NOUVEAU GOUVERNEUR DE LA BOJ .. UN JOB A PRENDRE AVEC DES PINCETTES
La star de la semaine est certainement le financier Toshihiko Fukui, banquier de carrière et personnage proche du
parti conservateur japonais qui vient d’être nommé comme prochain gouverneur Banque du Japon (BoJ), en
remplaçant M Hayami qui prend sa retraite le 18 mars. Partisan invétéré du rigorisme monétaire, M Fukui est un
choix très controversé, qui laisse peu d'espoir d'un changement radical de la politique monétaire nipponne, qui
aurait dû privilégier les mesures laxistes, anti-déflation .. mais cela n’arrivera pas tant que la BoJ sera dirigée par
lui.
Un choix très dur ..
On attendait que le PM Koizumi et son parti élisent à la tête de la BoJ une personne favorable aux mesures de
relâche monétaire, qui devrait arrêter la chute des prix des biens de consommation (cela dure depuis presque
5 ans).. Mais la surprise des marchés fut grande, car choisir pour le poste de gouverneur un faucon de la
politique monétaire comme M Fukui, ne laisse pas de chances réelles à l’inflation.. Ce choix s’est voulu un peu
contrebalancé par la nomination de 2 sous-gouverneurs, des personnages moins austères : Kazumasa Iwata
(membre du cabinet du PM, très connu pour ses opinions pro-politique monétaire non conformiste) et de
Toshiro Muto, ancien vice-ministre des Finances.
Pourtant, le poste de M Fukui n’est pas à envier…bien au contraire, c’est difficile de trouver quelqu’un qui
voudrait sa place, une position difficile d’une responsabilité énorme et dont l’enjeu est une mission presque-
impossible: on attend de la part du prochain gouverneur de la BoJ qu’il sauve le monde, au moins le monde
économique de son pays, et qu’il relance l’économie japonaise avant qu’elle ne s’engouffre dans la 4e récession
des 10 dernières années. Une tâche qui tient plutôt du domaine du fantastique, car il faut que le pays fasse
finalement les réformes et les opérations de nettoyage si longtemps ajournées, et que l’économie du monde
reprenne pour aider aussi le malade japonais. Un job très stressant pour M Fukui, vu les espoirs de 126 millions
de ses concitoyens qui pèsent sur ses épaules.
.. pire que Hayami ?
Mais qui est donc M Toshihiko Fukui ? Financier et banquier de carrière (67 ans dont 40 au sein de la
BoJ), il succédera à Masaru Hayami (77 ans) qui part à la retraite sans gloire, après avoir raté sa cible: réveiller
le géant endormi qui est l’économie nippone, le 2e pouvoir économique du Globe. Les mêmes politiciens qui ont
nommé M Fukui, reprochent au gouverneur sortant de ne pas avoir tout fait pour résoudre les problèmes
japonais: malgré le fait d’amener les taux monétaires à zéro et d’avoir pratiqué une politique laxiste et
permissive (avec le taux moyens des prêts à 1.615% et une croissance de la masse monétaire de 2% en GA,
derniers chiffres de janvier), ses mesures n’ont pas eu d’effet .. On le critique de ne pas avoir insisté du côté de
l’offre de monnaie, dans une période où les prix ne cessent de perdre du terrain (-0.80% chaque mois !), les
ménages ne dépensent plus (chute annuelle de 2.2% attendu en janvier) et la croissance a du mal à reprendre
(0.5% de croissance seulement au T4 2002).
Alors, les politiciens japonais (de même que le public effrayé par le spectre d’une autre récession,
chômage record à l’appui et baisse des revenus, surtout des pesions des retraités, un tabou jusqu’à ce jour !)
avaient misé gros sur le remplacement du gouverneur. On comptait trouver quelqu’un très fort et habile, qui
fasse un boulot de Superman et corrige les erreurs/limites de son prédécesseur, tout en sauvant la mise
économique.. Mais une fois le choix de M Fukui annoncé, on a compris que la tendance sera de voir encore
retarder les mesures pro-inflation, car un faucon monétaire ne change pas du coup: pas de relâche de la
masse monétaire, pas de perte de contrôle des prix à prévoir !
Malheureusement, ce qui était regrettable dans la politique inadaptée de Hayami risque de devenir ridicule avec
Fukui, car il devrait être conscient désormais des maux de l’économie de son pays, et être prêt à les remédier,
au prix de la renonciation à ses principes austères .. tout en coopérant avec le gouvernement, le vrai maître du
jeu de la réforme du système éco..
Crise de confiance
Malgré l’impression que les critiques de la BoJ se sont fait, la banque n’a pas grande chose à faire du côté de
l’offre de monnaie tant que la crise vient d’une autre part: c’est la demande d’argent qui est en question. La BoJ
pompe de l’argent frais dans l’économie, par le moyen des banques commerciales, mais ce cash n’arrive pas
aux entreprises (en proie à des pertes et dettes énormes, surplombées des crédits mauvais et irrécupérables).
Il est plutôt de retour à l’Etat, parce que les mêmes banques préfèrent d’investir en obligations JGB, à des taux
symboliques, mais au moins garantis, au lieu de se hasarder à augmenter les crédits pourris accordés aux
firmes non-performantes.
Alors, il n’y a plus de multiplicateur monétaire du crédit, l’effet de levier des liquidités de la BoJ se perd dans la
fumée.. parce que les banques ne font plus confiance à un système économique moribond, qui manque de
perspectives, où les consommateurs tardent à emprunter et à dépenser (car demain sera moins cher). Et alors,
ce n’est plus le job de la BoJ, mais plutôt de l’équipe de M Koizumi, de rétablir la confiance dans un pays qui
voit venir la récession sans rien faire, sans appliquer les réformes dont on parle longuement, depuis 12 ans
déjà..
Et le plus important, et aussi valable pour les autres banques centrales du monde, les acteurs économiques ont
trop attendu des banques centrales qu’elles relancent l’économie; on les a trop mises en vedette, avec leurs
pouvoirs de politique monétaire qui influençait les économies, mais il est temps qu’on regarde ailleurs, car les
BC ne peuvent plus grande chose. Il faut alors donner la priorité aux mesures réelles de politique économique,
donc aux gouvernements et à leurs réformes structurelles, parce que les temps des stars monétaires est fini: on
attend encore trop des BC (alors que leurs munitions se terminent), et on néglige les gouvernants et les
mesures budgétaires (alors que seule l’arme de la politique fiscale reste à utiliser).
Reformer: rationaliste comme Takenaka ou impulsif comme Fukui ?
Le choix du gouverneur Fukui ne semble pas un bon plan pour le PM Koizumi – car il va se voir remis en
question par ses collègues du parti au pouvoir, le PLD (libéral – démocrate) .. Déjà les appels à la démission de
Takenaka, l’autre main forte de la réforme japonaise, se multiplient, alors qu’on approche les élections 2004 et
l’économie stagne toujours (ce qui n’est pas un bon signe pour M le PM et son PLD).
De même que Takenaka, Fukui se dit aussi en faveur des réformes dans le secteur bancaire .. mais leurs
approches sont quand même différentes. Takenaka est vu comme une main forte, et son plan on l’a déjà
critiqué comme très radical, même s’il compte aussi sur l’intervention de l’Etat (injections de fonds publics) ou
sur la protection des grandes firmes en cas de faillite .. Mais ce qui est normal pour Takenaka, serait juste une
mesure de capitalisme soft pour le gouverneur de la BoJ, question d’optique et de critères.. On attend que M
Fukui se dise opposé à la RCC, la nouvelle structure industrielle de contrôle des entreprises.
D’autre part, le plan de Takenaka suppose que la BoJ intervienne pas seulement avec une relâche monétaire
supplémentaire, mais aussi, effectivement, au cas où le système financier tombe en panne de liquidités .. ce qui
ne fut pas le cas pendant la gouvernance de Hayami, incapable de fournir une telle aide. Peu probable que son
héritier, M Fukui (beaucoup plus stricte) soit capable de la faire.
Autre différence: Takenaka se définit comme un structuraliste qui privilégie les solutions type « soft landing » et
cela avec l’aide du gouvernement.. Par contre, Fukui pense moins et agit plus, c’est un impulsif qui préférait ne
plus mettre le gouvernement en équation. Sa devise, « laisser faire le marché » le montre comme un leader qui
aimerait bien écarter les solutions de type étatiste (la garantie des dépôts bancaires), pour justement laisser
jouer les lois (dura lex, sed lex !) du marché. C’est une solution à l’occidentale, qui n’a rien à voir avec la logique
japonaise, selon laquelle l’Etat doit toujours intervenir, toujours faire le créditeur en dernier ressort pour les
perdants.
A la crise d’offre de monnaie, la solution de Takenaka viserait l’augmentation directe de la masse monétaire,
par une autre phase (la n- ième !) de relâchement monétaire.. ce qui n’est pas du tout l’idée de Fukui, qui croit
que la déflation n’est pas vraiment un problème d’ordre monétaire .. mais structurel, donc la solution viendrait
des firmes (c’est à elles de faire le ménage pour assainir l’économie).
Finalement, en fonction de la solution qu’il trouvera à la crise des banques et à celle de l’offre de monnaie, M
Fukui sera jugé comme un banquier efficace et coopérant (avec le gouvernement) .. ou juste une autre
personne qui s’est trompée, sans rien pouvoir pour le malade japonais. Seul l’avenir nous le dira.
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