Neurologie.com 2010 ; 2 (2) : 46-7
46 neurologie.com | vol. 2 n°2 | février 2010 DOI : 10.1684/nro.2010.0197
Lexique T comme…
Le triple-A syndrome
Triple A syndrome
Odile Dubourg
Service de neuropathologie, Hôpital
de la Pitié-Salpêtrière, Paris
<[email protected].fr> Le triple-A syndrome ou syndrome
d’Allgrove est une affection rare de
transmission autosomique récessive
dont les premiers cas furent rappor-
tés par Allgrove et al. en 1978 [1]. Ce
syndrome est caractérisé par une
achalasie, une alacrimie, et une insuffisance
surrénalienne par résistance à l’hormone
adrénocorticotrope (ACTH). Il peut être assoc à
des anomalies du système nerveux autonome,
central et périphérique, une hyperkératose palmo-
plantaire, une petite taille, une osoporose, une
langue d’aspect fissuré, et une microcéphalie.
Le gène responsable, AAAS, a été identifié en
2000 [2]. Il est localisé sur le chromosome 12, en
12q13, et comporte 16 exons. Les mutations
(faux-sens ou entraînant un décalage du cadre de
lecture) aboutissent à une protéine tronquée,
non fonctionnelle. Cette protéine a été nommée
ALADIN (ALacrimia, Achalasia, aDrenal Insufficiency,
Neurological disorder). Son expression est ubiqui-
taire mais particulièrement élevée dans les
glandes surrénales, le tractus gastro-intestinal et
le cerveau. La protéine ALADIN fait partie d’une
famille de protéines impliquées dans des fonc-
tions cellulaires très diverses (interactions entre
protéines, transduction de signaux, transcrip-
tion, trafic vésiculaire, assemblage du cytosque-
lette, contrôle de la division cellulaire). Elle est
localisée sur les pores nucléaires, complexes
multiprotéiques permettant les échanges entre
le noyau et le cytoplasme. Les mutations de la
protéine peuvent aboutir à une délocalisation de
la protéine dans le cytoplasme, où elle ne peut
plus jouer son rôle [3].
Une centaine de cas ont été rapportés. Les manifes-
tations cliniques et la gravi de la maladie sont très
variables (tableau 1). Chez la plupart des patients,
la première manifestation est l’alacrimie, accom-
pagnée chez 75 % d'entre eux par une achalasie.
Des mutations récurrentes ont été identifiées dans
des familles d’Afrique du Nord [2] et d’Europe.
L’accent a été mis sur les manifestations neuro-
logiques dans plusieurs publications. Dans l’étu-
de Houlden et al. [4], le gène AAAS a été séquen
dans 20 familles avec des troubles neurologiques
progressifs et au moins un des signes de la triade
(achalasie, alacrimie, insuffisance surrénalienne).
Des mutations, distribuées sur l’ensemble du
gène, ont été identifiées dans six des huit fa-
milles qui avaient tous les symptômes de la
triade à des degrés divers de sévérité. Le fait
qu’un phénotype complet du triple-A syndrome
puisse être observé sans mutation du gène AAAS
démontre l’hétérogéité génétique de la
maladie.
Les huit patients des six familles mutées avaient
des manifestations neurologiques sous forme
d’une polyneuropathie axonale distale à prédo-
minance motrice. L’examen électroneuromyo-
graphique notait une atteinte sélective du nerf
cubital aux membres supérieurs se traduisant
par une altération plus importante de l’ampli-
tude motrice distale du nerf cubital que du nerf
médian. Sur le plan clinique, une amyotrophie
hypothénarienne plus marquée était notée chez
5 patients (figure 1). Les signes de polyneuropa-
thie avaient inauguré la maladie chez trois pa-
tients, à l’adolescence pour deux d’entre eux, et
à la 3e décennie, en association avec l’achalasie,
pour le troisième. Trois patients étaient entrés
dans la maladie par une alacrimie et deux par
des malaises hypoglycémiques, dès la petite en-
fance. Les autres signes neurologiques compre-
naient une atrophie optique bilarale (7 patients),
une atteinte bilatérale du XII (4 patients), une
atteinte des nerfs mixtes (1 patient), et une réti-
nopathie (1 patient). À l’examen clinique, les
flexes osotendineux étaient vifs, à l’exception
des achilens abolis, chez tous les patients, mais
Figure 1. Amyotrophie des interosseux palmaires et de l'émi-
nence hypothénarienne
LE TRIPLE-A SYNDROME
Le triple-A syndrome ou syndrome d’Allgrove est une mala-
die rare qui se manifeste dès l’enfance par des problèmes de
motricité de l’œsophage entraî-
nant des difficultés d’alimentation
(achalasie), une absence de
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un signe de Babinski n’était observé que chez deux patients.
L’examen de la sensibilité était normal chez la plupart des
patients. L’achalasie avait nécessité une ou plusieurs dila-
tations œsophagiennes chez 4 patients, tandis que l’insuf-
fisance surrénalienne nécessitait un traitement substitutif
chez 6 patients. Parmi les autres signes particuliers, les
auteurs notaient une pupille tonique chez 5 patients, té-
moignant d’une atteinte chronique du parasympathique.
L’imagerie par résonance magnétique du cerveau et de la
moelle était normale chez les 6 patients pour lesquels elle
a été pratiquée ; néanmoins, les potentiels moteurs évoqs
montraient un allongement des temps de conduction mo-
teurs centraux chez 3 patients sur 5.
Certains auteurs insistent sur des présentations cliniques
évocatrices de maladies du motoneurone. Ainsi, Goizet
et al. [5] rapportent le cas d'une patiente dont la neuro-
pathie avait débuté dans l’enfance par un déficit moteur
distal et une amyotrophie des membres inférieurs, des
pieds creux, et chez laquelle ils notaient, à l’âge de
33 ans, une amyotrophie linguale avec fasciculations,
une dysarthrie et une voix nasonnée. Des réflexes ostéo-
tendineux vifs, l’absence de troubles sensitifs objectifs,
et un examen électroneuromyographique mettant en
évidence des signes de dénervation aux quatre membres
et à la face, achevaient de compléter le phénotype
d’amyotrophie bulbospinale.
Ces observations montrent que, en dépit de sa rareté, le
triple-A syndrome doit être connu du neurologue qui
peut être amené à faire le diagnostic devant un patient
adulte souffrant d’une neuropathie périphérique axonale
à prédominance motrice, pouvant évoquer en premier
lieu une maladie de Charcot-Marie-Tooth ou une affection
du motoneurone, souvent associée à une vivacité des
réflexes ostéotendineux (hormis les achilléens) et à une
amyotrophie linguale. Les antécédents d’achalasie et
d’alacrimie doivent conduire à évoquer le triple-A syn-
drome et à étudier le gène AAAS. En effet, il est important
de ne pas méconnaître l’atteinte endocrinienne et l’at-
teinte du système nerveux autonome, qui peuvent sur-
venir plus tardivement et nécessiter une prise en charge
spécifique.
Tableau 1. Signes cliniques du triple-A syndrome
1. Signes digestifs
1.1 Achalasie/Méga-œsophage
1.2 Diarrhée
2. Signes endocriniens
2.1 Insuffisance surrénalienne
2.2 Hypoglycémie
3. Signes ophtalmologiques
3.1 Alacrimie
3.2 Kératoconjonctivite sèche
3.3 Atrophie des glandes lacrymales
3.4 Pupille tonique
3.5 Défaut d’accommodation
3.6 Atrophie optique
3.7 Atteinte rétinienne
4. Atteinte du système nerveux autonome
4.1 Hypotension orthostatique
4.2 Dysrégulation du rythme cardiaque
4.3 Dysrégulation thermique
4.4 Troubles de l’érection
5. Atteintes neurologiques
5.1 Neuropathie axonale distale à prédominance motrice
5.2 Amyotrophie bulbospinale
5.3 Atteinte des nerfs crâniens
5.4 Épilepsie
5.5 Ataxie
5.6 Démence
6. Autres
6.1 Langue d’aspect fissuré
6.2 Hyperpigmentation
6.3 Petite taille
6.4 Microcéphalie
6.5 Hyperkératose palmo-plantaire
Références
1. Allgrove J, Clayden GS, Grant DB, Ma-
caulay JC. Familial glucocorticoid defi-
ciency with achalasia of the cardia and
deficient tear production. Lancet 1978 ; I :
1284-6.
2. Tullio-Pelet A, Salomon R, Hadj-Rabia S,
et al. Mutant WD-repeat protein in triple-A
syndrome. Nature Genet 2000 ; 26 : 332-5.
3. Cronshaw JM, Matunis MJ. The nu-
clear pore complex protein ALADIN is
mislocalized in triple A syndrome. Proc
Nat Acad Sci 2003 ; 100 : 5823-7.
4. Houlden H, Smith S, De Carvalho M,
et al. Clinical and genetic characteriza-
tion of families with triple A (Allgrove)
syndrome. Brain 2002 ; 125 : 2681-90.
5. Goizet C, Catargi B, Tison F, et al. Pro-
gressive bulbospinal amyotrophy in Tri-
ple A syndrome with AAAS gene mutation.
Neurology 2002 ; 58 : 962-5.
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