ce qui distingue les connaissances méta des
connaissances tout court." 12
9
Voir notamment Noël, B., 1995, La métacognition, l'art d'évaluer ses performances, in Sciences Humaines n°56, décembre
1995, pp.23-25. et Noël, B., 1991, La Métacognition, De Boeck Université, Bruxelles.
10
Papert, S., 1995, L'Enfant et la machine à connaître. Repenser l'école à l'ère de l'ordinateur, Dunod, Paris.
11
Les premières recherches de Flavell sur la métacognition concernaient la mémoire. dans les années 1970.
12
Nguyen-Xuan, A., Richard, J.F.& Hoc, J.M., 1990, Le contrôle de l'activité in Richard, J.F., Bonnet, C. & Ghiglione, R. (dir.),
Traité de psychologie cognitive tome 2, le traitement de l'information, Dunod, Paris, p. 212.
34
B. Noël (1995, p.25) distingue trois étapes de la métacognition.
Tout d'abord le processus métacognitif lorsque l'individu prend effectivement conscience
des activités cognitives qu'il effectue et de leur produit.
Ensuite le sujet peut exprimer un jugement sur sa propre activité cognitive ou sur le produit
mental qu'il en résulte. C'est l'étape du jugement métacognitif, une sorte d'auto-évaluation.
Vient enfin l'étape de la décision métacognitive lorsque le sujet prend la décision (ou non)
de modifier ses activités cognitives en fonction de l'étape précédente.
"La métacognition peut se limiter à la première étape et n'aboutir à aucun
jugement si le sujet n'essaie pas d'évaluer ses activités cognitives ou leur(s)
produit(s). Elle peut aussi se limiter à la deuxième étape si le sujet se contente
d'un jugement et ne prend aucune décision à partir de ce jugement . Enfin, la
métacognition peut comprendre les trois étapes : le processus, le jugement et la
décision. On peut alors parler de métacognition régulatrice".
Nguyen-Xuan et ses collaborateurs13 distinguent deux écoles qui sans être antagonistes ont
une approche différente de la métacognition. Celle de Flavell qui propose une analyse des
processus métacognitifs en termes de variables et celle de Brown qui met plutôt l'accent sur
le processus de contrôle des activités.
Flavell distingue trois types de connaissances métacognitives : celles relatives aux
personnes (ses propres connaissances ou celles des personnes de notre entourage), aux
tâches (planification des entreprises cognitives) et aux stratégies (pilotage des méthodes de
résolution). Selon Flavell, les connaissances métacognitives sont innées et on peut les
distinguer des connaissances tout court en ce sens qu'elles concernent souvent l'entreprise
cognitive en court de déroulement.14
A. Brown ainsi que les chercheurs qui s'inspirent de l'approche du traitement de l'information
reprennent plusieurs idées de Flavell, notamment celles concernant des stratégies
métacognitives. Leur problématique est cependant ciblée autour de la régulation et du
contrôle métacognitifs qui peut se résumer à quatre activités : classer, vérifier, évaluer et
anticiper. La régulation consiste à prendre en compte les informations générées par les
quatre activités du contrôle pour prendre des décisions concernant l'effort, la vitesse,
l'attention, etc.
13
Nguyen-Xuan, A., Richard, J.F.& Hoc, J.M., 1990, op.cité, pp. 207-245.
14
Nguyen-Xuan et al. prennent l'exemple de la lecture. Lorsqu'on lit un texte on ne se regarde pas constamment en train de
lire. Mais il peut arriver que l'on soit soudainement conscient que l'on est en train de lire ... ce qui a pour effet que l'on ne
comprend plus ce que l'on lit.
35
En fait, pratiquer la métacognition permet à l'apprenant de prendre conscience de trois
choses :
.
de l'existence d'états mentaux internes différents des actes ou des
événements externes,
.
de l'existence de processus mentaux différents,
.
du fait que, malgré leur diversité, ces processus mentaux sont reliés entre eux
d'une manière ou d'une autre.
L’une des questions majeures qui se pose aujourd’hui, à tout niveau du système
d’enseignement, c’est de parvenir à améliorer et à étendre la réussite des élèves. Il s’agit de
faire en sorte que plus d’élèves réalisent, à l’école, des apprentissages plus efficaces, plus
durables et plus profonds.
Derrière le terme technique de métacognition, on peut retrouver l’injonction de Socrate :
“Connais-toi toi-même !”, soulignant que la connaissance de soi est un facteur essentiel du
développement de la personne et de ses possibilités d’apprendre.
La métacognition désigne la réflexion que fait une personne sur les opérations mentales
qu’elle a utilisées lors d’une activité d’apprentissage (mémorisation, raisonnement,
observation, résolution de problème...). Le préfixe méta indique qu’il s’agit d’opérations
mentales exercées sur des opérations mentales.
La métacognition consiste à faire prendre conscience à l’élève de son activité mentale. En
décrivant le cheminement suivi, le sujet fait sortir son activité mentale de l’implicite et peut
donc trouver des moyens de l’améliorer.
La pratique pédagogique de la métacognition relève d’une des grandes finalités possibles de
l’éducation, mener l’élève à l’autonomie.
En faisant analyser aussi bien les raisons de l’échec que celles d’une réussite, l’enseignant
permet à l’élève de ne plus s’en remettre au hasard, mais, en prenant conscience des
procédures utilisées, de s’approprier les savoir-faire mis en œuvre qui permettent de réussir
l’activité d’apprentissage. Il ne s’agit surtout pas de conseils de méthode donnés de
l’extérieur dont l’efficacité se révèle souvent très limitée.
5-L’approche par compétences
La compétence peut être définie comme l’aptitude qu’a un élève à utiliser ce qu’il a appris
dans de nouvelles circonstances (Carette, 2008). Les textes officiels de l’éducation nationale
nous rappellent qu’elle est constituée de trois dimensions liées aux connaissances (savoirs),
capacités (savoir-faire) et attitudes (savoir être). On peut compléter cette première définition
avec Bru et Talbot (2007), nous l’avons vu : la notion de compétence renvoie à six
dimensions principales, la compétence
-
est délimitée à un domaine, à un champ d’application,
36
-
s’accomplit dans l’action, la compétence est inférée à partir de ce que fait l’individu,
-
est connaissance, la compétence st donc singulière, elle appartient en propre à un
individu,
-
est efficacité,
-
est contextualisée,
-
est complexe.
Ainsi l’approche par compétences ou l’enseignement par compétences peuvent se
caractériser par trois éléments fondamentaux (Carette, 2008):
1- Le premier élément est de proposer aux élèves des tâches complexes (au sens
de Le Moigne ou Morin). Ces tâches peuvent être disciplinaires ou s’inscrire de
manière plus transversales dans la vie de tous les jours.
2- Ces situations complexes peuvent être inédites pour éviter que les élèves
développent uniquement des pratiques applicationnistes.
3- Toutefois, les situations complexes qui doivent être résolues par les élèves
nécessitent la mobilisation de procédures que ces derniers sont censés avoir
préalablement construites.
6-Bibliographie
Bru, M., & Talbot, L., (Eds.). (2007). Des compétences pour enseigner, Entre
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