Le xiqu e T co m m e… N eu ro lo g i e . com 20 1 0 ; 2 ( 2) : 46-7 Le triple-A syndrome Triple A syndrome Odile Dubourg Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Service de neuropathologie, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris <[email protected]> L e triple-A syndrome ou syndrome d’Allgrove est une affection rare de transmission autosomique récessive dont les premiers cas furent rapportés par Allgrove et al. en 1978 [1]. Ce syndrome est caractérisé par une achalasie, une alacrimie, et une insuffisance surrénalienne par résistance à l’hormone adrénocorticotrope (ACTH). Il peut être associé à des anomalies du système nerveux autonome, central et périphérique, une hyperkératose palmoplantaire, une petite taille, une ostéoporose, une langue d’aspect fissuré, et une microcéphalie. Le gène responsable, AAAS, a été identifié en 2000 [2]. Il est localisé sur le chromosome 12, en 12q13, et comporte 16 exons. Les mutations (faux-sens ou entraînant un décalage du cadre de lecture) aboutissent à une protéine tronquée, non fonctionnelle. Cette protéine a été nommée ALADIN (ALacrimia, Achalasia, aDrenal Insufficiency, Neurological disorder). Son expression est ubiquitaire mais particulièrement élevée dans les glandes surrénales, le tractus gastro-intestinal et le cerveau. La protéine ALADIN fait partie d’une famille de protéines impliquées dans des fonctions cellulaires très diverses (interactions entre protéines, transduction de signaux, transcription, trafic vésiculaire, assemblage du cytosquelette, contrôle de la division cellulaire). Elle est localisée sur les pores nucléaires, complexes multiprotéiques permettant les échanges entre le noyau et le cytoplasme. Les mutations de la protéine peuvent aboutir à une délocalisation de la protéine dans le cytoplasme, où elle ne peut plus jouer son rôle [3]. Une centaine de cas ont été rapportés. Les manifestations cliniques et la gravité de la maladie sont très variables (tableau 1). Chez la plupart des patients, la première manifestation est l’alacrimie, accompagnée chez 75 % d'entre eux par une achalasie. Des mutations récurrentes ont été identifiées dans des familles d’Afrique du Nord [2] et d’Europe. L’accent a été mis sur les manifestations neurologiques dans plusieurs publications. Dans l’étude Houlden et al. [4], le gène AAAS a été séquencé dans 20 familles avec des troubles neurologiques progressifs et au moins un des signes de la triade (achalasie, alacrimie, insuffisance surrénalienne). Des mutations, distribuées sur l’ensemble du gène, ont été identifiées dans six des huit familles qui avaient tous les symptômes de la triade à des degrés divers de sévérité. Le fait qu’un phénotype complet du triple-A syndrome puisse être observé sans mutation du gène AAAS démontre l’hétérogénéité génétique de la maladie. Les huit patients des six familles mutées avaient des manifestations neurologiques sous forme d’une polyneuropathie axonale distale à prédominance motrice. L’examen électroneuromyographique notait une atteinte sélective du nerf cubital aux membres supérieurs se traduisant par une altération plus importante de l’amplitude motrice distale du nerf cubital que du nerf médian. Sur le plan clinique, une amyotrophie hypothénarienne plus marquée était notée chez 5 patients (figure 1). Les signes de polyneuropathie avaient inauguré la maladie chez trois patients, à l’adolescence pour deux d’entre eux, et à la 3e décennie, en association avec l’achalasie, pour le troisième. Trois patients étaient entrés dans la maladie par une alacrimie et deux par des malaises hypoglycémiques, dès la petite enfance. Les autres signes neurologiques comprenaient une atrophie optique bilatérale (7 patients), une atteinte bilatérale du XII (4 patients), une atteinte des nerfs mixtes (1 patient), et une rétinopathie (1 patient). À l’examen clinique, les réflexes ostéotendineux étaient vifs, à l’exception des achilléens abolis, chez tous les patients, mais Figure 1. Amyotrophie des interosseux palmaires et de l'éminence hypothénarienne Le triple-A syndrome Le triple-A syndrome ou syndrome d’Allgrove est une maladie rare qui se manifeste dès l’enfance par des problèmes de motricité de l’œsophage entraînant des difficultés d’alimentation (achalasie), une absence de 46 neurologie.com | vol. 2 n°2 | février 2010 DOI : 10.1684/nro.2010.0197 Tableau 1. Signes cliniques du triple-A syndrome 1. Signes digestifs 1.1 Achalasie/Méga-œsophage 1.2 Diarrhée 2. Signes endocriniens 2.1 Insuffisance surrénalienne 2.2 Hypoglycémie 3. Signes ophtalmologiques 3.1 Alacrimie 3.2 Kératoconjonctivite sèche 3.3 Atrophie des glandes lacrymales 3.4 Pupille tonique 3.5 Défaut d’accommodation 3.6 Atrophie optique 3.7 Atteinte rétinienne Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. 4. Atteinte du système nerveux autonome 4.1 Hypotension orthostatique 4.2 Dysrégulation du rythme cardiaque 4.3 Dysrégulation thermique 4.4 Troubles de l’érection 5. Atteintes neurologiques 5.1 Neuropathie axonale distale à prédominance motrice 5.2 Amyotrophie bulbospinale 5.3 Atteinte des nerfs crâniens 5.4 Épilepsie 5.5 Ataxie 5.6 Démence 6. Autres 6.1 Langue d’aspect fissuré 6.2 Hyperpigmentation 6.3 Petite taille 6.4 Microcéphalie 6.5 Hyperkératose palmo-plantaire Certains auteurs insistent sur des présentations cliniques évocatrices de maladies du motoneurone. Ainsi, Goizet et al. [5] rapportent le cas d'une patiente dont la neuropathie avait débuté dans l’enfance par un déficit moteur distal et une amyotrophie des membres inférieurs, des pieds creux, et chez laquelle ils notaient, à l’âge de 33 ans, une amyotrophie linguale avec fasciculations, une dysarthrie et une voix nasonnée. Des réflexes ostéotendineux vifs, l’absence de troubles sensitifs objectifs, et un examen électroneuromyographique mettant en évidence des signes de dénervation aux quatre membres et à la face, achevaient de compléter le phénotype d’amyotrophie bulbospinale. Ces observations montrent que, en dépit de sa rareté, le triple-A syndrome doit être connu du neurologue qui peut être amené à faire le diagnostic devant un patient adulte souffrant d’une neuropathie périphérique axonale à prédominance motrice, pouvant évoquer en premier lieu une maladie de Charcot-Marie-Tooth ou une affection du motoneurone, souvent associée à une vivacité des réflexes ostéotendineux (hormis les achilléens) et à une amyotrophie linguale. Les antécédents d’achalasie et d’alacrimie doivent conduire à évoquer le triple-A syndrome et à étudier le gène AAAS. En effet, il est important de ne pas méconnaître l’atteinte endocrinienne et l’atteinte du système nerveux autonome, qui peuvent survenir plus tardivement et nécessiter une prise en charge spécifique. Références un signe de Babinski n’était observé que chez deux patients. L’examen de la sensibilité était normal chez la plupart des patients. L’achalasie avait nécessité une ou plusieurs dilatations œsophagiennes chez 4 patients, tandis que l’insuffisance surrénalienne nécessitait un traitement substitutif chez 6 patients. Parmi les autres signes particuliers, les auteurs notaient une pupille tonique chez 5 patients, témoignant d’une atteinte chronique du parasympathique. L’imagerie par résonance magnétique du cerveau et de la moelle était normale chez les 6 patients pour lesquels elle a été pratiquée ; néanmoins, les potentiels moteurs évoqués montraient un allongement des temps de conduction moteurs centraux chez 3 patients sur 5. 1. Allgrove J, Clayden GS, Grant DB, Macaulay JC. Familial glucocorticoid deficiency with achalasia of the cardia and deficient tear production. Lancet 1978 ; I : 1284-6. 5. Goizet C, Catargi B, Tison F, et al. Progressive bulbospinal amyotrophy in Triple A syndrome with AAAS gene mutation. Neurology 2002 ; 58 : 962-5. 2. Tullio-Pelet A, Salomon R, Hadj-Rabia S, et al. Mutant WD-repeat protein in triple-A syndrome. Nature Genet 2000 ; 26 : 332-5. 3. Cronshaw JM, Matunis MJ. The nuclear pore complex protein ALADIN is mislocalized in triple A syndrome. Proc Nat Acad Sci 2003 ; 100 : 5823-7. 4. Houlden H, Smith S, De Carvalho M, et al. Clinical and genetic characterization of families with triple A (Allgrove) syndrome. Brain 2002 ; 125 : 2681-90. neurologie.com | vol. 2 n°2 | février 2010 47